Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, légiférer sur la maladie mentale est toujours un défi. Chacun se souvient de cette affirmation péremptoire de Jean-Jacques Rousseau, qui se trompait en écrivant dans le Contrat social : « La folie ne fait pas droit. » En effet, notre culture juridique fondée sur le libre-arbitre a souvent des difficultés à traiter avec justice ceux qui, en raison de la maladie mentale, peinent à être des sujets de droit.
Nous avons longtemps regardé les fous exclusivement comme des facteurs de trouble et comme une menace sociale : il suffit de se replonger dans L’Histoire de la folie à l’âge classique de Michel Foucault. Il aura fallu bien du temps pour passer de la loi de 1838 sur les aliénés à la loi Évin du 27 juin 1990 relative – chaque mot compte – « aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation », qui avait pour fil conducteur la promotion des droits des malades hospitalisés, une meilleure garantie des droits des personnes hospitalisées sans leur consentement, des actions pour favoriser la réadaptation, la guérison ou la réinsertion sociale et la mise en place d’un meilleur contrôle des conditions d’hospitalisation.
Pourtant, rien n’est jamais acquis. J’ai en tête les paroles de mon ami psychiatre du service public Michaël Guyader, qui me disait, au lendemain du discours prononcé à l’hôpital Érasme par Nicolas Sarkozy : « Nous avons eu tort d’imaginer le progrès des aliénistes comme définitif. Il nous faut à chaque instant être vigilant. Il est nécessaire de replacer la dimension médicale au coeur de notre approche de la maladie mentale car, sinon, nous versons dans ce que certains psychiatres ont appelé la "nuit sécuritaire". Nous devons aussi regarder les malades mentaux comme des sujets de droit à part entière. » C’est fort opportunément ce que les décisions du Conseil constitutionnel nous ont invités à faire. C’est ce que nous faisons aujourd’hui, s’agissant des soins sans consentement, dans cette proposition de loi. Je me réjouis donc que l’on rétablisse des sorties de courte durée, que la loi de 2011 avait limitées à une durée maximale de douze heures. Contrairement à ce que le discours sécuritaire nous fait croire, les personnes hospitalisées sans leur consentement ne sont pas plus dangereuses que les autres.
Je me réjouis également que l’on renforce le contrôle du régime juridique des soins sans consentement, en réduisant – cela a été évoqué – de quinze à dix jours le délai de saisine du juge des libertés et que l’on impose l’assistance d’un avocat. En effet, les personnes les plus malades doivent pouvoir bénéficier de cette protection, car elles ne sont pas toujours en mesure de pouvoir la demander par elles-mêmes.
Que les audiences des personnes malades se tiennent à l’hôpital, voilà aussi une bonne mesure, un réel progrès : les contraindre à se rendre au tribunal était difficilement compréhensible pour des personnes malades qui n’avaient pas commis d’actes répréhensibles. Ceci entretenait une certaine confusion.
Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, cette loi est une première étape. Elle devra nous amener, dans la suite des travaux et des auditions menés par la mission sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie – je veux saluer à mon tour le travail conduit par le président et par le rapporteur Denys Robiliard – à répondre à une demande forte : nous le savons, 20 % de la population est un jour ou l’autre, dans sa vie, concernée par la maladie mentale et deux millions de personnes sont des malades chroniques.
Il existe donc plusieurs piliers sur lesquels il nous faut travailler. Notre système de prise en charge de la santé mentale reste trop cloisonné. J’ai eu le bonheur de présider, pendant dix ans, un établissement de santé mentale : l’hôpital Barthélémy-Durand à Étampes. Même si nous étions dans un lieu d’invention du décloisonnement, nous mesurions chaque jour que l’hospitalisation reste trop importante, alors que les alternatives méritent d’être beaucoup plus développées. Il est temps que l’hôpital soit un partenaire et n’ait pas seulement des partenaires. Inspirons-nous de l’exemple de l’établissement public de santé mentale Lille Métropole, qui applique depuis des années les recommandations de l’OMS et qui a réussi à ouvrir complètement le service d’hospitalisation sur la ville. Renforçons également les liens avec le secteur social, médico-social et les médecins traitants : les associations de patients le réclament et elles ont raison. Il est urgent de mettre en place des parcours de vie pour les personnes malades qui suppriment les décloisonnements que j’ai évoqués, et que l’on parle de logement, de travail, d’isolement, d’insertion dans la cité, tous sujets sur lesquels les conseils locaux de santé mentale peuvent être de bons outils. Il nous faudra aussi parler des maladies somatiques dont souffrent les personnes atteintes de troubles psychiatriques. L’espérance de vie des personnes hospitalisées en hôpitaux psychiatriques est sensiblement inférieure à celle de la population dans son ensemble.
Il faut aussi travailler sur les diagnostics, trop souvent posés tardivement, évaluer les pratiques psychiatriques, réfléchir à la santé mentale en prison, insuffisamment prise en compte, et développer la recherche : la France n’y consacre que 2 % de son budget relatif à la santé mentale, contre 7 % en Angleterre.
Enfin, il convient de travailler sur l’accès aux soins et l’organisation territoriale de l’offre, qui reste problématique, avec une répartition des médecins psychiatres très hétérogène sur l’ensemble du territoire et des écarts d’un à dix selon les départements, non seulement en ville mais aussi à l’hôpital.
Je ne doute pas, madame la ministre, que des réponses plus complètes seront apportées dans la future loi de santé publique. La mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie, dont je suis membre, poursuit ses travaux en ce sens car, comme le disait Louis Pasteur, on peut « guérir parfois, soulager souvent, écouter toujours ». Puisque la présidente Lemorton a eu la bonne idée de citer Lucien Bonnafé, un psychiatre qui a beaucoup marqué mon département de l’Essonne, je veux terminer en citant un autre psychiatre essentiel : Tony Lainé. Je souhaite que nous répondions à l’invitation qu’il lançait lorsqu’il disait qu’il ne fallait pas renoncer à notre profonde solidarité avec la folie qu’il y a dans l’autre.