Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi portant diverses dispositions relatives aux outre-mer me donne l’occasion de vous faire partager le désastre que subissent nos compatriotes guyanais à 7 000 kilomètres de cet hémicycle et de vous présenter une première réponse législative qui, bien que satisfaisante, ne peut être considérée comme suffisante. Je veux parler du pillage de nos ressources nationales en Guyane et, en premier lieu, de nos ressources aurifères et halieutiques.
Loin d’être révolues, les activités liées à l’exploitation aurifère illégale sur le territoire guyanais ont connu une croissance exponentielle entre les années 2004 et 2008. Et malgré une stabilisation effective en 2009, suite à la mise en place du dispositif de lutte baptisé HARPIE, une reprise de l’accroissement des activités illégales s’est faite dès la fin de l’année 2011 et s’est même accélérée en 2012 et 2013. Aussi a-t-on constaté, entre septembre 2011 et juillet 2013, une hausse du nombre de chantiers d’orpaillage clandestin sur le territoire du Parc amazonien de Guyane. Les conséquences sur les communautés locales et leur environnement sont multiples. Elles demeurent inacceptables et se pérennisent.
Sur le plan sanitaire et environnemental, tout d’abord, les métaux toxiques utilisés par les orpailleurs clandestins, en particulier le mercure, sont déversés dans les cours d’eau environnants, qu’ils polluent et rendent impropres à la consommation. Les populations qui puisent une grande partie de leurs ressources du fleuve et de la forêt considèrent la qualité de l’eau comme l’indicateur essentiel. Or aujourd’hui, les eaux boueuses et souillées demeurent leur réalité quotidienne, avec le cortège de préjudices qui en découle et, en premier lieu, la contamination et la raréfaction des ressources alimentaires. La déforestation représente également un dommage important avec plusieurs centaines de kilomètres carrés touchés. En 2010, 4 000 hectares de terrain étaient déforestés et 1 000 kilomètres de cours d’eau pollués par les boues de l’orpaillage – soit l’équivalent de la Loire !
À ces désastres sanitaires et écologiques s’ajoutent des conséquences politiques et sociales préoccupantes. Des atteintes graves à la sécurité de nos concitoyens sont constatées chaque jour : braquages, vols à main armée de pirogues et de moteurs ou pillage d’abatis, mais aussi intimidations et menaces. Cette montée de l’insécurité à proximité des villages du Maroni et de l’Oyapock ainsi que dans les villes comme Maripasoula et Camopi attise une forme de ressentiment contre l’État et se traduit également par une radicalisation croissante des orpailleurs illégaux, qui n’hésitent plus à s’équiper lourdement en armes et à en faire usage contre les autorités françaises. Depuis 2011, pas moins de quarante atteintes aux forces de l’ordre ont été recensées, avec pour triste point d’orgue, la mort de deux gendarmes le 27 juin 2012.
Les désastres liés à la pêche illicite sont également importants et préoccupants. La zone économique exclusive de la France au large de la Guyane représente une surface de plus de 130 000 kilomètres carrés. Par sa richesse en poissons et en crevettes, elle revêt une importance particulière. Si ce n’est en droit, mais dans les faits, ses frontières sont contestées par les innombrables infractions des bateaux de pêche surinamiens, guyaniens, vénézuéliens et brésiliens. Faisant fi des règles et restrictions édictées par l’Union européenne concernant notamment les zones de pêches autorisées, la longueur et la taille des filets, les pêcheurs illégaux viennent directement piller les ressources halieutiques et menacer la reproduction des espèces. Ils concurrencent de manière déloyale les pêcheurs légaux guyanais qui voient leur productivité diminuer d’année en année. Pour vous donner un ordre d’idée, sachez, mes chers collègues, que le volume de la pêche illégale représenterait trois fois celui de la pêche légale. Depuis le 1er janvier 2013, quarante-huit tonnes de poissons ont été saisies et plus de 150 kilomètres de filets, qui n’étaient pas aux normes, ont été détruits.
En plus de l’impact économique certain que ces intrusions ont sur le secteur de la pêche guyanaise, celles-ci remettent en cause l’autorité de l’État français sur une zone dont le droit international lui a reconnu l’exclusivité.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce qui se joue sur les bords des fleuves Maroni et Oyapock jusqu’aux confins de notre forêt amazonienne et au large de nos côtes, c’est aussi et surtout le maintien de notre souveraineté nationale. L’État se doit de tout mettre en oeuvre pour faire respecter ses pouvoirs régaliens et tenir ses engagements de préservation des ressources et des espaces naturels. C’est ainsi que nous réaffirmerons notre souveraineté nationale et garantirons la sécurité et la santé de nos concitoyens.
Or pour cela, il faut couper le mal à la racine : en remontant les filières et en traquant les commanditaires, ceux qui sont à la tête de ces réseaux mafieux, car ce sont eux les véritables coupables. Il faut donc s’attaquer aux moyens d’approvisionnement. Tel est l’objet de la proposition de loi visant à lutter contre l’orpaillage illégal et la pêche illicite que le groupe socialiste, républicain et citoyen a adoptée en juin dernier et que la commission des lois a votée et inscrite au projet de loi que nous examinons aujourd’hui. Je veux vous remercier de votre appui, monsieur Urvoas, et préciser, à la suite de mon collègue de Nouvelle-Calédonie, que rien ne vaut la connaissance du terrain pour convaincre nos collègues. J’espère donc que d’autres parmi vous auront l’occasion d’aller en Guyane afin de se rendre compte par eux-mêmes des réalités de ce territoire.
L’article 12 prévoit ainsi la mise en place d’un régime particulier pour les matériels qui sont utilisés spécifiquement par les orpailleurs illégaux, à savoir le mercure, les concasseurs et les corps de pompe. Ce régime s’insère dans les dispositions législatives particulières à la Guyane dans le code minier. Il comprend l’obligation pour un détenteur de mercure, de tout ou partie d’un concasseur ou d’un corps de pompe de déclarer celui-ci directement auprès du préfet de Guyane et d’être porteur du récépissé délivré, sous peine d’être sanctionné pénalement. L’objectif de l’article 13 de ce projet de loi vise à compléter, sous certaines conditions, l’arsenal répressif du code rural et de la pêche maritime en instituant une peine complémentaire de destruction immédiate des navires ayant servi à commettre l’infraction de pêche illégale, dès lors qu’ils ne relèvent pas de la souveraineté d’un autre État, soit lorsqu’ils sont dépourvus de pavillon ou sans nationalité.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, par ces différentes mesures, nous complétons le corpus législatif existant en dotant les forces de l’ordre d’un arsenal juridique qui leur permette de répondre plus efficacement aux fléaux que constituent l’orpaillage illégal et la pêche illicite. Pour enrichir et compléter cette première réponse législative, le Gouvernement a mandaté une mission interministérielle qui a rendu un rapport sur l’orpaillage illégal et la pêche illicite. Les conclusions et les propositions qui en découleront dans les prochains mois sont déjà très attendues par nos compatriotes en Guyane. Elles permettront d’orienter et de préciser l’action de l’État face à ces deux fléaux.
Je serai vigilante quant aux solutions préconisées. Je suis convaincue que des mesures pertinentes et efficaces seront appliquées. L’amendement que je vais vous présenter dans quelques minutes s’inscrit pleinement dans les recommandations de ce rapport. Cet amendement propose de permettre à la police judiciaire de pouvoir bénéficier du régime spécial de procédure applicable à la criminalité organisée. Le combat contre l’orpaillage illégal et la pêche illicite est également lié à une meilleure structuration de l’exploitation des ressources aurifères et halieutiques. Les apports législatifs seront complétés à l’occasion de la réforme du code minier. Cette réforme permettra de fixer un cadre plus clair et plus serein pour exploiter ces ressources au service de notre territoire et de son développement économique, dans l’intérêt de la France et des Guyanais mais aussi dans le respect de l’environnement.
Comme l’a dit avant moi Gabriel Serville, les réponses que nous devons apporter passeront aussi et surtout par un renforcement de la coopération transfrontalière avec nos voisins du plateau des Guyanes, en premier lieu, le Brésil et le Surinam. Cette coopération doit être à la fois politique, policière et judiciaire mais aussi économique et sociale. De fait, c’est en développant de manière équitable et concertée nos bassins de vie que nous lutterons plus efficacement contre ces fléaux et que nous garantirons un environnement harmonieux à nos populations.