Intervention de Gabriel Serville

Séance en hémicycle du 2 octobre 2013 à 21h30
Agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des cinquante pas géométriques — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGabriel Serville :

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de loi no 1389, visant à prolonger la durée de vie des agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des « cinquante pas géométriques » et à faciliter la reconstitution des titres de propriété en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique, à La Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin, est une mesure attendue de longue date par les populations de ces régions. Elle répond à une demande souvent formulée par les parlementaires des outre-mer, notamment par notre collègue de la Martinique, Alfred Marie-Jeanne, et elle fait suite à deux promesses du Gouvernement, présentées à la fin de l’année 2012.

Je veux insister dans cette intervention sur le problème des occupations sans titre. Les modalités de « titrement » font l’objet d’importants débats dans les départements d’outre-mer largement touchés non seulement par l’habitat sans titre, mais également par ce qui a souvent été qualifié de fléau, à savoir le foncier indivisible. Ce foncier ultramarin est tristement marqué par une absence massive de titres de propriété liée à des successions non réglées et à des occupants de fait ou sans titre. Ces situations, apparues il y a plusieurs dizaines d’années, se sont perpétuées sans qu’une solution efficace pour leur résorption ait été trouvée. Elles ont été notamment favorisées par le départ vers l’hexagone de détenteurs de titres qui ont laissé derrière eux des avoirs fonciers sans jamais donner signe de vie. En Guyane, une politique laxiste des gouvernements précédents, en matière d’habitat insalubre et d’occupation anarchique du foncier, est venue aggraver la situation.

Il ne s’agit pas d’un phénomène anodin, puisque 12 000 logements en Guadeloupe, 15 000 en Martinique et jusqu’à un quart du parc de logement guyanais seraient composés d’habitats spontanés, ce qui suppose une occupation du foncier sans titre accompagné d’auto-aménagements ou d’autoconstructions. Cette situation entraîne des conséquences importantes. Tout d’abord sur le plan de l’aménagement territorial, elle rend très difficile la mise en place de schémas de cohérence et la réalisation de programmes de création de logements sociaux, parce qu’il est difficile pour les collectivités de mettre en place des réserves foncières. La situation est particulièrement inquiétante et visible dans la commune de Matoury en Guyane où plus d’un tiers du foncier bâti ne possède pas de titre.

Outre ces difficultés d’aménagement évidentes, cette situation entraîne des conséquences sociales longtemps ignorées. Le titre de propriété est en effet la base principale de l’accès aux crédits bancaires et il est souvent utilisé comme garantie aux engagements économiques. Dans des territoires caractérisés par la rareté du foncier, par le manque de logements sociaux et les difficultés d’accès à la propriété, cette situation ne peut tout simplement pas perdurer. Or le groupement d’intérêt public prévu par la LODEOM de 2009 et chargé de reconstituer les titres de propriété dans les DOM et à Saint-Martin, à l’image de ce qui s’était fait en Corse suite à la loi de 2006 portant réforme des successions et des libéralités, n’a jamais été mis en place, faute de publication du décret d’application – ce que M. le ministre des outre-mer a pris la peine de rappeler précédemment. C’est pourquoi nous accueillons avec beaucoup d’enthousiasme le principe posé par le nouvel article 3 de la présente proposition de loi, qui permet une décentralisation des procédures de titrement au niveau de chaque collectivité. Cela permettra en effet de confier cette mission à des organismes existants – l’EPFL en Guadeloupe et en Martinique et l’EPAG en Guyane – et d’éviter ainsi la création dans ces trois régions d’organismes supplémentaires, redondants et coûteux.

Toutefois, si cette proposition de loi va dans le sens d’une amélioration notable de la situation du foncier outre-mer, il nous faudra rester vigilants quant à certains points. Ainsi convient-il de signaler que des incertitudes d’ordre juridique subsistent. Qu’en sera-t-il, par exemple, des situations pour lesquelles une procédure a été lancée devant les tribunaux en revendication de propriété, notamment eu égard à l’argument tiré de l’usucapion ? Dans la mesure où des procédures de justice peuvent être en cours, n’était-il pas préférable d’introduire une réserve relative à l’existence de ces procédures afin de ne pas empiéter sur l’action du juge et de garantir le respect du principe de séparation des pouvoirs ? Par ailleurs, la dérogation au principe du secret professionnel au titre de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés devra strictement répondre aux conditions de proportionnalité et de nécessité par rapport au but assigné à la procédure de titrement.

En troisième et dernier lieu, se pose la question de la composition du groupement d’intérêt public ou de l’opérateur public foncier. Ne serait-il pas judicieux que les représentants d’associations de protection de l’environnement soient inclus dans la composition des organismes à créer à la Réunion, à Mayotte et à Saint-Martin et qu’ils rejoignent ceux qui seront désormais en charge de ces missions de titrement en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane ?

Il nous semble également primordial qu’au-delà de la proposition de loi présentée aujourd’hui, nous nous assurions de la déclinaison d’une solution pérenne, particulièrement en ce qui concerne les agences dites « des cinquante pas géométriques » de Martinique et de Guadeloupe. Dans cette attente, le groupe GDR, que j’ai le plaisir de représenter ce soir, émet un avis très favorable à l’adoption conforme de la version de cette proposition de loi présentée par le Sénat.

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