Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 11 octobre 2012 à 15h00
Création des principes d'adaptabilité et de subsidiarité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le président de la commission des lois que j'ai l'honneur d'être n'a pas de chance avec les deux propositions de loi qui lui sont proposées par le groupe UMP.

Alors que son objet – les gestes qui sauvent – nous convenait, nous avons été contraints de rejeter la première puisque nous estimions qu'elle relevait du domaine réglementaire ; la seconde poursuit un objectif que nous partageons, mais nous considérons que, compte tenu, de son écriture, vous rendriez un très mauvais service à la cause que vous voulez défendre en nous offrant la possibilité de l'adopter. Donc, pour votre bien, monsieur le rapporteur, et pour celui des collectivités que vous voulez défendre, nous allons être contraints de la refuser, comme nous l'avons fait en commission. (« Dommage ! » sur les bancs du groupe UMP.)

Vous avez défendu tout à l'heure les raisons pour lesquelles vous présentiez ce texte ; je vais, pour ma part, me permettre de revenir sur les raisons pour lesquelles la commission des lois de l'Assemblée nationale n'a pas jugé bon de vous suivre.

Cette proposition de loi ne manque pas de mérites. Le premier d'entre eux est de s'atteler à un problème qui, depuis trop longtemps, contrarie les élus locaux en général et les maires en particulier, dans l'exercice de leurs missions.

Vous avez à juste titre, madame la ministre, évoqué l'incontinence normative, expression imagée qui rend bien compte de l'ampleur d'une dérive que nul ne semble plus capable de juguler. C'est comme une machine qui, après avoir échappé au contrôle de ses créateurs, serait devenue folle, portée par sa propre dynamique.

On connaît les chiffres, ils donnent volontiers le vertige. L'adaptation à cet univers mouvant, en constante évolution, réclame de la part des administrations locales une énergie considérable et, au-delà, se révèle extrêmement onéreuse, puisqu'en 2009 et 2010 l'incidence budgétaire des 339 « projets de norme » émanant de l'État a été évaluée à plus d'un milliard d'euros de dépenses supplémentaires pour les collectivités territoriales.

Le mal, au demeurant, est diagnostiqué de longue date. En 1991 déjà, le Conseil d'État avait eu à se pencher sur la prolifération des normes et sur les difficultés qu'elle provoquait, notamment pour les communes. Le phénomène n'a pourtant fait que s'aggraver depuis, et dans des proportions considérables.

Certes, des initiatives ont été prises ces dernières années – vous les avez rappelées –, mais ni la commission consultative d'évaluation des normes instituée en 2007, ni le moratoire instauré en juillet 2010, ni le commissaire à la simplification désigné en novembre 2010 n'ont permis de canaliser ce flux normatif, de l'enrayer ou, mieux, de le ralentir.

Le texte que vous nous proposez, monsieur le rapporteur, prend acte de cette impasse, que personne ne conteste. Vous nous proposez des solutions ; nous les trouvons aventureuses et, avant de relâcher l'étau normatif qui enserre l'action publique locale, nous voudrions être certains de disposer d'un outil vraiment efficace.

Vous préconisez deux régimes distincts de dérogation aux normes réglementaires, dispositifs dont la mise en oeuvre pourrait permettre à l'échelon local d'adapter une loi en fonction des réalités du terrain. On ne peut balayer une telle proposition d'un simple revers de main, et c'est la raison pour laquelle vous apprécierez sans doute que la commission des lois et la majorité de notre assemblée aient souhaité que ce débat ait lieu, contrairement à l'époque où des propositions de loi déposées par l'opposition étaient écartées, les votes renvoyés. Nous souhaitons, nous, aller au fond du sujet, car nous respectons l'opposition, les combats qu'elle porte et les solutions qu'elle propose, quand bien même nous n'en mesurons pas forcément l'intérêt.

Votre proposition est donc intéressante, d'abord parce que, sur le plan formel, il s'agit d'un texte qui évite l'écueil des considérations fourre-tout. Il est concis – quelques articles – et centré sur un enjeu clairement identifié.

Sur le fond ensuite, il s'inspire de principes généraux, dont notre culture politique, volontiers centralisatrice, peine trop souvent à reconnaître le bien-fondé : la vérité d'un territoire n'est pas forcément celle de son voisin ; l'égalité n'est pas l'uniformité.

Pour autant, votre texte a l'inconvénient d'être trop imprécis dans sa formulation. Certes, vous pourriez me répondre que c'est le travail de la commission que de corriger les imprécisions…

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