Je reviens sur deux éléments que vous évoquez pour justifier nos réserves. D'abord la notion de « moyens inadaptés » ou de « moyens disproportionnés » invoqués pour justifier le recours par les collectivités aux dispositifs de dérogation nous paraît beaucoup trop vague, trop inconsistante et susceptible dès lors d'alimenter des contentieux sans fin qu'il incomberait fatalement à la justice administrative de trancher.
Nous comprenons mal, par ailleurs, qui au bout du compte est censé bénéficier de cette loi : son intitulé fait référence au « milieu rural », tandis qu'il n'en est nullement question dans le corps du texte. Il s'agit au demeurant d'un concept plus sociologique ou économique que juridique, mais pourquoi alors présenter la proposition de loi comme étant de nature à profiter aux seuls maires ruraux, alors qu'elle concerne en réalité l'ensemble des collectivités locales, urbaines comprises ? Il y a là, à notre sens, une ambiguïté certaine dont le droit, par principe, s'accommode mal.
D'autre part, est-il réellement concevable d'octroyer, comme vous proposez de le faire, une faculté d'adaptation de la norme commune à l'ensemble des collectivités territoriales et aux personnes morales de droit public ? N'en résulterait-il pas, de manière mécanique, une dilution et un éclatement du pouvoir réglementaire proprement ingérables ? À ma connaissance – mais elle est peut-être lacunaire – aucun pays européen n'a emprunté cette voie. Le pouvoir normatif, généralement, est concédé à un seul échelon décentralisé, le plus souvent l'échelon régional.
Il faut également parler du risque d'inconstitutionnalité, et je regrette, comme je vous l'ai dit en commission, monsieur le rapporteur, que vous n'ayez pas pu ou pas voulu soumettre votre proposition de loi à l'examen du Conseil d'État, les délais ne le permettant sans doute pas. Cela étant, le Conseil d'État s'était déjà prononcé sur le texte du sénateur Doligé, qui défendait peu ou prou les mêmes orientations, et je n'ai donc guère besoin d'y revenir.
Je vois donc mal comment le Conseil constitutionnel pourrait se satisfaire de la remise en cause de l'application uniforme de la loi sur l'ensemble du territoire, en fonction des pressions locales dont le préfet pourrait faire l'objet ou des affinités qu'il pourrait tisser.
Si le diagnostic posé par cette proposition de loi est juste, le remède qu'elle entend imposer au malade n'a donc pas fait, loin s'en faut, la preuve de son efficacité curative, et l'autorisation de mise sur le marché semble très compromise…
Il ne s'agit évidemment pas pour autant de reporter le traitement d'un problème dont nous sommes tous conscients de la gravité. Le Gouvernement va travailler en ce sens. Dans le cadre des états généraux, le Président de la République a fait des annonces, que vous avez rappelées, madame la ministre. Sera bientôt lancé, sans doute au premier trimestre 2013, un chantier de la révision générale des normes. Il s'agira d'un chantier d'envergure, piloté par le Parlement ; d'abord par le Sénat puisque cela relève de ses prérogatives – nous pouvons parfois le regretter tout en acceptant un bicamérisme dans lequel nous avons le dernier mot –, puis l'Assemblée nationale et la commission des lois.
Bref, monsieur le rapporteur, vous posez un juste diagnostic mais esquissez des réponses qui ne nous agréent pas. Nous en appelons donc à votre patience. Nous connaissons votre constance : vous saurez tenir l'objectif, garder le cap et nous interroger au moment voulu, quand le Gouvernement vous proposera un texte s'efforçant de répondre aux questions que vous nous posez. Souffrez donc que, d'ici là, nous vous demandions d'accepter le fait que la commission a refusé votre texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.)