C'est une idée…
Ce texte vise à donner, pour chaque loi, la possibilité de proposer des mesures d'adaptation spécifiques aux territoires ruraux. Les collectivités locales et autres personnes publiques auraient la possibilité d'y déroger, ou de proposer une dérogation au préfet assisté d'une commission locale de médiation. Le but ne serait pas de s'exonérer de la loi mais de la satisfaire de manière différente.
Les spécificités du monde rural pourraient justifier de consacrer un chapitre aux dispositions ou aménagements nécessaires. Mais cette proposition de loi est-elle en mesure de régler la surenchère législative et réglementaire ? Si l'exposé des motifs et la visée générale du texte ne posent pas problème, sa rédaction souffre de plusieurs faiblesses.
Il y a d'abord une crainte d'inconstitutionnalité. L'article 21 de la Constitution confie le pouvoir réglementaire au Premier ministre. L'on ne peut y déroger que de manière extrêmement précise et dans des cas particuliers. En principe, le pouvoir réglementaire ne se partage pas. Cependant, le Conseil constitutionnel admet que la loi elle-même prévoie, de manière très encadrée, ses propres critères de dérogation.
Ensuite, aucun critère n'est prévu dans le texte pour définir le caractère inadapté ou disproportionné d'une norme. Il en résulte un risque de contentieux et d'insécurité juridique : seul le juge administratif pourra vérifier que les mesures de substitution ont été prises pour un motif légitime et qu'elles satisfont à la loi. Les recours de particuliers ou d'associations se multiplieront et l'on fustigera l'incompétence du législateur qui n'arrive qu'à encombrer les tribunaux.
En outre, les petites collectivités risquent d'avoir du mal avec cette disposition. Dans certaines communes, le seul employé est un secrétaire. Comment imaginer qu'il ait à formuler des propositions d'adaptation de la norme ?
Par ailleurs, outre les collectivités territoriales, il semble que les syndicats par exemple et toute personne de droit public puisse se voir ouvrir ce pouvoir réglementaire. Cela pose le problème de la lisibilité de l'ordonnancement juridique. À notre sens, cette faculté d'adaptation des lois doit être réservée aux seules collectivités locales de plein exercice, en premier lieu les régions. Dans les pays fédéraux, le pouvoir d'adaptation n'est d'ailleurs donné qu'à une seule collectivité.
Enfin, conférer aux préfets un pouvoir d'appréciation de l'adaptation des normes me semble être une approche hasardeuse. Ne s'agit-il pas d'un pouvoir d'appréciation et d'opportunité manifestement excessif ? Ce pouvoir risquerait aussi de le soumettre aux pressions des élus locaux, ce qui ne peut être que préjudiciable.
Je souligne que la possibilité d'adaptation des normes existe par ailleurs déjà dans l'article 72 de la Constitution, à titre expérimental. Il est vrai que ces expérimentations sont peu fréquentes en France. À titre d'exemple, le conseil régional de Bretagne, qui a demandé la compétence dans le domaine de la culture, de l'eau et des fonds européens, ne l'a jamais obtenue…