Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président, monsieur le rapporteur, la question des normes est un sujet récurrent depuis de nombreuses années. Exponentiel, instable, difficilement accessible, l'édifice normatif est devenu au fil des ans un véritable piège pour les collectivités territoriales.
Autant le préciser tout de suite, il n'y a pas entre nous de clivage idéologique sur ce sujet. Tous ceux qui, sur ces bancs, ont exercé ou exercent des responsabilités locales, tous ceux qui connaissent simplement le terrain, savent la complexité de situations auxquelles nous pouvons être confrontés. Nous partageons ce constat qu'il faut aider les collectivités locales à résoudre leurs difficultés, notamment pour ce qui est des travaux de mise en conformité.
Dès 1991 le Conseil d'État, dans son rapport public, pointait du doigt la « surproduction normative » et ses conséquences, en termes tant de sécurité juridique, d'intelligibilité et de crédibilité du droit que de coût pour les administrés et les collectivités.
Par la suite, plusieurs rapports ont porté sur la question, comme le rapport Belot ou le rapport Doligé, pour déboucher sur le même constat. C'est aussi dans cette logique que s'inscrit le travail de notre rapporteur à la suite de la mission que lui avait confiée le précédent Président de la République.
Selon l'Association des maires de France, 400 000 normes techniques s'imposent aux élus locaux. Elles représentent un défi technique pour un grand nombre de collectivités territoriales, mais aussi un poids financier croissant.
La lecture du rapport d'activité de la Commission consultative d'évaluation des normes est un excellent moyen de mesurer l'ampleur du problème. La Commission, qui est obligatoirement saisie de tous les textes réglementaires ayant une incidence sur les collectivités territoriales, écrit par exemple qu'entre septembre 2008 et décembre 2011, 692 textes lui ont été soumis, avec un impact pour les collectivités locales qui pourrait atteindre 2,34 milliards.
Nous partageons donc le constat et l'objectif, l'exposé des motifs et la visée générale du texte. Toutefois, il nous semble présenter des fragilités, notamment concernant sa recevabilité.
Une première série de remarques concerne le sens des mots. Le titre de cette proposition évoque une « mise en oeuvre différenciée des normes en milieu rural ». Or, le texte, tout en étant fait pour la ruralité, ne définit à aucun moment le milieu rural. En outre, aucun des trois articles ne fait véritablement référence à la ruralité. L'article 1er vise « les collectivités territoriales et toute personne morale de droit public » quand l'article 2 parle des « personnes physiques ou morales de droit public ou de droit privé ».
Ces deux dernières notions posent aussi question. Pour le texte, c'est l'obligation de mettre en oeuvre des moyens inadaptés ou disproportionnés qui justifie que la collectivité puisse élaborer des mesures de substitution plus adaptées à sa situation. Or, ces notions ne sont pas définies par le texte et restent vagues et subjectives.
Ce qui pousse à se rappeler la sévérité du Conseil d'État dans son avis sur la proposition de loi Doligé, notamment son article 1er : aucune possibilité d'adaptation ne semble possible au Conseil si elle n'est pas préalablement définie et encadrée, dans une loi spécifique, à un domaine de l'intervention publique.
Mais au-delà se posent des questions de fond, à commencer par le pouvoir de substitution dévolu au préfet. Selon l'article 2 du texte, lorsque les normes nécessitent la mise en oeuvre de moyens matériels, techniques ou financiers disproportionnés, les personnes physiques ou morales de droit public ou de droit privé peuvent proposer à l'autorité publique concernée des mesures de substitution adaptées. L'autorisation de déroger est alors donnée par le préfet du département. Cela revient à confier au préfet un pouvoir d'appréciation et d'opportunité manifestement excessif qui va à l'encontre des principes mêmes des différents actes de décentralisation que la France a connus depuis 1982.