Madame la présidente, madame la ministre déléguée, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, la proposition qui nous est soumise aujourd'hui s'inscrit dans une série de tentatives qui se font jour depuis quelques années – on a plus particulièrement cité la proposition Doligé, puisqu'elle est en cours d'examen –, qui tendent à s'attaquer à la complexité du droit applicable tout particulièrement, mais pas seulement, aux collectivités locales. C'est un sujet qui mérite attention, même si sa dramatisation ne sert finalement personne.
Malheureusement, l'enfer est pavé de bonnes intentions et cette proposition de loi qui consiste, ni plus ni moins, en une dévolution aux communes, et dans une moindre mesure au préfet, du pouvoir réglementaire d'application des lois souffre d'au moins trois motifs d'inconstitutionnalité. Ces motifs sont tels que l'on s'étonne quelque peu de ce choix maximaliste, comme si se faire entendre était une raison plus forte qu'arriver à un dispositif vraiment praticable, c'est-à-dire vraiment utile aux communes, ce qui est normalement l'objectif recherché.
Premier motif d'inconstitutionnalité, cette loi méconnaît l'article 21 de la Constitution, qui donne au Premier ministre et à lui seul – c'est clair – le pouvoir d'appliquer les lois. Encore le Premier ministre lui-même ne peut-il déroger à la loi que dans les cas et selon les critères que celle-ci a prévus.
Le Conseil constitutionnel exerce en la matière, on le sait, une vigilance particulière. Mme la ministre déléguée et d'autres orateurs ont rappelé sa décision du 28 juillet 2011, qu'il est d'ailleurs permis de trouver extrêmement sévère ; du moins est-ce mon appréciation.
Deuxième motif d'inconstitutionnalité, cette proposition de loi – M. Dussopt l'a très opportunément rappelé – méconnaît le principe d'égalité dès lors qu'il résulterait de son application que les usagers du service public seraient traités différemment à Aurillac et à Romorantin. Non seulement les petites communes rurales prendraient des mesures dérogatoires par rapport aux normes d'ensemble mais ces normes elles-mêmes pourraient varier d'une commune à l'autre, voire à l'intérieur d'une même commune, et la fragmentation se poursuivre quasiment sans frein. Cela intéresserait peut-être les physiciens nucléaires, mais, tout de même, derrière cela, quelle vision, quelle vision désastreuse du service public et des besoins de l'usager ! Il fallait que cela fût quand même rappelé une fois.
Troisième et dernier motif d'inconstitutionnalité, ce texte souffre – cela aussi a été rappelé – d'un défaut de clarté et d'intelligibilité. Or ces principes ont valeur constitutionnelle. D'une part, les catégories de communes en cause ne sont pas définies. D'autre part, les cas dans lesquels il serait possible de déroger à la loi ne sont pas non plus encadrés avec une précision suffisante, les obstacles techniques et l'impossibilité financière étant laissés à l'appréciation de chaque commune, mais nous atteignons là à un deuxième degré d'inconstitutionnalité.
On le voit, s'il n'est certes pas faux de dire qu'aujourd'hui le poids des normes de toute nature a quelque chose d'accablant – ce qui vient d'être rappelé avec esprit –, singulièrement pour les petites communes, le remède proposé risque d'être pire que le mal. Je ne veux pas sous-estimer ce dernier. Il n'est pas nécessaire de cumuler un mandat local et un mandat national, l'élu national se rend compte du poids des normes auxquelles sont soumises les petites communes.
Alors, quelles pistes envisager ? On peut mettre quelque espoir dans le fait, d'abord, que tous les pouvoirs de ce pays – Sénat, Assemblée nationale, Gouvernement et, tout récemment encore, le Président de la République – se sont montrés sensibles au poids des normes qui est aussi un aspect de la bonne application des lois.
Il me semble que ce sera donc à la loi, à l'avenir, de se soucier tout particulièrement de l'applicabilité des normes qu'elle définit ; à la loi, c'est-à-dire à nous-même, législateur, qui nous faisons ici une leçon que nous pourrions tirer pour l'avenir.
Cela est vrai pour le flux, mais il reste le stock, et le nombre des normes aujourd'hui applicables est considérable. Il serait sans doute bon qu'un groupe ad hoc constitué d'élus se penchât sur une évaluation raisonnable des règles applicables avec l'appui de la Commission consultative d'évaluation des normes. Y voyant plus clair, le législateur pourrait alors revenir sur ses excès précédents. Soulignons d'ailleurs qu'il ne pourrait le faire que dans le champ non communautaire. Or de très nombreuses normes européennes s'appliquent aujourd'hui, et font partie du fardeau ; la part qu'elles y prennent mériterait d'ailleurs une évaluation. À la suite des travaux de ce groupe, une loi de portée générale, transversale, qui désignerait les principaux domaines dans lesquels il y aurait lieu d'alléger les normes et de donner des dérogations serait tout à fait imaginable, elle pourrait, le cas échéant, être inscrite au code général des collectivités territoriales.
Le législateur n'en a donc pas fini avec les normes, c'est-à-dire qu'il n'en a pas fini avec lui-même, et c'est finalement heureux. Il ne doit cependant pas se tromper sur les moyens à employer, faute de quoi il n'aboutirait qu'à repousser la solution du problème. C'est malheureusement ce que fait le présent texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)