Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Séance en hémicycle du 11 septembre 2013 à 15h00
Transparence de la vie publique — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Il nous faut donc revenir, au moment de ce bilan, à l’essentiel. Je remercie tous ceux qui ont contribué à l’évolution que le ministre vient de rappeler et je salue les parlementaires qui se sont investis, ceux de l’opposition et ceux de la majorité. Tous l’ont fait dans le souci du bien public, en tentant de retrouver le chemin pour que nos institutions puissent retisser la confiance avec nos concitoyens. En effet, vous l’avez souligné, monsieur le ministre, c’est bien elle qui fonde le pacte social et en constitue le moteur.

On parle souvent dans nos sociétés de traçabilité. C’est bien, mais comme le disait Adam Smith, c’est parce que l’on a confiance dans le boucher que l’on fréquente sa boutique. La traçabilité, c’est donc bien, mais la confiance, c’est mieux. Sans confiance, je ne crois pas qu’il y ait de système démocratique : c’est au contraire le règne du soupçon, du cynisme, du désenchantement généralisé, désenchantement sur lequel prospèrent toutes les radicalités mensongères.

Seule la confiance permet la distanciation, entre soi et l’autre, entre la sphère privée et la sphère publique, entre l’État et la société, et la distanciation est la condition indispensable de la liberté. La transparence, naturellement, peut faciliter son avènement. Nos débats ont montré qu’il existait une multitude de domaines où elle a un effet indubitablement bénéfique. Ils nous ont aussi permis de rappeler tous ceux dans lesquels l’intérêt général gagnerait encore à ce qu’elle s’impose. En même temps, l’expérience démontre que la transparence ne peut être qu’une réponse ciblée, non un remède universel.

C’est justement l’un des mérites de ces textes dont nous avons discuté : exploiter toutes les potentialités de la transparence sans pour autant succomber à la tentation d’en faire une panacée. Ils parviennent à instituer un équilibre fructueux entre les exigences inhérentes à la transparence et le respect de la vie privée.

Hannah Arendt l’a souligné dans Condition de l’homme moderne, aucune frontière en démocratie n’est plus importante à défendre que celle, ténue, fragile, entre la sphère privée et la sphère publique, la confusion de ces deux sphères étant le propre des régimes totalitaires

Certes, l’exercice d’une responsabilité publique génère par principe une obligation, celle de rendre des comptes. Il existe, pour les élus notamment, un devoir absolu de probité, et tout écart éventuel de conduite en la matière doit pouvoir être identifié et sanctionné. Cependant, un homme public à l’état pur, cela n’existe pas. Une telle vérité s’apparente à un truisme, mais il n’est visiblement pas inutile de le rappeler tant elle entre en flagrante contradiction avec la volonté de tout savoir, qui est le fondement d’un certain dogme de la transparence.

Le nécessaire et salutaire questionnement sur les limites à fixer, les frontières à tracer, les jalons à poser a été au coeur de nos débats. Jusqu’où doit se déployer la transparence et quelle place doit-elle laisser au secret des organisations publiques et à l’intimité de l’être humain ? Plus précisément encore, comment fixer la frontière entre ce qui, dans la vie des élus en particulier, relève de l’indispensable visibilité liée à leur mandat et ce qui relève du périmètre de leur vie privée ? Aucune méthode idéale, aucune recette miracle n’existe. L’émergence d’une solution est le résultat du tâtonnement que nous avons pratiqué.

Je suis convaincu que le compromis auquel nous sommes parvenus sur les déclarations de patrimoine, face à la revendication d’une espèce de démocratie paparazzi, comme l’a dit le président de l’Assemblée nationale, est un bon compromis. Au demeurant, l’essentiel était peut-être non pas dans cette question de la publicité mais bien plus, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, dans l’effectivité d’un contrôle optimal dans la lutte contre les conflits d’intérêts. Aucun intérêt particulier, aucune raison prétendument supérieure ne saurait venir entraver ce contrôle nécessaire. C’est par ce truchement que nous parviendrons à tarir les sources du mal, à juguler les conditions de survenue de ces désastreuses « affaires » qui ébranlent si dangereusement notre système représentatif. C’est ainsi que nous parviendrons à atteindre le seul objectif qui vaille, la restauration de la confiance.

Tel était le défi ambitieux que portaient ces textes. Il nous fallait le relever. Je me réjouis que nous ayons contribué à le faire de belle manière, en instituant une Haute autorité dotée de moyens renforcés et d’un périmètre d’investigation élargi, en durcissant les sanctions pénales à l’endroit de ceux qui prendraient le risque de s’affranchir des règles établies, en instaurant des mécanismes efficaces de prévention des conflits d’intérêts.

L’une des associations qui ont beaucoup suivi nos débats, Transparency International, nous donne d’ailleurs une forme de quitus dans sa dernière publication, d’août 2013. Le président de la section française, Daniel Lebègue, écrit que ces nouvelles lois constituent indiscutablement un progrès, même si l’association dit qu’il y en a d’autres encore à réaliser. Qui pourrait au demeurant le nier ?

Nous répondons donc de manière indiscutable à l’exigence d’efficacité dans le contrôle des conflits d’intérêts, que nos concitoyens considèrent avec beaucoup de bon sens comme une préoccupation fondamentale.

Je veux encore et à nouveau dire quelques mots de ces avancées majeures que contiennent ces textes en matière de prévention et de lutte contre ces conflits. Elles sont irréfutables et leur portée très audacieuse, eu égard aux petits accommodements et grandes ambiguïtés qui prévalaient jusqu’à présent. Elles devraient d’ailleurs suffire à elles seules à garantir à cette réforme un soutien unanime. Mais ce n’est pas tout. Demain, deux projets de loi relatifs aux obligations déontologiques des fonctionnaires et des magistrats de l’ordre judiciaire viendront compléter ceux que nous nous apprêtons à adopter.

La France peut ainsi devenir, dans le monde, un pays à la pointe du combat, comme une sorte de référence contre les conflits d’intérêts. Osons dire que ce serait inespéré si l’on veut bien considérer les choquantes carences et les lourds dysfonctionnements qui caractérisent la situation actuelle. Mais il convient d’abord de franchir une première étape, ce que nous ferons mardi puisqu’un vote solennel a été demandé.

Je vois mal en vérité ce qui pourrait justifier le rejet de ces deux textes ambitieux…

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