Intervention de Guy Geoffroy

Séance en hémicycle du 11 septembre 2013 à 15h00
Transparence de la vie publique — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy :

Un ministre de la République, qui était en charge, en sa qualité de ministre du budget, de tout ce qui concerne les questions fiscales, et qui se voulait un pourfendeur de la fraude fiscale, s’avère avoir été, dans des proportions apparemment très importantes, un fraudeur. Là où les choses commencent à déraper, par rapport à vos belles déclarations et à vos belles ambitions, c’est que ce qui est reproché à ce ministre de la République n’a rien à voir avec l’exercice de ses fonctions d’élu. Bien sûr, nous en saurons plus quand la justice aura fait son travail et se sera prononcée, mais tout semble indiquer que ce qui lui est reproché n’a pas de lien avec ses activités d’élu municipal dans le Sud-Ouest, ni d’élu national issu d’un département du Sud-Ouest, ni probablement non plus de ministre.

Cet homme ayant failli, le Gouvernement ayant dû se séparer de lui, ce qui a créé au sein de votre majorité mais aussi dans tout le pays, au sein du monde de la vie publique, un véritable traumatisme, votre réponse a été, et c’est votre première faute, de changer de sujet. Pour faire croire à l’opinion que vous aviez vraiment décidé de traiter la question au fond, vous êtes allés sur le terrain de la dénonciation a priori des turpitudes potentielles du monde des élus de la République

C’est votre première faute, et cette faute, nous voulons la rappeler aussi bien au Gouvernement, qui en est l’initiateur – par cette « accélération de l’histoire », comme vous l’avez vous-même dit de l’affaire Cahuzac, monsieur le ministre, il vous faut l’assumer – qu’à la majorité, qui a été, rappelons-le, bien embarrassée. Quand nous rappelons les propos du président de l’Assemblée nationale, nous n’en reprenons pas le ton ! Nous savons que la levée de boucliers au sein de la majorité a été énorme et qu’il n’a pas été question une seule seconde, pour des raisons que je ne veux d’ailleurs pas connaître mais qui peuvent parfaitement se comprendre, que les parlementaires soient du jour au lendemain soumis à la même règle de publication des déclarations de patrimoine que les ministres, qui y ont été obligés dans des conditions qui ont d’ailleurs davantage fait sourire nos concitoyens qu’elles ne les ont rassurés. La déclaration d’un des membres du Gouvernement allait jusque dans le détail du prix d’occasion de ses vélos ! Et dans une autre, la valeur actuelle d’un bien immobilier acquis en nue-propriété n’était pas estimée, au motif que pour que ce bien soit vendu, il faudrait l’accord de l’usufruitier. Sauf que pour estimer un bien, il n’est pas besoin de le vendre ! Le plus souvent d’ailleurs, on ne le vend qu’après l’avoir fait estimer, pour être sûr de proposer le bon montant… Ainsi, ce grand moment de libération de la transparence ministérielle a été un formidable flop, qui a fait rire nos concitoyens, ce qui est triste pour un tel sujet, au lieu de les rassurer.

La majorité, de manière différente à l’Assemblée et au Sénat, s’est beaucoup écartée du souhait initial du Gouvernement. Ce dernier souhaitait une publication intégrale, dans les conditions que je viens de décrire. Cela aurait été assez savoureux, avec toutes les omissions possibles, toutes les manières d’éluder certains sujets, mais aussi tout ce qui aurait été jeté en pâture à la presse et aux concitoyens les plus confiants en notre direction.

Un dispositif a donc finalement été adopté, qui nous stupéfie encore. Nous sommes d’accord pour créer une Haute autorité : c’est un mieux – il y en a dans ce texte. Mais ce que vous en faites est proprement ahurissant : c’est pire que ce que faisait le Gouvernement qui, d’après vous, ne faisait pas bien. Qu’est-ce, en effet, que cette déclaration de patrimoine qui sera reçue par la Haute autorité, laquelle, pour des raisons tenant au respect de la vie privée, en fera une présentation édulcorée, et sera ensuite adressée en préfecture, où nos concitoyens auront le droit de les consulter ? La première chose qu’ils verront, c’est que ce n’est pas la déclaration de patrimoine de leur député, car il y manquera des choses. Par ce souci de protéger la vie privée, vous renforcez d’emblée l’idée que la transparence n’y est pas. Ensuite, vous avez refusé, Gouvernement et majorité, que les élus mis en cause puissent savoir qu’une personne s’est rendue en préfecture afin de voir leur déclaration. Avec cette usine à gaz qui s’est construite au cours de la navette parlementaire, vous créez quelque chose qui va totalement à l’encontre de ce que vous souhaitiez.

Nous sommes partisans de sanctions aggravées pour ceux qui fraudent. Or ce n’est pas en jetant en pâture des déclarations de patrimoine édulcorées que vous restaurerez la confiance de nos concitoyens, mais en faisant apparaître clairement des différences non naturelles, qui posent manifestement problème. Et en l’occurrence, personne ne pourra les déceler puisque seule la dernière déclaration de patrimoine sera consultable en préfecture et qu’aucune comparaison ne sera donc possible avec la précédente !

Votre dispositif ne tient pas la route. Il est scabreux. C’est le fruit de cet « accord », si on peut l’appeler ainsi, passé entre le Gouvernement et la majorité, et des péripéties qui se sont de surcroît produites entre l’Assemblée et le Sénat, dont on ne peut pas dire qu’elles soient l’exemple d’une volonté de mettre un terme au cynisme.

Vous parliez de cynisme, eh bien, venons-y. La majorité à l’Assemblée n’a pas voulu du texte du Gouvernement. Elle a élaboré un texte, sur lequel le Gouvernement est tombé d’accord. Le Sénat, lui, a fait savoir qu’il n’était pas d’accord. Alors vous avez considéré, de manière parfaitement décontractée, qu’il n’y avait aucune raison d’envisager un accord entre la majorité de l’Assemblée et celle du Sénat ! Vous nous avez donc fait le coup de la majorité de l’Assemblée qui contraint le Gouvernement à être plus sage et qui, en présence d’un désaccord persistant avec le Sénat, s’arroge le dernier mot conformément, comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, au texte de notre Constitution. Cela donne des gages à tout le monde : le Gouvernement est allé au bout de son texte, la majorité du Sénat n’a pas mangé son chapeau et vous avez eu le dernier mot, comme la Constitution le prévoit !

Nos concitoyens y verront-ils clair ? Allons-nous vers une confiance restaurée ? Je ne le crois pas car, à cette première faute commise en changeant de terrain, après l’affaire Cahuzac, vous en avez ajouté d’autres. Il existe chez vous une volonté qui n’est pas seulement présente dans les textes d’aujourd’hui : elle se retrouve dans tous vos textes, dont celui relatif au cumul des mandats, qui vient de recevoir un camouflet en commission des lois du Sénat et se voit donc remis sur le métier – nous verrons sans doute, entre les deux assemblées, la même pantomime qu’aujourd’hui.

Vous voulez que les élus de la République soient les élus des partis, qu’ils soient désignés par ceux-ci et n’aient plus aucun contact avec la réalité. Vous voulez décourager ceux qui exercent une activité professionnelle de continuer à le faire, et vous interdisez à ceux qui n’en exercent pas encore de l’envisager. Je suis persuadé que le Conseil constitutionnel dira ce qu’il faut en penser, car vous allez créer deux catégories d’élus : le stock, qui a le droit de continuer, et le flux, qui n’a pas le droit d’exister.

Vos arguments, si nous les partageons, comme je l’ai rappelé au début de mon propos, ne nous conduisent pas pour autant à soutenir ces textes, qui feront beaucoup de mal à la transparence au lieu de l’améliorer. Au terme de ces trois lectures, celle d’aujourd’hui étant de pure forme, c’est d’ailleurs ainsi que vous la présentez, vous n’aurez pas réussi à convaincre l’UMP qu’il fallait vous suivre. Je suis au regret de vous dire, monsieur le rapporteur, que vous avez au contraire semé la confusion, aggravé le sentiment de beaucoup de nos concitoyens que leurs élus ne veulent pas tout leur dire. Vous avez donc tiré, involontairement je l’espère, bien que nous vous ayons prévenus à plusieurs reprises, une balle dans le pied de la démocratie représentative. Nous n’entendons pas être vos complices. C’est pourquoi nous ne voulons pas de ces textes, alors que nous aurions pu travailler ensemble sur des projets plus intelligents, plus transparents, plus efficaces. Pour toutes ces raisons, je souhaite que notre assemblée vote cette motion de rejet préalable. À défaut, nous ferons ce qu’il faut pour que le Conseil constitutionnel remette de l’ordre après ce mauvais coup porté à la démocratie de notre pays.

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