Pour commencer, je reprendrai votre observation, monsieur le ministre, sur l’objectif de ce projet, qui est de tenter de remédier à l’impopularité du personnel politique. Je ne vous jetterai pas à la tête l’affaire Cahuzac, même si elle a permis de sensibiliser à la question dont nous débattons. Vous avez raison de dire que les scandales ont existé de tout temps, qu’ils ont touché tous les partis et que cela continuera malheureusement encore longtemps. À bien y réfléchir, il semble qu’il existe un rapport entre l’idée de scandale et la démocratie, dans la mesure où la démocratie permet l’émergence des scandales. Dans les sociétés totalitaires, en effet, il n’y a que très peu de scandales et quand ils surviennent, ils sont souvent montés en épingle ou utilisés politiquement. C’est donc le propre de la démocratie que de permettre l’émergence de certaines injustices et anomalies, qui existeront toujours. De ce point de vue, peut-être cela nous rendra-t-il plus raisonnables et plus sages de penser que c’est inhérent à toute société.
Tocqueville écrivait qu’il ne faut pas, en politique, attendre autre chose que la satisfaction du devoir accompli. Si nous cherchons la popularité et les remerciements de la population, nous devrons attendre très longtemps. Mais, monsieur le ministre, vous dites que les anomalies et les scandales, qui sont le fait d’un très petit nombre d’hommes politiques mais dont l’opprobre se répand sur l’ensemble, forment le fond du problème et qu’il faut donc davantage de transparence, de sorte que tout le monde soit convaincu de l’absence de tout scandale, de tout soupçon. Votre souci est donc de faire disparaître le soupçon : vaste programme ! Mais ce qui nourrit le soupçon et que, loin d’y remédier, vous venez aggraver, c’est le fait que la justice fonctionne si mal et surtout si lentement dans les démocraties, en particulier dans notre pays.
L’opinion publique est souvent indignée par le fait que les hommes politiques auteurs de turpitudes soient, en raison de cette extrême lenteur, poursuivis très tardivement et sanctionnés encore plus lointainement. Voilà finalement le fond du problème. Il y a plusieurs causes à la lenteur de la justice, mais vous ne remédiez à aucune dans votre programme visant à laver plus blanc et à écarter les soupçons. La plus importante, c’est la complexité de notre système judiciaire, de nos lois et de la définition même des obligations et des infractions. Mais vous compliquez encore les choses en matière de répression et de surveillance, en créant des institutions nouvelles qui vont interférer dans les dispositifs de droit commun ! Au passage, cela m’amuse que vous vous félicitiez de pouvoir recourir à l’assistance fiscale internationale : s’il y a bien une chose que l’affaire Cahuzac ait démontrée, c’est que dans le domaine fiscal, l’assistance judiciaire est beaucoup plus efficace que celle du ministère des finances ! Et pour cause : c’est un vrai métier que la recherche des infractions et la coopération internationale dans ce domaine. La commission d’enquête sur l’affaire Cahuzac a été très frappée par le fait que le ministère des finances ait obtenu, au titre de l’assistance fiscale internationale, une réponse tendant à exonérer le ministre alors que le ministère de la justice, à travers le parquet de Paris, recevait lui une réponse pertinente. Par conséquent, ne comptez pas nous distraire avec de tels zakouskis.
Monsieur le président de la commission des lois, je retrouve avec plaisir le débat philosophique que nous avions engagé en première lecture. Je ne veux pas le prolonger, mais je me réjouis que vous vous ralliiez plutôt à Hannah Arendt qu’à Jean-jacques Rousseau. J’y vois un vrai progrès.