Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 19 septembre 2013 à 9h30
Soins sans consentement en psychiatrie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, même si elles constituent un phénomène somme toute marginal dans le champ de la psychiatrie, les hospitalisations sans consentement sont une véritable épine dans le pied des gouvernements. Cette situation dure depuis qu’une décision du Conseil constitutionnel de novembre 2010 – voilà presque trois ans – a jugé non conformes à la Constitution certaines dispositions de la loi de juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation.

Le Conseil critiquait essentiellement l’absence du juge dans la décision et le contrôle des hospitalisations d’office ou à la demande d’un tiers. Partant de cette injonction incontournable du Conseil constitutionnel, un fonctionnement apaisé de notre démocratie aurait voulu que l’on réunisse autour d’une table les différents acteurs de la psychiatrie pour que nous réfléchissions ensemble aux finalités de l’hospitalisation sous contrainte et à la meilleure façon de concilier les droits des malades et la sécurité de ceux qui les entourent. Nous aurions pu, dans le même mouvement, réfléchir à ce qu’il convient de changer et d’améliorer dans la psychiatrie en général.

Mais c’était sans compter sur l’omniscience du précédent Président de la République qui, contre l’avis quasi unanime des psychiatres, a vu dans la réforme de l’hospitalisation sans consentement l’occasion de faire un coup politique en dénonçant, après les étrangers, les Roms, les « anarcho-autonomes » et les jeunes, les malades mentaux comme fauteurs de troubles et facteurs d’insécurité, les désignant moins comme des malades en souffrance que comme des personnes dangereuses contre lesquelles il conviendrait d’abord de protéger la société en érigeant des murs autour des hôpitaux psychiatriques et en rendant plus difficiles les sorties des malades qui n’ont pas décidé d’y être.

La majorité des psychiatres a dénoncé l’inanité médicale de cette politique, l’élection présidentielle de 2012 en a montré les limites électorales et une nouvelle décision du Conseil constitutionnel en a souligné l’inconstitutionnalité, ce qui fait beaucoup pour une seule loi… C’est ce cheminement qui nous amène finalement aujourd’hui à traiter pour la cinquième fois dans cet hémicycle de l’hospitalisation sans consentement, phénomène marginal – je le répète –, qui mérite certes l’attention qu’on lui prête, mais qui nous amène à ne considérer la psychiatrie que par le petit bout de la lorgnette.

Ce n’est pas non plus une raison – je veux le souligner – pour travailler au pas de charge comme nous le faisons : le texte nous revient en effet neuf jours à peine après avoir été adopté par le Sénat et deux jours après son examen en commission mixte paritaire, à tel point que le rapport de la CMP n’était toujours pas disponible hier en fin de journée. Je ne sais pas s’il l’a été dans la soirée, auquel cas les députés insomniaques auront pu en prendre connaissance. En tout cas, s’il n’est toujours pas consultable ce matin, je crains qu’il n’intéresse plus que les historiens et les archivistes…

Ces observations étant faites, j’en viens au fond. Je ne m’attarderai pas longuement sur le contenu du texte, ni sur les raisons pour lesquelles les députés du Front de gauche l’ont voté en première lecture et renouvelleront ce vote aujourd’hui – nous les avons déjà développées à plusieurs reprises – d’autant que le texte de la CMP diffère peu de celui qui a été adopté en juillet dernier par l’Assemblée nationale. Les quelques modifications qui ont été apportées vont dans le bon sens, notamment la suppression de toute référence à la visioconférence, un moyen de communication certes moderne, mais inadapté à des personnes qui, compte tenu de leur pathologie, peuvent le vivre très mal.

Plus fondamentalement, ce texte ramène de quinze à douze jours le délai d’intervention du juge des libertés et de la détention, réduit le nombre de certificats médicaux obligatoires, rend de nouveau possibles les sorties thérapeutiques non accompagnées et supprime la notion de soins en ambulatoire sans consentement, qui constitue une véritable aberration médicale. Sous réserve des quelques points de désaccord que j’ai avec notre rapporteur, notamment sur la place du préfet et le délai d’intervention du juge, que je trouve encore trop long, je considère qu’il s’agit d’un bon texte. J’apprécie, notamment d’y retrouver la réponse à nombre de remarques formulées au cours des auditions qui ont précédé son élaboration.

Je préfère m’attarder sur ses conséquences.

Je dénonçais, lors de la première lecture, les raisons invoquées pour justifier l’intervention tardive, au douzième jour, du juge des libertés et de la détention, à savoir la crainte d’un engorgement de la justice.

Cette raison n’est pas acceptable. D’une part parce qu’elle ne saurait légitimer la prolongation au-delà du nécessaire de la privation de liberté d’une personne, d’autre part parce qu’on ne peut pas engorger les hôpitaux psychiatriques par crainte d’engorger les tribunaux, d’autant que la situation des premiers n’a rien à envier, hélas, à celle de la justice.

Je voudrais rappeler les propos, toujours d’actualité, tenus par le professeur Philippe Batel, chef de l’unité fonctionnelle de traitement ambulatoire des maladies addictives à l’hôpital Beaujon. Lors de son audition devant le Sénat en 2010, il déclarait : « Aujourd’hui, pour avoir un rendez-vous dans l’unité dont j’ai la charge, il faut entre trois et six mois d’attente, ce qui est pour moi une souffrance majeure par rapport à l’idée que je me fais de l’engagement du service public. Ce délai d’attente sélectionne les patients qui ont le moins besoin de moi et qui sont issus des catégories socioprofessionnelles les plus élevées. » Cette observation mérite notre réflexion.

Les auditions ont montré qu’aujourd’hui, en raison de cette situation, la procédure de l’hospitalisation à la demande d’un tiers est souvent détournée de sa finalité et utilisée pour contourner ces délais d’attente. Elles ont également montré que la contention et le recours aux unités pour malades difficiles sont favorisés par le manque de personnels soignants.

Il y a donc lieu, je le répète, de dégager les moyens nécessaires à l’application correcte du texte que nous allons adopter.

Au moment de conclure, je voudrais rappeler qu’en première lecture je regrettais l’absence d’une grande loi sur la santé mentale, si souvent évoquée et promise. Un texte que les professionnels appellent, à juste titre, de leurs voeux. La ministre nous a promis que : « la santé mentale fera l’objet d’une attention particulière dans la loi qui mettra en oeuvre la stratégie nationale de santé ».

Nous serons tout particulièrement attentifs à ce que cette promesse ne rejoigne pas le cimetière de celles déjà faites à ce sujet par les gouvernements précédents.

Enfin, permettez-moi de saluer le climat constructif et la qualité des échanges qui ont eu lieu lors du travail sur ce texte, notamment sous l’impulsion de notre rapporteur, que je remercie tout particulièrement.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion