Intervention de Olivier Dussopt

Séance en hémicycle du 19 septembre 2013 à 9h30
Conseil national chargé du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaOlivier Dussopt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, déposée au Sénat à l’issue des travaux des états généraux de la démocratie territoriale, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui vise avant tout à apporter une réponse pratique aux inquiétudes fortes et anciennes des élus locaux devant l’amoncellement des normes qu’ils doivent appliquer.

Nos débats trouvent aujourd’hui une résonance particulière dans un texte de référence qui, 212 ans après avoir été prononcé, décrit toujours les limites et les risques du pouvoir normatif : le discours préliminaire du premier projet de code civil.

Dans ce texte, Portalis et ses collègues dénonçaient une idée encore répandue de nos jours, qui veut que quelques grands principes suffiraient à régir une société complexe : « Nous avons été frappés de l’opinion, si généralement répandue, que, dans la rédaction d’un code civil, quelques textes bien précis sur chaque matière peuvent suffire, et que le grand art est de tout simplifier en prévoyant tout. Tout simplifier, est une opération sur laquelle on a besoin de s’entendre. Tout prévoir, est un but qu’il est impossible d’atteindre. »

En tant que législateur, Portalis nous mettait ainsi en garde tant contre l’inflation des normes – « Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires » – que contre l’ambition que la norme puisse, par sa seule édiction, résoudre tous les problèmes existants.

Plusieurs rapports récents ont remis en exergue ce constat : si l’édiction de règles répond à un besoin essentiel de sécurité technique et juridique, la surproduction normative est à l’origine de vraies difficultés pour les collectivités territoriales. C’est du reste la conclusion du récent rapport de la mission de lutte contre l’inflation normative, qui insiste à juste titre sur la nécessité que cette lutte passe par une limitation du flux comme par un réexamen généralisé du stock des normes applicables dans notre pays.

C’est donc en poursuivant cet objectif que nos collègues sénateurs, Mme Jacqueline Gourault et M. Jean-Pierre Sueur, ont élaboré la présente proposition de loi.

L’esprit de leur texte n’est pas de balayer les progrès significatifs qui ont été réalisés ces dernières années grâce au commissaire à la simplification, à la commission consultative d’évaluation des normes ou à la commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs. Au contraire, leur objectif est d’offrir à ces organes des compétences et des moyens renforcés pour étendre leur action, notamment en ouvrant la faculté de leur confier un réexamen intelligent du stock de normes.

C’est en reconnaissant le bien-fondé de la démarche engagée par le Sénat qu’en juillet dernier, Mme la ministre l’a rappelé, nous avons intégré les dispositions adoptées par le Sénat avec cette proposition de loi dans le projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, en faisant de ce nouveau conseil national d’évaluation des normes une formation spécialisée du Haut conseil des territoires.

Cependant, et Mme la ministre l’a souligné, le sujet de la maîtrise de la production normative nécessite évidemment un examen spécifique, plus rapide et plus approfondi. Pour cette raison, les améliorations et les amendements adoptés par la commission des lois vont au-delà des modifications apportées en juillet dernier.

Je ne reviendrai que brièvement sur un constat partagé sur tous les bancs de notre hémicycle : la contrainte normative pèse sur les collectivités territoriales. Les chiffres en sont connus, tout comme les aspects qualitatifs et quantitatifs : nous évoquons régulièrement les 8 000 lois applicables ainsi que les 400 000 normes de toute nature, législative ou réglementaire, que les collectivités doivent respecter.

Une telle prolifération est d’abord facteur de complexité, de difficulté d’application des normes et, partant, d’inapplicabilité, au moins partielle, de celles-ci. Pour reprendre une citation connue du rapport du Conseil d’État de 1991, « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite. »

Par ailleurs, la prolifération normative a un coût. Selon le rapport de M. Claude Belot intitulé La maladie de la norme, quelque 2,3 milliards d’euros étaient engagés fin 2011 par les collectivités pour les seules mises aux normes imposées entre 2009 et 2011.

L’identification des causes de la prolifération des normes n’est pas aisée. Cette prolifération serait due, premièrement, au comportement, voire à la culture, des autorités susceptibles d’édicter des normes. Elle serait également le reflet d’une incompréhension grandissante entre l’échelon central et le niveau local.

La volonté de réformer, d’améliorer, de répondre à l’urgence médiatique pousse en effet le législateur et les administrations centrales à élaborer constamment de nouvelles règles, avec une croyance inconditionnelle dans les vertus de la norme, dans sa capacité à améliorer l’intérêt général, qui favorise un certain zèle normatif.

La culture des autorités productrices de normes n’est, du reste, souvent pas sans lien avec l’état d’esprit de la société envisagée dans son ensemble. Le rapport de Claude Belot le rappelait à juste titre : « Dans une société inquiète, voire angoissée, à la recherche du "zéro risque absolu", la norme a vite colonisé tous les secteurs de la sphère publique ».

Cette prolifération tiendrait, deuxièmement, à la diversité des autorités susceptibles d’édicter des normes : l’État, comme législateur et comme autorité exerçant le pouvoir réglementaire au niveau central comme dans les services déconcentrés, les autorités européennes, les organismes de droit privé détenteurs d’un pouvoir réglementaire, ou les collectivités territoriales elles-mêmes, lorsqu’elles édictent des clauses techniques qui doivent être respectées pour l’attribution de subventions à d’autres collectivités.

Une troisième raison explique cette prolifération : l’étendue des domaines susceptibles d’être concernés par l’inflation normative. Je ne citerai en exemple que la question des normes applicables aux équipements sportifs : selon Alain Richard, rapporteur de ce texte au Sénat, 80 % des infrastructures sportives en France sont gérées par les communes et leurs établissements publics. En conséquence, les règlements pris par les fédérations sportives affectent directement la gestion des équipements sportifs locaux, et donc le budget des collectivités territoriales.

Ainsi, les collectivités, très impliquées dans le développement des clubs sportifs, se sentent bien souvent prises en otage par les exigences des fédérations nationales imposant régulièrement des améliorations des équipements.

Face à ce constat, des réponses de nature organisationnelle ou législative ont été apportées, comme le développement progressif des études d’impact – désormais consacrées par la révision constitutionnelle de 2008 –, la création de la commission consultative d’évaluation des normes en 2008 – qui doit être consultée préalablement à l’adoption des seules mesures réglementaires concernant les collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics –, ou encore le moratoire édicté par le Premier ministre en 2010 sur l’adoption de mesures réglementaires concernant les collectivités, qui a rapidement montré ses limites. Ce moratoire a été remplacé par une nouvelle circulaire du Premier ministre du 17 juillet 2013 relative à un gel de la réglementation, précisant que, depuis le 1er septembre 2013, pour toute nouvelle norme, une norme ancienne devra être supprimée ou allégée.

Au-delà de l’institution de ce gel, le Premier ministre a proposé d’améliorer l’évaluation par l’administration de l’impact juridique et financier des projets de textes réglementaires qu’elle élabore. Ainsi, l’administration devra être attentive à ce que les projets de textes ne créent pas des normes plus exigeantes en « surtransposant », si vous me permettez cette expression, les directives européennes.

Par ailleurs, le pouvoir réglementaire devra respecter un principe de proportionnalité, en s’efforçant de laisser des marges de manoeuvre pour la mise en oeuvre ou prévoir des modalités d’adaptation aux situations particulières.

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