Le projet de loi d’habilitation dont nous débattons ce soir est le premier wagon du train de mesures annoncées à l’issue du troisième comité interministériel pour la modernisation de l’action publique en juillet dernier. Ces mesures constituent en quelque sorte la première étape du volet entrepreneurial du choc de simplification annoncé en mars par le Président de la République.
Je voudrais d’ailleurs m’arrêter un instant sur les usages répétés de ce terme de « choc ». Après le choc de compétitivité d’il y a quelques mois, voici venu le temps du choc de simplification.
L’emploi de ce terme, s’il est bien dans l’air du temps, n’a rien d’innocent. Il participe de cette phraséologie libérale dans laquelle les États ont moins vocation à protéger la société et les populations qu’à leur administrer des chocs, les sidérer pour mieux leur faire avaler la pilule des faux remèdes libéraux. Il n’est qu’à voir l’instrumentalisation dont fait l’objet la question de l’endettement public pour imposer les politiques de rigueur partout en Europe. Nous sommes de ceux qui pensent que la gauche devrait bannir de son vocabulaire ce terme de choc, hérité de l’école de Chicago, et de Milton Friedman en particulier, et si bien analysé par Naomi Klein dans son remarquable ouvrage sur la stratégie du choc.
Comme tous les partisans des chocs en tous genres, vous nous expliquez qu’il y a urgence à agir, au nom de la compétitivité de nos entreprises. Nous sommes bien évidemment favorables, comme chacun sur ces bancs, aux mesures qui peuvent faciliter le dialogue entre les administrations et les entreprises, simplifier les démarches administratives, rendre plus efficace l’action administrative et faire évoluer les pratiques au rythme des évolutions technologiques.
Nombre de mesures proposées par ce texte, inspirées directement par le rapport de Thierry Mandon, vont dans le bon sens. Mais si nous adhérons au principe de simplification et de facilitation des procédures administratives, il ne nous semble pas justifier le recours aux ordonnances.
En matière de simplification de l’environnement juridique des entreprises, l’urgence n’est pas avérée, non plus que pour la plupart des dispositions de ce projet de loi, à l’exception peut-être de celles concernant le Grand Paris Express.
Vous tentez de légitimer le recours aux ordonnances par la « méthode collaborative » mise en oeuvre pour établir la liste de ces mesures, notamment une « large concertation entre les entreprises, les administrations concernées et les préfets de région ». C’est une curieuse conception de la démocratie parlementaire que de prétendre que la méthode collaborative mise en oeuvre par l’exécutif vaut contournement des procédures d’examen parlementaire ou que le travail d’un député, aussi exemplaire et exhaustif soit-il, vaut approbation de l’ensemble de ses collègues.
J’évoquerai enfin la mise en oeuvre de deux expérimentations, relatives en particulier au droit de l’environnement. La première réside dans la délivrance de certificats de projets économiques, opposables à l’administration et aux tiers, qui ont vocation à agréger et cristalliser les autorisations relevant du code de l’environnement, du code de l’urbanisme, du code forestier et du code rural et de la pêche maritime. La seconde teste une nouvelle procédure d’autorisation unique, intégrant l’ensemble des autorisations relevant de la compétence des préfets de département et applicable aux parcs éoliens et aux installations de méthanisation. Après la suppression des zones de développement de l’éolien terrestre, il s’agit donc aujourd’hui de lever les derniers obstacles en s’attaquant à la procédure des ICPE, les installations classées pour la protection de l’environnement. Et la première étape consiste à dessaisir le Parlement pour avoir les mains libres !
L’objectif annoncé du Gouvernement est de rationaliser le droit applicable à l’implantation d’éoliennes et de favoriser l’industrie éolienne en regroupant droit de l’urbanisme, droit de l’environnement et droit forestier. Voilà qui est louable mais ne saurait en tout état de cause justifier le dessaisissement du Parlement. La création d’un permis unique pour l’implantation d’éoliennes ne saurait en d’autres termes être confiée dans la précipitation à la seule compétence du ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie et aux pressions des lobbies. Le certificat de projet envisagé à l’article 13 du projet de loi n’est-il pas également de nature à figer de façon excessive la situation juridique, en particulier la décision de recourir ou non à une étude d’impact ? Est-il sage de rendre opposable le certificat de projet, au mépris du droit des tiers, portant ainsi un nouveau coup au droit de recours des citoyens, des collectivités territoriales et des associations environnementales ?