Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Séance en hémicycle du 5 novembre 2013 à 21h30
Loi de finances pour 2014 — Justice

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Madame la présidente, madame la garde des sceaux, chers collègues, permettez-moi d’évoquer d’emblée deux sujets de satisfaction sur l’ensemble du budget de la justice, et d’exprimer une inquiétude.

Les crédits du budget de la justice progressent de 1,7 % en un an, après une augmentation de 4,3 % l’an passé. Sur l’ensemble de la mission, les effectifs augmentent parallèlement de 535 emplois alors qu’ils avaient déjà augmenté de 480 emplois l’an dernier, et 45 emplois sont créés dans les services judiciaires. Cette évolution favorable des crédits alloués démontre que la justice demeure l’une des grandes priorités de l’action gouvernementale, ce qui se justifie pleinement au regard de l’ampleur du retard à combler et de la situation souvent difficile dans laquelle sont plongées les juridictions.

Je salue aussi la décision importante que vous avez prise, madame la garde des sceaux, de supprimer la contribution pour l’aide juridique de 35 euros. Ce droit de timbre, institué par la loi de finances rectificative pour 2011, constituait une entrave à l’accès au juge. De même, vous avez judicieusement entendu les réticences exprimées à l’encontre du dispositif de démodulation des unités de valeur en proposant son report par un amendement que nous examinerons plus tard.

J’en viens à l’inquiétude forte exprimée par les professionnels du droit et de la justice au cours des nombreuses auditions que j’ai conduites : tous dénoncent les conditions dans lesquelles est rendue la justice dans notre pays, en soulignant l’importance d’adopter une vision prospective à moyen terme sur les moyens nécessaires au fonctionnement des juridictions et sur les besoins d’effectifs de magistrats et de fonctionnaires. Or, comme vous nous l’avez confirmé lors de nos échanges en commission élargie, les vacances de poste devraient s’aggraver en raison des nombreux départs à la retraite attendus : 1 400 départs pour les magistrats dans les quatre prochaines années, alors même qu’il existe déjà un sous-effectif de près de 400 postes de magistrats en juridictions – conséquence des politiques conduites au cours de la dernière décennie.

La situation des fonctionnaires n’est pas meilleure puisque les greffiers travaillent en flux tendu malgré les recrutements, et que les effectifs des agents de catégorie C ont fondu de 10 % au cours des dix dernières années.

Face à ces conditions budgétaires terribles, les magistrats et les fonctionnaires, confrontés à l’emballement de la machine judiciaire, dénoncent aussi la dégradation des conditions de travail dans les juridictions. À cela s’ajoute le besoin de reconnaissance exprimé par les greffiers, dont les régimes indiciaire et indemnitaire n’ont pas été revalorisés depuis 2006. Dans ce contexte, l’enveloppe prévue pour les fonctionnaires de catégorie C, que j’avais demandée l’an passé, est, même insuffisante, la bienvenue, comme me l’ont dit les intéressés en audition.

Il nous faudra répondre à toutes ces attentes légitimes, madame la ministre, qui résultent de la véritable carence qui a caractérisé la dernière décennie.

J’ai choisi cette année de concentrer mon analyse sur la question de la gestion des frais de justice. En effet, les frais de justice et les crédits de fonctionnement sont le véritable point noir de l’institution. Ces crédits augmentent en 2014 de près de 9 % en autorisations d’engagement, et de 6 % en crédits de paiement. Plus de la moitié de ces crédits, soit 467 millions d’euros, sont prévus pour financer les frais de justice, et le reliquat pour financer le reste à payer différentiel supporté chaque année, qui empêche actuellement certaines juridictions de faire leurs comptes, et ce dès le milieu d’année.

La situation s’est aggravée. Le sujet des frais de justice n’est pas nouveau et la réputation de « mauvais payeur », dont pâtissent les juridictions est connue de tous. J’ai décrit dans mon rapport comment nous sommes parvenus à cette situation : le budget de ces dernières années n’a jamais permis de couvrir les frais de justice constatés la même année, de sorte que le déficit n’a fait que s’accentuer. La sous-budgétisation chronique des dernières années et les arriérés de paiement mettent trop souvent l’ensemble des acteurs concernés en difficulté.

Il n’est plus possible de se satisfaire d’une telle situation. C’est pourquoi j’ai proposé plusieurs solutions dans mon rapport. En premier lieu, il faut réduire le volume des mémoires : les juridictions en manipulent plus de deux millions chaque année ! Il faut trouver les moyens de statuer sur des processus forfaitaires.

De même, il faut résoudre le problème de l’augmentation exponentielle des coûts de téléphonie, qui ont pris une dimension nouvelle et inconsidérée. Or, cette augmentation n’est pas compensée par les efforts qu’a déployés l’administration ces dernières années pour y remédier. Aux États-Unis, en Allemagne et en Italie, la justice ne paie pas ces prestations. Au contraire, en France, la recherche de chacun des correspondants est facturée à l’unité. Nous devons visiter ces questions.

L’administration centrale doit également faire oeuvre de pédagogie à l’égard de ceux qui ordonnent les mesures, qu’il s’agisse des commissariats ou des magistrats. Enfin, il faut se tourner vers le législateur, à qui il arrive de décider de prescriptions parfois exagérées. Ainsi, la plupart des magistrats considèrent que l’expertise psychiatrique systématique avant tout aménagement de peine est souvent superfétatoire.

Enfin, je voulais soulever le problème des expertises et des traducteurs. L’obligation faite par les directives européennes va nous placer dans une situation incontournable d’augmentation des coûts de traduction. Nous devrions commencer par nous demander pourquoi il faut tarifer à l’heure un interprète qui reste avec le prévenu pendant la garde à vue, puis le suit jusqu’à une heure avancée de la journée, en attendant son déferrement. Autrement dit, il est payé à attendre. Il nous faut regarder de près ces sujets, car ils sont d’une extrême importance.

Pour terminer, je proposerai une piste de réflexion.

Pourquoi ne pas modifier l’article 1018 A du code général des impôts sur le droit fixe de procédure ? Cet article précise que la personne condamnée par un tribunal correctionnel est redevable d’un droit fixe de procédure de 90 euros. Ce montant est plus élevé en appel – 120 euros – et aux assises – 375 euros. Voilà ce qui est payé par la personne condamnée. Il faut donc réfléchir à cette question.

Ce droit est censé représenter le coût engagé par la justice pour les frais liés à la procédure, alors qu’en moyenne, chaque affaire pénale induit 300 euros de frais de justice. Il faut donc revisiter le coût du droit fixe payé par les personnes condamnées. Nous suggérons qu’il soit fixé d’une manière modulable par la juridiction lors du prononcé de la condamnation, en tenant compte de la situation du dossier, des mesures d’instruction que la personne condamnée a provoquées et qui ont suggéré des frais de justice, et de sa capacité à les assumer.

Voilà, madame la garde des sceaux, une partie des éléments que j’ai pu traduire dans mon rapport.

Je remercie Mme la présidente qui m’a accordé une bienveillance toute ministérielle !

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