Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 19 novembre 2013 à 15h00
Application de l'article 11 de la constitution — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Enfin ! Il aura fallu attendre cinq ans depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, monsieur le ministre, mes chers collègues, il aura fallu patienter 1 800 jours pour que ce projet de loi organique soit enfin soumis au Parlement.

Ce projet, on le sait, porte application de l’article 11 de la Constitution et de ses nouvelles dispositions rendant possible l’organisation d’un référendum d’initiative partiellement et secondairement populaire. L’objet même de cet article 11 modifié explique sans doute le retard pris dans l’élaboration, puis dans l’examen de ce projet de loi organique, car le référendum est souvent vu sans grande faveur dans notre démocratie représentative.

Ici même, dans une brillante intervention, mon collègue Alain Tourret a rappelé l’origine de cette défiance : les trois plébiscites successifs organisés par Napoléon Bonaparte pour asseoir son pouvoir personnel, puis, de nouveau, les trois plébiscites organisés dans le même but par son neveu, Louis Napoléon. D’où, longtemps, l’hostilité des républicains au référendum. La IIIe République se garde d’instituer toute procédure référendaire, et la IVe ne l’admet, avec parcimonie, que pour ratifier éventuellement un projet de révision constitutionnelle.

À partir de 1958, les cinq référendums organisés par le général de Gaulle seront présentés par l’opposition, avec quelque excès, comme des plébiscites, comme des instruments du pouvoir personnel.

Cette critique récurrente du référendum est loin d’être toujours fondée. Dans l’histoire récente de notre pays, plusieurs référendums ont été organisés de manière parfaitement loyale, en portant sur de véritables sujets de fond et non sur la confiance à la personne de tel ou tel dirigeant. À cet égard, on peut rappeler les trois référendums qui ont suivi la Libération et qui portaient sur l’élaboration de la Constitution de la IVe République. L’on peut mentionner aussi le référendum de 1972 organisé par Georges Pompidou sur l’élargissement de la Communauté européenne, ainsi que les référendums organisés par François Mitterrand sur le statut de la Nouvelle-Calédonie, en 1988, puis sur le traité de Maastricht, en 1992. Enfin, l’on peut citer le référendum de 2000 sur le quinquennat, puis celui sur le traité constitutionnel européen en 2005. Pour cette dernière consultation, un grand et véritable débat a eu lieu pendant plusieurs mois dans tout le pays. Les Français ont éprouvé un vif intérêt pour le choix à effectuer sur ce grand enjeu et se sont fortement impliqués.

Cela dit, dans la procédure initiale, celle d’avant 2008, seul le chef de l’État pouvait décider l’organisation d’un référendum, sur proposition, théorique, du Gouvernement ou des deux assemblées, à la différence d’autres démocraties qui pratiquent le référendum d’initiative populaire, comme la Suisse, l’Italie ou plusieurs États fédérés des États-Unis, spécialement la Californie. Il fallait en finir avec la monopolisation par le chef de l’État du droit de recourir à cette consultation populaire. La révision de 2008 a donc complété l’article 11 de la Constitution pour instituer un nouveau mode de recours au référendum.

Toutefois, ce nouveau mode est subordonné à des conditions très restrictives, tant par la Constitution que par les projets de loi organique et ordinaire que nous examinons aujourd’hui, au point qu’on pourrait parler d’un dispositif verrouillé ou verrouillable, sinon d’un dispositif en trompe-l’oeil, tendant à faire illusion.

Tout d’abord, le ministre l’a dit le premier, il s’agit non pas d’un référendum d’initiative populaire, mais d’un référendum d’initiative partagée entre parlementaires et électeurs. Conformément à l’article 11, alinéa 3, de la Constitution, un tel référendum « peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Les électeurs ne possèdent donc pas la possibilité de déclencher seuls un tel référendum ; il faut aussi, au préalable, qu’un cinquième des parlementaires aient pris cette initiative.

Ensuite, il existe un autre risque d’entrave, précisé à l’article 9 du projet de loi organique. La proposition de loi, procédant de cette double initiative, n’est pas soumise à référendum si elle a été « examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées parlementaires dans un délai de six mois à compter de la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant qu’elle a obtenu le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». II suffira donc, comme l’a rappelé François de Rugy à l’instant, que cette proposition de loi ait été simplement « examinée » par le Parlement, même sans avoir été adoptée par celui-ci, pour que le recours au référendum devienne impossible, bien qu’il ait été demandé par le dixième des électeurs.

Autre limitation, prévue à l’article 1er, alinéa 8, du projet de loi organique : le Conseil constitutionnel vérifie, dans le délai d’un mois à compter de la transmission de la proposition de loi « que son objet respecte les conditions prévues aux troisième et sixième alinéas de l’article 11 de la Constitution ». Autrement dit, comme le référendum d’origine présidentielle, le référendum d’initiative partagée ne peut porter que sur l’un des trois objets suivants : l’organisation des pouvoirs publics, les réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation, ou encore l’autorisation de ratifier un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Dès lors, comme le ministre de la justice de l’époque, Jacques Toubon, l’avait déclaré au cours de la révision de 1995 étendant le champ du référendum, il ne pourra pas y avoir de référendum portant sur une question de société. Le peuple italien, lui, a pu déclencher des référendums sur le divorce, en 1974, sur l’IVG, en 1981, ou encore sur la procréation médicalement assistée, en 2005, mais les Français, pour leur part, ne seront pas autorisés à statuer par référendum sur des sujets de société. Par exemple, ils ne pourront pas être consultés sur des questions essentielles comme la fin de vie.

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