Intervention de Roger-Gérard Schwartzenberg

Séance en hémicycle du 19 novembre 2013 à 15h00
Application de l'article 11 de la constitution — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRoger-Gérard Schwartzenberg :

Par ailleurs, pour la contribution des électeurs au déclenchement d’un référendum, la barre est fixée très haut : la proposition de loi doit obtenir « le soutien d’au moins un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales ». Cela représente, François de Rugy l’a dit, 4,5 millions d’électeurs, alors qu’en Italie, qui est d’une population comparable, 500 000 électeurs suffisent, ce qui permet une certaine fréquence des référendums, qui risquent en revanche d’être très rares en France.

Par ailleurs, l’article 1erA du projet de loi ordinaire concerne le « financement des actions tendant à favoriser ou défavoriser le recueil des soutiens à une proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution ». On peut, certes, concevoir que les personnes physiques consentent des dons pour contribuer à financer des actions tendant à favoriser l’organisation d’une consultation électorale et donc l’expression des citoyens. En revanche, il ne paraît pas concevable qu’elles puissent financer des actions tendant à défavoriser le recueil des soutiens visant à l’organisation de cette consultation. Financer de telles actions paraît en effet incompatible avec l’article 3, alinéa 1, de la Constitution, qui dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum. » Des actions tendant à entraver, à empêcher l’exercice de la souveraineté par la voie du référendum seraient probablement contraires à cet article.

En fait, ces projets de loi organique et ordinaire portant application de l’article 11 de la Constitution paraissent inspirés par une réelle défiance envers ce nouveau type de référendum et le subordonnent à des conditions très strictes et très difficiles à remplir : bref, filtrage et verrouillage. En réalité, ces textes instituent un pseudo-référendum d’initiative populaire, en veillant de surcroît à ce qu’il soit très difficile à mettre en oeuvre et en permettant un évitement du suffrage universel.

Pourtant, un véritable référendum d’initiative populaire aurait l’avantage d’ajouter une composante participative à la démocratie représentative. Il permettrait à la souveraineté populaire de s’exercer directement, sans intermédiaires, dans certains cas. Nous ne sommes plus au XVIIIe siècle, à l’époque où Montesquieu, préconisant le régime représentatif, écrivait dans L’Esprit des lois : « Le grand avantage des représentants est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple n’y est point du tout propre, ce qui forme un des grands inconvénients de la démocratie. » Cette conception a inspiré directement la Constituante. Dès sa séance du 7 septembre 1789, Sieyès affirme : « Le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. » Rousseau pensait le contraire, et, après lui, beaucoup d’autres, attachés à la souveraineté populaire, dont Jaurès, qui demanda en 1914 un référendum sur la proportionnelle.

La démocratie ne peut se limiter à la représentation. La décision sur les grands enjeux ne peut appartenir seulement et toujours aux notables de la République, et jamais au suffrage universel, qui ne pourrait se prononcer lui-même sur ceux-ci. Donner la parole au peuple, lui permettre de décider directement dans de grandes circonstances serait l’application de la démocratie, dont on oublie trop souvent ce qu’elle signifie, à savoir « le pouvoir du peuple ».

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