Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, juste avant de nommer le Premier ministre de la ville, Michel Delebarre, François Mitterrand, le 4 décembre 1990, disait à Bron : « Il faut absolument un membre du Gouvernement qui soit l’animateur, le pourfendeur, l’avocat, l’intervenant permanent ». Concentration démographie et urbaine, dégradation du bâti et de la cohésion sociale, émeutes, l’époque était à l’inquiétude alors qu’approchait l’an 2000. Depuis trente ans, la politique de la ville aura été de presque tous les gouvernements. Elle se sera traduite par bien des dispositifs, bien des organismes, bien des dénominations de zones, bien des sigles.
Elle n’aura pas manqué, pour autant, d’avoir des effets positifs. Elle a apaisé des plaies sociales, soutenu des associations, engagé des péréquations de solidarité favorables aux communes à faibles ressources. Elle a redessiné en profondeur certains quartiers en détruisant barres et tours sinistres, en réhabilitant des logements, en ramenant commerces et services publics dans des quartiers qui en étaient dépourvus. Elle a des acquis incontestables et nul ne songe, je le crois, à les mésestimer. Mais elle a aussi des insuffisances.
Chaque année, vous le savez, je pointe, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances, le contraste existant entre l’ampleur des missions du ministère chargé de la politique de la ville et la modicité des crédits budgétaires qu’il gère en propre, contraint qu’il se trouve ainsi de s’appuyer pour mener ses actions sur des opérateurs externes, l’ANRU et l’ACSé, notamment. Pour la lisibilité de l’action publique, mais aussi pour aussi pour éviter de donner à penser qu’elle n’est qu’une politique de second rang, la politique de la ville mériterait, sans doute, d’afficher des financements au-delà des seules dotations budgétaires spécifiques du programme 147 « Politique de la ville ».
En outre, les quartiers qui bénéficient des interventions financières de la politique de la ville sont très nombreux, peut-être trop, au point que d’aucun – et ce n’est pas à tort – n’hésitent pas à parler de saupoudrage. On compte, en effet, 1 015 zones éligibles aux interventions de l’ANRU et 751 zones urbaines sensibles. Le programme ANRU 1 se termine ; c’est le moment de prendre du recul sur la politique de la ville, de tirer les conséquences de ses insuffisances et de chercher à la rendre plus efficace. L’enjeu clé d’une véritable politique de la ville ne se résume pas à doter des programmes d’intervention sociale à un niveau suffisant pour mettre du liant social dans le tissu associatif et la vie quotidienne des habitants.
Il ne peut s’agir seulement d’éteindre un incendie, de répartir un onguent de quelques milliers ou de quelques dizaines de milliers d’euros à destination d’un acteur social d’un quartier pour faire s’arrêter une crise ponctuelle. Vous l’avez bien compris, monsieur le ministre, la politique de la ville suppose que l’ensemble des politiques de droit commun, que toutes les politiques publiques privilégient aussi l’intervention sur ces quartiers et zones géographiques. Qui n’a pas rêvé d’une politique de la ville qui transcende toutes les compétences ministérielles, tous les budgets et qui sache mobiliser pour la cause de cités ou de quartiers où se concentrent de grandes difficultés des moyens à la hauteur de ces difficultés ?
Imaginons que, affirmée comme priorité des priorités et comme clairement interministérielle, la politique de la ville pourrait réunir son autorité et mobiliser des lignes budgétaires qui relèvent aujourd’hui de l’éducation nationale, du logement, de la santé, de l’économie, entre autres, et se doter ainsi d’un budget consistant, d’une assise financière solide ! Imaginons qu’au lieu d’être une politique « chapeau » en « complément » des politiques définies par ailleurs, la politique de la ville soit conçue comme un « socle » de l’action publique pour les quartiers prioritaires socle sur lequel s’érigeraient toutes les autres politiques de droit commun !
Même si tel n’est pas le schéma de la nouvelle politique de la ville du Gouvernement, le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine que vous portez, monsieur le ministre, est une étape très importante. Il crée un nouveau cadre, assez consensuel, me semble-t-il, afin de clarifier les objectifs et les moyens d’intervention de la politique de la ville. Il précise les objectifs poursuivis par cette politique, redéfinit utilement les principes guidant la redéfinition de sa géographie d’intervention et clarifie l’ensemble des outils qu’elle mobilise : en particulier, un nouveau programme de renouvellement urbain et une nouvelle dotation conçue comme un véritable instrument au service des quartiers défavorisés.
En réduisant le nombre de quartiers prioritaires, cette loi saura mieux concentrer les moyens là où c’est nécessaire. En structurant les interventions au niveau de l’intercommunalité avec un contrat ville unique, elle fera gagner en cohérence, donc en efficacité. Enfin, en mobilisant les crédits des autres politiques, dites de droit commun, sur les mêmes sites que ceux de la politique de la ville, elle saura agir plus puissamment. Pour que la nouvelle politique de la ville réussisse, son organisation financière, sa gouvernance aux échelons national et local et l’évaluation de sa mise en oeuvre sont essentielles.
Le Gouvernement a compris qu’il ne fallait plus baisser la garde budgétaire, qu’il fallait réorganiser les structures, les procédures, les gouvernances et la géographie prioritaire. Tout cela va dans le bon sens. Il vous faut réussir également, monsieur le ministre, le pari de la mobilisation interministérielle de toutes les politiques publiques.
Les premières conventions que vous avez préparées et signées avec plusieurs de vos collègues sont de bon augure, pour autant qu’eux-mêmes et leurs administrations comprennent bien, au moment de concrétiser les engagements, leur importance. Dans les villes, les cités, les quartiers, dans celles de nos banlieues qui sont plus fortement touchées par la crise économique et sociale, il y a de la pauvreté, de la désespérance. La peur de l’avenir y nourrit non seulement les votes extrêmes et protestataires, mais aussi les menaces à la cohésion sociale et au pacte républicain.
Ce projet de loi est donc pertinent. Il arrive au bon moment. Il propose une nouvelle méthode qui rationalise en profondeur la politique de la ville. Voilà pourquoi ce texte a obtenu un avis favorable de la commission des finances. Je remercie la commission des affaires économiques et son excellent rapporteur François Pupponi…