C’est le sens de votre proposition de loi que de s’adapter à cette nouvelle réalité. Elle entend remettre à l’endroit un système législatif qui fait aujourd’hui peser la responsabilité du crime organisé sur les victimes et qui se désintéresse de la responsabilité des clients, sans donner à la police et à la justice tous les moyens d’enquêter, d’arrêter, de condamner, de démanteler les réseaux criminels qui sont les vrais coupables.
Votre proposition de loi repose sur une tout autre logique, et nous y adhérons sans réserve : lier indissolublement l’efficacité et la fermeté pénales à la protection des victimes grâce à l’insertion sociale des personnes prostituées.
Votre proposition de loi crée d’abord les conditions d’un démantèlement efficace des réseaux. Parce que démanteler les réseaux, c’est d’abord libérer les victimes de leur emprise. À cet égard, reconnaître un droit au séjour pour les personnes prostituées qui s’engagent dans un parcours de sortie de la prostitution est une disposition absolument essentielle. Ce parcours permettra un soutien financier, une annulation des dettes fiscales ; il créera un moment pour se reconstruire, un moment qui devra durer le temps qu’il faudra.
Votre proposition de loi construit une véritable réponse sociale, sanitaire, professionnelle à la détresse à laquelle sont confrontées les personnes prostituées. Nous devons l’envisager comme le point de départ d’un large plan pour l’inclusion sociale et professionnelle de ces personnes, qui puisse leur donner accès à des mesures de prévention efficace, des programmes d’insertion professionnelle adaptés.
Rien à cet égard ne remplace le travail des acteurs de terrain, notamment pour aller vers les personnes prostituées et mettre en oeuvre des actions de prévention. Rien ne remplace les associations, du moment que l’État ne se désengage pas. Or votre proposition réaffirme le rôle de l’État et l’organise. C’est essentiel.
Réussir la sortie de prostitution implique en effet une prise en charge complexe : l’État ne doit pas ajouter à cette complexité sa propre complexité. Il doit s’organiser pour assurer la coordination du soutien public aux initiatives locales, accompagner, héberger, soigner les personnes prostituées. Il doit accompagner tous les professionnels, que leur action soit spécifiquement centrée sur la réduction des risques sanitaires, sur le logement, ou qu’elle soit plus globalement consacrée aux projets de la personne.
La clef pour réussir les programmes que vous prévoyez à l’article 3 de votre proposition de loi, c’est de s’appuyer sur les besoins des personnes et de construire avec elles les solutions. Je fais complètement miennes les recommandations de l’IGAS sur la nécessité de consolider et d’amplifier notre financement aux acteurs et aux associations qui participent à l’insertion des personnes prostituées.
Votre proposition de loi nous invite à aller encore plus loin et à organiser ce soutien de façon plus pérenne. Comme j’ai déjà eu l’occasion de vous l’indiquer, le Gouvernement appuie cette proposition et s’engage, y compris en prévoyant les crédits budgétaires qui permettront d’abonder ce fonds de façon satisfaisante, dès le vote de la loi.
C’est un effort dédié de 20 millions d’euros par an sur le budget de l’État qui sera dégagé pour soutenir cet accompagnement spécialisé, un meilleur accès au droit, des programmes de réduction des risques. Cet effort correspond à dix fois les crédits actuellement consacrés par l’État au soutien aux associations. Cet engagement que nous prenons ne peut être plus clair.
Les pouvoirs publics ont longtemps été piégés dans leurs contradictions, craignant notamment que l’accompagnement social des personnes prostituées ne génère un appel d’air migratoire. Nous n’avons pas, nous, cette hésitation car nous renforçons en même temps notre politique de fermeté à l’égard des réseaux. Protéger les personnes prostituées, développer leur accompagnement, faciliter la sortie de prostitution sont des missions qui doivent être exercées par l’État et pour que tout cela soit possible, la contrepartie est bien évidemment de ne plus laisser un millimètre de terrain aux réseaux.
Les victimes de la prostitution, comme toutes les victimes de la traite, ce sont les personnes prostituées elles-mêmes. Or la création en 2003 du délit de racolage passif a conduit, là où il a donné lieu à des poursuites, à des situations inacceptables. On marchait sur la tête en punissant les victimes. Nous nous sommes engagés à abroger ce délit, conformément à l’engagement du Président de la République. Cette abrogation s’impose, par ailleurs, pour mettre en conformité notre droit avec la directive 201136 dont l’article 8 dicte le principe d’une absence de poursuite des victimes.
Je suis toutefois sensible au fait que cette abrogation ne doit pas induire une moindre capacité à lutter contre les proxénètes. Nous l’avons bien mesuré dans nos débats et nous veillerons à ce que cette capacité soit au contraire renforcée.
Cette proposition de loi offre un véritable changement de perspective, une alternative au délit de racolage que nous supprimons. Pour lutter efficacement contre les réseaux, nous allons faire jouer la responsabilité tout au long de la chaîne. Vous prévoyez ainsi la création de la contravention de recours à la prostitution et de nouvelles peines de stages de responsabilisation à destination des clients pour leur faire prendre conscience de leur rôle dans le système prostitutionnel et pour prévenir la récidive.
C’est une réponse dont je sais bien qu’elle a été très longuement mûrie jusqu’à trouver son équilibre. Elle correspond à un impératif d’efficacité dans l’action de terrain. Il s’agit de mettre ces clients face à la responsabilité de leurs actes, de prévoir des peines pédagogiques. Il s’agit aussi de ne pas laisser les maires assumer seuls les questions d’ordre public que peut poser la prostitution.
Adopter cette disposition, mesdames, messieurs les députés, c’est non seulement changer de regard, comprendre qui sont les victimes, qui sont les responsables, mais c’est aussi – et j’y tiens – accélérer la transformation de notre société vers plus d’égalité entre les sexes.
À ce jeune garçon qui voudra savoir comment faire ses premières armes avec les filles, nous apprenons que l’achat du corps d’une autre contre quelques billets de banque ne pourra plus être une option. À cette jeune étudiante qui voudra savoir comment mieux boucler ses fins de mois, nous proposons des alternatives à l’asservissement de son propre être.
Mesdames et messieurs, les pays qui ont fait le choix de l’abolition sont ceux où l’égalité entre les sexes n’est plus une utopie mais une réalité. Est-ce une coïncidence ? Je ne le crois pas.
Enfin, votre proposition de loi va renforcer notre lutte contre le proxénétisme qui doit rester une infraction à large spectre. Avec le ministre de l’intérieur, nous donnons les consignes les plus claires aux forces de sécurité sur ce sujet.
Je voudrais notamment rendre hommage ici au travail de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains, qui a intensifié son action contre les réseaux, qui a mobilisé un plus large nombre de groupes d’intervention régionaux, et qui a permis que cinquante et un réseaux soient démantelés en 2012, soit 30 % de plus qu’il y a deux ans, pour un total de 572 proxénètes arrêtés.
Ce sont de bons résultats que nous voulons encore amplifier, notamment en renforçant la coopération internationale dans les zones transfrontalières. Je pense en particulier à cette zone de tension particulière, à proximité de La Jonquera, haut-lieu du proxénétisme et de la traite à propos duquel certains d’entre vous m’ont alertée – et je salue en particulier Ségolène Neuville.