Avec elle et le concours unanime de notre assemblée et du Parlement tout entier, j’ai eu le privilège de faire avancer des sujets que, pendant longtemps, nous avions peiné à faire progresser.
Que l’on se rappelle : en 2005, de cette même tribune, j’osais dire qu’il fallait avoir le courage d’affirmer que le vol et le viol entre époux, non seulement étaient possibles, puisque constatés, mais qu’ils méritaient que l’on leur attribuât, comme à toutes les autres infractions subies au sein d’un couple, la nature de circonstance aggravante.
Que n’avais-je pas dit là ! Je disais, tout simplement, avec tous mes collègues de l’époque, qu’il fallait en finir avec l’omerta sur les violences au sein du couple et que l’argument selon lequel « cela a toujours existé » ne pouvait justifier que cela dût exister toujours.
En 2010, avec vous tous, Danielle Bousquet et moi-même avons repris le flambeau pour franchir l’étape suivante dans la lutte contre les violences faites aux femmes, ou plus exactement à l’autre, puisque quelques hommes en sont également victimes.
Quand nous avons achevé nos travaux, au soir du 29 juin, Danielle Bousquet et moi nous étions posé la question de l’étape suivante, incontournable, consistant à dire à nos concitoyens que la prostitution n’est pas un bienfait, mais un mal profond pour notre société. Ne nous reviendrait-il pas d’engager ensemble cette étape, dans la continuité de notre travail pour l’égalité, le respect et la dignité de la personne humaine, en particulier des femmes ? Dans notre pays, on s’honore très – trop – souvent de faire avancer la cause des femmes, mais en tremblant lorsqu’il s’agit de le faire de manière concrète.
Nous abordons cette thématique douloureuse, complexe et incontournable : quelle est la position des personnes prostituées dans notre société ? En paix avec notre conscience et avec notre coeur, mais déterminés dans notre attachement à l’éthique de la République, nous devons avancer.
Nous avons déjà commencé à le faire. Personne ne prétend plus aujourd’hui – et c’est heureux – que ces filles d’Europe de l’Est, de Chine ou d’Afrique sont venues en sachant très bien ce qu’elles venaient chercher, et en y adhérant. C’était encore le cas il y a quelques mois, quelques années. Nous n’en sommes plus à cette négation, à ce déni du fait que la prostitution, dans notre pays et dans toute l’Europe occidentale, est, de plus en plus, le résultat de la traite des êtres humains.
Mais nous ne sommes pas encore parvenus au stade de la responsabilité, consistant à dire que la prostitution n’a pas sa place au sein d’une société car c’est une violence, un élément parmi d’autres de la domination d’un être sur l’autre, que ce dernier soit une femme – le plus souvent – ou un homme, dans un nombre de cas non négligeable.
Quelle est notre responsabilité aujourd’hui ? Mme la rapporteure et Mme la ministre l’ont rappelé dans leurs interventions. Madame la ministre, les mots qui, dans la vôtre, m’étaient destinés m’ont profondément touché. Cette étape, celle de notre responsabilité, il nous faut la franchir aujourd’hui devant ceux qui nous observent dans les tribunes, devant les Français qui regardent et qui nous écoutent.
Ce débat n’est pas médiocre. C’est le débat d’une République qui accepte de regarder en face les tourments de sa société.
En ma qualité de président de cette commission spéciale que j’ai eu le grand honneur d’animer avec vous toutes et vous tous, dans la richesse de nos différences et parfois de nos oppositions, j’aurai l’occasion d’intervenir pour apporter un éclairage supplémentaire.
À ce stade, pour achever mon propos, et en quelque sorte introduire ce débat à ma manière, je voudrais répondre à des questions que m’ont envoyées des personnes probablement sincères, en me laissant ou non leur adresse. Je vais égrener ces questions et mes réponses.
Les personnes prostituées doivent être défendues, me dit-on. Oui, et d’ailleurs notre proposition de loi ne vise pas à les dénoncer ni à les stigmatiser, au contraire : elle les définit comme des victimes de la traite des êtres humains, exploitées par des réseaux comme c’est le cas pour 85 % ou 90 % d’entre elles.
Elles sont aussi victimes de ce que j’appelle le « proxénète invisible », celui qui, dans leur enfance ou leur jeunesse, a créé les conditions qui ont fait, un jour pas comme les autres, qu’elles se sont trouvées réduites à la prostitution, tout en croyant qu’elles avaient la liberté de le faire.
Oui, il faut les défendre. Oui, ce sont les personnes « bien » que l’on me décrit. Ces personnes « bien », nous les respectons et nous entendons leur apporter toutes les réponses.
À cet égard, madame la ministre, le propos que vous avez tenu sur les moyens est fondamental. Sans ces 20 millions d’euros nécessaires, notre loi n’aura aucune utilité. Vous l’avez dit ; vous le répéterez ; il est important pour moi de le noter et de le reprendre.
Il faut éviter les viols et les agressions sexuelles, donc ne pas toucher à la prostitution, me dit-on encore. Quel drame d’écrire ces mots sans savoir de quoi il retourne !
Plus personne ne nie plus le fait que la prostitution est un monde, un milieu d’une violence inouïe. Même celles, parmi les associations que nous avons auditionnées en commission spéciale, qui étaient favorables au maintien de la situation actuelle, nous ont présenté le monde de la prostitution comme un univers déjà si dangereux qu’il ne faut pas aggraver encore sa dangerosité. Leur aveu, leur reconnaissance, est une réponse à ces personnes.
Avez-vous une solution pour les désirs masculins ? me demande-t-on aussi.