La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas un valet servile de la pudibonderie poussiéreuse, un représentant vieillot d’un moralisme béat qui est monté à la tribune.
Sourires.
C’est un représentant du peuple, un élu de la nation parmi d’autres, au milieu des siens et en harmonie avec une grande majorité de ses collègues, qui vient modestement, mais avec une ferme et tranquille détermination, dire à ses collègues qu’il ne faut pas laisser passer le train de notre responsabilité.
Si nous sommes là, c’est parce que certains collègues que je salue – Maud Olivier, Catherine Coutelle, Ségolène Neuville et d’autres – ont mis leurs pas dans les nôtres, les pas de ceux qui avaient décidé de s’unir autour d’une même cause, celle des femmes et des victimes de toutes les violences.
À cet instant, je voudrais saluer Danielle Bousquet qui est présente dans les tribunes et qui reste toujours une collègue dans notre esprit.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UDI.
Avec elle et le concours unanime de notre assemblée et du Parlement tout entier, j’ai eu le privilège de faire avancer des sujets que, pendant longtemps, nous avions peiné à faire progresser.
Que l’on se rappelle : en 2005, de cette même tribune, j’osais dire qu’il fallait avoir le courage d’affirmer que le vol et le viol entre époux, non seulement étaient possibles, puisque constatés, mais qu’ils méritaient que l’on leur attribuât, comme à toutes les autres infractions subies au sein d’un couple, la nature de circonstance aggravante.
Que n’avais-je pas dit là ! Je disais, tout simplement, avec tous mes collègues de l’époque, qu’il fallait en finir avec l’omerta sur les violences au sein du couple et que l’argument selon lequel « cela a toujours existé » ne pouvait justifier que cela dût exister toujours.
En 2010, avec vous tous, Danielle Bousquet et moi-même avons repris le flambeau pour franchir l’étape suivante dans la lutte contre les violences faites aux femmes, ou plus exactement à l’autre, puisque quelques hommes en sont également victimes.
Quand nous avons achevé nos travaux, au soir du 29 juin, Danielle Bousquet et moi nous étions posé la question de l’étape suivante, incontournable, consistant à dire à nos concitoyens que la prostitution n’est pas un bienfait, mais un mal profond pour notre société. Ne nous reviendrait-il pas d’engager ensemble cette étape, dans la continuité de notre travail pour l’égalité, le respect et la dignité de la personne humaine, en particulier des femmes ? Dans notre pays, on s’honore très – trop – souvent de faire avancer la cause des femmes, mais en tremblant lorsqu’il s’agit de le faire de manière concrète.
Nous abordons cette thématique douloureuse, complexe et incontournable : quelle est la position des personnes prostituées dans notre société ? En paix avec notre conscience et avec notre coeur, mais déterminés dans notre attachement à l’éthique de la République, nous devons avancer.
Nous avons déjà commencé à le faire. Personne ne prétend plus aujourd’hui – et c’est heureux – que ces filles d’Europe de l’Est, de Chine ou d’Afrique sont venues en sachant très bien ce qu’elles venaient chercher, et en y adhérant. C’était encore le cas il y a quelques mois, quelques années. Nous n’en sommes plus à cette négation, à ce déni du fait que la prostitution, dans notre pays et dans toute l’Europe occidentale, est, de plus en plus, le résultat de la traite des êtres humains.
Mais nous ne sommes pas encore parvenus au stade de la responsabilité, consistant à dire que la prostitution n’a pas sa place au sein d’une société car c’est une violence, un élément parmi d’autres de la domination d’un être sur l’autre, que ce dernier soit une femme – le plus souvent – ou un homme, dans un nombre de cas non négligeable.
Quelle est notre responsabilité aujourd’hui ? Mme la rapporteure et Mme la ministre l’ont rappelé dans leurs interventions. Madame la ministre, les mots qui, dans la vôtre, m’étaient destinés m’ont profondément touché. Cette étape, celle de notre responsabilité, il nous faut la franchir aujourd’hui devant ceux qui nous observent dans les tribunes, devant les Français qui regardent et qui nous écoutent.
Ce débat n’est pas médiocre. C’est le débat d’une République qui accepte de regarder en face les tourments de sa société.
En ma qualité de président de cette commission spéciale que j’ai eu le grand honneur d’animer avec vous toutes et vous tous, dans la richesse de nos différences et parfois de nos oppositions, j’aurai l’occasion d’intervenir pour apporter un éclairage supplémentaire.
À ce stade, pour achever mon propos, et en quelque sorte introduire ce débat à ma manière, je voudrais répondre à des questions que m’ont envoyées des personnes probablement sincères, en me laissant ou non leur adresse. Je vais égrener ces questions et mes réponses.
Les personnes prostituées doivent être défendues, me dit-on. Oui, et d’ailleurs notre proposition de loi ne vise pas à les dénoncer ni à les stigmatiser, au contraire : elle les définit comme des victimes de la traite des êtres humains, exploitées par des réseaux comme c’est le cas pour 85 % ou 90 % d’entre elles.
Elles sont aussi victimes de ce que j’appelle le « proxénète invisible », celui qui, dans leur enfance ou leur jeunesse, a créé les conditions qui ont fait, un jour pas comme les autres, qu’elles se sont trouvées réduites à la prostitution, tout en croyant qu’elles avaient la liberté de le faire.
Oui, il faut les défendre. Oui, ce sont les personnes « bien » que l’on me décrit. Ces personnes « bien », nous les respectons et nous entendons leur apporter toutes les réponses.
À cet égard, madame la ministre, le propos que vous avez tenu sur les moyens est fondamental. Sans ces 20 millions d’euros nécessaires, notre loi n’aura aucune utilité. Vous l’avez dit ; vous le répéterez ; il est important pour moi de le noter et de le reprendre.
Il faut éviter les viols et les agressions sexuelles, donc ne pas toucher à la prostitution, me dit-on encore. Quel drame d’écrire ces mots sans savoir de quoi il retourne !
Plus personne ne nie plus le fait que la prostitution est un monde, un milieu d’une violence inouïe. Même celles, parmi les associations que nous avons auditionnées en commission spéciale, qui étaient favorables au maintien de la situation actuelle, nous ont présenté le monde de la prostitution comme un univers déjà si dangereux qu’il ne faut pas aggraver encore sa dangerosité. Leur aveu, leur reconnaissance, est une réponse à ces personnes.
Avez-vous une solution pour les désirs masculins ? me demande-t-on aussi.
Exclamations et rires sur les bancs du groupe SRC.
La solution n’est certainement pas de dire que les hommes, mes congénères, ont le droit, en sortant leur portefeuille, d’acheter le corps de l’autre. Que fait-on en effet, lorsqu’on dit cela, des désirs féminins qui peuvent, comme beaucoup de désirs masculins, n’être pas satisfaits à un moment ou l’autre d’une vie ? Suprême affirmation de cette différenciation, maintenue dans des esprits encore frappés par le sceau du passé, que de ne s’intéresser qu’au désir masculin, sans se préoccuper de celui qui, bien évidemment, étreint par moments nos femmes et nos jeunes filles.
Monsieur le président, je compte sur votre bienveillance à mon égard, pour disposer de quelques minutes de plus afin de conclure.
Sourires.
Je ne veux pas être grandiloquent, mais le moment est important. Cette semaine fut marquée, pour notre assemblée et notre pays, par la disparition d’un grand résistant et d’un grand parlementaire : Lucien Neuwirth.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe SRC.
Je voudrais saluer ce précurseur et nous inviter à suivre son exemple. Il avait coutume de rappeler ces quarante-cinq minutes « terribles » – de densité et non, bien sûr, d’horreur – qu’il avait passées avec le général de Gaulle lorsqu’il était allé lui parler de son projet de faire adopter par le Parlement une loi autorisant la contraception.
Il racontait que, durant ces quarante-cinq minutes, le Général – fait exceptionnel – ne l’avait pas interrompu. Il l’avait laissé parler sans le relancer, et c’est bien ce qu’il avait trouvé terrible. Puis, au bout de trois quarts d’heure, il s’était adressé à lui en ces termes : « En résumé, Neuwirth, vous voulez améliorer le sort des femmes ? » Lucien Neuwirth lui avait répondu : « Mon général, vous avez tout compris, vous avez tout résumé. » À ce moment-là, le Général lui avait dit : « Neuwirth, allez-y ! »
Le Général n’est plus là et Lucien Neuwirth non plus. Mais, devant nos responsabilités, mes chers collègues, j’ai envie de vous dire : allons-y !
Applaudissements sur les bancs des groupes UMP, SRC, UDI, RRDP et GDR.
La parole est à Mme Catherine Coutelle, présidente de la délégation de l’Assemblée nationale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.
J’ai fait, cette semaine, un communiqué associant Lucien Neuwirth à notre loi.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteure, mes chers collègues, c’est avec une certaine fierté et beaucoup d’émotion que nous abordons ce débat. C’est avec modestie, c’est aussi avec la conscience d’être les porte-parole d’associations, de militants et d’élus qui sont engagés pour les droits des personnes prostituées, c’est avec reconnaissance pour celles et ceux qui ont ouvert courageusement, devant nous, la voie de l’abolition de la prostitution, en particulier Yvette Roudy, ministre des droits des femmes, présente dans les tribunes et que je salue,
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC
et Danielle Bousquet qui, avec Guy Geoffroy, ont porté ce débat dès la précédente législature – je tenais à signaler cette filiation – ; c’est avec honneur, enfin, que la délégation aux droits des femmes est porteuse de cette loi d’initiative parlementaire. Je remercie très chaleureusement Maud Olivier qui, dès son arrivée comme députée en 2012, a conduit avec compétence, sang-froid et ténacité cette mission. Son travail est unanimement reconnu.
Cette proposition de loi a ouvert le débat sur la prostitution. C’est pourtant un sujet que peu de personnes souhaitaient porter, car il est lourd de violences. Et ni les mafias, ni les proxénètes, ni les clients ne souhaitaient se retrouver au coeur de ce débat.
C’est un débat qui intéresse nos concitoyens. Je l’ai senti lorsque nous avons fait des réunions publiques sur ce sujet ; j’ai mesuré l’intérêt qu’on lui accordait, le sérieux avec lequel il était abordé. C’est un débat qui passionne les médias. C’est un débat qui a mobilisé largement la société civile. C’est un débat qui a permis de faire apparaître les violences, l’exploitation, l’esclavage cachés derrière ce que certains appellent encore « le plus vieux métier du monde », et qui aurait été exercé par des « filles de joie ».
Ce débat, on l’a vu, existe au-delà de nos frontières et a suscité, suscite des réactions dans de nombreux pays. La prostitution est un phénomène mondial. Peu de statistiques ont été élaborées au niveau international, mais l’organisme européen Eurostat a publié au mois d’avril dernier un premier rapport. Le nombre de victimes de la traite s’est accru de 18 % entre 2008 et 2010. Pendant ce temps, celui des trafiquants condamnés à des peines de prison a reculé de 13 % au cours de cette période. Et, selon l’Organisation internationale du travail, 880 000 personnes seraient victimes d’esclavagisme dans l’Union européenne, l’exploitation sexuelle y tenant une place importante.
La dimension internationale du phénomène de la traite appelle un combat international. En France, les personnes prostituées sont principalement issues de Roumanie, de Bulgarie, d’Europe de l’Est, du Nigeria et de Chine. Les pays d’origine et de destination de la traite doivent se saisir de ce sujet. Malgré l’existence d’un accord d’entraide judiciaire avec le Nigeria ou la Chine, les résultats sont maigres, et le Gouvernement doit s’efforcer de faire progresser cette coopération. L’Union européenne devrait également intégrer la coopération en matière de lutte contre la traite dans tous les accords de partenariat qu’elle conclut avec des pays tiers. À l’échelle européenne, l’entraide policière et judiciaire est déjà en place, comme nous l’a indiqué M. le ministre Manuel Valls lors de son audition par la commission spéciale.
Il faut aller plus loin sur la voie de l’harmonisation des politiques nationales. Nombre de pays conservent des législations qui sont de véritables appels d’air pour les trafiquants. Les proxénètes ne devraient pas pouvoir se mettre à l’abri des frontières, comme on nous l’a indiqué lors d’une table ronde à Strasbourg.
Les expériences européennes sont diverses et riches d’enseignements. Il serait coupable de ne pas les regarder objectivement.
Selon les services de la police suédoise, la loi d’abolition a permis de renforcer la lutte contre les réseaux. La loi s’est attaquée à la demande et a limité les possibilités de tirer profit de la prostitution, ce qui a découragé les réseaux d’investir sur leur territoire. Les autorités ont constaté une diminution de moitié de la prostitution de rue et une stabilisation globale du nombre de personnes prostituées.
Aux Pays-Bas, la prostitution est organisée et réglementée, mais la situation des personnes prostituées s’est dégradée. Dans les affaires de traite portées devant la justice, la quasi-totalité des femmes exploitées l’étaient dans le secteur légal, contrôlé par l’État néerlandais. Cette organisation de la prostitution n’a pas empêché une explosion de la prostitution illégale ou cachée. Les pays qui ont choisi de réglementer font face à une augmentation spectaculaire de la prostitution, donc des violences, et des risques sanitaires qui l’accompagnent.
En France, on estime que 90 % des personnes prostituées sont étrangères. La prostitution est une exploitation de pays pauvres par des pays riches, de sociétés pauvres par des sociétés riches, une exploitation de femmes, de jeunes filles, de jeunes hommes par des hommes de pays qui peuvent leur imposer des rapports sexuels car ils en ont les moyens financiers.
C’est particulièrement vrai dans les moments de crise que nous traversons, dans ces moments où la précarité économique menace tout particulièrement les femmes. Il est temps d’ouvrir les yeux sur l’étendue et la cruauté de l’exploitation de la prostitution. Nous avons aujourd’hui la responsabilité de mettre un coup d’arrêt à ces trafics. Nous avons la responsabilité de ne pas laisser prospérer ces dominations économiques, ces dominations sexistes dans notre pays.
Ce texte est examiné la semaine du 25 novembre, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, et ce n’est pas un hasard. La répétition d’actes sexuels imposés par la précarité, par l’argent ou par l’emprise des mafias et proxénètes est une violence sexuelle. On en connaît les conséquences destructrices sur la santé physique et psychologique. Une personne que nous avons auditionnée dans le cadre des travaux de la commission spéciale a partagé son témoignage dans un livre : « On nous parle de plaisir. La réalité est tout autre. Avec environ une trentaine de rapports sexuels par nuit avec des hommes de toutes sortes, des gros, des maigres, des agressifs, des pervers, la notion même de plaisir est irrémédiablement bannie. […] C’est vulgaire ? Choquant ? Dégoûtant ? Et pourtant, ce ne sont là que des mots. Rien qui approche, de près ou de loin, la réalité vécue. »
L’argent ne peut pas donner le droit de précipiter des femmes, des enfants, des hommes dans cet univers de violence, d’asservissement qu’est la prostitution. Selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales cité ce matin par vous, madame la ministre, « les violences font partie du paysage de la prostitution quels qu’en soient la forme et le mode d’exercice. Il s’agit, pour une part importante, de violences perpétrées par le client ». Je ne rappellerai pas les chiffres, vous les avez donnés.
Pourtant, cette violence est mal connue. C’est aussi la dernière violence faite aux femmes que la loi ne reconnaît pas ; notre travail consiste à inscrire la lutte contre cette violence dans la loi. Progressivement, nos sociétés ont interdit le droit de cuissage, le harcèlement, le viol. Il ne peut y avoir de droit sexuel masculin sur les femmes. Nous refusons qu’un rapport sexuel puisse être imposé par le pouvoir, la force ou l’argent.
Ces évolutions de notre société, on l’oublie, sont très récentes. Le viol conjugal n’a été reconnu que dans les années 1990, et la première loi consacrée aux violences conjugales date de 2006. Il a fallu du temps pour que notre société considère qu’il est de sa responsabilité de protéger l’ensemble des citoyens et citoyennes, que ce soit dans la sphère publique, au travail, dans la rue, ou dans la sphère privée, dans la famille, au sein du couple. Il n’y a pas de permis de tuer, de violer, de violenter, d’imposer un rapport sexuel, sous prétexte que cela aurait lieu dans la sphère privée.
Oui, le privé, dans ce cas, est politique. Et le sujet qui nous rassemble aujourd’hui est fortement lié à celui de l’égalité entre les femmes et les hommes. C’est aussi pour cela que c’est la délégation aux droits des femmes qui l’a porté ; 90 % des personnes prostituées sont des femmes, 99 % des acheteurs de sexe sont des hommes, même s’il faut rappeler que la grande majorité des hommes ne sont pas acheteurs de sexe. Ces chiffres rendent visible les rapports de domination qui accompagnent la prostitution.
Comme le dit le préambule de la loi suédoise, « il n’y aura pas d’égalité possible entre les femmes et les hommes tant que l’on pourra vendre, louer, acheter le corps des femmes », tant que la société ne dira pas qu’il n’est pas autorisé de s’approprier les corps des femmes pour satisfaire une envie. C’est cette avancée, ce renversement que nous proposons par ce texte. Aujourd’hui, les personnes prostituées sont pénalisées. Aujourd’hui, elles sont stigmatisées. Elles doivent être reconnues en tant que victimes, être protégées. Inversement, l’interdiction d’achat d’acte sexuel permet de donner un signal aux réseaux de proxénètes : la France n’est pas une terre d’accueil pour les mafias, pour celles et ceux qui exploitent la misère et la précarité. Il n’est pas acceptable que les mafias se développent grâce à ce business aussi lucratif que celui de la drogue ou des armes. Il n’est pas acceptable que des proxénètes vivent grassement sur les souffrances des femmes. La loi permettra aux personnes prostituées d’avoir plus de moyens de se défendre face au client, de porter plainte, donc d’être plus en sécurité.
Enfin, notre société adressera un message fort : il n’existe pas de droit des hommes à disposer du corps des femmes, le corps n’est pas une marchandise.
Cette proposition de loi fait bouger en profondeur notre société encore trop marquée par les inégalités entre les femmes et les hommes. Elle réaffirme qu’il faut arrêter de faire passer le plaisir de certains avant la sécurité et le droit de toutes les femmes. Elle réaffirme que les femmes et les hommes ont droit à une place à égalité dans la société, dans tous les domaines, y compris la sexualité.
En conclusion, je tiens à vous rendre hommage, madame la ministre. Vous avez fait ce matin un grand discours, et nous avons toujours eu votre écoute, votre soutien, dans des échanges permanents et constructifs. Ce travail a été mené en collaboration avec le Gouvernement, avec les ministres, Mme Taubira, Mme Touraine, M. Valls, et suivi avec attention par le Premier ministre. Je veux les remercier tous pour leur engagement. Je veux aussi remercier pour leur engagement Bruno Le Roux et le groupe socialiste, qui a pris position sur ce texte et qui le soutient activement. Enfin, je veux saluer nos collègues sénateurs et sénatrices qui suivent ce débat et qui auront pour mission de le poursuivre.
Cette proposition de loi met la France en conformité avec sa position abolitionniste et ses engagements internationaux. Elle ouvre la voie à une politique ambitieuse, que nous souhaitons européenne. Je citerai Pierre Mendès France : « La République doit se construire sans cesse, éternellement révolutionnaire, contre l’inégalité, la misère, la routine, et les préjugés. La République est inachevée tant qu’il reste des progrès à accomplir. »
Ce texte, madame la ministre, construit notre République.
Applaudissements sur de nombreux bancs.
J’ai reçu de M. François de Rugy et des membres du groupe écologiste une motion de renvoi en commission déposée en application de l’article 91, alinéa 6, du règlement.
Avant que mon collègue Sergio Coronado ne s’exprime, je veux, à ce stade du débat, intervenir sur le déroulement de notre séance.
Mon groupe et moi-même déplorons profondément que ce texte soit examiné dans ces conditions, un vendredi après-midi. J’ai déjà eu l’occasion de le dire ce matin, lorsque nous examinions le projet de loi de programmation militaire. L’organisation des travaux en séance cette semaine n’est absolument pas satisfaisante. Je l’avais d’ailleurs dit, à titre préventif, en conférence des présidents.
Je rappelle que nous avons commencé la semaine avec l’examen, lundi, en nouvelle lecture, du projet de loi de financement de la Sécurité sociale, l’après-midi et en soirée, jusqu’à quatre heures cinq du matin. Puis, mardi et mercredi, nous avons examiné le projet de loi de programmation militaire, mais, évidemment, nous étions loin d’en avoir fini mercredi soir. Puis, jeudi, trois séances étaient réservées au groupe UDI, ce qui est tout à fait normal. Ce matin, nous avons repris, un peu à marche forcée, l’examen du projet de loi de programmation militaire, et, enfin, cet après-midi, nous examinons cette proposition de loi sur la prostitution. C’est un sujet important, grave, délicat, complexe, qui ne mérite pas d’être traité de la sorte un vendredi après-midi.
Si je dis cela, c’est aussi parce que j’ai entendu les propos qu’a tenus, ce matin, Mme la ministre. Moi-même, j’avais dû m’absenter quelques instants, en raison d’un engagement pris longtemps avant de savoir que nos travaux se dérouleraient ainsi. Je rappelle que l’on avait laissé entendre que cette proposition de loi serait examinée mercredi soir, ce qui était d’ailleurs totalement irréaliste. J’ai entendu que les absents étaient pointés du doigt. Je cite votre formule, madame la ministre, car elle m’a profondément choquée lorsque je l’ai lue sur le site internet de l’Assemblée nationale : « L’indifférence, quand elle conduit à un refus, s’appelle du mépris. »
Protestations sur les bancs du groupe SRC.
C’est ainsi, donc, que vous avez qualifié nos collègues qui, ne pouvant être présents aujourd’hui, voteraient contre ce texte mercredi prochain. Je trouve que ce n’est pas correct.
Je vous dirai une chose simple : dans mon groupe, les députés, qu’ils soient pour ou contre, ont, pour un grand nombre d’entre eux, été empêchés d’intervenir dans ce débat parce qu’il se tenait aujourd’hui.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Je vous le dis, madame la ministre : dans mon groupe, nous n’avons pas empêché des députés d’intervenir parce qu’ils ne se conformeraient pas à la position majoritaire du groupe.
Mêmes mouvements.
Je trouve donc que ces propos ne sont pas corrects. Je le redirai en conférence des présidents, lorsqu’il sera question du déroulement des débats au cours des prochaines semaines.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour défendre la motion de renvoi en commission.
Madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes, madame la rapporteure, chers collègues, avant même d’aborder les éléments qui, à mes yeux, justifient un renvoi en commission, je veux saluer la cohérence du travail de notre rapporteur.
Depuis de longues années, vous menez, cher collègue, ce combat en faveur de la pénalisation de tout achat d’un acte sexuel. Si je ne partage pas votre position, je reconnais volontiers votre détermination dans ce que je suis tenté d’appeler une croisade.
À l’instar des parlementaires qui, voici dix ans, rétablissaient la pénalisation du racolage passif en prétendant que cette mesure était le fer de lance de la lutte contre les réseaux de proxénètes et de traite des êtres humains, vous êtes convaincue que la pénalisation des clients tarira la prostitution, affaiblira ces mêmes réseaux et sera le point d’orgue d’une nouvelle politique d’égalité entre les hommes et les femmes. Votre détermination se fonde sur la certitude – je dirai même la croyance – qu’il ne peut jamais y avoir de consentement dans un acte sexuel tarifé. Pour vous, c’est inconcevable ; à vos yeux, la prostitution est somme toute un esclavage, où les femmes sont la proie du désir et de l’exploitation des hommes. De la diversité des situations, de la complexité des motivations, vous ne tenez jamais compte.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Pourtant, de nouveaux visages de la prostitution apparaissent. Nombre d’études internationales ont montré le développement d’une nouvelle clientèle féminine. L’une de ces études porte sur un territoire qui fait partie de ma circonscription : il s’agit du travail de Jacqueline Sanchez Taylor et Julia O’Connell Davidson sur le tourisme sexuel en Jamaïque. À cela, vous opposez encore et toujours une seule et même vision de la réalité, celle d’un monde en noir et blanc : des femmes toujours victimes, des hommes toujours coupables.
Nouvelles exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Tout le monde s’accorde à dire qu’il est vraiment difficile de chiffrer la prostitution. Le rapport de l’IGAS publié en décembre 2012 évoque « des écarts d’un à vingt dans l’estimation du nombre des personnes qui se prostituent ». Vous n’avez pourtant pas cessé d’asséner des chiffres rarement sourcés et jamais contextualisés.
Dans cette entreprise, vous avez reçu le soutien sans faille de Mme la ministre des droits des femmes.
Un tel engagement en faveur du texte aurait pu se traduire par une position plus franche, c’est-à-dire, par exemple, par le dépôt d’un texte gouvernemental. Une telle démarche aurait pu éclairer la représentation nationale sur les moyens que l’État compte déployer pour lutter réellement contre les réseaux de traite et de proxénétisme et pour oeuvrer sérieusement à l’accompagnement social et sanitaire des personnes prostituées – notamment à l’accompagnement de celles qui veulent quitter cette activité. Cette option n’a pas été retenue : c’est donc d’une proposition de loi que nous débattons aujourd’hui.
Je tiens également à saluer la qualité des débats de la commission spéciale. Cette commission a mené de nombreuses auditions dans le souci de rendre incontournable la pénalisation des clients. Malheureusement, les personnes prostituées n’ont pas vraiment eu voix au chapitre, et les transsexuels ou les transgenres n’ont pas été conviés aux auditions. Les écouter, les auditionner aurait pourtant permis d’éviter le sentiment qu’un certain nombre d’entre nous ressentent aujourd’hui, en séance : le sentiment que ce texte prétend parler au nom des victimes sans jamais considérer que leur parole soit légitime. On nie leur légitimité à intervenir dans le débat !
La commission spéciale s’est offusquée quand j’ai proposé de consacrer, par ce texte, des droits au bénéfice de la communauté des personnes transgenres et transsexuelles, notamment pour ce qui concerne le parcours médical et le changement d’état civil.
Le scandale ne réside pas dans le choix de tel ou tel véhicule législatif pour que ces concitoyens obtiennent des droits, mais dans la situation réelle que vivent ces personnes, et que le législateur n’a pas accepté de changer.
Ce que nous partageons, c’est une volonté sans faille de lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite. La convention contre la criminalité transnationale organisée, dite convention de Palerme, nous y invite ; la fraternité, ce mot beau et fort de notre triptyque républicain, nous y oblige. Ce que nous partageons, c’est le refus du fait que des femmes et des hommes soient contraints à la prostitution pour le compte d’autrui. Tel est le sens de la convention pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui de 1949, que la France a ratifiée en 1960.
Il serait passionnant d’aborder la question de la prostitution d’un point de vue philosophique, comme vous l’avez fait ce matin, madame la ministre. Votre discours était assez contradictoire : d’une part, vous nous invitez au débat, et d’autre part, vous jetez l’opprobre sur celles et ceux qui ne partagent pas votre opinion. Permettez que je choisisse une voie moins ambitieuse, moins lyrique, en me concentrant sur ce que nous avons à discuter et à voter. Je considère en effet qu’il y a un écart entre les objectifs affichés et la réalité des mesures proposées.
Le texte de la proposition de loi vise, selon ses auteurs, plusieurs objectifs. D’abord, renforcer les moyens d’enquête et de poursuite contre les acteurs de la traite des êtres humains et de proxénétisme. C’est en effet le sens de l’article 1er, qui illustre à merveille les travers du texte et le manque de réflexion d’ensemble de notre commission spéciale. L’enfer est souvent pavé de bonnes intentions : c’est ici le cas.
En effet, on ne peut mener une politique efficace d’aide aux prostituées et aux victimes sans lutter contre les réseaux. Cet objectif est même prioritaire : nous sommes d’accord sur ce point.
L’article 1er réintroduit dans notre droit le filtrage administratif de l’internet. Il prévoit en effet que l’autorité administrative pourra exiger des fournisseurs d’accès à internet le blocage de l’accès à des sites qui contreviennent à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Les FAI devront donc bloquer sans délai ces sites, une fois que l’administration le leur aura ordonné. Vous avez ainsi souhaité, madame la rapporteure, réintroduire dans notre législation une procédure de blocage sans intervention préalable du juge, alors même que, par le passé, le Parti socialiste s’est toujours opposé à ce type de dispositif.
Notre assemblée a pourtant abrogé ce type de filtrage administratif sous l’impulsion de notre collègue Laure de La Raudière, par un amendement au projet de loi sur la consommation. Cet amendement supprimait en effet l’article 18 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui permettait à l’autorité administrative de prendre, sans contrôle du juge, « des mesures restreignant, au cas par cas, le libre exercice » de presque toutes les activités possibles sur Internet, pour toute une série de raisons. Aujourd’hui, une seule exception demeure : le blocage administratif des sites pédopornographiques. Le décret d’application reste toutefois à publier.
Or, comme l’a rappelé un avis du Conseil national du numérique, le blocage administratif est contreproductif. D’une part, l’exemple australien montre que les risques de ce que l’on appelle le « surblocage » – c’est-à-dire le blocage de sites légaux qu’entraîne par ricochet le blocage de sites illégaux – sont réels. D’autre part, les dispositifs de blocage sont facilement contournables par les usagers.
Surtout, l’atteinte aux libertés fondamentales est réelle : selon le Conseil national du numérique, « l’absence d’autorisation judiciaire constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication ». Je m’étonne donc que ni la rapporteure, ni le président de la commission spéciale n’aient jugé nécessaire de saisir le Conseil national du numérique de cette question si délicate. Si je me souviens bien, le Gouvernement s’était pourtant engagé, lors du séminaire du 23 février 2013, à le saisir de toute modification des textes qui encadrent l’usage d’internet.
Même après l’avis du Conseil national du numérique, vous n’avez pas jugé utile, madame la rapporteure, de corriger cette erreur. Le Gouvernement a donc déposé, pour régler ce problème, un amendement qui rend quasiment caduc le seul article de votre proposition de loi qui ait pour objet de lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains.
La nécessité de lutter contre les réseaux aurait dû conduire la commission spéciale à réfléchir sérieusement à la situation paradoxale que nous connaissons, et contre laquelle nous devons lutter. D’un côté, les sources policières font état d’un développement croissant de la traite des êtres humains ; de l’autre, les sources judiciaires confirment que le nombre de condamnations sur ce fondement est faible. Lutter contre les réseaux, c’est lutter contre les paradis fiscaux, les montages financiers obscurs et les complicités au sein des organisations bancaires. Lutter contre les réseaux, c’est aussi faciliter la coopération judiciaire dans l’espace européen. Un seul article de votre proposition de loi – article désormais caduc – visait cet objectif, en s’attaquant uniquement à la liberté d’internet. C’est pour le moins insuffisant et dangereux. Le texte de la proposition de loi ne contient en réalité aucune disposition contre la traite des êtres humains et les réseaux de proxénétisme. Telle est, malheureusement, la réalité !
Le chapitre II vise à améliorer la protection et l’accompagnement global des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme. Comme nous le savons – il s’agit, là encore, d’un constat partagé –, le volet social de l’abolitionnisme est un échec. Ce volet est le grand oublié des politiques publiques, comme l’ont constaté aussi bien les associations que l’Inspection générale des affaires sociales. Le rapport d’information réalisé par notre collègue Guy Geoffroy en 2011 en témoigne également. Les éléments d’explication de cet échec sont de plusieurs ordres.
Ils sont d’abord d’ordre financier : les politiques d’accompagnement manquent cruellement de moyens. Ce problème n’est pas spécifique aux personnes prostituées, comme en témoigne une campagne de l’association Paroles de femmes. Cette campagne a montré que, lorsqu’une femme victime de violences cherche à joindre le 115, elle peut passer vingt et un appels pour essuyer treize refus et enregistrer huit absences de réponses ! Telle est aujourd’hui la réalité.
Chaque année, les plans d’urgence se succèdent sans que les conditions d’accueil des femmes en détresse changent vraiment. Une vidéo de 8 minutes et 54 secondes réalisée par la même association montre le décalage entre les beaux discours et la réalité du terrain. J’aurais préféré que les travaux de notre commission spéciale tiennent compte de cette dure réalité. J’aurais aussi préféré que la commission des finances de notre assemblée soit associée à nos travaux et à nos réflexions, surtout en ce qui concerne l’épineuse question de l’article 40 de la Constitution : cela aurait permis une plus grande transparence.
Parmi les mesures envisagées, quelques-unes nous semblent positives, notamment parce que la commission spéciale a accepté de retenir certains amendements déposés par le groupe écologiste. Dans leur ensemble, elles nous semblent néanmoins insuffisantes. Certaines d’entre elles sont même problématiques.
Je veux revenir en particulier sur le cas des personnes prostituées sans papiers. Les contradictions d’hier n’ont toujours pas disparu : éloigner la prostitution des lumières de la rue, c’est la reléguer dans l’obscurité. Or, dans cette obscurité, les plus vulnérables sont celles et ceux qui n’ont pas de papiers et sont à la merci des réseaux, des souteneurs et des proxénètes. L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque d’emblée la situation des prostituées sans papiers. Les auteurs de cette proposition écrivent, à ce sujet, les lignes suivantes : « Alors que seulement 20 % des personnes prostituées dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui, et depuis les années 2000, près de 90 %. Les pays d’origine sont bien connus : Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement – notre collègue Catherine Coutelle l’a rappelé. Cela démontre l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution. »
Admettons. Mais qu’offre-t-on à ces migrantes qu’on prétend libérer ? L’article 6 de la proposition de loi modifie le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en prévoyant qu’« une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois peut être délivrée » à celles qui voudraient sortir de la prostitution. Je ne crois pas que cela prête à rire, madame la ministre !
Cette autorisation sera délivrée sans aide réelle, car le Gouvernement a déposé un amendement visant à supprimer l’article 7, qui leur permettait de bénéficier de l’ATA – l’allocation temporaire d’attente.
La carte de séjour temporaire de celles qui dénonceraient leurs proxénètes sera désormais « renouvelée pendant toute la durée de la procédure pénale. » Mais une fois la procédure terminée, c’est sans doute une expulsion qui consacrera le parcours de sortie de la prostitution ! Le rapport d’information réalisé par notre rapporteure, qui a inspiré cette proposition de loi, est on ne peut plus clair à ce sujet. Selon les termes employés par Mme la rapporteure dans un entretien avec les internautes sur le site internet du journal Le Monde, « il n’est pas question de donner à toutes ces personnes en situation irrégulière sur notre sol la possibilité de rester ». Gageons qu’après six mois, ou après le procès de leur exploiteur, ces prostituées seront renvoyées dans leur pays : ainsi, on ne les verra plus dans nos rues. De nombreux élus pensent ainsi, de bonne foi, se battre pour abolir la prostitution, mais ne font en fait que lutter contre l’immigration.
Mouvements divers.
Le souci de la lutte contre l’immigration est d’ailleurs la raison avancée par notre rapporteure pour s’opposer à mes amendements proposant que toutes les victimes de la traite et des réseaux puissent bénéficier d’un titre de séjour provisoire afin de les orienter vers un parcours de sortie de la prostitution.
Lorsque l’on évoque le droit des victimes à une plus grande stabilité, à disposer de papiers pour échapper aux réseaux, on s’entend répondre : « Attention, pas d’appel d’air ! ». Toutes les victimes ne se valent pas.
Protestations sur les bancs du groupe SRC.
Si vous êtes d’accord avec moi sur le fait qu’il faut donner des papiers à celles et ceux qui n’en ont pas et sont victimes de la traite des êtres humains, vous pourrez voter pour l’amendement que j’ai déposé en ce sens.
Le chapitre III prétend, par un simple ajout aux articles L. 312-16 et L. 312-17-1 du code de l’éducation, renforcer l’action de prévention et d’information. Je vous laisse juges de la timidité de ce qui est proposé.
Nous arrivons enfin au coeur du dispositif : la pénalisation du client et le stage de sensibilisation. L’exemple suédois, dont vous vous inspirez, mérite une analyse critique et contradictoire. Vous n’avez pas souhaité réaliser un tel examen. Nous avons pourtant vu, pendant les auditions, que les chiffres donnés par Mme la ministre des affaires sociales à propos du modèle suédois étaient contradictoires. Les chiffres de notre rapporteure, en revanche, vont toujours dans le même sens !
Nous savons qu’il est impossible de faire des comparaisons entre la situation antérieure à la loi suédoise de pénalisation des clients et celle qui prévaut depuis son adoption, car les statistiques disponibles à propos des victimes de la traite en Suède ne commencent qu’après l’application de cette loi. Le rapport Skarhed d’évaluation de l’interdiction de l’achat de services sexuels précise pourtant que « selon la police suédoise, il est clair que l’interdiction de l’achat de services sexuels agit comme une barrière aux trafiquants et proxénètes qui envisagent de s’établir en Suède ». Quelques mois avant la publication de cette évaluation, la même autorité de police avait pourtant déclaré que « les formes graves de criminalité organisée, y compris la prostitution et la traite, ont augmenté en force, en puissance et en complexité au cours de la dernière décennie. Cela constitue un grave problème social en Suède, et le crime organisé retire de grandes quantités d’argent provenant de l’exploitation et de la traite des personnes dans des conditions analogues à l’esclavage. »
Les études attestent qu’en revanche les politiques de pénalisation entraînent une aggravation de la précarité des personnes prostituées. Les organisations internationales comme ONUSIDA, l’OMS et la Commission mondiale sur le VIH et le droit sont largement d’accord sur ce point, tout comme les organisations françaises qui travaillent quotidiennement à l’accompagnement sanitaire des prostituées. Permettez-moi enfin de citer une tribune de l’organisation Médecins du monde : « Osons le dire : derrière cette nouvelle mesure répressive se cache une véritable régression sociale. Sous bien des aspects, ce texte demeure pour nous, acteurs de terrain, mensonger, dangereux et inefficace.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Mensongère, cette proposition l’est en tournant le dos aux expériences déjà menées en la matière, notamment en Norvège ou en Suède, expériences qui, loin de prouver leur efficacité en matière d’éradication de la prostitution, témoignent d’une précarisation accrue des personnes se prostituant. Les effets néfastes de ces lois sont en tout point semblables à ceux unanimement constatés en France suite à l’instauration en 2003 du délit de racolage passif : éloignement des structures de soins, de dépistage et de prévention, isolement des personnes et exposition accrue aux violences et à l’exploitation, stigmatisation, accès aux droits entravé.
« Si les clients sont poussés à la clandestinité, les personnes se prostituant, elles, le seront d’autant plus. C’est en cela que la proposition est dangereuse. Mises à l’écart des centres-villes, éloignées de l’offre de soin et de prévention, elles seront davantage exposées aux risques sanitaires, au VIH et autres infections sexuellement transmissibles.
« Qu’elles soient ou non contraintes à la prostitution, socialement, économiquement ou par les réseaux, les personnes proposant des services sexuels tarifés verront leur capacité de négociation réduite, les forçant à accepter certaines pratiques ou rapports non protégés. Cette plus grande clandestinité rendra plus difficile l’action des services de police dans la lutte contre la traite et l’exploitation.
« Ainsi, si les risques liés à l’exercice de la prostitution existent, la précarité et l’isolement induits par des mesures législatives répressives les décuplent.
« Depuis son application en 1999, la loi n’a pas amélioré les conditions de vie des travailleurs du sexe mais, au contraire, les a empirées. »
Tel est, sans détour, le bilan du « modèle suédois », dressé, non par des proxénètes ou des clients en mal de sexe tarifé, mais par le Programme des Nations unies pour le développement.
L’Organisation mondiale de la santé, l’ONUSIDA et le Conseil national du sida sont par ailleurs unanimes : la pénalisation de la prostitution « nuit à la santé des personnes qui la pratiquent » et aggrave les violences dont elles sont victimes.
Pour ces raisons, et dans un souci de considération pour les intérêts de santé publique, je vous invite, chers collègues, à voter cette motion de renvoi en commission d’un texte qui ne lutte pas réellement contre les réseaux et qui comporte des risques accrus de précarité pour les personnes prostituées.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à Mme la ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je voudrais d’abord répondre à l’interpellation de M. de Rugy, en lui disant que c’est ici, dans cet hémicycle, que le débat a lieu, et non dans la presse.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur de Rugy, vous êtes député : c’est l’occasion ou jamais de contribuer au travail parlementaire. Plutôt que de rédiger des tribunes et de lancer des anathèmes dans les médias, présentez des amendements ; je vous assure qu’ils seront, comme les autres, pris en considération, dans un souci de rassemblement.
Je voudrais maintenant répondre simplement à la question de M. Coronado sur la pertinence comparée d’un projet ou d’une proposition de loi sur ce sujet, qui a fait, comme je l’ai rappelé ce matin, l’objet d’un travail approfondi de la part des parlementaires depuis maintenant deux ans, travail qui a permis le vote à l’unanimité d’une résolution ici même en décembre 2011.
Exclamations sur les bancs du groupe écologiste.
Il est tout de même curieux d’entendre des députés nous reprocher de laisser les parlementaires poursuivre ce travail de grande qualité et qui rassemble sur tous les bancs.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC. – Protestations sur les bancs du groupe écologiste.
Le troisième sujet, évoqué par M. Coronado avec beaucoup de légèreté, est celui des moyens que le Gouvernement compte allouer à ce parcours de sortie de la prostitution.
Vous m’avez peut-être mal entendue ce matin, mais j’ai l’impression d’avoir été très claire lorsque je me suis engagée à ce que le Gouvernement mette sur la table 20 millions d’euros par an pour offrir aux personnes prostituées des alternatives crédibles et sérieuses à la prostitution. Je crois que cela n’a jamais été fait jusqu’à présent et que cela vaut la peine d’être regardé avec l’attention que cela mérite.
Enfin, je ne jette l’opprobre sur personne, et sûrement pas sur les parlementaires, quels que soient les groupes auxquels ils appartiennent. J’estime que nous sommes là pour faire un travail commun, dans la concertation. Notre discussion ne fait que commencer, laissons-la se poursuivre sérieusement.
Je prendrai seulement l’exemple de l’article 1er, que vous avez largement commenté : si vous avez lu l’ensemble des amendements, il ne vous aura pas échappé que le Gouvernement lui-même fait sur ce sujet des propositions très riches, qui viendront préciser le texte et renforcer notre lutte contre les réseaux.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Une observation générale, tout d’abord. Nos collègues du groupe écologiste avaient initialement prévu deux motions de procédures : une motion de rejet préalable et une motion de renvoi en commission.
Ils ont fait le choix, et je n’ai pas à en juger, de renoncer à l’une d’entre elles,…
…mais, très curieusement, ils ont gardé celle concernant le renvoi en commission, alors qu’avec la motion de rejet préalable ils auraient pu évoquer tous les sujets, qu’ils soient de nature constitutionnelle ou d’opportunité, qui auraient largement justifié un échange.
Ils ont donc choisi la motion de procédure de renvoi en commission, en la justifiant par des affirmations qu’il me revient de nuancer, de même qu’il me revient de rétablir quelques vérités.
La première vérité à établir ou rétablir est le travail de la commission. M. Coronado a globalement rendu hommage à ce travail, tout comme je rends hommage à sa présence et à sa participation, toujours intéressante et jamais bridée, tout au long des débats.
Notre commission a eu, il est vrai, un temps limité pour travailler, mais elle a tenu douze réunions, qui ont représenté, pour le nombre important de ses membres qui ont pu y participer, vingt et une heures trente de travaux : dix-sept heures trente d’auditions, d’échanges, de tables rondes, et quatre heures de travaux sur le texte lui-même, ce qui, on en conviendra, ne constitue pas, pour un texte d’une vingtaine d’articles, un travail bâclé.
Je voudrais surtout dire, en réponse à ce qui a été évoqué par M. Coronado lui-même, que ce travail de la commission spéciale ne sort pas de nulle part. Nous avions, chacun l’a rappelé, beaucoup travaillé, avec Danielle Bousquet et tous ceux et celles qui faisaient partie de la mission d’information sur la prostitution, il y a maintenant près de trois ans.
Pendant six mois, nous avons consacré une énergie et un temps considérable à nous déplacer, à nous renseigner, à dialoguer, à auditionner, y compris des personnes qui ne partageaient pas notre approche du sujet, tant s’en faut.
J’ai veillé à ce que la commission spéciale, malgré le temps limité dont elle disposait, travaille dans le même esprit. Nous avons notamment tenu une table ronde avec des associations qui, c’est le moins que l’on puisse dire, ne se caractérisaient pas par un soutien acharné au texte. Nous les avons écoutées et interrogées, comme nous l’avons fait pour tous les autres interlocuteurs, et aucun d’entre eux n’a affirmé que leur expression ait été bridée ni que nos échanges aient été tronqués ou déformés d’une manière ou d’une autre.
La commission spéciale a donc fait, je le dis très simplement car j’en suis fier, un vrai travail législatif, sur un texte si important qu’il lui a fallu y consacrer dans un temps très réduit tout le temps et toute l’énergie nécessaires.
C’est pourquoi, au nom de tous les membres de la commission spéciale – même si M. Coronado ne m’autorisera évidemment pas à parler en son nom –, je souhaite vraiment que notre assemblée permette à ce texte d’être examiné jusqu’au dernier de ses articles. Je ne suis donc pas favorable à l’adoption de cette motion de renvoi en commission.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe socialiste, républicain et citoyen d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme Marie-George Buffet, pour une explication de vote au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
Je veux d’abord dire que cette demande de renvoi en commission m’étonne. En effet, la commission spéciale a fait un travail précis et rigoureux, auditionnant un nombre important de personnes, de toutes opinions et de tous statuts, et ce travail avait été précédé par un travail tout aussi remarquable de la mission animée par M. Geoffroy et Mme Bousquet.
Si l’on ajoute à cela tout le travail réalisé sur la question des violences faites aux femmes, nous avons, je le pense, tous les éléments pour prendre une décision hautement politique, qui représente une nouvelle avancée pour les droits des femmes, pour une vision tout simplement humaniste de notre société.
Si le renvoi en commission ne me paraît pas justifié, une des questions posée par les auteurs de la motion est celle de la pertinence même d’une loi. Or, si l’on examine toute l’histoire des progrès de la civilisation, on s’aperçoit que les luttes et les conquêtes des femmes doivent toujours être confortées par la loi pour surmonter l’obstacle des mentalités. C’est bien la loi qui permet d’entériner un certain nombre de droits.
Oui, nous avons besoin d’une loi, et rapidement. On peut, certes, discuter de son contenu, mais je soulignerai simplement qu’il ne se résume pas à la pénalisation des clients !
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.
Le coeur de la loi, c’est le parcours d’accompagnement pour sortir du système prostitutionnel. J’ajouterai cependant que la pénalisation des clients permet d’inverser le regard de la société sur la prostitution.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.
La parole est à M. Jean-Marc Germain, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Monsieur le député, je vous ai écouté avec attention car ce débat mérite tout sauf la caricature, mais je dois dire que j’ai du mal à vous comprendre.
Derrière les arguments techniques, vous nous parlez, au fond, de liberté. À gauche, parce que nous sommes fils et filles de la Révolution, nous sommes épris de liberté.
Néanmoins, nous avons aussi appris du mouvement ouvrier que, comme vient de l’exprimer Mme Buffet, la liberté sans la loi qui protège se fracasse sur le mur de l’argent. L’achat d’un acte sexuel, ce n’est pas la liberté pour chacun de disposer de son propre corps : c’est la liberté des hommes de disposer, avec leur argent, du corps des femmes qui n’en ont pas, et qui n’ont donc pas la liberté de refuser.
J’invite tous ceux qui ne sont pas convaincus à écouter ces témoignages de prostituées qui nous ont parlé. Elles racontent l’alcool et la drogue au petit-déjeuner pour supporter l’insupportable. Elles racontent la peur au ventre le matin et le mal au ventre le soir. Elles disent la souffrance des violences, des pénétrations à répétition et souvent des viols. Elles disent les mutilations du vagin et les maladies : MST, VIH, hépatites et autres infections.
Non, se prostituer, ce n’est pas « joindre l’utile à l’agréable », comme on l’entend trop souvent chez les « 343 salauds » et leurs avatars, qui disent tout haut : « Touche pas à ma pute », mais qui pensent tout bas « touche pas à mon calbute ».
Mouvements divers.
Se prostituer, c’est « vivre en étant morte, pour survivre », comme nous a dit l’une d’entre elles lors de nos auditions.
Et puis, ne vous en déplaise, monsieur le député, le commerce du sexe est devenu synonyme de traite humaine à l’échelle planétaire. Ne discutons pas des chiffres, mais cela a été dit : 80 % des prostituées sont d’origine étrangère. Ces Nigériennes, Chinoises, Roumaines et autres, sont enlevées, souvent mineures, déplacées, exploitées, violentées, violées, leurs familles sont menacées.
Cela, chers collègues, personne ne peut l’accepter, et nous ne l’acceptons pas. La priorité, c’est de lutter contre les réseaux de proxénétisme : c’est le premier volet de la loi ; c’est ensuite d’accompagner financièrement, matériellement et juridiquement, les femmes qui veulent sortir de la prostitution – et nous nous réjouissons, madame la ministre, des moyens que vous proposez pour y parvenir.
Oui, il faut aussi responsabiliser le client et lui faire prendre conscience des conséquences de ses actes, afin de tarir le système à la source. Il est tout de même plus cohérent de sanctionner les clients que les victimes, comme le fait aujourd’hui la loi qui a institué le délit de racolage passif !
Mes collègues du groupe SRC et moi-même ne pouvons que voter contre la motion de renvoi en commission, car nous sommes impatients et fiers de pouvoir mettre bientôt notre nom au bas de cette loi. Nous le sommes au nom de ces dizaines de milliers femmes que nous avons le devoir de protéger. Nous le sommes au nom de la liberté, pour laquelle nous avons la responsabilité, en tant que législateur, d’arrêter celles des uns où commence celle des autres. Nous sommes impatients et fiers, au nom de notre pays, patrie de droits de l’homme, dont c’est la mission historique que d’envoyer au monde des messages qui sont attendus et entendus.
Et le message d’aujourd’hui est clair : la France dit non à cette nouvelle traite humaine née du commerce du sexe !
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.
La parole est à M. Jean-Louis Borloo, pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.
Madame la ministre, je regrette, comme beaucoup d’entre nous, de ne pas avoir pu écouter votre discours ce matin, qui, paraît-il, était absolument remarquable. La simple raison en est qu’il était prévu pour cet après-midi. N’y voyez donc nulle marque de désinvolture, car il s’agit plutôt d’un regret.
Comme tous, je salue le travail du président Guy Geoffroy, qui travaille depuis de nombreuses années sur ce sujet. Il peut arriver qu’un renvoi en commission soit, non pas la forme imbécile de l’obstruction, mais la quête d’une conviction. Nous avons eu l’occasion de nous croiser tout à l’heure. Je vous ai alors dit très simplement que j’assisterais à ce débat parce que, au fond du fond, je ne sais pas quelle est la bonne décision.
Permettez-moi en revanche de vous dire, monsieur Germain, en dépit de toute la considération que je vous porte, que je n’ai pas aimé votre intervention. A vous entendre, il y aurait les malades du « calbute » et les autres. Le débat méritait mieux que cela, et le défenseur de la motion de renvoi davantage de considération.
Nous sommes, en réalité, tous contre la situation actuelle, mais nous nous interrogeons, objectivement, sur les moyens. Cette commission spéciale a essayé d’accomplir dans un temps restreint le meilleur travail possible, qui s’est résumé à quatorze réunions dont six consacrées aux interventions ministérielles. Le patron de la brigade de répression du proxénétisme n’a pas pu être entendu, seuls quarante-neuf de ses collaborateurs l’ont été. Quelle est la réalité ? Comment mieux démanteler les réseaux ?
C’est la première fois, en vingt-cinq ans, qu’une motion de renvoi en commission n’est pas un « truc » parlementaire, mais une démarche justifiée par la nécessité de rechercher au mieux, tous ensemble, les conditions d’y parvenir.
Vous pouvez ne pas être d’accord avec cette position, mais je vous demande au moins de la respecter, d’autant que vous ne savez pas la façon dont notre groupe votera in fine. Admettez, je vous prie, que, sur ce sujet qui devrait être totalement consensuel, je ne puisse laisser passer ainsi, au nom du « calbute », les remarques de Médecins du monde !
Il a été tout à l’heure question de la présence ou non des députés des différents groupes dans l’hémicycle. Nous nous exprimons tous, les uns et les autres, à la fois au sein de cette assemblée et à l’extérieur, dans les médias. Je le fais ici, pour ce qui me concerne, cet après-midi, bien qu’il soit inhabituel que l’Assemblée siège d’autres jours que les mardis, mercredis et jeudis.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Je note que les deux principaux groupes cosignataires de cette proposition de loi sont, pour l’un, représentés par trois députés sur 199 et, pour l’autre, par 10 % de son effectif. Chacun jugera de ce qu’il en est de mon groupe. Nous n’avons donc, je le pense, pas de leçon à recevoir sur ce point.
Ce débat est difficile et je souhaite, pour ma part, éviter deux écueils, comme a tenté de le faire Sergio Coronado en défendant la motion de renvoi en commission. Je qualifierai de « café du commerce » le débat lancé par les « 343 » et de débat de principe celui qui pourrait être plus intéressant et plus sérieux. Je dis « qui pourrait » car, en réalité, les uns et les autres s’envoient à la figure des principes, tout en sachant que ni eux-mêmes ni leurs contradicteurs ne les foulent aux pieds.
Je citerai, par exemple, un droit pour lequel, sur l’ensemble de ces bancs, beaucoup se sont battus : celui des femmes et des hommes à disposer de leur corps. Si c’est pour se voir envoyer à la figure que c’est le droit pour quelqu’un de disposer du corps d’autrui, ce débat de principe n’est alors pas intéressant. S’il s’agit de la question de la violence faite aux femmes, de celle la domination masculine, que dire alors de la prostitution masculine, y compris entre deux hommes ? On voit bien que tel n’est pas le sujet. Il en va encore différemment si le débat porte sur le point de savoir si l’acte sexuel peut ou non faire l’objet d’une transaction marchande et financière.
J’ai entendu certains dire que s’opposer à cette proposition de loi revenait presque à tolérer que continuent d’exister, dans notre pays comme dans beaucoup d’autres, des viols. Si nous voulons faire progresser le débat, nous ne devons pas avoir de tels échanges. Sergio Coronado a expliqué, au-delà des positions de principe, par ailleurs respectables, des uns et des autres, que le dispositif législatif n’était pas abouti et qu’il aurait mérité d’être plus approfondi. J’y reviendrai dans la discussion générale lorsque j’aborderai le problème de la lutte contre la traite des êtres humains.
Au sein même du Gouvernement, et le travail en commission l’a prouvé, le sujet est loin de faire l’unanimité. Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, et la ministre de la santé, Marisol Touraine, ont émis plus que des réserves sur la présente proposition de loi.
Les membres du groupe écologiste présents à ce stade du débat voteront pour la motion de procédure, mais vous constaterez au cours de la discussion, qu’il y aura diversité de votes au sein de notre groupe sur les différents points.
La parole est à M. Alain Tourret, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
C’est un grand sujet de société qui nous réunit aujourd’hui, et qui réclame donc une grande attention de notre part. J’ai écouté avec beaucoup d’attention le discours de Mme la ministre, qui a été d’une grande qualité, et je tiens à l’en féliciter. Cependant, j’ai le sentiment que cette discussion est inaboutie, en particulier sur le plan juridique. Que nous propose-t-on finalement, si ce n’est de sortir du système de l’abolition pour s’orienter vers celui de la prohibition par la sanction pénale du client ?
M. Germain, que j’ai écouté avec attention, considère ainsi que la prostituée, du fait qu’elle a subi des violences, des coups, éventuellement des viols collectifs, se trouve dans un état de vulnérabilité tel qu’elle est incapable d’exprimer valablement un consentement, soumise qu’elle est à la violence masculine et au pouvoir de l’argent. À partir de ce moment, qu’on le veuille ou non – c’est en tout cas votre postulat de principe –, son consentement n’est plus éclairé.
Or, que signifie avoir un rapport sexuel avec quelqu’un dont le consentement n’est plus éclairé ? C’est la définition même du viol ! J’appelle votre attention sur ce point ! Il est légitime de poser un interdit sans l’assortir d’aucune sanction pénale, mais c’est ridiculiser la démarche de l’assortir d’une simple contravention ! Comment admettre que des « maquereaux » ou d’autres personnes qui violentent une personne vulnérable risquent en tout et pour tout une amende pour contravention ?
Ce serait de la folie, mes chers amis ! Ce serait banaliser le viol ! Rendez-vous compte : vous êtes en train d’affirmer qu’un viol est une simple contravention !
Vous devez revoir le texte sur ce point. De deux choses l’une, en effet : soit vous sanctionnez le recours à la prostitution en considérant qu’il s’agit d’un viol, donc d’un crime, soit vous en restez au principe de l’interdit. C’est une discussion que vous n’avez visiblement pas eue, et je voterai la motion de renvoi en commission afin que nous puissions nous en expliquer !
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à Mme Marie-Louise Fort, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
Le groupe UMP, que je représente, devrait s’abstenir à l’issue de ce débat, comme j’aurai l’occasion de le préciser dans la discussion générale, et chacun aura la possibilité de voter pour ou contre la proposition de loi. En commission, j’ai émis, au nom de mon groupe, un certain nombre de réserves, tant de méthode que de fond.
Mon groupe aurait pu voter cette motion. Il ne le fera pas, même s’il considère qu’il convient certainement d’approfondir davantage les sujets, et ce dans la dignité. J’espère que les débats de cet après-midi ne donneront pas lieu à des manifestations d’humour déplacé.
Le groupe UMP ne prendra pas part au vote sur la motion de renvoi.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 65 Nombre de suffrages exprimés: 65 Majorité absolue: 33 Pour l’adoption: 10 contre: 55 (La motion de renvoi en commission n’est pas adoptée.)
J’espère ne pas devoir réagir de nouveau à des remarques du type de celle que je viens d’entendre. Les oppositions, dans un débat de ce genre, ne justifient pas le recours à l’injure - car c’est ainsi que j’ai ressenti votre intervention, cher collègue Germain. Quand on décide de participer à un tel débat, on ne doit pas considérer qu’il y a, d’un côté, ceux qui sont pour l’égalité des sexes, pour la lutte contre les réseaux et contre la prostitution et, de l’autre, ceux qui ne seraient préoccupés que par leur « calbute ». Ce n’est pas correct de votre part !
Je crois avoir participé assez sérieusement aux travaux de la commission spéciale.
Comme l’a confirmé son président, j’ai amendé la proposition de loi et certains de mes amendements ont été pris en compte. Je m’oppose, pour ma part, à la pénalisation des clients, et les arguments en ce sens qui émanent d’associations sont suffisamment nombreux pour étayer ma position. Pour autant, je ne me désintéresse pas de l’économie générale du texte. Caricaturer ainsi mon intervention ne vous honore pas, n’honore pas le Parlement et ne prélude en aucun cas à un débat apaisé sur ces questions délicates.
Je tenais à vous le dire. Je suis respectueux lors des débats contradictoires et il m’arrive rarement de caricaturer les positions opposées. Je n’apprécie donc pas de faire l’objet de caricatures que je trouve injurieuses.
Nous devons aborder ce débat de société avec toute la hauteur qu’il convient. Nous avons choisi, pour notre part, comme l’a fait la ministre ce matin, de mettre des mots sur les situations, de nous exprimer le plus clairement possible et de ne pas masquer les violences en recourant à des formules convenues. Nous devons dénoncer les comportements, les violences, avec des mots qui, sans blesser personne ici, décrivent les situations réelles.
C’est ce qu’a fait, après la ministre ce matin, Jean-Marc Germain. C’est ce que nous allons essayer de faire dans chacune de nos interventions, afin de bien poser le problème. Nous pouvons comprendre que les analyses diffèrent. Nous ne portons, dans les propos que nous tenons au nom de notre groupe, aucun jugement sur ceux qui ont une conception différente de la nôtre. Nous avons choisi, pour ce débat, de mettre des mots forts sur les choses au lieu de nous en tenir à des postures convenues ou nous ramenant à d’autres débats.
Nous avons rarement des débats de ce type dans l’hémicycle. Il ne faut voir, dans les mots employés par Jean-Marc Germain, aucune défiance, aucune critique, aucune mise en cause d’aucune posture, mais simplement l’affirmation d’une position, qui n’est certes pas unanime, mais très majoritaire dans notre groupe.
J’ai également entendu M. Borloo. Je veux redire, ici, que je suis fier de la façon dont la ministre, les rapporteurs, Jean-Marc Germain et le président de la commission spéciale lui-même ont su employer les mots justes pour défendre cette proposition de loi
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC
qui n’est pas désincarnée, et qui a trait à la réalité quotidienne d’êtres humains.
Nous voulons nous exprimer avec force sur ces sujets.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous dire ma satisfaction de débattre dans cet hémicycle d’une proposition de loi transpartisane, issue d’un travail mené depuis plusieurs années, auquel je suis heureuse d’avoir pu contribuer, tant sa concrétisation porte en elle un objectif d’émancipation humaine. Cette loi représentera une nouvelle étape dans le combat des femmes pour leur libération. Souvenons-nous de ce long chemin marqué par les luttes des femmes et par des lois actant leurs droits, du droit de vote à la maîtrise de leur corps en passant par le droit au travail, de la parité à la prise de responsabilité en passant par la loi contre les violences faites aux femmes.
La prostitution, en effet, n’est pas le plus vieux métier du monde, comme certains se plaisent à le dire. Non, ce n’est qu’une des plus violentes expressions du système patriarcal.
C’est une violence qui touche d’abord les femmes, qui représentent plus de 85 % des personnes prostituées. Cette réalité doit être dite car elle entre pour beaucoup dans la mise en place ancestrale du système prostitueur, fondé sur un rapport inégalitaire entre les femmes et les hommes. La domination masculine a justifié au long des siècles les violences à l’encontre des femmes, telles que le viol, les violences conjugales ou la prostitution.
Violence, car comment appeler autrement le choix d’un individu à disposer d’un corps et de l’intimité d’un être humain à travers un rapport imposé par l’argent ? Dans la prostitution, en effet, il y a non pas un contrat entre deux personnes libres, mais bien quelqu’un qui décide et quelqu’un qui subit ? Comment peut-on aujourd’hui défendre la prostitution au nom du « libre choix » de la personne prostituée de vivre de la vente de son corps, dans un acte sexuel non désiré ? Il n’est plus à démontrer, malheureusement, que la réalité est bien plus sordide que la littérature ou la peinture n’ont bien voulu nous le conter.
« On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours. Mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution », écrivait Victor Hugo. Cette traite des êtres humains est aujourd’hui un trafic mondial, lucratif pour les réseaux qui l’organisent, et aussi important que celui des armes. L’Organisation internationale du travail estimait, dans un rapport de 2008, que ce commerce des corps représentait un profit annuel de plus de 30 milliards d’euros, qu’une personne prostituée pouvait rapporter entre 100 000 à 150 000 euros par an, et que la prostitution en France générait un « chiffre d’affaires » annuel de 3 milliards. On assiste, qui plus, est au développement de la prostitution par internet, et j’écouterai avec intérêt votre explication sur l’amendement du Gouvernement à l’article 1er, madame la ministre.
Nous parlons donc ici, non pas de besoins humains, mais de trafic d’êtres humains et de marchandisation du corps, d’un trafic où, à la violence que constitue l’acte sexuel non désiré, s’ajoutent, pour nombre de personnes prostituées, des violences physiques ou psychologiques exercées par des chefs de réseaux et par des proxénètes s’arrogeant un droit de propriété et de corvéabilité sur ces personnes.
Il n’est pas inutile de rappeler ici quelques chiffres. On estime, en France métropolitaine, que 90 % des personnes prostituées sont d’origine étrangère. Le rapport nous indique qu’en France, les principaux réseaux fonctionnent à partir de la Bulgarie, de la Roumanie, du Nigeria, du Cameroun ou encore de la Chine, et la façon dont ces personnes sont contraintes de se prostituer, loin de relever de leur libre arbitre, participe surtout d’une maltraitance à grande échelle.
Des conventions bilatérales conclues avec certains pays européens d’où les réseaux sont issus ont permis d’avoir de premiers résultats, mais ce qui est vrai pour la métropole l’est aussi pour d’autres territoires de la République. Ainsi, Huguette Bello, députée de la Réunion, me signalait que des travaux récents dénonçaient le développement de véritables réseaux à partir de Madagascar en direction de la Réunion.
Face à cette situation dramatique, nous allons avec cette loi renforcer la position abolitionniste adoptée par la France en 1960. En répondant positivement aux cinquante-cinq associations regroupées dans le collectif « Abolition 2012 », nous décidons de faire franchir un pas humaniste à notre société.
Cette loi se propose d’agir contre un système d’exploitation pour en libérer celles et ceux qui le subissent. Nous voulons inverser la charge qui pesait sur les victimes, pour les aider à se libérer d’un système oppresseur, en intervenant en leur faveur et contre ceux qui les oppriment. Nous voulons dans le même temps mettre en oeuvre toute une série de dispositions leur permettant d’avancer dans leur parcours personnel.
Nous voulons, enfin, faire oeuvre de pédagogie à l’échelle de la société pour empêcher la pérennisation de ce système. C’est ainsi que cette loi propose d’aider les personnes prostituées à sortir du système prostitutionnel, avec des dispositions qui leur assurent un début de sécurité matérielle et sociale : réforme des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, octroi d’un soutien financier transitoire, soutien au logement. Nous voulons, avec elles, ouvrir la porte d’une société d’où elles ont été exclues.
La proposition de loi rompt avec la logique du délit de racolage, qui faisait porter la responsabilité de la violence prostitutionnelle sur ses victimes. Elle renforce la lutte contre la traite des êtres humains et les réseaux de proxénètes, et nous choisissons aussi de faire porter la responsabilité de la prostitution aux « clients », qui, à 99 %, sont des hommes. Sans clients, il n’y a pas de prostitution ; sans demande, pas de besoin d’organiser le commerce humain.
Pour abolir ce système inhumain, il faut donc responsabiliser ceux qui font le choix de l’utiliser. Comme l’indique l’association « Zéro macho », un tel système porte atteinte aussi à la dignité des hommes car, loin de participer à leur liberté sexuelle, il les enchaîne à une conception de la sexualité empreinte de frustration et de domination.
Cette pénalisation s’adresse d’abord à la société, pour dire à la collectivité humaine que nous formons que l’achat d’un acte sexuel n’est pas conforme à notre devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité. Il n’y a aucune liberté, en effet, pour la personne prostituée, obligée de subir dans son intimité un acte imposé par l’acheteur ; il n’y a pas non plus d’égalité dans des rapports où l’un domine et décide et où l’autre est obligé d’accepter et de subir.
Il s’agit donc non pas d’une question morale, mais bien d’une position politique au sens littéral, en ce qu’il s’agit de choix faits pour toute la société. Décider de pénaliser le client, c’est dire à la société tout entière que le client prostitueur est non pas un modèle mais, au contraire, un contrevenant à loi, un délinquant commettant un acte délictueux. C’est en soi un acte de pédagogie pour dévaloriser celui qui, jusqu’à présent, était loué par la prétendue tradition grivoise ou libertaire de notre pays.
Faire de la pédagogie est indispensable pour délégitimer cette violence, en commençant par l’éducation des plus jeunes. J’ai pu constater, en rendant visite à des jeunes lycéens et lycéennes dans les classes où je suis invitée, à quel point un tel travail est indispensable. Il n’est pas rare, en effet, d’entendre dans la bouche de jeunes garçons et de jeunes filles des propos qui banalisent, voire, parfois, justifient la prostitution en l’assimilant à un moyen de revenu comme un autre. Éduquer à l’égalité et à la sexualité est donc, non pas une action superflue, mais une nécessité pour construire un avenir d’émancipation pour nos générations futures. Cela passe par une prévention qui mette en garde contre le système prostitueur, ses causes et ses conséquences. La loi introduit ainsi la lutte contre la marchandisation des corps parmi les sujets devant faire l’objet d’une information durant la scolarité.
C’est donc au nom de la liberté de la personne humaine, au nom du droit à l’égalité des femmes et des hommes que je souhaite, avec les députés du Front de gauche, que notre assemblée adopte ce texte, pour faire avancer l’humanité.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui d’un sujet très grave : la situation de plusieurs dizaines de milliers de personnes prostituées en France.
Pour certains, des interrogations subsistent : une nouvelle loi sur la prostitution est-elle vraiment nécessaire, est-ce le bon moment, en quoi les choses ont-elles changé, qui obligeraient à intervenir maintenant, pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? La réponse est simple, parce que la situation actuelle des personnes prostituées en France est désastreuse, sur le plan humain, sur le plan social et sur le plan sanitaire.
Mon propos n’est pas idéologique, il est pragmatique. C’est en tant que médecin que j’ai choisi de vous lire cette description de l’un de mes confrères gynécologues, parue dans le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales sur l’état de santé des personnes prostituées :
« Ces femmes ont été exposées aux violences de la part des clients, incluant des menaces avec couteaux ou pistolets, des positions acrobatiques imposées avec les membres liés au lit. Elles ont aussi fait l’objet de brûlures de cigarettes assez récurrentes sur les seins et la face interne des cuisses. Elles peuvent aussi subir les violences des proxénètes, qui commencent souvent chez les jeunes vierges par une défloration rapide mais violente, laissant souvent des lésions importantes des organes génitaux, qui seront source de douleurs par la suite. À l’examen clinique, les lésions constatées chez ces femmes sont des cicatrices, surtout au niveau des membres, consécutives au fait d’avoir été attachées, traînées, griffées, ainsi que des arrachages de cheveux et des brûlures de cigarettes. Au niveau vulvo-vaginal, l’examen retrouve des vulves très déformées et parfois des vagins cicatriciels durs et très douloureux. »
Face à cette réalité atroce, certains s’interrogent : la violence est-elle inhérente à l’activité prostitutionnelle ou n’est-elle associée qu’à la traite des êtres humains et aux réseaux criminels ? Autrement dit, existe-t-il une forme de prostitution sans risque et sans violence ?
L’association Médecins du Monde a étudié la situation des femmes chinoises prostituées à Paris. La quasi-totalité d’entre elles déclarent avoir choisi d’exercer cette activité et ne pas reverser d’argent à une tierce personne. Il s’agirait donc pour ces femmes d’une prostitution « choisie ». Pourtant, 55 % d’entre elles déclarent avoir subi des violences physiques, et 38 % d’entre elles ont été violées au moins une fois au cours de leur activité.
Certains s’interrogent encore : la fréquence des violences ne serait-elle pas uniquement liée à la précarité de ces femmes, étrangères et souvent sans papiers, n’est-ce pas tout à fait différent pour la prostitution dite traditionnelle, celle des femmes françaises qui affirment exercer librement cette activité ? La réponse est non. Dans une étude récente menée par l’Institut de veille sanitaire, 55 % des femmes prostituées françaises interrogées déclarent avoir subi des violences physiques au cours des douze derniers mois, et 48 % d’entre elles ont déjà été violées au cours de leur activité. La constance des chiffres est impressionnante.
Mais certains s’interrogent encore. Parmi les personnes prostituées, il n’y a pas que des femmes. Qu’en est-il des hommes et des personnes transgenres qui se prostituent ? Leur situation est-elle plus enviable ? La réponse est encore non. D’après la même étude, 32 % des hommes et 39 % des transgenres prostitués interrogés ont déjà été violés au moins une fois.
Il y a donc une réalité que l’on ne peut occulter, les personnes prostituées en France sont en danger permanent.
Dans l’immense majorité des cas, les violences sont imposées par le client, et les personnes prostituées ne portent pas plainte, car elles se sentent pourchassées et méprisées par la société.
C’est cette injustice qu’il convient de faire cesser aujourd’hui, en abrogeant le délit de racolage pour décriminaliser les personnes prostituées. C’est ce que nous faisons avec cette proposition de loi.
Que faut-il faire de plus pour faire diminuer les violences que subissent les personnes prostituées ? Faut-il organiser l’activité prostitutionnelle afin de faire reculer la clandestinité, qui serait, selon certains, la cause de tous les maux ? Certains pays l’ont fait, comme les Pays-Bas ou l’Allemagne. Aux Pays-Bas, où la prostitution est bien visible, dans des vitrines, sous des néons, une étude des services de police a montré qu’entre 50 % et 90 % des personnes prostituées exerçant dans l’« industrie » légale y étaient contraintes par un réseau criminel de proxénétisme. On retrouve à peu près les mêmes chiffres en Allemagne.
Soyons donc réalistes et pragmatiques : le moment le plus dangereux pour la personne prostituée, c’est le huis clos avec le client. La meilleure façon de réduire les risques de violences, c’est d’inverser le rapport de force qui existe entre le client et la personne prostituée. C’est ce que nous faisons avec cette proposition de loi, en mettant le client en infraction, tout en dépénalisant la personne prostituée. La meilleure façon de réduire les risques de violences, c’est aussi de réduire l’activité prostitutionnelle, qui est dangereuse en soi. C’est ce que nous faisons avec cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici donc réunis aujourd’hui pour examiner une proposition de loi du groupe SRC renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
Sur le fond, bien entendu, le groupe UMP partage pleinement cet objectif. Ce texte s’inscrit d’ailleurs dans la parfaite continuité des actions menées sous la précédente législature. En effet, notre groupe avait été à l’origine du dépôt et de l’adoption à l’unanimité d’une résolution, cosignée par tous les groupes, réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution. Cette résolution avait été suivie du dépôt d’une proposition de loi. À ce propos, je tenais à faire remarquer qu’à la différence du groupe SRC nous avions fait le choix de traiter ce sujet de manière transpartisane, et que tous les groupes politiques avaient signé cette proposition de résolution.
Sous prétexte que la droite a choisi de mettre en place un délit de racolage dans une loi de sécurité intérieure, la gauche se sent autorisée aujourd’hui à nous donner des leçons de morale, et c’est bien dommage. Sur ce sujet, ayez au moins l’honnêteté de reconnaître, mes chers collègues, que, si l’objectif de lutter contre les réseaux et le système prostitutionnel ne fait pas débat, tel n’est pas le cas de la lutte contre la prostitution.
Des doutes existent au sein de mon groupe sur les moyens de défendre notre position dite, à terme, abolitionniste, comme il y en a en vérité dans tous les groupes et plus largement dans toute la société.
Toutes les positions méritent d’être entendues, à défaut d’être suivies. Certains estiment que la prostitution existe depuis que le monde est monde, et que rien ne parviendra à l’éradiquer puisqu’elle s’apparente à un élément naturel de la société. D’autres, au contraire, considèrent que toute relation avec une prostituée s’apparente à un viol. D’autres encore défendent la liberté absolue de disposer de soi-même ou pensent qu’abolir la prostitution est liberticide et prohibitionniste. Les récents débats médiatiques sur cette question l’ont d’ailleurs fort bien illustré : on pense notamment au Manifeste des 343 salauds, au collectif du chanteur Antoine contre la pénalisation des clients, ou encore à la prise de position d’une personnalité comme Élisabeth Badinter, qui estime que ce texte est « une déclaration de haine à la sexualité masculine ».
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
La question mérite mieux que de plaire à un seul cénacle féministe. Rien ne serait plus dangereux que de nier ces positions, de vilipender ces opinions, car il faut garder l’ambition de convaincre que la position abolitionniste de la France en matière de prostitution doit rester l’ambition de tous.
Je le concède, à la question du pourquoi de la prostitution, il n’existe pas de réponse scientifique, absolue et incontestable. Les thèses des sociologues, des psychiatres, les témoignages des prostituées, des clients disent tout et leur contraire. Soit. Mais s’il est une idée que nous partageons tous, c’est que le devoir du législateur est d’agir en fonction de l’intérêt général ; c’est sur cette notion que reposent la légitimité et la finalité de l’action publique.
Or nous disposons bien de données fiables sur la réalité de la prostitution française aujourd’hui. Il faut sans doute le dire et le redire : la prostitution française d’aujourd’hui est bien loin de la courtisane du dix-neuvième siècle, des images véhiculées par le cinéma français, de Simone Signoret dans Casque d’or à Nathalie Baye dans La Balance en passant par Catherine Deneuve dans Belle de jour, bien loin aussi du séduisant conte raconté dans Pretty Woman.
Car les chiffres sont là. Le nombre de personnes prostituées en France est estimé à 20 000, dont 85 % sont des femmes, pour des clients qui sont, quant à eux, des hommes à plus de 90 %. Autre fait notable : l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution. Alors qu’en 1990, 20 % des femmes qui se prostituaient en France étaient de nationalité étrangère, elles sont aujourd’hui près de 90 % à venir de Roumanie, de Chine, de Bulgarie ou du Nigeria. Enfin, les prostituées subissent des violences physiques et psychiques particulièrement graves. Des enquêtes menées aux États-Unis, au Canada et en Allemagne montrent que, dans ces trois pays, plus de 50 % des personnes prostituées interrogées ont été violées, souvent plus de cinq fois au cours de leur activité. Elles auraient également entre soixante et cent vingt fois plus de risques de mourir assassinées. Voilà le constat édifiant de la prostitution en 2013, celui d’un marché des corps et des âmes désespérées.
Alors, oui, nous assumons de dire que c’est avant tout pour cette femme mineure, étrangère, sans papiers, battue, humiliée, qu’il convient d’agir. Voilà pourquoi, quand cette proposition de loi entend s’attaquer à l’ensemble de ce phénomène complexe qu’est le système prostitutionnel, l’UMP partage pleinement l’objectif et entend rappeler que, dans un monde idéal, il n’y aurait pas de prostitution. Mais il appartient aussi au législateur d’envisager la qualité et l’applicabilité de la loi au-delà de ses intentions, aussi louables soient-elles. À ce titre, mon groupe assume aussi de dire qu’il a des réserves quant au dispositif prévu par la proposition.
Cela concerne surtout, vous le savez, l’abrogation du délit de racolage passif, prévue à l’article 13. Le ministre de l’intérieur lui-même a fait part de ses réticences devant la disparition de cette mesure. Permettez-moi de citer ses propos lors de son audition par notre commission spéciale : « Les nombreux services enquêteurs que vous avez rencontrés durant vos travaux vous ont tous indiqué que le délit de racolage public leur était utile à deux titres. Tout d’abord, les mesures répressives qu’il autorise aident à la connaissance des réseaux, permettant paradoxalement de mieux protéger celles qui sont à la fois mises en cause et victimes. La prise d’empreintes lors de la garde à vue, les auditions, les infiltrations numériques sur la base de ce délit permettent d’accumuler toute une série de renseignements qui, sans déboucher forcément sur des enquêtes et des résultats immédiats et tangibles, se révèlent indispensables à la compréhension du fonctionnement des réseaux. Ensuite, le délit de racolage constitue un outil indispensable de gestion d’ordre public. Il permet de répondre à la demande de riverains excédés tant par le racolage lui-même que par les nuisances qui l’accompagnent. »
Le ministre de l’intérieur a ensuite indiqué que, si le délit de racolage disparaissait, ce qu’il ne contestait pas, alors il faudrait, je cite, « obtenir ces renseignements par d’autres moyens ». Ainsi, ce n’est pas tant la suppression du délit de racolage que nous contestons – les engagements que nous avons nous-mêmes pris au niveau européen le démontrent – mais l’absence, dans le texte, d’une mesure qui permettrait d’autres moyens d’investigation contre les proxénètes et les réseaux de traite.
D’ailleurs, alors qu’internet est devenu un moyen de communication à part entière, comment ne pas prendre en compte la cyber-prostitution ou la cyber-transaction de prostitution ? Le ministère de l’intérieur a d’ailleurs mis en place un groupe de travail sur ce sujet, qui doit rendre ses conclusions en décembre. Pourquoi n’avez-vous pas attendu ces conclusions avant de présenter cette proposition de loi ?
Quant à l’article 6, qui permettra l’octroi d’une carte de séjour temporaire et d’un permis de travail pour les personnes étrangères victimes de traite ou de proxénétisme, sans condition de témoignage, il pourrait constituer une véritable aubaine pour les proxénètes,…
…à plus forte raison s’il est combiné à l’article 7, qui octroie une allocation temporaire d’attente. Si je ne doute absolument pas des intentions qui sont les vôtres, je doute encore moins du fait que les réseaux n’auront aucun mal à convaincre des femmes en difficulté de se prostituer en leur faisant miroiter un titre de séjour français, assorti d’une allocation. L’enfer est pavé de bonnes intentions.
Autre sujet : la pénalisation du client, prévue à l’article 16. Le groupe UMP s’accorde sur le fait que, si l’on entend s’attaquer au système prostitutionnel dans son ensemble, il est essentiel de responsabiliser tous les acteurs, donc aussi celui qui recourt aux services de la prostituée. Responsabiliser le client, oui ; reste à savoir si la pénalisation est le bon moyen. Elle risque d’avoir des effets pervers, ne serait-ce qu’en matière de santé et de sécurité pour les prostituées. Ces dernières vont probablement continuer leur activité, mais de manière clandestine, ce qui engendrera des risques accrus en termes de violence et de contamination. De plus, la pénalisation a vocation à être dissuasive mais, si elle n’est jamais effective, les clients continueront à solliciter des prostituées.
Sur ce point, j’estime que nous avons eu bien peu de réponses. Le ministre de l’intérieur n’a pas manqué de faire part du désarroi des services de police lors de son audition par la commission spéciale : comment sera concrètement mise en oeuvre cette mesure ? Sur quels critères ? Avec quels moyens d’investigation ? Autant de questions restées sans réponse.
Ces réserves sont fondées, ces réserves sont sincères. S’y ajoute une forme d’incompréhension de notre part : pourquoi, chers collègues de la majorité, voulez-vous nous contraindre à légiférer dans la précipitation, sans que nous ayons toutes les informations nécessaires à l’élaboration d’une loi de qualité, réaliste et applicable ? Avez-vous eu simplement peur de vous voir voler la vedette par l’adoption, le 28 mars dernier, de la proposition de loi sénatoriale interdisant le délit de racolage, déposée par le groupe écologiste ?
Par ailleurs, nous ne sommes pas dupes : un texte sur la prostitution occupe opportunément l’espace médiatique à un moment où l’exaspération des Français à votre encontre prend une ampleur quasi historique.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Il fallait faire un texte transpartisan. Quoi qu’il en soit, vous nous obligez à légiférer vite sur un sujet qui ne souffre pas la précipitation. Vous nous soumettez une proposition de loi et, si nous n’avons rien contre la coproduction législative, la conséquence en est qu’aucune d’étude d’impact ne l’accompagne, en particulier aucune étude d’impact budgétaire, en dehors, madame la ministre, de votre annonce de ce matin.
Il me reste seulement une demi-page, monsieur le président.
Toutes ces questions méritent des réponses, auxquelles vous répondez en nous opposant une forme d’angélisme. Notre responsabilité d’élus de la nation nous impose pourtant de considérer avec réalisme la situation de la prostitution dans notre pays et l’ampleur de nos capacités d’action. Il ne suffit pas d’être généreux pour avoir raison.
Les députés de mon groupe souhaitent que cet examen en séance publique soit pour la majorité l’occasion d’apporter enfin de véritables réponses aux questions et réserves suscitées par cette proposition de loi. Dans le cas contraire, nous risquons de nous abstenir.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, au moment où nous engageons ce débat, une question s’impose comme un préalable : pourquoi faut-il légiférer en matière de prostitution ? À mon sens, légiférer pour lutter contre le système prostitutionnel est indispensable pour des raisons qui ont trait tant à l’essence même de la prostitution qu’aux effets désastreux qu’elle peut avoir, sur ses victimes mais aussi sur ses clients.
En premier lieu, le proxénétisme est sans conteste l’une des formes d’esclavage qui subsistent dans notre société. C’est d’autant plus vrai que la prostitution « traditionnelle » de rue a peu à peu laissé place à de nouvelles formes de prostitution, essentiellement organisées par des réseaux, dont la grande majorité – on dit que c’est presque 90 % – concerne des personnes étrangères, parfois en situation irrégulière. Dans ces réseaux, où la violence est omniprésente, les prostituées sont bel et bien des victimes à la merci de leurs proxénètes.
En second lieu, nous devons légiférer pour une raison simple : les prostituées ne sont pas libres. On entend souvent l’argument selon lequel certaines prostituées auraient choisi et aimeraient leur « métier ». Pourtant, mes chers collègues, que diriez-vous si vous appreniez que votre propre fille ou votre propre fils se prostitue ? Diriez-vous qu’il s’agit là d’un choix libre ?
Quoi qu’on en dise et quelles que soient les circonstances, la prostitution n’est jamais exercée de gaieté de coeur. On y entre le plus souvent suite à un événement traumatique, quand elle ne résulte pas d’une contrainte directe. Près des deux tiers des prostituées ont été victimes, dans leur enfance ou leur jeunesse, de violences à caractère sexuel. En réalité, le vécu de la prostitution est moins la mise en oeuvre militante du principe de libre disposition de son corps que la réalité beaucoup plus crue de la location de ses organes sexuels par contrainte ou nécessité.
Dans la même logique, la prostitution est totalement contraire au principe d’indisponibilité du corps humain.
Le corps humain y est réduit à l’état de chose que l’on achète et que l’on utilise en fonction de son bon plaisir.
Enfin, la prostitution doit être combattue en ce qu’elle pose un problème de santé publique. Éloignées des dispositifs sociaux de droit commun, les personnes prostituées sont particulièrement exposées aux risques sanitaires, aux troubles physiques et psychiques, à la violence d’un système au sein duquel elles survivent plus qu’elles ne vivent. On ne saurait admettre que cette violence omniprésente et parfois extrême ne soit pas reconnue par notre société comme le sont l’ensemble des violences qui sont faites aux femmes, voire aux hommes.
À la lumière de ces réalités, bien loin des présupposés qui entourent le mythe de la prostitution, rien ne semble faire obstacle à l’objectif d’une société libérée de cette violence que constitue la prostitution.
Bien entendu, chacun d’entre nous est conscient qu’une abolition pure et simple de la prostitution n’a aucune chance de se réaliser un jour. Nous ne serons jamais en mesure d’éradiquer complètement la prostitution de notre société, mais nous devons tout mettre en oeuvre pour la réduire et rendre notre territoire inhospitalier aux réseaux de proxénétisme et à la traite des êtres humains.
Une fois ces constats posés, comment pouvons-nous lutter efficacement contre la prostitution ? La première difficulté réside dans l’émergence d’une prostitution « plurielle » aux contours mal définis, plus dissimulée et donc particulièrement difficile à appréhender. Devant ce phénomène, nous devons adopter de nouvelles stratégies, essentiellement ciblées sur la lutte contre le proxénétisme.
Nous devons notamment sérieusement prendre en compte le développement de ces réseaux par le biais de sites internet, pour la plupart basés dans d’autres pays de l’Union européenne, où la définition du proxénétisme est d’ailleurs plus restrictive qu’en France. Indéniablement, cette prostitution invisible, en combinant discrétion, anonymat et faible coût, contribue au développement de la prostitution organisée par ces réseaux.
En outre, la lutte contre le système prostitutionnel implique que l’on responsabilise celui dont on parle peu, mais sans lequel la prostitution n’existerait pas : le client. Pénaliser le recours à la prostitution, c’est dissuader le client de pérenniser les situations de violence que son comportement crée et entretient. À mon sens, cette dissuasion ne sera que plus effective si nous préférons à la création d’une contravention de cinquième catégorie celle d’un délit de recours à la prostitution, plus respectueux de l’échelle des peines dans notre pays. L’accord en commission sur la qualification de contravention pour la première infraction et de délit en cas de récidive paraît équilibré, en l’état actuel de notre société.
Tout le monde sait que j’étais de ceux qui pensaient qu’il fallait aller plus loin.
Mais laissons les choses évoluer : le temps viendra où l’on pourra peut-être aller plus loin.
Mes chers collègues, le combat contre la prostitution ne saurait se limiter au seul volet pénal. Alors que les réalités de la prostitution sont méconnues chez les jeunes, les mesures de sensibilisation et d’éducation sont les meilleures armes pour prévenir non seulement le recours à la prostitution, mais aussi les pratiques prostitutionnelles, occasionnelles ou régulières.
En outre, si nous voulons combattre les racines du mal, nous devons prendre en compte le fait que de nombreuses personnes prostituées ont été victimes de violences sexuelles durant leur enfance ou leur adolescence.
Cela nécessite de développer des outils d’intervention précoce pour prévenir le développement d’une vulnérabilité pouvant entraîner ultérieurement des conduites à risque.
Ne l’oublions pas : si 85 % des personnes prostituées sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes. Ces chiffres révèlent que la prostitution est avant tout un phénomène sexué. La prostitution entretient un clivage et une hiérarchie entre les hommes et les femmes. Les problématiques qui entourent la prostitution sont donc étroitement liées à la question de l’égalité entre les hommes et les femmes.
Plus largement, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la lignée de la position abolitionniste proclamée haut et fort par la France dès l’immédiat après-guerre, puis lors de la ratification en 1960 de la convention internationale des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui. En faisant officiellement ce choix, la France a refusé d’accepter la prostitution comme une fatalité, comme un phénomène inhérent à toute vie sociale ; elle a refusé de l’assimiler à un métier et de le réglementer en tant que tel.
Enfin, il est nécessaire d’accroître considérablement les moyens destinés à aider la réinsertion professionnelle des prostituées, afin de les aider à sortir de leur situation. Il conviendrait que le Gouvernement, dès le projet de loi de finances pour 2014, en tire les conséquences en déposant un amendement visant à augmenter de façon importante les moyens destinés à la réinsertion des prostituées.
Il nous appartient aujourd’hui de poursuivre sur cette voie, en luttant contre un système contraire au principe de l’indisponibilité du corps humain, à la liberté et à l’égalité entre les hommes et les femmes, et pour faire cesser la violence consubstantielle à l’univers prostitutionnel.
Pour l’ensemble de ces raisons, je soutiendrai cette proposition de loi qui repose sur une approche humaniste et équilibrée. Je m’exprime ici à titre personnel, car le groupe UDI auquel j’appartiens préconise sur ce sujet, comme sur tous les sujets de conscience, une liberté de vote.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et SRC.
La prostitution ou, plus exactement, le système prostitutionnel recèle depuis toujours les fantasmes les plus divers. Éphèse, cette ville magnifique où s’élevait une des sept merveilles du monde, avait une splendide bibliothèque, la bibliothèque de Celsus. Et savez-vous sur quoi elle donnait ? Sur une maison close…
Chacun est allé à Pompéi. Le long de la voie de l’abondance – quel beau nom ! – se succédaient auberges, cabaretslupanares, autrement dit des maisons de prostitution, que l’éruption du Vésuve nous a laissées intactes.
En dehors de ces lieux d’histoire, comment ne pas évoquer tel ou tel personnage ? Marie-Madeleine, la femme la plus présente dans l’Évangile, est une prostituée qui arrose les pieds du Christ : elle apparaît bientôt, notamment au Moyen-Âge, comme possédée par sept démons. C’est dire jusqu’où l’Église est allée !
Sourires.
Cette femme doit consumer sa féminité pour se faire pardonner. On sera passé, au gré de l’histoire, d’une femme brûlée d’amour à une pécheresse ravagée par les remords.
Depuis deux mille ans, la prostitution est consubstantielle à notre société, aussi bien dans ses moments de libertinage que dans ses moments de moralisation.
La prostitution concerne des situations très différentes. D’ailleurs, qu’est-ce que la prostitution ? C’est, finalement, un échange de relations sexuelles contre des avantages ou des rémunérations.
L’histoire même du Palais Bourbon, de notre Assemblée nationale, en est marquée : on sait que le Président de la République Félix Faure mourut le 16 février 1889 d’un accident vasculaire cérébral, dans les bras de Mme Marguerite Steinheil.
Sourires.
Or cette dame à la vertu légère – une prostituée – vit toujours parmi nous puisque sa statue trône au milieu de la buvette des parlementaires. Vous n’en étiez pas très éloignée, madame la ministre, il y a quelques instants…
Sourires.
Sourires.
Jusqu’à la loi du 13 avril 1946, dite loi Marthe Richard, la prostitution a lieu dans des maisons closes. On en compte deux cents à Paris, où travaillent très officiellement 1 500 prostituées. Ce sont aussi bien des lieux d’abattage infâmes que des cabarets connus et estimés, tels le One Two Two, le Sphinx ou le Chabanais,…
…où se retrouvent bourgeois, hommes d’affaires et élus de la République, le plus souvent sénateurs.
Sourires.
Au One Two Two, on peut rencontrer Sacha Guitry, Jean Gabin, ou même – ce qui est plus curieux, mais je m’en suis assuré – Marlène Dietrich et Colette accompagnant tel ou tel ami. Le ministère des finances n’y voyait alors qu’avantages, puisque la République récupérait jusqu’à 60 % des bénéfices des 700 maisons closes ouvertes en France. Or, selon le rapport de la commission spéciale, le chiffre d’affaires annuel de la prostitution en France serait de 3 milliards d’euros : ce sont donc 1,8 milliard d’euros qui auraient pu être récupérés, sans compter la TVA !
Avec la fermeture des maisons closes, des milliers de femmes ont été brutalement jetées sur le trottoir, abandonnant l’univers glauque mais vaguement sécurisé des maisons closes.
Murmures.
Depuis cinquante ans, la France se veut abolitionniste. Elle a refusé la prohibition – au vu de ce texte, je ne sais si nous continuerons ainsi… Quoi qu’il en soit, toutes les formes de proxénétisme sont actuellement interdites, car la lutte contre la prostitution est d’abord, en France, la lutte contre le proxénétisme. Vous l’avez fort bien rappelé, madame la ministre : cinquante et un réseaux internationaux de prostitution ont été démantelés en 2012, soit 30 % de plus qu’en 2010, et 572 proxénètes ont été arrêtés. Il faut se réjouir de l’efficacité de nos forces de police.
Il n’en est pas de même s’agissant du racolage, puisque nous sommes passés de 1 028 condamnations pour ce délit en 2005 à 148 en 2010, soit une diminution de 80 %. En réalité, le parquet ne poursuit plus les prostituées pour racolage et se contente le plus souvent d’un simple rappel à la loi, aussi efficace que la pénitence infligée jadis au confessionnal.
Sourires.
La proposition de loi en tire d’ailleurs les conséquences, puisqu’elle prévoit d’abroger le délit de racolage public, et c’est une excellente chose. Mais il y a un problème : celui de la condamnation des clients à une amende de 1 500 euros, qui concernera non seulement ceux qui auront effectivement eu recours à la prostitution, mais aussi ceux qui l’auront sollicité.
Cette proposition de loi ne laisse personne indifférent. Notre groupe, comme tous les groupes politiques, est partagé. Je dirai même plus : au fond de chacun d’entre nous, les arguments pour et contre s’entrechoquent. Il faut donc revenir à l’essentiel.
Premier élément qui me gêne beaucoup : nous ne savons pas exactement sur quels chiffres nous travaillons.
On nous parle de 20 000 à 40 000 personnes prostituées en France, soit dix fois moins qu’en Allemagne ou en Espagne. On nous dit que 80 % de ces prostituées sont d’origine étrangère. Mais allons un peu plus loin. Selon le rapport de la commission spéciale, la prostitution des mineures ne représenterait que 0,44 % des situations de prostitution. Cela me semble invraisemblable !
Cela voudrait dire que seule une centaine de personnes mineures se prostituent. Or l’association contre la prostitution des enfants retient un chiffre allant de 6 000 à 8 000,…
…soit environ 30 %. Il en va de même pour la prostitution étudiante, dont le film Jeunejolie s’est si bien fait l’écho. Selon le rapport de la commission spéciale, 4 % des étudiantes se prostitueraient. C’est oublier que notre pays compte 1 million d’étudiantes : cela signifierait donc que 40 000 étudiantes se prostitueraient aujourd’hui en France ! À l’évidence, ce chiffre ne correspond à rien. Quant à la prostitution par internet, nous ne disposons pratiquement d’aucun chiffre. Voilà donc la première difficulté : nous ne débattons pas sur la base de données suffisamment certaines.
Une chose semble acquise : il y a dix à vingt fois moins de prostituées en France que dans deux pays semblables, l’Allemagne et l’Espagne, qui comportent des maisons closes. Il serait donc très malheureux de reconstituer ces dernières dans notre pays.
Deuxième point : faut-il légiférer sur l’activité sexuelle des individus ?
J’ai tout de même le droit de poser cette question ! J’écoute Mme Élisabeth Badinter, pour laquelle j’ai une grande admiration.
Elle affirme que punir les clients serait une déclaration de haine à la sexualité masculine. Et Élisabeth Badinter de s’interroger : « Cette proposition de loi va-t-elle mettre fin à la prostitution ? Bien sûr que non. Je ne connais aucune prohibition qui fonctionne. Elle démultiplie le pouvoir des mafieux. Les prostituées disent qu’elles ont besoin de parler avec le client pour savoir qui il est…Je suis inquiète pour celles qui vont passer par internet : elles n’auront plus la possibilité de faire cet examen. » Elle continue en nous appelant à faire de la prostitution une activité sécurisée : « Je voudrais tellement qu’on arrête de traiter les prostituées comme des rebuts de l’humanité. Un certain discours bien pensant – moi qui suis radical, je dirais : démocrate-chrétien –…
…ne peut que les enfoncer davantage dans l’humiliation. »
Comment ne pas écouter également Médecins du Monde, qui a tenu à nous faire part de sa grande inquiétude ? « Cette loi éloignera les prostituées des structures de soin, de dépistage et de prévention. Elle réduira leur pouvoir de négociation avec les clients, qui pourront les forcer à accepter certaines pratiques ou rapports non protégés. Enfin, elle les exposera davantage aux violences. » De nombreuses autres associations particulièrement honorables, comme Act Up, le Planning familial ou Aides, partagent ce point de vue : j’en suis très inquiet.
J’en viens maintenant au racolage et à la pénalisation des clients. L’abrogation du délit de racolage s’impose à l’évidence, d’autant qu’il tombe peu à peu en désuétude. Quant à la pénalisation des clients, j’ai essayé de vous expliquer qu’à mon avis, c’était une fausse bonne solution : nous risquons le pire, compte tenu de la solution adoptée. Il fallait poser un interdit : cela me semble évident. À partir du moment où la loi pénale prévoit l’interdit, quelle sanction doit suivre sa transgression ? Tout le monde nous explique ici que les prostituées sont victimes de violences, qu’elles ne disposent plus de leur libre arbitre, et qu’elles sont en tout cas des personnes vulnérables.
Juridiquement, imposer un rapport sexuel contre une rémunération à une personne vulnérable est un crime. C’est la définition même d’un viol – je vous invite à reprendre toute la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Nous allons arriver à cette situation extraordinaire : nous allons punir un viol par une peine d’amende ! Je vous le dis très franchement, madame la ministre : à l’évidence, il y a quelque chose qui ne va pas ! Cette situation nous interpelle fortement, d’autant qu’il s’agira d’une amende forfaitaire, éventuellement doublée en cas de récidive. Il y a quelque chose qui ne colle pas dans cette loi : il est donc très important de la rectifier. Restez dans le cadre de l’interdit, ou passez dans un cadre de prohibition ! C’est ou l’un, ou l’autre ! Vous êtes dans un système d’abolition et vous ne voulez pas passer à la prohibition. Mais si vous voulez passer à la prohibition, soyez cohérents avec vous mêmes ! Il y a là, à mon avis, une incompréhension.
Chaque membre du groupe RRDP votera évidemment en toute liberté. À mon sens, cependant, cette proposition de loi fait une erreur en assimilant la prostitution et la traite. Il faut lutter avec la dernière intransigeance contre le proxénétisme, s’attaquer aux réseaux internationaux, mais aussi favoriser l’accès à la prévention et aux soins des prostituées. Il faut garantir leurs droits, avec une vision pragmatique et humaniste de la prostitution, en écoutant les prostituées qui sont aujourd’hui les grandes absentes de ces débats. L’enfer, comme toujours, est pavé de bonnes intentions.
Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteure, chers collègues, je pourrais à mon tour saluer la persévérance de M. Geoffroy. La persévérance est incontestablement une qualité – elle l’est en tout cas à mes yeux –, notamment en politique. Mais persévérer en faveur d’une idée ne la rend pas pour autant nécessairement juste.
Tout à fait. Mais je tenais à le dire, puisque la persévérance nous a été présentée comme un argument en faveur de cette proposition de loi.
Je l’ai déjà dit tout à l’heure : nous devons essayer de débattre aussi dignement que possible sur un sujet complexe, difficile, où des questions philosophiques sous-tendent les positions des uns et des autres.
J’ai noté par exemple que, dans les interventions de ceux et celles qui promeuvent cette proposition de loi, notamment dans l’intervention de Mme la ministre, le raisonnement est souvent très centré sur les rapports entre les hommes et les femmes, sur l’égalité entre les sexes, sur l’idée que la prostitution serait une manifestation de domination de l’homme sur la femme. Quand bien même la prostitution est, sans aucun doute, très majoritairement le fait de femmes, est-ce à dire que cela ne serait plus un problème dès lors qu’il s’agirait de deux hommes, ou d’une cliente et d’un homme – le cas est plus rare, mais il existe –, ou même, on peut l’imaginer, de deux femmes ?
On nous dit que cette proposition de loi vise à traduire en actes plus concrets la position abolitionniste de la France et qu’elle constitue à cet égard une avancée. Je peux concevoir qu’il y ait une distinction entre l’abolition et l’interdiction de la prostitution. Après tout, je suis pour l’abolition de la chasse et non pour son interdiction. De même, je suis pour l’abolition de l’usage des armes, pas pour leur interdiction. Cela étant précisé, ma position serait plutôt favorable à l’abolition de la prostitution, car l’idée d’un échange monétaire autour de l’acte sexuel, personnellement, me dérange. Mais si c’était cette idée-là qui guidait les auteurs de cette proposition de loi et motivait leur opposition à la prostitution par la pénalisation du client, il faudrait également traiter dans ce texte de la pornographie : là aussi, il y a quelqu’un – souvent une femme, mais parfois aussi un homme – qui vend l’usage de son corps pour un acte sexuel, et quelqu’un d’autre qui en tire de l’argent : celui qui tourne le film ou encore celui qui le produit. Et celui qui achète ou loue le film ne devient-il pas du coup un client ? Étrangement, cette question est toujours occultée.
Légiférer sur un tel sujet n’est pas critiquable, même si les Français ont sans doute d’autres priorités par les temps qui courent. Encore faut-il que cela contribue à régler un problème.
Je parle en conscience et en connaissance de cause, car une grande partie de la prostitution à Nantes est localisée – c’est un hasard – dans ma circonscription. J’ai rencontré Médecins du monde, le responsable de la police, les prostitués, les habitants qui se plaignent de la prostitution. Je leur ai demandé si la pénalisation du client leur apparaissait une solution. Vous connaissez la position de Médecins du monde : ils y ont toujours été opposés. La police, elle, ne m’a pas caché que ce serait difficile à appliquer, que les policiers devraient constater un flagrant délit pour pouvoir appliquer l’article 16 de la proposition de loi. Quant aux habitants, ils auraient pu se dire, même si c’est un peu hypocrite, qu’au moins ce texte contribuera à renvoyer l’exercice de la prostitution dans des endroits moins visibles que le centre ville de Nantes plutôt que sous leur fenêtre ou sous le porche de leur immeuble et qu’ils en seront débarrassés ; mais à ma grande surprise, ils m’ont dit : « Non, nous savons que ce n’est pas cela qui réglera le problème. »
Voilà pourquoi je ne suis pas favorable à cette proposition de loi. Je crois que le problème central, c’est celui de la traite, de l’exploitation des êtres humains : nous avons déjà des législations pour cela, des moyens pour cela. Le rapport explique très bien que c’est lié à l’immigration clandestine, à d’autres formes de délinquance et aux circuits financiers occultes : c’est à cela qu’il faut s’attaquer. Si l’on veut faire reculer la traite, il faut faire reculer la clandestinité. Je crains très clairement que la pénalisation du client, prévue à l’article 16 de la proposition de loi, loin de faire reculer la clandestinité, ne l’aggrave un peu plus.
La France peut s’enorgueillir de voir son Parlement discuter d’une proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, car ce texte est une contribution à la dignité de la personne humaine, dont l’égalité entre les femmes et les hommes est une composante essentielle. En la matière, il nous faut repartir du socle que constitue le texte de la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui, texte approuvé par l’Assemblée générale des Nations unies le 2 décembre 1949 et ratifié par la France le 19 novembre 1960 : « La prostitution et le mal qui l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine et mettent en danger le bien-être de l’individu, de la famille et de la communauté. »
Je veux saluer ici le travail réalisé par la commission spéciale de l’Assemblée nationale, présidée avec beaucoup de classe par Guy Geoffroy, et dont Maud Olivier, la rapporteure, Catherine Coutelle, la présidente de la délégation des droits des femmes et Ségolène Neuville ont été les animatrices compétentes et engagées.
Ce texte veut remettre les choses à leur place : je rappelle que 90 % des personnes prostituées le sont sous la contrainte et sont victimes de véritables traites. Ainsi, il ne faut jamais oublier que c’est la personne prostituée, une femme le plus souvent, qui est la victime, le proxénète et le client l’exploitant et en profitant. La proposition de loi propose donc d’abroger le délit de racolage crée en 2003, qui pénalise les personnes prostituées elles-mêmes, mais aussi et surtout elle énonce très clairement que l’achat de services sexuels est considéré comme une violence et devient hors la loi. Nous affirmons ainsi avec force qu’il n’y a pas de place dans notre pays pour une reconnaissance de la marchandisation du corps humain, qui est une atteinte grave, il faut le répéter, à la dignité de la personne humaine. Il n’est pas question ici de morale ou de démarche moralisatrice mais, au meilleur sens du terme, de politique puisqu’il y va d’une conception de la personne humaine et de la vie en société.
Applaudissements sur divers bancs du groupe SRC.
J’ai bien dit qu’il s’agissait de politique car ainsi nous ne nous soumettons pas à cette idéologie libérale et libertaire, qui, au prétexte d’un désir et d’une liberté personnelle sans entrave,…
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
…fait la promotion de l’individualisme sans limite et de la toute-puissance du marché. C’est la fonction et la vocation des parlementaires que de voter des lois qui participent du contrat social et qui n’abandonnent pas le corps social aux différents rapports de domination qui le traversent. Vous voyez, mes chers collègues, qu’il s’agit bel et bien d’un combat politique.
Ce sera votre honneur que de suivre la recommandation du grand Lacordaire, au XIXe siècle, qui prend aujourd’hui toute sa signification devant la représentation nationale : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime, et la loi qui affranchit. »
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
À la suite du rapport Geoffroy-Bousquet, nous étions parvenus sous la précédente législature à un consensus politique sur l’inacceptabilité de la prostitution en tant que violence faite aux femmes, et en conséquence sur la nécessité de responsabiliser les clients, qui participent à l’exercice de cette violence physique et psychologique.
Hélas, cette proposition de loi rompt ce consensus et je ne pourrai la voter, comme je l’aurais pourtant très sincèrement souhaité.
Sur la forme tout d’abord : au lieu d’inscrire à l’ordre du jour la proposition de loi issue du rapport Geoffroy-Bousquet, le parti socialiste s’est livré à un tour de passe-passe très politicien en déposant son propre texte tout en sauvant les apparences par l’institution d’une commission spéciale, dont le président d’ailleurs, malgré sa très grande qualité, est totalement ignoré,…
Protestations sur divers bancs du groupe SRC
alors que la thématique abordée relevait pleinement de la commission des lois. C’est la réalité, chers collègues, vous n’avez qu’à lire les journaux.
Sur le fond, la pénalisation du client par une simple contravention de cinquième classe est bien éloignée du modèle suédois qui l’inspire pourtant : il est, lui, basé sur la notion de délit, seul à même de permettre le placement en garde à vue des clients aux fins d’enquête sur les réseaux criminels ainsi qu’une extension extraterritoriale du dispositif, résolvant les difficultés frontalières qu’on n’a pas cessé d’évoquer durant les auditions. La procureure de Stockholm, revendiquant la légitimité de poser certains interdits et de les assumer en matière de répression d’achat de sexe, nous a confirmé que, grâce à l’arsenal législatif mis en place, si les acheteurs de sexe n’ont pas disparu, leur nombre a considérablement diminué et ils sont incomparablement moins nombreux que dans les pays voisins, sans que la prostitution se soit déplacée vers des bateaux ou qu’on ait noté une augmentation de l’insécurité pour les prostituées, le renforcement de la clandestinité ou de la violence de la part des clients. Je crains que la simple contraventionnalisation proposée par ce texte, jointe à l’abrogation du délit de racolage public, ne rende l’ensemble du dispositif en grande partie inefficace.
Danielle Bousquet, la présidente du Haut conseil à l’égalité des femmes et des hommes, qui souhaite, je le rappelle, que la sanction soit délictuelle, y voit même une incohérence morale. Elle a dit lors de son audition : « On ne peut pas d’un côté dire qu’il est insupportable de payer pour un service sexuel et, de l’autre, prévoir une sanction identique à celle prévue, par exemple, pour le dépôt d’ordures dans un endroit non autorisé…Nous insistons pour que ce délit soit jugé non pas devant un simple tribunal de police entre deux excès de vitesse, mais au tribunal correctionnel afin de donner à la sanction une certaine solennité, faute de quoi, le message normatif pourrait être singulièrement amoindri. »
Manuel Valls a pourtant mis en garde notre commission sur la nécessité, en cas d’abrogation du délit de racolage, d’une pénalisation de l’achat d’actes sexuels suffisamment dissuasive pour permettre aux forces de l’ordre de prévenir les troubles sur la voie publique. Avec la seule contraventionnalisation, elles seront bien en peine, je le crains, d’administrer la preuve d’achat d’une relation tarifée. Le ministre de l’intérieur a fait part de son embarras à voir disparaître ainsi un outil juridique utile aux services de police, aussi bien sur le plan de la connaissance et de la lutte contre les réseaux criminels que de la gestion de l’ordre public. La brigade de répression du proxénétisme estime qu’à Paris, un tiers de la soixantaine de procédures a pour point de départ les informations recueillies lors d’une garde à vue pour racolage. Celle-ci ouvre aussi, il ne faut pas l’oublier, des droits à l’intéressée : l’examen par un médecin constitue souvent son premier contact avec un professionnel de santé ; il y a également l’information de ses droits et son orientation vers une association ou une structure de soins.
La chef de l’OCRETH, l’office central pour la répression de la traite des êtres humains, nous l’a indiqué clairement : « Le délit de racolage nous est bien utile pour collecter des renseignements. Loin de sanctionner les prostituées, il sert à éviter les troubles à l’ordre public, et les éventuelles gardes à vue et perquisitions qui s’en suivent sont pour nous de précieuses sources d’information permettant de connaître le parcours de ces personnes et de rassembler les premiers éléments d’une enquête. »
Le Gouvernement s’abrite derrière la transposition d’une directive européenne contre la traite, mais n’a paradoxalement pas songé à inclure l’abrogation du racolage dans la loi, pourtant très récente, du 5 août 2013. L’article 8 de la directive demande de « veiller à ce que les autorités nationales compétentes aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite et de ne pas leur infliger de sanctions pour avoir pris part à des activités criminelles auxquelles elles ont été contraintes ». Le rapport du Parlement européen précise que cette disposition a pour but d’inciter les victimes à intervenir comme témoins dans les procédures pénales, sans pour autant exclure que les personnes qui ont délibérément commis des infractions fassent l’objet de poursuites. La décision de ne pas poursuivre les victimes de la traite pour les infractions qu’elles auraient commises relève de l’appréciation du juge et donc du niveau réglementaire à travers une instruction de politique pénale à destination des parquets.
Le Conseil d’État, dans un arrêt du 23 février 2005, a jugé que les directives ne sont « naturellement invocables qu’à l’encontre des actes réglementaires ou législatifs adoptés postérieurement à leur édiction ». Depuis l’arrêt Cohn-Bendit, une formule résume sa jurisprudence : « si les directives lient directement les États-membres quant au résultat à atteindre et si, pour atteindre le résultat qu’elles définissent, les autorités nationales sont tenues d’adapter la législation et la réglementation des États-membres aux directives qui leur sont destinées, ces autorités restent seules compétentes pour décider de la forme à donner à l’exécution des directives et pour fixer elles-mêmes, sous le contrôle des juridictions nationales, les moyens propres à leur faire produire effet en droit interne. »
Ayant éprouvé les difficultés que causait la prostitution pour la vie quotidienne dans maints quartiers parisiens – et pas seulement à Paris, d’ailleurs –, je redoute les conséquences de cette abrogation, qui enverra aux réseaux de traite un message d’impunité.
Les pouvoirs de police des maires ne pourront rien contre les réseaux criminels et seront impuissants à répondre à la demande des riverains excédés. En outre, le juge administratif sanctionne les interdictions générales et absolues. Les arrêtés municipaux ou préfectoraux doivent donc être circonscrits dans le temps et dans l’espace pour être valides, ce qui est incompatible avec la cohérence nationale, par définition inscrite dans le temps long, d’une politique de lutte contre les réseaux. De même, la police municipale n’est pas en mesure de les démanteler, contrairement à la police nationale. Vous l’avez d’ailleurs ouvertement admis lors de votre audition, madame la ministre, estimant que « cette abrogation ne doit pas non plus priver les municipalités d’outils de gestion de l’ordre public, laissant alors les maires en première ligne face aux réseaux. »
Même Mme Mazetier, reconnaissant l’utilisation éclairée du délit de racolage par la police, qui place en garde à vue plutôt les prostituées victimes de la traite, bien souvent sur signalement des prostituées traditionnelles, a réclamé un recours plus systématique à ce délit.
Il est tout à fait anormal que près de la moitié des interpellations pour racolage à Paris soient classées sans suite, et que, parmi les autres, seulement 5 % fassent l’objet de poursuites devant le tribunal correctionnel, 89 % faisant le plus souvent l’objet d’un simple rappel à la loi, non dissuasif.
De ce manque de fermeté judiciaire manifeste résulte un fort sentiment d’impunité chez ceux qui exploitent la misère humaine, et les clients des prostituées en font partie. Certes, les personnes prostituées sont des victimes et l’on doit souscrire à l’attribution de remises et transactions fiscales à titre gracieux à celles qui cessent leur activité, ou encore à leur hébergement au sein de structures appropriées dans le cadre de leur réinsertion.
En matière de droit temporaire au séjour et au travail pour les prostituées coopérant avec la police, le droit suédois, pourtant réputé pour sa générosité, est comparable à notre arsenal législatif actuel. La procureure de Stockholm nous indiquait qu’en Suède, « avoir été victime d’un réseau de traite ne suffit pas pour être régularisé. » Et d’ajouter : « Il est en revanche difficile pour ces personnes d’obtenir un titre de séjour permanent, à moins qu’elles ne soient arrivée dans le pays très jeunes ».
Au demeurant, l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers prévoit d’ores et déjà une procédure de délivrance de la carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » aux personnes ayant déposé plainte ou témoigné dans une affaire de proxénétisme ou de traite et leur ouvre le bénéfice de l’allocation temporaire d’attente.
L’article 1er de la proposition de loi, en étendant à ces personnes les procédures de témoignage protégé, lèvera les éventuelles réticences et améliorera l’attractivité de ce dispositif, tandis que la prolongation automatique de leur titre durant la durée de la procédure unifiera les pratiques sur tout le territoire.
Cependant, faciliter l’obtention d’un titre de séjour et de travail temporaire, ainsi que de l’allocation temporaire d’attente d’un montant de 11,20 euros par jour, sans que les bénéficiaires ne s’engagent à coopérer avec la police pour lutter contre leurs exploiteurs, revient à conférer à ces personnes qui bénéficieront de la solidarité nationale des droits sans aucun devoir en contrepartie. Ces deux dispositions sont superfétatoires, puisqu’il n’existe pas de vide juridique. Elles renforceront l’attractivité de notre territoire pour les réseaux criminels qui exploitent la misère humaine.
Le ministre de l’intérieur considérait d’ailleurs l’extension du bénéfice de l’ATA comme prématurée, rappelant que son coût, impossible à calculer avec précision, n’était pas neutre, et soulignant avec justesse que ces personnes ayant droit au travail, il n’était pas nécessaire de leur accorder une allocation supplémentaire.
Il est du devoir du législateur de protéger les victimes de la prostitution et de mettre fin aux trafics criminels qui l’entretiennent. Mais force est de reconnaître que votre proposition de loi est loin de constituer une réponse appropriée. Elle contribuera, au contraire, à renforcer les réseaux en supprimant les outils juridiques qui permettaient aux services de police de recueillir de précieux renseignements et d’entraver leur action, sans pour autant responsabiliser le client, car une contravention n’est pas un délit.
Elle accroîtra l’attractivité sociale de la France, alors que notre solidarité nationale est au bord de l’implosion. C’est pourquoi, malgré mon souhait de pénaliser le client – Guy Geoffroy le sait bien, et j’ai encore en tête cette phrase de Rozen Hicher, ex-prostituée membre des survivantes : « je suis une marchandise qu’ils achètent ; clients, je vous accuse ! Et j’accuse la société qui ne m’a pas aidée à sortir de cette entreprise de démolition » –, je ne voterai pas ce texte, car je considère que le droit actuel est plus satisfaisant que les mesures de circonstance que vous nous proposez.
Si je prends la parole aujourd’hui, à cette tribune, c’est d’abord pour remercier mes collègues Maud Olivier et Catherine Coutelle pour le combat courageux qu’elles mènent pour faire reculer la prostitution.
Merci pour avoir sorti ce sujet de l’hypocrisie, pour avoir rappelé la réalité de la prostitution, à savoir que 80 à 90 % des femmes et des hommes prostitués sont soumis à des réseaux, là où certains s’abritent derrière l’image fantasmée d’une prostituée libre de son activité, pour surtout ne rien faire.
Merci pour avoir rappelé que, d’abord et avant tout, la prostitution est une violence, une violence sur laquelle notre société ne peut plus fermer les yeux. Cela a été dit à plusieurs reprises : 85 % des personnes prostituées sont des femmes et 99 % des acheteurs sont des hommes. Ces chiffres montrent, s’il le fallait encore, à quel point cette question est « genrée ». Faut-il penser que c’est parce que cette violence concerne principalement des femmes qu’elle a été si longtemps tolérée ? Permettez-moi de dire que tout le laisse à penser.
Merci pour avoir proposé dans cette loi des mesures d’accompagnement. La protection des prostituées est une priorité, et l’on ne peut que constater le fait que les dispositifs mis en place jusque-là ne donnent pas satisfaction. L’identité d’emprunt, la possibilité de bénéficier d’un suivi au long cours, d’un système de protection et d’assistance, la simplification de l’autorisation de séjour, le soutien financier et l’accès aux places en CHRS – en centre d’hébergement et de réinsertion sociale – sont autant de dispositions offrant de réelles alternatives aux victimes de la traite et leur permettant d’échapper à leur réseau.
L’inscription de la lutte contre la marchandisation des corps, parmi les sujets devant faire l’objet d’une information durant la scolarité, est aussi une avancée nécessaire. Avec l’éducation à la sexualité, cet enseignement sur la réalité de la prostitution, au-delà des clichés, ne pourra que faciliter le changement de regard de la société sur cette pratique.
Merci aussi d’avoir proposé dans cette loi des mesures de responsabilisation des clients, dont il faut rappeler le caractère très mesuré, tant il s’agit plus de faire évoluer les mentalités que de punir. La sanction n’est constituée que d’une amende et d’un stage de sensibilisation, qui permettra aux clients de prendre conscience de leur rôle dans le système prostitutionnel.
Merci d’avoir rappelé, en abolissant le racolage passif, que les prostitués ne sont pas des coupables, mais des victimes. Nous avons, depuis qu’elle a été introduite dans le droit français, toujours fortement critiqué cette disposition aboutissant à considérer les prostituées comme des délinquantes. Ce délit favorise de façon dramatique la clandestinité des prostitués. Et cette mesure accentue la pression policière, non pas contre la prostitution, mais contre les prostituées, sans contribuer à la lutte contre le proxénétisme et les réseaux.
Merci pour avoir battu en brèche le principal, voire le seul argument contre la responsabilisation du client, à savoir l’augmentation supposée de la clandestinité des prostituées. Vous nous l’avez rappelé à plusieurs occasions, les rapports d’évaluation en Suède, où la pénalisation du client a été mise en place, montrent que cette mesure a permis le recul de la prostitution de rue, sans développer la prostitution sur internet ou d’autres supports. Le rapport d’évaluation de la loi suédoise de novembre 2010 est clair : selon les estimations du ministère de la justice suédois, et grâce à la responsabilisation du client, le phénomène de la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle connaît un développement considérablement moindre en Suède que dans des pays comparables.
Merci pour votre combat, merci pour votre courage. Pour avoir moi-même pris position clairement dans ce débat en faveur de cette proposition de loi, je sais la dureté des mots qui doivent vous être adressés. Vous avez dû être accusées d’être moralisatrices, bien-pensantes, voire pire, par tous ceux qui par ailleurs ne proposent aucune alternative, et ne veulent au final rien changer à la tolérance hypocrite de notre société pour cette exploitation.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Et pourtant, nous ne sommes là que pour combattre la violence, pour faire évoluer les mentalités, pour dire que non, la volonté de domination des hommes sur les femmes n’est pas un élan légitime auquel il faut faire droit.
Alors, mesdames, une dernière fois, je veux vous remercier ici, au nom des femmes et au nom de la dignité humaine, et vous dire que c’est avec fierté que je voterai ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Au coeur du grand combat pour l’égalité entre les femmes et les hommes se situe la lutte prioritaire contre toutes les violences faites aux femmes. Une société libre et juste, que la France est toujours aussi attachée à bâtir, dont les principes fondamentaux sont scellés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ne peut plus tolérer que des violences à [’encontre des femmes soient commises et qu’elles demeurent impunies. Parmi elles figure la prostitution.
Dans ce cadre, la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel, que nous examinons aujourd’hui, doit servir l’objectif suprême d’égalité entre les femmes et les hommes. Oui, la prostitution est une grave violence pour les personnes prostituées, qui sont à 85% des femmes, et qui se considèrent, pour 80% d’entre elles, victimes d’une prostitution subie.
À ce titre, l’argument qui se décline par analogie et qui consiste à dire qu’il nous faut distinguer prostitution subie et prostitution choisie n’est pas recevable. Comment imaginer une seule seconde que la prostitution, qui n’est autre que la répétition d’actes sexuels non souhaités et imposés par la contrainte financière, puisse être un choix ?
Si certaines formes de prostitution sont encore plus violentes – je pense évidemment à celles qui dépendent de réseaux de proxénétisme exploitant la précarité et la vulnérabilité des femmes –, les autres ne sont pas libres pour autant. Le penser est un mensonge assumé pour dédramatiser l’achat d’actes sexuels, nier l’adhésion aux conditions de la prostitution qu’il implique et déculpabiliser les personnes qui y ont recours. Derrière chaque cas de prostitution s’exercent des enjeux économiques, des inégalités sociales, des problématiques d’emploi, de précarité, de logement ou encore d’éducation.
En dépit des arguments exposés par les opposants au renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, nul ne peut contester ces vérités : la prostitution n’est pas un métier ; la prostitution n’est jamais libre ; la violence est forcément inhérente au système prostitutionnel.
D’un point de vue législatif, la prostitution constitue la dernière des violences faites aux femmes dont les victimes peuvent encore être pénalisées au titre du délit de racolage, alors même qu’aucun recours juridique n’existe pour condamner les auteurs, clients de la prostitution. II était évidemment du devoir du législateur de corriger cette incohérence, face aux dérives dramatiques qu’elle permet.
C’est dans cette prise de conscience que cette proposition de loi est née, se positionnant très clairement et dès le début en faveur de la protection des personnes prostituées, une mesure phare fermement défendue par les parlementaires qui portent cette loi. Ce changement de point de vue sur la question est capital : la prostitution ne peut plus être considérée sous l’unique angle des clients.
Cette lecture du sujet demeure pourtant prédominante et donne des raisonnements aberrants qui conduisent à penser que le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel rendrait les conditions de l’exercice de la prostitution encore plus difficiles.
Au contraire, du point de vue des personnes prostituées, justement, ce texte constitue l’unique moyen de lutter contre les violences qu’elles subissent et de les reconnaître comme des victimes du système prostitutionnel.
Bien que sanctionner le client soit nécessaire dans un souci de cohérence et au nom d’une justice équitable, il n’y a pas de volonté affichée de répression systématique, encore moins de stigmatisation.
Ce texte a été vigilant sur cette question et associe à l’instauration du recours à la sanction des mesures fortes d’accompagnement, à la fois des personnes prostituées et des clients. La sensibilisation aux conditions de l’exercice de la prostitution doit conduire le client à faire preuve de plus de clairvoyance et de discernement quant aux impacts de son implication dans le système prostitutionnel. Ainsi, des actions d’éducation et de responsabilisation dans la pratique d’achat d’actes sexuels seront encouragées.
Le simple fait de sanctionner le client est déjà le marqueur fort d’une approche pédagogique et dissuasive du recours à l’achat d’actes sexuels, sans pour autant rendre la sanction automatique. En effet, c’est précisément en considérant les clients comme parties prenantes des conditions d’exercice de la prostitution, qu’ils deviendront les cibles d’une prévention et d’une sensibilisation particulièrement renforcées.
Cette proposition de loi ne dresse pas les acteurs du système prostitutionnel les uns contre les autres, elle ne stigmatise pas, d’un côté, les victimes et, de l’autre, les auteurs. Elle vise simplement, par une lecture plurielle et pleine de la question, à trouver la façon la plus juste de lutter efficacement contre le système prostitutionnel au nom de l’éradication de toutes les violences faites aux femmes et plus généralement au nom de l’établissement d’une véritable égalité entre les femmes et les hommes. Ce texte constitue une avancée majeure en matière de progrès social et de respect des valeurs d’égalité et de liberté qui fondent l’identité et l’essence de la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Le sujet qui nous réunit aujourd’hui, tous les orateurs précédents l’ont souligné, est un sujet majeur et grave. Sujet majeur, car la prostitution pèse de plus en plus lourd sur notre société en crise. Le fléau risque de se banaliser et de se développer sur le terreau de la crise économique et sociale. Sujet est grave, car il ressortit à notre conception profonde de la personne et de la dignité humaine. Je mesure, comme chacun ici, la complexité du sujet. Je sais qu’il suscite débat et polémiques.
Certains pointent du doigt les imperfections et les insuffisances du texte. Je les respecte, mais je ne partage pas leur avis. N’y a-t-il plus bel honneur pour les députés de la nation que nous sommes que la fidélité aux valeurs de la République ? N’y a-t-il pas plus beau combat que celui visant à améliorer les conditions d’existence des femmes et des hommes ? La quête permanente de l’égalité, nous devons l’avoir chevillée au corps et au coeur, afin d’étendre les droits des minorités et protéger les plus vulnérables de notre société. Au moins pour ceux-là, on ne peut tolérer que les corps soient rançonnés.
Je veux insistées sur les avancées de ce texte et son caractère novateur. Il porte un regard différent sur le phénomène de la prostitution et sur les personnes prostituées, hommes ou femmes. L’ambition de la proposition de loi, qui fonde son succès, consiste à ne pas s’en tenir aux déclarations de principe convenues, aux clichés, aux idées reçues, aux préjugés et aux poncifs éculés selon lesquels il serait vain de vouloir prétendre changer les choses. La prostitution ferait partie de la vie ordinaire et devrait être considérée comme un moindre mal. La proposition de loi refuse cette vision résignée. Elle porte un regard lucide sur le phénomène prostitutionnel, à la fois sincère et réaliste.
Il ne s’agit pas d’effacer, de gommer la prostitution ni d’y mettre un terme définitif. Il ne s’agit pas de simples mesures de bonne conscience : il s’agit d’affronter la réalité telle qu’elle est. La première réalité, qu’il faut rappeler et marteler sans cesse, c’est que la prostitution est pour l’essentiel contrainte. La grande majorité des prostitués ne donnent pas leur corps par plaisir mais par nécessité. Je ne néglige évidemment pas les arguments des personnes prostituées désireuses d’exercer leur activité librement et volontairement. Je les respecte, mais je veux rappeler que la loi est l’expression de la volonté générale. Elle a vocation avant tout à protéger les plus faibles, celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Dès lors, le texte instaure très justement une responsabilisation accrue du client. Il vient assécher la demande et enrayer les phénomènes de réseaux et de prostitution forcée, en provenance de l’étranger tout spécifiquement, ce dont je suis témoin dans ma circonscription du Gard.
Un autre volet de la proposition de loi est tout aussi important à mes yeux : celui qui comporte les mesures de prévention, d’accompagnement et de réinsertion.
Outre la création d’un fonds de prévention et d’accompagnement de la prostitution, on institue un véritable parcours de sortie de la prostitution en collaboration avec les associations spécialisées. Ce parcours d’aide et d’assistance sera encadré par une instance spécifique et dépendra d’un engagement contractuel. La personne prostituée sera ainsi particulièrement responsabilisée dans sa démarche. Dans cet esprit, je tiens à saluer l’action indispensable des associations d’aide aux prostituées, partenaires de l’État, qui réalisent un travail précieux dans de nombreux domaines, en particulier le logement, l’accompagnement psychologique et les aides matérielles et administratives.
L’article 6 du texte vise aussi un objectif d’accompagnement et prévoit la délivrance de titres de séjour provisoires et renouvelables valables six mois aux prostituées étrangères engagées dans un parcours de sortie. Ils ouvrent également le droit à l’exercice d’une activité professionnelle. On ne saurait mieux baliser le chemin d’une efficace réinsertion dans la vie active.
Enfin, la prévention de la prostitution n’est pas oubliée. On introduit en effet dans le code de l’éducation des mesures de sensibilisation qui font de la marchandisation du corps un sujet d’information au cours de la scolarité. Il s’agit d’expliquer l’évidence à nos enfants : le corps humain n’est pas une marchandise, il ne s’achète pas, il ne se vend pas, il ne se loue pas !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Chacun dispose librement de son propre corps, pas de celui des autres, encore moins contre rémunération. Le volet éducatif n’est pas utile, il est vital et primordial. Il est l’outil qui sert à endiguer en amont la perpétuation du système. La proposition de loi, mes chers collègues, n’est pas une fin en soi mais un point de départ vers une société fidèle aux valeurs de la République, caractérisée par l’égalité des sexes, l’intégrité du corps humain, la non-marchandisation des corps et la lutte contre les violences de toutes sortes. En définitive, face à la résignation et au fatalisme qui nimbent trop souvent la prostitution, je ferai vivre le mot du philosophe Alain : « Le pessimisme est d’humeur, l’optimisme de volonté ». Alors, chers collègues, soyons volontaires et optimistes sur ce texte !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Je me félicite de cette proposition de loi, fruit d’un long travail collectif et transpartisan entamé depuis bien longtemps. Je tiens à remercier en particulier Catherine Coutelle, Maud Olivier et Guy Geoffroy du travail effectué. Avancée majeure dans la lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes, la loi dont nous débattons est une véritable révolution. Pour la première fois en France, la charge de la culpabilité est renversée. En abolissant le délit de racolage, en pénalisant le client et en nous donnant davantage de moyens pour arrêter les proxénètes et les mafieux, nous ferons en sorte que aura pour conséquence que les prostitués ne seront plus considérés comme des coupables mais comme des victimes.
Au lieu de stigmatiser et punir les prostitués, nous entendons les aider et les soutenir grâce à la loi. Ce sont les clients qui sont responsables de la prostitution. Sans clients, pas de demande de services sexuels ; sans demande de services sexuels, pas de prostitués. Se prostituer ne relève jamais d’un libre choix. Victimes du proxénétisme, de la traite et de la violence, les prostitués doivent être protégés. Soulignons également le caractère social de la loi, qui apporte un soutien aux prostitués, les protège contre les proxénètes, les aide à se reconstruire, leur offre un minimum pour vivre, facilite leurs démarches administratives et la régularisation de leur situation et soutient les associations qui les accompagnent. J’en profite pour saluer le travail que celles-ci effectuent quotidiennement, avec une pensée particulière pour le mouvement du Nid.
La loi présente aussi un volet éducatif extrêmement important qui vise à modifier le regard de la société sur le corps de la femme.
Grâce à l’information des élèves sur la marchandisation du corps, les jeunes seront sensibilisés à la violence que représente la prostitution. C’est à travers leur regard et leur perception que notre société évoluera. La proposition de loi s’inspire directement des expériences européennes réussies, au premier rang desquelles celle de la Suède. Depuis le 1er janvier 1999, les clients de prostitués y encourent une amende et une peine de six mois d’emprisonnement. Depuis lors, la prostitution de rue a été divisée par deux et la prostitution par Internet n’a presque pas augmenté. À ceux qui prédisent une explosion de la prostitution cachée en France, je réponds ceci : si les clients sont capables de trouver des services sexuels à vendre, la police française sera tout aussi capable de trouver les clients !
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
À l’inverse, dans les pays régulationnistes, la prostitution a explosé. En Allemagne, on estime le nombre de prostitués à plus de 200 000 pour une population totale de quatre-vingt-deux millions de personnes. Aux Pays-Bas, plus de 25 000 personnes sont prostituées pour dix-sept millions d’habitants. À l’inverse, en Suède, il y aurait entre 1 000 et 1 500 prostitués pour neuf millions d’habitants. Même si tous ces chiffres sont bien sûr à prendre avec précaution, ils parlent d’eux-mêmes : la prostitution diminue là où on l’interdit. Aux Pays-Bas comme en Allemagne, la régulation de la prostitution n’a pas eu l’effet escompté mais a au contraire amplifié le phénomène. Souvenons-nous du trafic massif constaté pendant la coupe du monde de football en 2006 : les filles de l’Est arrivaient par cars entiers en Allemagne.
En Allemagne et aux Pays-Bas, on observe davantage de prostitués, de proxénétisme et de violence. Inversement, la loi suédoise a eu un effet normatif important. Si la majorité de la population suédoise était opposée à l’interdiction d’achat d’acte sexuel avant l’adoption de la loi, dix ans plus tard, la loi est soutenue par 70 % de la population…
…et l’approbation est encore plus marquée parmi les jeunes.
Si la présente proposition de loi va dans le bon sens pour notre pays, il faudra continuer à mener ensemble une approche européenne concertée. Le Gouvernement agit. Le réseau européen des ministres en charge des droits des femmes et de l’égalité des chances lancé à Bruxelles par Mme la ministre Najat Vallaud-Belkacem et par la vice-première ministre belge Joëlle Milquet permettra de s’attaquer aux problèmes. Une réelle prise de conscience émerge à l’échelle de l’Union européenne. La directive européenne relative à la lutte contre la traite des êtres humains constitue une avancée.
Mais faute d’action décisive à l’échelon européen, le problème ne sera pas complètement réglé mais simplement déplacé. Le trafic transfrontalier continuera. Les 270 maisons closes installées à la frontière franco-allemande ainsi que celles qui sont installées aux frontières espagnole ou belge continueront à attirer les clients aux frontières de notre pays. La prostitution est un problème qui traverse les frontières, il faut donc y mettre fin ensemble : c’est pourquoi il nous faut voter le texte et porter le combat au niveau européen.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Je soutiendrai ce texte au nom des droits de l’homme, et aussi parce que l’indignation ne vaut rien sans l’action. L’asservissement, dont nous pensions tous qu’il était révolu, est redevenu en quelques années, en raison de l’explosion des trafics en tous genres, l’une des terrifiantes caractéristiques de notre temps. Curieusement, en dépit du contexte global de progression de l’État de droit dans le monde, une forme de violence extrême a émergé et constitue probablement aujourd’hui l’une des violations des droits des femmes et des droits de l’homme les plus graves au monde.
Elle nous rappelle, s’il en était besoin, que le progrès n’est pas unilinéaire. Je voudrais d’ailleurs inscrire le sujet dont nous traitons aujourd’hui dans une forme plus large de criminalité et de violence qui affecte les femmes partout dans le monde. D’ailleurs, les nouvelles formes de criminalité qui sévissent dans le monde affectent directement les femmes : commandos du sida en République du Congo, éventuel retour de la lapidation pour adultère à Kaboul, exploitation et esclavage sexuel sous toutes ses formes. Aujourd’hui, l’esclavage sexuel est considéré comme un crime contre l’humanité parmi les chefs d’inculpation retenus par la Cour pénale internationale.
Les femmes demeurent les premières victimes des souffrances et de la prostitution forcée. Je rappelle que la traite d’êtres humains constitue un manquement aussi profond qu’insupportable au socle universel des droits de la femme, consacré par toutes les conventions internationales, dont la convention SILO. La traite des êtres humains est aujourd’hui un élément constant du droit international, ce dont il faut se féliciter. Je pense en particulier au protocole de Palerme, auquel les États ne peuvent se soustraire.
Pour tous ceux qui considèrent le principe même de la prostitution comme une violence et non une liberté, dont je fais partie, cette forme aboutie de l’exploitation humaine constitue une atteinte caractérisée aux droits de la personne. Elle justifie des mesures fortes, adaptées, exemplaires. Le texte dont nous discutons est un signal. Je partage l’avis de certains collègues sur les conditions en effet un peu hâtives de son élaboration. Cela le prive sans doute d’un soutien plus large mais n’ôte rien à son sens premier, qui est la lutte contre la prolifération de cette forme d’exploitation sur notre territoire. Je voudrais féliciter tous les participants à la commission spéciale et son président, Guy Geoffroy, pour le remarquable travail effectué.
Le système prostitutionnel est en effet largement lié à ce trafic, et je veux appeler votre attention sur la difficulté de l’exercice.
Nous le savons tous : la corruption, l’intelligence et les moyens financiers mis à la disposition de ces organisations criminelles leur permettent de déjouer sans cesse les traques les plus élaborées. Les chiffres sont terrifiants : on dénombre vingt à trente millions de victimes de cette prostitution forcée, de ce trafic d’êtres humains – encore une fois, j’associe ces phénomènes, qui, dans la réalité, sont liés –, sur fond de détresse et de misère économique ou sociale.
Madame la ministre, nous avons besoin d’une réponse internationale. En évoquant le sujet avec le ministre de l’intérieur, nous avons compris qu’il existait une volonté, mais il est vrai que celle-ci, je peux l’attester, a toujours existé, et que nous en voyons les limites. Aussi faut-il renforcer l’échelle des sanctions et la confiscation des biens, créer des unités spécialisées, vérifier nos frontières, faire en sorte que cette lutte soit considérablement intensifiée au niveau européen et conclure des conventions opérationnelles avec les pays d’origine. Nous savons qu’aujourd’hui, l’Europe est une plaque tournante. Nous savons que l’Afrique – vous évoquiez le réseau nigérian – est également pleinement concernée. Soyons aussi très attentifs à ce que notre aide au développement fasse en sorte que ces pays appliquent et respectent l’état de droit.
La pénalisation du client : cette proposition certes inédite dans notre droit nous range parmi les pays les plus modernes du monde, parmi ceux qui ont démontré avant les autres que l’égalité entre les hommes et les femmes n’était pas liée à l’évolution attendue des moeurs et des temps, mais à la volonté et aux progrès de la loi. C’est une mesure éducative, c’est un progrès de la responsabilité individuelle et collective, c’est une mesure qui doit conduire chaque individu à se poser une question simple : le corps est-il achetable, est-ce un objet de consommation sexuelle comme un autre, est-ce un produit ?
La prostitution ne peut être banalisée, car ce serait, me semble-t-il, un risque pour la société tout entière. Elle appelle des mesures d’application extrêmement fortes. Madame la ministre, vous avez une obligation très importante, si ce n’est de résultat, tout au moins de moyens. Vous devez multiplier les campagnes d’information et les mesures pédagogiques. Vous devez faire en sorte qu’au niveau de l’Union européenne, il y ait un sursaut sur ce sujet, et je vous engage à porter ce combat aussi à tous les niveaux internationaux, car la France, en adoptant cette mesure, donne un signal au monde dans la lutte contre les réseaux et affirme sa pleine légitimité.
Au-delà, l’égalité passe par un ensemble de mesures transversales, interactives, et l’on ne peut lutter contre la prostitution si l’on n’élève pas, dans notre pays, l’égalité sur tous les autres sujets. Je serai à vos côtés pour que nous enregistrions des progrès sensibles dans un certain nombre de domaines, qui permettent aux femmes de se sentir plus libres, plus responsables de leur vie, plus en situation d’en décider.
Applaudissements.
Fruit d’un travail parlementaire exceptionnel que je tiens à saluer, ce texte s’inscrit au coeur des droits fondamentaux et des libertés individuelles.
Le débat qui s’est engagé autour de la question de la liberté, valeur cardinale depuis la fin des années soixante, nous a en fait détournés du coeur de notre sujet. « Chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable » : tel est le principe énoncé par l’article 16-1 de notre code civil, que vous avez opportunément rappelé ce matin, madame la ministre.
Dès lors, tout ce qui porte atteinte à la dignité de la personne pose un problème de droit que nous devons résoudre. Il ne s’agit pas tant pour le législateur de faire de la morale que de réparer ce qui est injuste et d’harmoniser ce qui est arbitraire et contradictoire dans la loi.
Les clients des prostituées, menacés par le dispositif défini par une proposition de loi qui s’attaque enfin – j’insiste sur ce mot – au système prostitutionnel dans sa globalité, se sont soudainement trouvés solidaires de la cause des prostituées, s’inquiétant subitement de leurs conditions de subsistance et revendiquant la liberté des personnes prostituées à disposer de leur corps. Ces mêmes clients, restés muets en 2003 lors du vote du délit de racolage passif…
Absolument !
…n’ayant souvent pour seule expertise que leur expérience de consommateur, leur patronyme de chanteur ou leur idéologie poussiéreuse, se sont mués en champions de la cause du droit de chacun à disposer de son corps, en chevaliers blancs du libre arbitre et en plaideurs convaincus du consentement. On ne peut s’empêcher de penser que ce consentement de circonstance est bien opportun pour libérer la conscience d’une éventuelle culpabilité…
Car nous parlons bien de prostitution, d’achat de services sexuels et de proxénétisme, qui sont définitivement – je dis bien : définitivement – sans rapport avec le désir partagé d’une sexualité librement consentie ou de l’épanouissement personnel. Dès lors qu’il est monnayé, le consentement est entaché d’un doute quant au plein exercice du libre arbitre, surtout en période de crise économique mondialisée. Ce qui vaut pour le lancer de nains ou la vente d’organes, l’un et l’autre volontaires, consentis et néanmoins interdits, vaut pour la prostitution.
Pour autant, cette proposition de loi n’interdit pas la prostitution : elle libère les prostituées du délit continu dont elles se rendaient coupables jusqu’alors, tandis que le client, inexistant en droit, pouvait impunément acheter le droit de disposer du corps d’autrui. À ce propos, je tiens à répondre à M. Tourret et à sa pirouette juridique, manifestement destinée à nous embrouiller : on ne pénalise pas la prostitution mais l’achat d’actes sexuels. Je tiens à le rassurer : les personnes qui se prostituent, elles, savent pleinement faire la différence entre le viol et l’achat d’actes sexuels.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
À ceux qui persistent à vouloir nous convaincre, à partir de quelques exemples de prostituées épanouies et de clients respectables et respectueux, j’oppose pour ma part une implacable réalité : parmi les personnes prostituées que j’ai été amenée à défendre en ma qualité d’avocate, aucune – je dis bien : aucune – n’a jamais pu me faire l’aveu, que je considère impossible, de sa fragilité, de sa vulnérabilité et de ses douleurs présentes et surtout passées.
Aucune ne pouvait se présenter comme victime de sa propre condition, à moins de s’effondrer ou de s’égarer dans une identité totalement disloquée. Toutes comptaient parmi les plus déshérités de la famille humaine, victimes, pour la plupart d’entre elles, de violences passées, en majorité sexuelles. Toutes affichaient un détachement de leur corps du reste de leur personne. Et c’est d’ailleurs bien le déni partagé qui permet à la prostitution de continuer à prospérer.
À ceux qui font la promotion du contraire, au prétexte qu’une poignée de prostituées s’épanouirait dans l’exercice de cette profession, je réponds, d’abord, que le législateur écrit la loi dans le souci de l’intérêt général et ensuite que son rôle est précisément de prévenir et responsabiliser, bien avant de punir. Le législateur ne peut vouloir pour une seule de nos concitoyennnes ce que nous ne voulons pas individuellement pour nous-mêmes. Or, lequel, laquelle d’entre nous encouragerait son enfant à suivre des cours de prostitution professionnelle – oui, cela existe, à l’université de Valence – ou à arrondir ses fins de mois à l’arrière d’une camionnette ?
Aucun d’entre nous ne peut souhaiter la prolifération de « mégabordels », comme il en existe tout près de chez moi, en Espagne, aux offres de services « fast sex », « todo incluido », « all included » : apéro, disco et « puticlub », juste pour quelques euros. Dans tous les pays qui ont légalisé la prostitution, elle explose : ce matin, en prenant l’avion, j’ai trouvé un journal basque espagnol qui diffuse des petites annonces de prestations sexuelles tarifées et bien détaillées, juste après des annonces de vente d’animaux de compagnie ! Est-ce bien le modèle de société que nous souhaitons ?
Aujourd’hui, il nous appartient de faire un grand pas, de dire le droit dans cet esprit d’égalité que nous avons tous évoqué ici, quitte à priver certains de certaines libertés – mais ces libertés-là ont assez duré. (Applaudissements.)
Notre débat sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel n’est pas un exercice quelconque ni anodin. Il touche à ce qu’il y a de plus sensible, de plus intime dans notre personne, dans notre humanité, à savoir notre sexualité et notre rapport à l’autre. Je ne suis ni puritain ni animé par une considération philosophique ou religieuse. Mais, dans ce débat sur la conception et le sens des relations physiques et sentimentales entre les humains, les mots ont un sens et la sémantique utilisée n’est pas neutre. Dans le journal Le Monde, Mme Élisabeth Badinter laissait encore récemment entendre, hélas ! que les femmes, pour gagner plus et travailler plus librement, auraient plus intérêt à se prostituer qu’à être, je la cite, « caissières de supermarché ». Dans le même ordre d’idées, un responsable du syndicat du travail sexuel est même allé jusqu’à déclarer, je le cite également, que « certaines personnes ne pourraient pas travailler dans un abattoir ou s’occuper de personnes âgées. »
À partir d’un tel constat, primaire et simpliste, tout devient possible et acceptable : tout vaut mieux que de travailler en usine, sans patron, sans horaires et sans règles. Quelle imposture ! À qui veut-on faire croire de telles contrevérités ? Même les milieux les plus réglementaristes que j’ai rencontrés ont reconnu que le « libre choix » n’était finalement qu’un leurre, une désillusion et, en fin de compte, un désespoir – un désespoir personnel, affectif et parfois physique. Non seulement, dans ce domaine particulièrement sensible, les mots ont un sens – caissières, abattoir, usine –, mais les grands principes auxquels se réfèrent les tenants du réglementarisme – liberté, égalité, amour et respect – sont dévoyés. De quelle liberté parle-t-on ? De quelle égalité hommes-femmes parle-t-on ? Et surtout, où est l’affection, où sont l’amour et le respect censés régir nos relations personnelles et sociales ?
Plutôt que l’amour et le respect, c’est bien la violence et la contrainte qui caractérisent le milieu de la prostitution. Je voudrais citer à nouveau, après Mme la ministre, un extrait du rapport sur les enjeux sanitaires de la prostitution, publié par l’IGAS en 2012 : « Les violences font partie du paysage de la prostitution, quels qu’en soient la forme et le mode d’exercice. » Ce n’est ni un religieux ni un moraliste qui s’exprime ainsi, c’est bien une administration !
Chers collègues, il n’y a pas de plus vieux métier du monde, rien n’est écrit, rien n’est inéluctable. Nous ne sommes ni des juges, ni des censeurs de la vie sexuelle des uns et des autres, mais nous avons le droit, le devoir et même l’obligation, à moins de nous renier, de nous exprimer, d’exprimer notre désapprobation face à la marchandisation du vivant, face à l’exploitation du corps humain, que ce soit pour de la chair à canon, des ventres à reproduire ou du sexe à vendre.
Des intégristes de tous bords veulent dénier au Parlement le droit de légiférer sur des problèmes de société, que ce soit la bioéthique, la famille ou le couple homme-femme. Telle n’est pas ma conception du rôle du législateur, qui doit penser l’éducation de la société dans son ensemble.
Aujourd’hui, où en sommes-nous ? La France se définit comme abolitionniste. En 2003, le Parlement a renforcé l’interdiction de la traite des êtres humains, de la prostitution des mineurs et a introduit le délit de racolage passif. Ce dispositif n’a pas eu, il faut bien le reconnaître, les effets escomptés : la prostitution, notamment d’origine mafieuse, est plus que jamais active ; les femmes restent les principales cibles, les principales victimes que l’on montre du doigt, au lieu de leur tendre la main et de leur venir en aide. Je demande aujourd’hui la suppression de ce délit de racolage passif, qui stigmatise uniquement la prostituée, et je souhaite la mise en oeuvre de dispositifs plus dignes pour accueillir ces femmes et leur donner la possibilité et l’espoir d’une autre voie, d’une autre vie.
Nous sommes aujourd’hui à un tournant, et je m’en réjouis. Avec ce texte, nous allons au-delà de la réaffirmation de la position abolitionniste de la France, en proposant la responsabilisation du client, au sens pénal du terme, ce qui portera à l’évidence un coup très dur à la prostitution, à sa légitimité et à son essence mêmes.
Applaudissements.
Sur cette question des violences faites aux femmes, et notamment aux femmes prostituées, je considère que le temps est venu du réveil français.
Le réveil français, c’est considérer la prostitution comme un phénomène qui relève bien de la traite des êtres humains. Sachant que 90 % des femmes prostituées en France sont les otages de réseaux et de trafics européens et internationaux, nous devons mener ce combat au nom de la lutte contre la traite et l’esclavage.
À cet égard, je rappelle que selon le décret relatif à l’abolition de l’esclavage dans les colonies et les possessions françaises du 27 avril 1848, « l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ». Le moment est opportun pour citer cette phrase de Victor Schoelcher prononcée le 1erdécembre 1848 à l’Assemblée nationale constituante : « Nulle terre française ne peut plus porter d’esclaves. » C’est bien de cela qu’il s’agit quand nous combattons le système prostitutionnel et ses réalités.
Le réveil français, c’est traduire en acte les textes votés et signés par la France. La position abolitionniste de la France doit être enfin une politique globale avec pour objectif la sortie du système prostitutionnel. C’est en particulier le sens de l’article 3 de notre proposition de loi, qui prévoit des volets réinsertion, hébergement, action médico-sociale et gouvernance avec la création d’une instance de coordination dans chaque département.
Le réveil français, c’est considérer les personnes prostituées comme non pas des coupables mais des victimes. Pour cette raison, je suis clairement favorable, comme beaucoup de mes collègues, à la suppression de délit de racolage.
C’est également considérer que les clients réels ou potentiels doivent être responsabilisés. À ce titre, je suis favorable à la création d’une interdiction d’achat d’acte sexuel et, bien évidemment, à la pénalisation des clients, points sur lesquels je sens d’ailleurs un mouvement favorable. La Suède, cela a été évoqué, est à cet égard un bon exemple : on y a constaté une baisse très significative de la prostitution de rue, répétons-le ; les opposants à notre texte devraient le reconnaître.
Le réveil français, c’est constater l’échec accablant de ce que j’appelle la politique des bordels en Allemagne. Depuis 2006, ainsi que l’a indiqué mon collègue Philip Cordery, les Allemands ont constaté un développement accéléré des réseaux et des trafics qui concernent aujourd’hui 400 000 femmes, dont 80 % sont d’origine roumaine ou bulgare. Élizabeth Badinter elle-même l’a reconnu dans une interview au monde : « On voit bien qu’en Allemagne, les choses dérapent, les mafieux profitent de la reconnaissance de la prostitution. » Permettez-moi ce commentaire personnel : enfin un propos lucide de Mme Badinter !
Le réveil français, c’est dire les réalités vécues par l’immense majorité des femmes prostituées : violences, souffrances, humiliations, viols, brimades, coups, larmes, menaces, et j’en passe. À ce titre, j’invite les opposants à notre texte à sortir de ce que je qualifie de confort intellectuel pour prendre conscience de ces réalités. Un comportement contraire pourrait être assimilé pour le moins à une absence de courage.
Le réveil français, enfin, c’est permettre à la France de donner un signal fort en Europe et dans le monde ; vous l’avez évoqué ce matin, madame la ministre, et je salue votre engagement à l’échelle européenne et internationale sur ce sujet, en particulier au sein d’ONU Femmes. J’ai du reste rencontré notamment les représentants de deux ONG pour la protection des droits des femmes à Beyrouth – au moment même où nous parlons, Beyrouth nous écoute. Le signal qui sera donné aujourd’hui par le Parlement français aura des conséquences en particulier dans le monde arabe. En tout cas, c’est le voeu que je formule.
Nous devons ensemble mener ce beau combat pour la dignité humaine, fédérer sur tous les bancs ; je vois que le mouvement est en cours. C’est à cette condition que le réveil français participera au rêve français si cher à François Hollande, notre Président de la République.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Sandrine Mazetier, dernière oratrice inscrite dans la discussion générale.
Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission spéciale, madame la rapporteure, mes chers collègues, je dédie ces quelques mots à la femme dont le corps a été retrouvé à moitié brûlé voilà quelques jours dans le bois de Boulogne. C’est en pensant à elle que je suis fière de participer, à travers cette proposition de loi à l’abolition d’un système d’oppression qui est, beaucoup l’ont rappelé, intrinsèquement violent : le système de la prostitution.
Je suis fière de défendre un texte protecteur à l’égard de personnes qui seront considérées non plus comme des délinquantes mais comme des victimes, un texte ferme à l’encontre des proxénètes et des réseaux de traite des êtres humains, un texte qui, pour la première fois, décide de responsabiliser les acheteurs.
Un texte qui fait toutefois l’objet de malentendus, parfois volontairement entretenus ; parlons-en. Notre rapporteure, Maud Olivier, et Mme la ministre l’ont évoqué ce matin en rappelant quel était son objet. Nous sommes en effet très loin du glamour, de l’imagerie des petites femmes de Pigalle. Nous parlons de la réalité de ces dizaines de milliers de personnes qui, pour la plupart, sont victimes de la traite des êtres humains. Ce sont surtout des femmes, mais il y a aussi des hommes – il faut beaucoup aimer les hommes et nous les aimons beaucoup –,…
Sourires.
…qui seront également protégés par cette proposition de loi.
Nous parlons de ces personnes venues de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, de Chine et d’autres pays de recrutement pour les réseaux de traite des êtres humains. Nous parlons de choses dont certains tartuffes germanopratins voudraient nous interdire de parler. À cet égard, je tiens à remercier Ségolène Neuville d’avoir évoqué, dans la tribune qu’elle a cosignée avec vingt-deux de ses consoeurs et confrères médecins et à la tribune tout à l’heure, les lésions physiques, notamment au niveau vulvo-vaginal, dont sont victimes les personnes prostituées. Je veux remercier aussi Colette Capdevielle d’avoir mentionné tout à l’heure le processus de dissociation qu’ont décrit beaucoup de personnes prostituées qui ont témoigné devant nous lors des auditions de la commission spéciale ou dans nos circonscriptions. À l’instar de François de Rugy, je viens d’une circonscription où la prostitution est un phénomène connu, ancien, en particulier dans le bois de Vincennes et sur les boulevards des maréchaux.
On voudrait nous interdire de parler de cette réalité pourtant décrite par de nombreux rapports ; celui de l’IGAS, à celui qui m’a été transmis par Médecins du monde dans le cadre de son programme Lotus Bus sur la prostitution des femmes d’origine chinoise, mais également aux nombreuses contributions que nous a communiquées le mouvement du Nid. C’est à cette réalité, souvent déniée, très largement occultée, que s’attaque ce texte.
Nous ne légiférons pas sur la sexualité d’individus libres ; chacun peut avoir les pratiques sexuelles qu’il souhaite avec le nombre de partenaires qu’il souhaite, dans toutes les positions qu’il souhaite. Nous ne portons pas de jugement de valeur. Nous ne sommes pas ces dames patronnesses et ces bonnets de nuit que l’on a pu décrire complaisamment dans la presse. Oui, nous défendons un modèle de sexualité désirée, de plaisir partagé.
Oui, nous défendons la sexualité masculine, nous ne la condamnons pas, et il serait étrange de la relier systématiquement à la prostitution. La prostitution n’est le fait que d’une minorité d’hommes, puisque la majorité des hommes n’y ont jamais recours, et elle concerne également des femmes : la progression de l’égalité entre hommes et femmes fait que l’on voit aujourd’hui des femmes à fort pouvoir d’achat s’offrir les services d’escort boys.
Nous parlons d’éducation, de prévention, de sortie de la prostitution, de responsabilisation du client. Je m’étonne d’ailleurs que certains de ceux qui veulent, à juste titre, protéger de l’emprise du marché des secteurs entiers – l’éducation, l’air que nous respirons, la santé – nous interdisent ou s’interdisent eux-mêmes de libérer de l’emprise du marché les échanges sexuels entre individus. C’est une question qu’il faut se poser. Pour ma part, je défends la logique d’ensemble de ce texte qui responsabilise le client dans la mesure où celui-ci est partie prenante du système prostitutionnel.
Le président de la commission spéciale citait ce matin Lucien Neuwirth ; je conclurai pour ma part mon intervention par quelques vers de Paul Eluard que Georges Pompidou avait cités : « Comprenne qui voudraMoi mon remords ce futLa malheureuse qui restaSur le pavéLa victime raisonnableÀ la robe déchiréeAu regard d’enfant perdueDécouronnée, défigurée… Une fille faite pour un bouquetEt couverteDu noir crachat des ténèbres… »
Ce texte, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous fait sortir du noir crachat des ténèbres.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Mesdames, messieurs les députés, je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont été développés en faveur du texte. Permettez-moi en revanche de dissiper les malentendus que j’ai perçus dans la bouche de certains contradicteurs.
M. de Courson l’a dit : c’est clairement un débat de conscience que nous ouvrons ici. Je note pour ma part, car c’est suffisamment rare pour être souligné, que nous aurons entendu à la tribune des représentants de tous les bancs s’exprimer en faveur de ce texte. Cela doit à tout le moins nous interroger.
Ce que j’ai entendu cet après-midi, je vous l’avoue, me rassure : nous sommes collectivement passés du stade où l’on a un avis à émettre sur la prostitution au stade où l’on a une expertise à partager. J’invite toujours à bien faire la distinction entre ces deux notions : tout le monde peut avoir un avis, mais tout le monde n’a pas suffisamment creusé le sujet, le dossier pour comprendre quels sont les écueils des différentes positions.
À ce propos, je voudrais revenir sur ce malentendu – je regrette que M. de Rugy ne soit plus dans l’hémicycle – qui consiste à confondre la position abolitionniste et la position prohibitionniste. Ce n’est pas la même chose.
Face à la prostitution, nous avons en réalité trois possibilités. Le réglementarisme, option choisie par les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Espagne, a été suffisamment commenté : il comporte les défauts que l’on sait, notamment le développement de la prostitution. Le prohibitionnisme consiste quant à lui à interdire à la fois l’exercice de la prostitution à la personne prostituée et le recours à un acte sexuel tarifé au client. C’est une façon de fermer les yeux sur tout ce qu’on refuse de voir sans se préoccuper du rapport entre la personne prostituée et son client, ou des rapports inégaux qui dans notre société sont à l’origine du recours à l’achat d’une prestation sexuelle.
L’abolitionnisme enfin qualifie la prostitution de violence, protège les victimes de cette violence que sont les personnes prostituées au lieu de les criminaliser et leur offre des alternatives ; il responsabilise en revanche les clients en plus des proxénètes qui sont poursuivis par ailleurs. Les clients sont responsables en effet parce qu’ils créent la demande et donc, d’une certaine façon, le marché ; ce sont eux qui incitent les proxénètes à faire leurs affaires.
De ce fait, l’abolitionnisme remet en cause la légitimité d’un marché alors que le prohibitionnisme se contente de fermer les yeux, ce qui est très différent. C’est la raison pour laquelle je soutiens cette troisième position, la position abolitionniste, qui consiste, je le répète, à protéger les victimes et à responsabiliser les responsables.
J’ai aussi entendu certains – M. Borloo, par exemple – s’interroger : ce texte n’arrive-t-il pas trop tôt ? N’aurait-on pas obtenu un consensus plus large en y travaillant davantage ? Question est tout à fait légitime, certes, mais ce texte n’est pas une lubie de dernière minute, ni pour les parlementaires qui ont travaillé au sein de la commission spéciale, ni même pour la ministre que je suis, et qui le soutient activement ; c’est l’aboutissement d’un processus qui remonte au moins au travail de Guy Geoffroy et Danielle Bousquet, c’est-à-dire à 2011, il y a plus de deux ans.
On ne peut donc pas soutenir que le processus ait été exagérément rapide ; bien au contraire, le nombre d’auditions organisées et la qualité du travail, sur tous les bancs de l’Assemblée, méritent d’être soulignés ; une telle démarche est suffisamment rare pour être saluée.
Après tout, on pourrait se dire : « Veillons à y voir plus clair avant de légiférer ». Mais, si nous n’adoptons pas ce texte aujourd’hui, que se passera-t-il ? Qui en présentera un autre ? Vous savez fort bien que le sujet est complexe et que l’équilibre trouvé au sein de la commission spéciale est fragile – sans parler de la difficulté à inscrire ce texte à l’ordre du jour de cette assemblée. Des difficultés du même ordre se poseront à chaque fois. Peut-être même l’occasion que nous manquerions aujourd’hui en n’adoptant pas ce texte ne se représentera-t-elle pas.
À ce propos, l’un d’entre vous – M. Coronado ou M. de Rugy, je ne sais plus – a parlé, à juste titre, de concurrence. De fait, une proposition de loi, déposée au Sénat par Mme Benbassa et visant à abroger le délit de racolage passif pour les personnes prostituées, a été adoptée par la Haute assemblée et s’apprête à arriver à ici. Elle sera vraisemblablement adoptée, ne serait-ce que parce que nous avons pris l’engagement de supprimer ce délit.
Le problème est que ce texte ne prévoit aucune autre contrepartie. Voilà quelle serait la conséquence d’un rejet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui : vous laisseriez la voie ouverte à cette autre solution qui consiste à supprimer toutes les mesures permettant de contrôler la prostitution, ce qui revient en réalité à permettre son développement, c’est-à-dire aussi celui de la traite des êtres humains.
Voilà ce qui va se passer si nous ne faisons rien. Je vous invite donc, pour ma part, à être extrêmement vigilants quant aux conséquences de votre vote.
Enfin, je ne m’exprime pas seulement en qualité de ministre des droits des femmes, mais également en tant que porte-parole du Gouvernement. À ce titre, je me dois de rendre compte fidèlement et loyalement des propos tenus par mes collègues ministres.
J’ai entendu beaucoup de choses sur les propos prétendument tenus par Manuel Valls. Je vous renvoie au rapport qui contient le compte rendu de chacune des auditions de la commission spéciale. Voici ce qu’a dit le ministre de l’intérieur, dont certains ont prétendu qu’il n’était pas très convaincu par cette proposition de loi, voire qu’il ne la soutenait pas vraiment : « Responsabiliser les clients, rappeler que rien ne peut justifier de collaborer, à quelque niveau que ce soit – fût-ce par le seul achat d’une passe –, à cette vaste entreprise d’avilissement de milliers d’êtres humains : voilà des objectifs que je partage et une ambition que je fais mienne.»
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Et sur la question de l’abrogation du délit de racolage passif, soulevée à de nombreuses reprises : « vous proposez d’abroger le délit de racolage public. L’abrogation du racolage actif figure parmi les engagements du Président de la République, et le Gouvernement soutient, bien entendu, votre initiative. » Après avoir souligné le faible impact de l’instrument juridique sur le démantèlement des réseaux et le faible nombre de poursuites, notamment ces derniers temps, il a par ailleurs déclaré : « Au regard de tous ces constats, la suppression de ce délit peut apparaître logique », la recherche de renseignements sur la personne prostituée « ne pouvant en justifier, à elle seule, la survivance ».
Voilà ce qu’a dit Manuel Valls. Il soutient donc pleinement l’abrogation du délit de racolage passif, même s’il a ajouté – je vais en partie dans votre sens, monsieur Goujon – qu’il conditionne « la suppression de ce délit au maintien d’outils de gestion de l’ordre public à disposition des forces de sécurité. »
De ce point de vue, pénaliser l’achat d’actes sexuels « permettra de procéder aux contrôles d’identité des clients des prostituées, en les soustrayant à un anonymat auquel ils tiennent. La pénalisation de l’achat de services sexuels doit aussi devenir un signal à destination des réseaux », à savoir « que nous ne tolérons pas la prostitution et ne baisserons pas la garde ». Voilà qui me paraissait devoir être rappelé.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Mon objectif n’est évidemment pas d’allonger les débats, mais je veux souligner que la discussion générale a été de belle qualité. Au nom de la commission spéciale, j’en remercie tous nos collègues, quelles que soient les opinions, parfois les différences, qu’ils ont exprimées sur ce texte.
Je n’insisterai pas sur les arguments avancés par ceux de nos collègues qui sont nettement favorables au texte. Tous ont dit, chacun à sa manière, des choses essentielles dont ils pourront très légitimement faire état dans leur bilan de mandat.
Je souhaiterais malgré tout commenter certains propos, répondre à certaines interrogations et donner quelques précisions.
Marie-Louise Fort s’est également interrogée sur ce qui pourrait remplacer le délit de racolage. Nous sommes là au coeur d’un vrai débat, nécessaire et utile, qui doit nous inciter à faire preuve d’une grande détermination, mais aussi de modestie. Les propos du ministre de l’intérieur, que Mme la ministre vient de nous rappeler, étaient tout en nuances.
Ces propos indiquaient le sens qu’il fallait donner au texte, tout en appelant les uns et les autres à faire preuve de cohérence. À cet égard, nous ne devons pas abandonner au passage, avec la mise en oeuvre de l’article 8 de la directive européenne, l’action – si imparfaite soit-elle – permise par la pénalisation du délit de racolage sous ses différentes formes.
Mme Fort a également évoqué la question de la régularisation et les inquiétudes qu’elle peut soulever. Je l’ai dit l’autre jour, en sa présence, à un grand nombre de collègues de mon groupe, mais je souhaite le répéter ce soir devant notre assemblée : nous avons eu le même débat, à partir des mêmes interrogations – d’ailleurs tout à fait légitimes – lors de l’examen de la loi du 9 juillet 2010. Certains nous disaient alors qu’en faisant bénéficier d’une ordonnance de protection les femmes victimes de violences, on risquait de voir se presser dans les commissariats ou auprès des parquets des femmes prétendant être victimes de violences. On allait ouvrir une nouvelle brèche dans la législation en matière de régularisation des étrangers, prévenait-t-on. Force est de reconnaître aujourd’hui que la loi du 9 juillet 2010 n’a donné lieu à aucun dérapage d’aucune sorte, ni à aucun détournement de procédure.
Il faut faire confiance aux dispositions de la loi que nous allons voter. Il est légitime de s’interroger sur ce sujet, mais je ne crois pas m’avancer trop en disant que l’inquiétude sera rapidement dissipée, tout simplement parce que la procédure ne sera pas détournée. Cela étant, la question méritait d’être posée et il fallait qu’elle trouve un début de réponse.
En ce qui concerne la responsabilisation et l’impact direct de la dissuasion sur la situation que nous voulons combattre, je voudrais faire référence à des propos que certains d’entre vous ont peut-être entendus. Hier, en revenant d’une confrontation avec notre collègue Esther Benbassa sur LCI, j’ai entendu sur RTL, dans l’émission « Les auditeurs ont la parole », le témoignage de deux prostituées – françaises – exerçant leur activité en province. À les entendre, elles auraient perdu 30 % à 40 % de leur clientèle depuis que les parlementaires se sont de nouveau saisis du thème de la prostitution et envisagent de responsabiliser les clients.
Danielle Bousquet et moi-même avons déjà eu droit à cet argument : avant même que notre rapport ne soit remis et que le texte précis de nos propositions connu, les milieux de la prostitution nous reprochaient une diminution du nombre des clients. Rappelons haut et fort qu’il ne s’agit pas de chercher un coupable pour le simple plaisir de punir quelqu’un, mais de faire en sorte que les gens qui sont à l’origine de la demande en soient tenus pour responsables. Le simple fait d’annoncer par la loi qu’il faudra bien qu’ils réfléchissent et qu’ils assument leurs responsabilités a un effet dissuasif.
La dissuasion fait chuter la demande, ce qui diminue du même coup l’intérêt des mafias. Dès lors, on entre un cercle vertueux. Cela aussi, il fallait le redire.
La clandestinité est une vraie question. Là encore, je voudrais rassurer, tout en ayant conscience qu’il nous faudra rester vigilants. Que nous disent les personnes, françaises ou étrangères, qui se prostituent ou qui sont sorties de la prostitution ? Que la clandestinité existe déjà. Quel que soit le moyen utilisé par l’acheteur pour entrer en contact avec la personne qui se prostitue et bénéficier, moyennant finances, d’une prestation tarifée, le moment, toujours bref, passé avec cette personne est d’ores et déjà un moment de clandestinité, un face-à-face potentiellement dangereux : si la personne qui se prostitue n’a pas la capacité de résister à une demande qui dépasse ce qui lui semble être les termes de l’accord initial, elle est d’ores et déjà en danger. Il n’y a pas à craindre davantage la clandestinité demain qu’aujourd’hui. Ceux qui utilisent cet argument savent qu’il frappe, alors même, osons le dire, qu’il n’a aucune portée.
Alain Tourret posait la question très juste de la validité des chiffres. Si nous ne connaissons pas, à quelques milliers près, le nombre de personnes qui se prostituent en France, nous savons en revanche que le coefficient multiplicateur dans les pays réglementaristes – je pense à nos voisins, les Pays-Bas, l’Allemagne et l’Espagne – par rapport aux pays abolitionnistes comme le nôtre est au minimum de dix et plus probablement de vingt. Cela aussi suffit à comprendre un certain nombre de choses.
Le législateur a-t-il le droit de se pencher sur la sexualité des êtres humains ? Je voudrais dire à mon tour à Mme Badinter que son intelligence et sa grande capacité philosophique ne l’autorisent pas à user de telles pirouettes.
Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.
On aurait tort d’y voir une sortie de route du législateur, qui s’occuperait de ce qui ne le regarde pas. Déjà, lorsque nous nous étions intéressés aux violences faites aux femmes, certains avaient osé nous dire que cela devait rester au sein du couple, que cela ne relevait pas de la sphère publique. Eh bien, nous avons renversé la table ; nous avons décidé que c’était la sphère publique.
Applaudissements sur divers bancs.
Je dis à Mme Badinter que, de la même manière, les modernes sont ceux qui renversent la table. Nous décidons qu’il est de notre obligation politique de nous intéresser à ce sujet. Ce n’est pas là une immixtion dans la sphère privée, à savoir dans la sexualité de chacun d’entre nous. Utiliser une personne parce qu’on a de l’argent pour le faire est un abus qui relève de la sphère publique.
Notre collègue François de Rugy n’est plus là. C’est dommage, mais les propos que je tiens lui seront rapportés, ou bien il les lira dans le compte rendu de nos débats. Il m’est apparu plus apaisé. Je ne dis pas cela pour le provoquer – il estime quelquefois qu’un propos qui lui est contraire est une provocation…
Rires.
Sourires.
Il arrive quelquefois que l’hémicycle rende sage…Hier, M. de Rugy a parlé sur RTL d’une proposition de loi « ridicule ». Je n’ai pas entendu de propos comparables tout à l’heure ; son ton était bien plus calme, et cela me semble très positif.
M. de Rugy nous a reproché tout à l’heure de ne pas parler des hommes prostitués. Pourtant, j’ai bel et bien abordé le sujet.
Ségolène Neuville aussi, en effet, comme beaucoup d’autres. Nous ne parlons pas exclusivement des femmes, même si elles représentent le plus grand nombre : nous parlons des personnes prostituées – or c’est bien de cela qu’il s’agit.
Philippe Goujon est un ami, et je veux saluer son travail au sein de la mission d’information. Il a insisté sur la nécessité de responsabiliser le client. Il a posé, et il n’est pas le seul, la question de la sanction pénale, le quantum auquel il faut aboutir pour être au plus près de nos ambitions, tout en restant dans le juridiquement possible. Il a aussi évoqué tout ce qui tourne autour du délit de racolage passif – sa vie, son oeuvre, son origine et son extinction ; nous aurons l’occasion d’en reparler.
Je n’ai pas salué tout à l’heure certains de nos collègues, et j’en suis confus. Marie-George Buffet, qui lutte depuis longtemps contre les violences faites aux femmes, donc contre la prostitution, a été d’une présence et d’une participation remarquables dans tous nos travaux.
Applaudissements.
Nicole Ameline a donné à son propos et à nos réflexions la dimension internationale qui convient, car c’est à l’échelle du monde que le problème se pose, impliquant des dizaines de millions de personnes.
Applaudissements.
En Europe, ce que nous avions constaté en voyageant avec Danielle Bousquet et d’autres dans les pays voisins et amis se confirme : on nous attend. On nous attend en Espagne, pour mettre un terme à ce que les Espagnols eux-mêmes ont appelé leur hypocrisie publique. On nous attend aux Pays-Bas, où les Hollandais veulent sortir des zones grises qui les empêchent d’avancer et qui les ont emmenés dans le mur. On nous attend en Allemagne, parce que l’on a compris outre-Rhin qu’en ouvrant les bordels, on ouvrait grand la porte aux réseaux de prostitution.
Colette Capdevielle a parlé de l’impossible aveu. Quelle évidence ! Comment demander à une personne prostituée qu’elle dise devant les caméras qu’elle est victime de sévices et qu’elle a été placée dans cette situation contre son gré ? Elle ne le fera pas, bien sûr ! Mais lorsqu’elle en sort, elle le dit. Je prendrai l’exemple d’Ulla, cette ex-grande pasionaria de la cause prostitutionnelle voilà presque quarante ans. À l’époque, Ulla n’avait pas de mots assez durs contre ceux qui osaient imaginer mettre un frein au développement de la prostitution, accusés, comme nous aujourd’hui, d’être vétustes et poussiéreux. Il y a quelques temps, retirée des affaires, Ulla nous interrogeait avec un sourire complice : comment avez-vous pu me croire ? Elle n’était pourtant pas victime de réseaux internationaux ; mais elle n’avait alors pas d’autre choix que d’exprimer ainsi, d’une certaine manière, la dignité qui restait en elle.
Gwendal Rouillard a évoqué l’exemple suédois. Que n’entend-on à ce propos ! À partir des réussites constatées, on construit, sans les étayer, des démonstrations pour dire que ce modèle ne marche pas. Quelle facilité ! Mais que toutes les vedettes de la planète on beau le répéter en concert, cela ne fait qu’un formidable flop !
Pour ceux de ma génération, qui avaient entre quinze et vingt ans dans les années 1960, la Suède, c’était l’aspiration à la libération des moeurs, à la liberté sexuelle, à l’égalité entre les femmes et les hommes – que nous n’appelions pas encore ainsi, surtout nous, les jeunes garçons.
Je pose la question : comment ce pays de la liberté, de l’égalité, de la lutte contre toutes les violences a-t-il bien pu devenir en trente ans vieillot et rétrograde au point de décider, le premier, que la société devait réfléchir sur elle-même, sous la contrainte de la responsabilité et non dans l’hypocrisie d’une loi qui interdit ? Ce pays est en cohérence profonde avec ce qui fit de lui, il y a quarante-cinq ans, un des précurseurs de notre aspiration collective ! Méditons cet exemple, c’est essentiel.
Mon dernier mot sera pour Jean-Louis Borloo : avec l’honnêteté qu’on lui connaît, il a avoué qu’il ne savait pas. Si nous pouvions faire oeuvre utile, ce serait en réussissant, par nos propos convergents et transpartisans, à le faire progresser dans sa connaissance et à le convaincre de nous rejoindre mercredi, au rendez-vous de ce texte.
Applaudissements.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Le dispositif instauré par l’article 1er, dont l’objet est de lutter contre le proxénétisme opéré via des sites Internet hébergés à l’étranger, privilégie la voie administrative. Un amendement du Gouvernement, plutôt bienvenu dans le contexte, vient le modifier ; les amendements, identiques, déposés par mes collègues, lui ont sans doute ouvert la voie.
En défendant la motion de renvoi en commission tout à l’heure, j’ai évoqué la réintroduction du filtrage administratif par Mme la rapporteure. J’aurais souhaité que la commission spéciale se penche avec beaucoup de rigueur sur cette question, qui a agité notre assemblée lors de la discussion de la loi HADOPI et de la LOPPSI 2.
À l’époque, j’avais cru comprendre que le parti qui est le principal soutien de cette proposition de loi était totalement rétif à ce type de disposition. Lors du recours devant le Conseil constitutionnel, nous avions dénoncé l’inefficacité, le caractère contreproductif du filtrage administratif et les risques d’atteinte aux libertés qu’il comportait.
J’ai déposé un amendement visant à revenir au recours devant le juge des libertés, sans être suivi. Je constate aujourd’hui que le Gouvernement, après voir pris connaissance de l’avis du Conseil national du numérique, saisi par Mme de la Raudière, a décidé d’écarter cette disposition.
Nous avons beaucoup évoqué les questions philosophiques liées à la prostitution, attardons-nous maintenant sur le texte : outre cet article, qui deviendra caduc avec l’adoption de l’amendement du Gouvernement, quelles mesures de lutte contre les réseaux de proxénètes ce texte contient-il ?
Je vous ai interpellés sur ce point tout à l’heure, mais vous ne voulez rien entendre. Vous considérez qu’il faut soutenir l’ensemble du texte. Pourtant, on peut être en désaccord, sur la pénalisation du client par exemple. Contrairement à Mme la ministre, je ne reconnais aucune expertise aux parlementaires : nous ne sommes pas des experts, mais des représentants du peuple. Les seuls experts que je connaisse, ce sont ceux-là même qui prennent position contre la pénalisation du client : les associations qui depuis fort longtemps travaillent, au quotidien, auprès des prostitués.
En grande majorité. Hormis le Nid, presque toutes les associations – Médecins du monde, le Bus des femmes, le Lotus blanc – y sont opposées.
Je viens de le dire. Chez nous, nous acceptons les débats, les divergences, la preuve : alors que nous sommes très majoritairement opposé à la pénalisation, il y a eu une prise de parole contraire à la position de notre groupe. Ce n’est pas le cas du vôtre : il suffit d’aller à la buvette pour constater qu’un certain nombre de parlementaires SRC n’ont pas pu prendre la parole.
Protestations sur les bancs du groupe SRC.
Je lis ce communiqué de l’AFP du 27 novembre : « Le gérant d’un site internet d’annonces de prostituées, condamné en 2011, mais qui avait continué son activité, a été interpellé à Nice. L’homme de cinquante-quatre ans avait créé un site comprenant à l’époque les références de 548 prostituées, ainsi que de 52 agences de call girls et1 031 fiches de prostituées. Il a été placé en garde à vue et transféré au juge. »
Sur Internet, et en France, on parvient donc à remonter les réseaux et à arrêter les proxénètes. Nous avons la loi la plus répressive qui soit en Europe sur le proxénétisme, c’est la raison pour laquelle la proposition de loi ne comprend pas d’autre disposition en ce sens. Internet ne connaît pas les frontières. Il faut donc trouver une solution pour poursuivre le proxénétisme et les réseaux sur Internet, à l’international. C’est l’objet de l’article 1er.
Je vous invite, chers collègues, à aller voir sur Internet, au-delà des annonces, ce qu’on appelle les punters, c’est-à-dire les avis que donnent les clients sur les prostituées. C’est une véritable honte. La manière dont ils en parlent est scandaleuse, mais tout à fait révélatrice de la considération qu’ils leur portent, puisqu’elles sont jugées au même titre qu’une viande, un restaurant ou un loisir. Qu’on ne vienne pas nous dire après que ce n’est pas un rapport de domination ! Nous devons poursuivre ce combat.
Applaudissements sur quelques bancs du groupe SRC.
J’ai l’impression que dès que l’on touche à internet, on ne sait plus de quoi l’on discute. Enfin, personne ne s’oppose à ce que soit menée une lutte acharnée contre les réseaux de proxénétisme, même sur internet ! La question est plutôt de savoir si l’on choisit une voie qui garantit le respect des libertés, et l’intérêt de l’enquête – la voie judiciaire – ou si l’on choisit la voie administrative.
Je vous conseille vivement de vous pencher sur l’avis du Conseil national du numérique, qui, d’ailleurs, confirme ce qui était, dans le passé, la jurisprudence du parti socialiste : toujours la voie judiciaire, jamais la voie administrative. Il n’y a qu’une seule exception, les sites pédopornographiques.
L’alinéa 3 propose que soit étendue l’obligation faite aux hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet de mettre en place des dispositifs de signalement des contenus illicites ayant trait à la traite et au proxénétisme. L’alinéa ne vise pas à interdire ces contenus, qui peuvent déjà être bloqués, mais seulement à instaurer une obligation spécifique aux FAI et aux hébergeurs.
La définition du caractère illicite d’un message peut se révéler délicate, notamment parce qu’une petite annonce de prostitution n’est pas forcément assimilable à de la traite. Dès lors, il y a fort à craindre que la procédure proposée soit inefficace et source de nombreux contentieux.
Une autre voie, plus efficace et plus rapide, devrait être désormais privilégiée : la saisine directe des services de police par le site internet www.internet-signalement.gouv.fr. Cela n’obligerait pas les hébergeurs et les FAI à s’engager dans une voie attentatoire aux libertés.
Monsieur Coronado, vous vous êtes plaint tout à l’heure d’être maltraité.
Vous avez la détestable habitude de couper la parole, laissez-moi donc terminer mon propos.
Vous avez usé à mon égard du terme de « croisade », ce que je trouve très condescendant, et fait des sous-entendus extrêmement désagréables. Je suis élue depuis longtemps d’une ville très populaire, et la lutte contre les discriminations, pour les droits des femmes et contre la prostitution, font partie des moteurs qui m’animent. Vous ne me connaissez pas, alors abstenez-vous de faire ce genre de remarque. Je vous remercie.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Je reviens à l’amendement n°57 . Rappelons que l’article 1er de la proposition de loi vise à renforcer la lutte contre les réseaux de traite contre les êtres humains et de proxénétisme qui agissent sur internet. Nous proposons, dans l’alinéa 3, d’indiquer que les fournisseurs d’accès et les hébergeurs concourent à la lutte contre la diffusion des infractions de traite des êtres humains, de proxénétisme et des infractions assimilées.
Je ne comprends pas que vous demandiez la suppression de cet alinéa qui, si elle était votée, empêcherait ensuite de mener toute action. L’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique prévoit justement en son alinéa 8 la possibilité de recourir au référé. Si nous supprimons l’alinéa 3, il ne sera plus possible d’intervenir ensuite d’une autre manière, judiciaire ou autre. La commission a par conséquent rendu un avis défavorable.
Je voulais par ailleurs vous informer d’un article voté par le Sénat au projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Cet article 17 modifie l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique afin d’étendre ses obligations à toutes les formes d’incitation à la haine, notamment pour ce qui concerne la haine fondée sur le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle. Il est donc prévu un certain nombre de sanctions – un an d’emprisonnement, 45 000 euros d’amende – à l’encontre de ceux qui auraient appelé à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap, et auront les auront exposé à des discriminations. Je serais très curieuse de voir, monsieur Coronado, comment vous voterez quand ce projet de loi viendra dans l’hémicycle en janvier.
Nous ne pouvons évidemment pas approuver un amendement qui vise à supprimer toute référence à internet dans cette proposition de loi alors même que, nous pouvons tous en convenir, internet est devenu un vecteur essentiel de la prostitution : c’est sur internet que les réseaux maillent concrètement leur territoire et font leur profit. La question est de savoir si nous leur laissons le champ totalement libre ou si nous tentons de nous doter des mesures les plus efficaces pour les contrer.
L’article 1er contient deux types de mesures. Les trois premiers alinéas portent sur les obligations des fournisseurs d’accès et des éditeurs en matière de signalement : les contenus qui relèvent de la prostitution, du proxénétisme ou de la traite des êtres humains pourront ainsi être signalés rapidement aux autorités avant d’être retirés. Maud Olivier l’a rappelé, nous appliquerons ainsi à la prostitution des dispositions qui existent déjà dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique, laquelle prévoit de lutter contre les propos haineux les plus graves avec une double obligation pour les fournisseurs d’accès et les éditeurs : informer rapidement les autorités publiques compétentes de toute activité illicite qui leur serait signalée et rendre publics les moyens que la loi pour la confiance dans l’économie numérique consacre à la lutte contre ces activités illicites. Nous étendons donc ces obligations, qui existent dans la LCEN, au proxénétisme et à la traite des êtres humains.
C’est une bonne mesure car internet ne peut pas, ne doit pas, être une zone de non-droit, une zone d’accueil de la prostitution alors que nous cherchons à la contrer par ailleurs. Je soutiens absolument cette partie de l’article et il n’y a pas lieu pour le Gouvernement de le supprimer.
En revanche, les dispositifs compris dans les alinéas 4 à 8 visant le blocage des sites par l’autorité administrative, ceux-ci peuvent, je le reconnais, poser problème. Une réflexion est en cours au sein du Gouvernement autour de la préparation d’un habeas corpus numérique. Aussi vous proposerai-je, dans un prochain amendement, d’abroger cette partie de l’article 1er.
Au bénéfice de ces explications, monsieur Coronado, je vous propose, puisque nous semblons être d’accord, de retirer votre amendement. À défaut, nous ne pourrons qu’y être défavorables.
Je suis très hostile à cet amendement. Que proposez-vous pour lutter contre la prostitution via internet, monsieur Coronado ? Rien ! Vous êtes un conservateur. Je vous ai d’ailleurs déjà traité de conservateur libertaire en commission. Vous oscillez entre ne rien faire et le libertarisme. Ce n’est pas ainsi que l’on gère un tel problème social. Si vous n’êtes pas capable de nous expliquer vos propositions, tout le monde votera contre votre amendement.
Il s’agit simplement de prévoir un dispositif qui soit totalement applicable. Si vous lisez bien le texte, le 2° du I de l’article modifié permet d’engager la responsabilité civile et pénale des hébergeurs dès lors qu’ils n’empêcheraient pas l’accès à des contenus illicites dont ils auraient eu connaissance. La loi suffit aujourd’hui, Mme Coutelle l’a d’ailleurs reconnu, et il n’est pas nécessaire d’en rajouter.
Ma position en la matière est très claire : ne jamais tomber dans les dérives qui consistent à privilégier la voie administrative à la voie judiciaire et ne pas rajouter d’obligations aux hébergeurs. Il ne faut pas les rendre responsables dès lors qu’ils n’ont pas les moyens de faire eux-mêmes la police. Ils peuvent signaler, c’est vrai, nous sommes d’accord sur ce point, mais ce n’était pas le sens de mon amendement, monsieur de Courson.
L’amendement no 57 n’est pas adopté.
J’espère que cet amendement emportera l’adhésion de M. Coronado comme de l’ensemble de l’Assemblée : il vise à supprimer les alinéas 4 à 8 de l’article 1er, lesquels prévoient que lorsque des sites internet hébergés à l’étranger contreviennent à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, les fournisseurs d’accès internet devront empêcher l’accès à leurs services sur demande de l’autorité administrative.
Je comprends la philosophie de ces dispositions, mais nous nous interrogeons sur l’effectivité d’un tel blocage dans la mesure où les proxénètes peuvent dupliquer immédiatement après les sites sur d’autres serveurs. Il me semble que les mesures prévues par les alinéas 1 à 3 de l’article 1er, qui permettent le signalement des infractions aux autorités, seront beaucoup plus efficaces que cette mesure de blocage, sur laquelle nous ne disposons même pas du recul nécessaire car, comme vous le savez, Mme la rapporteure, les dispositions de ce type adoptées pour lutter contre la pédo-criminalité n’ont pas encore fait l’objet d’un décret d’application. Je ne vous cache pas que le Gouvernement s’interroge sur l’adoption de ce décret.
Par ailleurs, les rôles respectifs du juge et de l’autorité administrative méritent que l’on s’y penche plus attentivement. Le Gouvernement a engagé cette réflexion et il serait prématuré de prévoir l’inscription d’un dispositif de ce type dans cet article. Je vous propose par conséquent de supprimer les alinéas 4 à 8, en gardant à l’esprit que d’autres dispositions complètent nos outils de lutte contre la prostitution sur Internet. Les conclusions du groupe de travail sur l’habeas corpus numérique permettront d’enrichir cette proposition de loi.
Vous voyez bien, madame la ministre, que l’on peut tomber d’accord, que ce n’est pas parce que l’on s’oppose à la pénalisation du client que l’on se désintéresse de la lutte contre les réseaux et le proxénétisme, contrairement à ce que certaines déclarations pourraient laisser croire au sein de cette assemblée. Bien évidemment, nous voterons cet amendement que nous avons déposé avant même le Gouvernement en commission où nous avions déjà alerté Mme la rapporteure ; malheureusement, celle-ci s’était empressée de juger que, comme je ne partageais pas toute la philosophie du texte, je ne pouvais pas avoir d’idée intéressante susceptible d’être intégrée à sa proposition de loi. Nous l’avions d’ailleurs également avertie après l’avis du Conseil national du numérique.
Je m’étonne donc que la commission spéciale, après l’évocation de cette question au cours de ses travaux, après l’avis du Conseil national du numérique, que le Gouvernement s’était engagé lors du séminaire du 23 février 2013 à recueillir systématiquement dès lors qu’il s’agirait de s’attaquer à la législation relative à la Toile, n’ait pas décidé de rectifier l’article en conséquence. Il aura fallu attendre la bonne volonté du Gouvernement qui s’est heureusement souvenu que, sur cette question, prévalait une sorte de jurisprudence du groupe socialiste, sans parler des engagements pris par le Gouvernement lui-même, en particulier le Premier ministre.
Je me félicite de cette prise de conscience qui arrive juste à point nommé pour sauver ce texte d’une dérive liberticide comme cela a été dénoncé par le Conseil national du numérique.
Je me félicite que nous ayons inscrit dans la loi le principe de la lutte des fournisseurs d’accès et des hébergeurs contre la diffusion des infractions relevant des articles 225-4-4, 225-5 et 225-6 du code pénal. J’ajoute que le blocage par le juge des sites qui contreviennent aux dispositions de ces articles sera possible, en application du huitième alinéa du I de l’article 6 de la loi sur le numérique, qui permet à l’autorité judiciaire de prescrire en référé ou sur requête aux fournisseurs d’accès toute mesure propre à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public.
Monsieur Coronado, je vous l’ai déjà dit en commission spéciale et je vous le répète : nous avions rédigé cet article en connaissance de cause, sachant que le Gouvernement retravaillait le dispositif relatif à la lutte contre la pédo-pornographie sur Internet, pour en modifier la loi ou pour réfléchir aux décrets d’application. Nous avions donc choisi de coller la rédaction de l’article 1er à ce dispositif en cours pour qu’il se voie appliquer les mêmes conclusions. Le Gouvernement préfère attendre les conclusions du groupe de travail avant de l’insérer dans la loi, dont acte.
L’objectif reste bien d’adapter notre législation à ce qu’est devenue la prostitution : une prise de contact de plus en plus importante des clients via internet où l’on retrouve des sites derrières lesquels se cachent les mêmes réseaux mafieux que dans la rue, mais pouvant tranquillement s’organiser depuis les pays où la législation sur le proxénétisme est moins dure que chez nous.
Je suis certaine que nous trouverons une solution efficace pour lutter contre les réseaux sans entraver les libertés d’expression et de communication évidemment fondamentales. Je me range donc derrière l’avis du Gouvernement qui souhaite attendre les conclusions du groupe de travail sur la cybercriminalité mis en place par le ministère de l’intérieur. La commission a donc émis un avis favorable à ces deux amendements.
Mme Sandrine Mazetier remplace M. Denis Baupin au fauteuil de la présidence.
Non, je voterai pour l’amendement du Gouvernement mais le vrai problème n’est pas là : il est de savoir dans quel délai la ministre pense que la situation pourra être débloquée. Nous avons déjà voté un texte relatif aux sites pédo-pornographiques…
…mais les décrets d’application n’ont jamais été pris. Il n’y a pourtant pas d’obstacle constitutionnel puisque la jurisprudence du Conseil constitutionnel accepte le blocage administratif dans des circonstances exceptionnelles, justifiées par un intérêt public – et nous avons de bonnes chances d’entrer dans ce cadre. Dès lors, quand disposerons-nous du texte permettant d’appliquer ce système de blocage ? Là est la vraie question ; sinon, nous avons tendance à nous faire plaisir en votant des textes qui ne sont toujours pas appliqués trois ans plus tard. Pourriez-vous nous éclairer sur l’habeas corpus numérique ? Je n’aime pas trop cette expression : l’habeas corpus désigne de le corps humain. Parler d’habeas corpus numérique, d’est un peu trafiquer mots…
Je soutiendrai l’amendement du Gouvernement, mais je voudrais dire un mot à M. Coronado…
…car il a tendance à ramener beaucoup de choses à lui-même. Je m’adressais tout à l’heure aux « 343 salauds » ; vous l’avez pris pour vous, monsieur Coronado, alors que chacun sait bien le travail que vous avez mené, chacun connaît vos positions car vous les avez exprimées clairement et personne ici ne pourrait vous accuser de ce qui a pu être colporté dans la presse.
Vous avez également tendance à caricaturer les arguments des uns et des autres. Notre président de groupe l’a rappelé, nous utilisons tous des mots très crus car nous pensons que ce débat a trop souffert d’être aseptisé, mais sans pour autant trop caricaturer. Je voudrais, mais n’y voyez qu’un conseil amical, que chacun ici contribue à préserver la clarté dont ce débat a pu bénéficier jusqu’à présent.
Je saisis cette occasion pour saluer la qualité de la présidence exercée par M. Geoffroy, des travaux conduits par Mme la rapporteure au sein de la commission spéciale et du soutien apporté par Mme la ministre.
Pour ce qui est du calendrier, monsieur de Courson, le groupe de travail sur la cybercriminalité rendra ses conclusions en janvier prochain. La loi relative à l’habeas corpus numérique est prévue en 2014, mais nous n’attendrons pas nécessairement son adoption pour extraire des préconisations du groupe de travail précité certains dispositifs qui nous sembleraient pertinents. Ce n’est donc qu’une question de semaines, peut-être de mois, avant que nous n’y voyions plus clair pour, le cas échéant, enrichir cette proposition de loi.
L’article 1er, amendé, est adopté.
L’article 1er bis est issu d’un amendement de M. de Courson adopté en commission spéciale et visant à faire bénéficier les professionnels et les personnels salariés et non salariés engagés dans la prévention de la prostitution d’une formation sur ce sujet. C’est une bonne chose : de nombreuses études démontrent que les personnes prostituées ont souvent été victimes de violences sexuelles durant leur enfance ou leur adolescence. Cette disposition a donc pour objet d’améliorer la formation des travailleurs sociaux, notamment ceux qui interviennent auprès d’un public jeune.
Je tiens à appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité de dresser le bilan de toutes les mesures adoptées au fil des lois en matière de protection des jeunes victimes d’agressions sexuelles, de sorte que plutôt que de multiplier les désirs de bonne volonté, on veille à ce que ces jeunes apprécient leur corps et soient prudents quant à ce qui peut leur arriver.
L’article 1er bis nouveau est adopté.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 24 , troisième rectification, tendant à insérer un article additionnel après l’article 1er bis.
Cet amendement vise à permettre aux personnes prostituées de se domicilier à l’adresse de leur avocat ou d’une association qui les accompagne dans leurs démarches administratives. À ce stade, seules les personnes ayant porté plainte peuvent se domicilier auprès du commissariat, comme le propose l’article 1er ter adopté par la commission. Or, les personnes prostituées qui ne sont pas victimes de la traite ou qui ne souhaitent pas porter plainte se heurtent elles aussi à des obstacles en matière de domiciliation. Il s’agit donc tout simplement de leur faciliter les démarches administratives en les rendant plus autonomes, et en leur permettant ainsi de franchir un premier pas dans leur parcours de sortie de la prostitution. J’espère que cet amendement recueillera un avis favorable.
La commission a accepté cet amendement qui, dans une certaine mesure, reprend la proposition no 8 du rapport d’information d’avril 2011…
…que Danielle Bousquet et Guy Geoffroy avaient rédigé sur la prostitution en France, ainsi que la recommandation no 16 du rapport d’information sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel que j’ai présenté au nom de la délégation aux droits des femmes, et qui a été adopté à l’unanimité en septembre dernier.
Il est vrai que les demandeurs d’asile, eux, peuvent se faire domicilier auprès d’une association agréée par arrêté préfectoral. Cela étant, le présent amendement vise toutes les personnes prostituées, qu’elles soient françaises ou étrangères, et qu’elles soient engagées ou non dans un parcours de sortie de la prostitution. Je suis favorable à toute mesure qui vise à faciliter les démarches administratives de toutes ces personnes, françaises ou étrangères, engagées dans un parcours ou non, victimes d’un réseau d’exploitation sexuelle ou non. C’est pour ces raisons que la commission a accepté cet amendement.
Le Gouvernement est lui aussi favorable à cet amendement qui enrichit le texte. La commission avait déjà prévu que les victimes de traite, de proxénétisme ou de recours à la prostitution puissent se domicilier au commissariat ou à la gendarmerie. Leur permettre comme vous le proposez de se domicilier chez leur avocat ou chez une association n’était pas encore prévu, et la proposition est bienvenue.
Je saisis cette occasion pour saluer très chaleureusement l’ensemble du tissu associatif qui agit au quotidien auprès des personnes prostituées. Nous avons d’abord beaucoup parlé de philosophie dans ce débat, puis nous avons rappelé que toutes les associations de terrain n’avaient pas forcément le même avis sur cette proposition de loi ; mais quel que soit leur avis, le service qu’elles rendent aux personnes prostituées est inestimable. Je les en remercie et les assure de tout notre soutien. Je rappelle à cet égard qu’en dix-huit mois, mon ministère a augmenté de 25 % les financements des associations d’accompagnement des personnes prostituées. Voilà qui illustre toute l’importance que j’accorde depuis le début à ce sujet.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
L’amendement no 24 , troisième rectification, est adopté.
Avec cet article relatif aux mesures de protection, nous sommes au coeur de la philosophie qui inspire ce texte. Dans les débats et commentaires médiatiques de nos travaux, il a beaucoup été question de liberté : liberté des prostituées et liberté des clients. Pour ma part, j’affirme ici que le premier des droits à disposer de son corps est la liberté de ne pas se prostituer.
Pour garantir cette liberté-là, l’article 1er ter s’inspire largement de l’ordonnance de protection, que nous avions initialement prévu de délivrer aux victimes de la traite. Cependant, le recentrage de la loi de 2010 sur les seules violences intrafamiliales était un choix politique, mais aussi une simplification de procédure qui permettait de confier cette ordonnance au juge aux affaires familiales. Cet article permet donc de rattraper le retard que nous avions pris ces dernières années en matière de protection des victimes de la traite, dont nous savons qu’elles – et leurs familles – subissent des menaces psychiques, physiques, directes et indirectes. L’anonymat de la résidence et l’usage d’un nom d’emprunt sont des mesures qui ont fait leurs preuves, à condition d’être mises en oeuvre dans les meilleurs délais.
Sur ce sujet comme sur d’autres, la formation des professionnels susceptibles d’accueillir les personnes désireuses de rompre les liens avec leur proxénète est donc primordiale pour que cette action soit dirigée efficacement.
La question reste néanmoins entière pour assurer la protection des familles restées à l’étranger, qui peuvent constituer un objet de chantage. Aussi souhaiterais-je connaître les pistes que le Gouvernement a éventuellement envisagées, pour que ces situations soient mieux prises en compte dans le traitement des demandes d’asile, par exemple, et pour proposer des réponses sans lesquelles les victimes de la traite ne courront pas le risques de dénoncer leur réseau.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 23 rectifié .
Cet amendement est dans le même esprit que le précédent, puisqu’il complète l’alinéa 4 de l’article afin que les victimes de la traite puissent déclarer comme domicile l’adresse de leur avocat ou d’une association qui aide ou qui accompagne les personnes prostituées. Cet amendement avait reçu un avis favorable en commission ; j’espère qu’il en sera de même en séance.
L’amendement no 23 rectifié , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
L’article 1er ter nouveau est adopté.
La parole est à M. Guy Geoffroy pour soutenir l’amendement no 40 , tendant à insérer un article additionnel après l’article 1er ter.
Cet amendement cosigné par plusieurs de nos collègues ; je suggère de laisser à M. de Courson le soin de le présenter.
Lorsque nous avions légiféré pour faire face aux délais de prescription du viol, nous avions pris deux mesures : la première consistait à reporter le début du délai de prescription à la majorité de la personne ayant subi un viol alors qu’elle était encore mineure, et la seconde à allonger ce délai – mais pas suffisamment. L’amendement n°40 a donc pour objet de porter le délai de prescription à vingt ans. Cette mesure a fait consensus au sein de la commission : nous avons vu trop de femmes victimes de viol qui, la trentaine ou la quarantaine venue, essayaient d’entamer des procédures qui, hélas, tombaient car les faits étaient prescrits.
Par le fait qu’il vise les victimes de viols, cet amendement concerne, entre autres, les personnes prostituées qui subissent un viol ; il a donc un lien évident avec le présent texte, ce qui justifie son dépôt par des cosignataires de toutes sensibilités, comme le rappelait M. le président de la commission spéciale.
Sur le plan juridique, rien ne s’oppose catégoriquement à l’allongement du délai de prescription pour le crime de viol. En revanche, cette mesure n’a qu’un lien très indirect avec la présente proposition de loi, dont l’objet est de renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Le projet de loi relatif à la prévention de la récidive et à l’individualisation des peines, dont l’Assemblée devrait être saisie au printemps prochain, serait sans doute plus adapté pour mener à bien une réflexion approfondie sur le délai de prescription des crimes de viol.
Votre préoccupation est légitime et je la partage, mais elle est sans véritable lien avec le texte dont nous débattons.
Je rappelle enfin que la question du délai de prescription en matière de viol est pendante devant la Cour de cassation, qui devrait se prononcer en décembre sur le fait de savoir si ce délai court à compter de la commission effective des faits ou à compter de leur révélation psychique à la victime, en cas d’amnésie par exemple. Pour toutes ces raisons, la commission spéciale a rejeté cet amendement ; j’invite ses auteurs à le retirer, puisque nous aurons l’occasion d’aborder de nouveau cette question à l’avenir.
Monsieur de Courson, vous posez là une question absolument essentielle à laquelle je suis très sensible. Peut-on en effet rester muet face à ces témoignages de victimes qui, après avoir enfin réussi à trouver la force de briser le tabou en dénonçant les crimes qu’elles ont subis, apprennent qu’ils resteront à jamais impunis parce qu’ils sont prescrits ?
J’appelle tout d’abord votre attention sur le fait que dans le plan de lutte contre les violences faites aux femmes, que nous avons adopté en début de semaine, plusieurs initiatives importantes sont prises pour faire en sorte que les victimes de viol soient prises en charge très tôt, pour augmenter le nombre de signalements ; un kit d’urgence est mis à disposition des services d’urgence pour veiller à ce que tous les tests et prélèvements utiles soient effectués dès les premières heures et, ainsi, éviter que les victimes ne se retrouvent engagées dans la procédure judiciaire sans disposer des preuves permettant d’établir la réalité du viol.
Cela ne répond certes pas à toutes les questions, et j’entends bien votre argumentation, monsieur le député. Les progrès de la psychiatrie, notamment, posent la question de la prescription de l’action publique puisque souvent, c’est bien après les faits – parfois au bout de plusieurs années – que les victimes se souviennent de ce qu’elles ont subi.
Il me semble que cette question est assez importante pour que nous nous la posions dans un cadre plus général que ce texte qui cible la prostitution. Ce cadre général arrivera très vite, puisqu’il s’agit du projet de loi relatif à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui sera présenté le 21 janvier prochain. Je vous propose donc de retirer votre amendement afin que nous abordions de nouveau la question à cette occasion.
Je suis prêt à le retirer pourvu qu’il y ait un engagement clair du Gouvernement à adopter cette mesure, à laquelle Mme la rapporteure, M. le président de la commission et l’essentiel de nos collègues de la commission sont favorables. Si vous nous dites que vous êtes également d’accord, madame la ministre, et que vous l’intégrerez au texte que vous présenterez en janvier – ce serait en effet une meilleure solution –, je retirerai l’amendement. Il vous suffit de nous en donner l’assurance.
En tant que rapporteur du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, j’abonde dans le sens de la ministre et je signale qu’un grand nombre d’auditions ont permis d’aborder la question qui vient d’être soulevée par notre collègue Charles de Courson.
Effectivement, la discussion, qui s’annonce en commission des lois en décembre, puis dans l’hémicycle en janvier, permettrait d’aborder plus sereinement et sérieusement cette question extrêmement sensible.
La parole est à M. le président de la commission spéciale, qui interviendra peut-être en sa qualité de co-auteur de l’amendement.
J’en profite pour dire que je me doutais de votre arrivée au perchoir, ce qui m’a fait commettre une inélégance à l’égard de notre collègue Denis Baupin, en lui donnait par erreur du « madame la présidente » au début de nos travaux.
Sourires.
Non seulement j’abonde dans le sens de Charles de Courson, mais j’enfonce le clou en reprenant les propos de notre rapporteure et en actant ceux de notre ministre : c’est justement parce que l’action est pendante devant la Cour de cassation et que notre droit positif actuel est incertain en la matière qu’il faut absolument le sécuriser.
Dans la mesure où un travail est en cours, la ministre aura peut-être des difficultés à nous garantir aujourd’hui que la mesure sera dans le texte, telle que nous la proposons ; mais tous les ingrédients me semblent réunis pour que, sauf problèmes techniques, elle y soit. En tout état de cause, il ne faudrait pas que le Gouvernement nous oppose un argument de fond alors même que nous aurons le bon véhicule législatif.
Je vais donc retirer l’amendement no 40 en souhaitant que le Gouvernement prenne cette disposition à son compte dans le futur projet de loi ; et s’il n’est pas en mesure de le faire, qu’au moins il soutienne l’amendement qui sera immanquablement présenté par notre collègue Sébastien Denaja et auquel, en tant que membre de la commission, je serai très attentif.
Vous mesurez, au fur et à mesure de la discussion, à quel point nous avons un problème de cadrage général : les débats sur l’article 1er ; des amendements non bouclés ; les questions liées à internet ; le Gouvernement qui avoue lui-même que la proposition de loi n’est pas prête ; le dépôt d’amendements de suppression, etc. Je réitère donc les propos que j’ai tenus tout à l’heure.
Ne confondez pas la mobilisation de parlementaires qui se passionnent à juste raison depuis des années pour cette question et celle l’ensemble du Parlement. Je suis très frappé d’une chose : alors que j’avais de la difficulté à parler de ce sujet dans mon propre groupe il y a encore huit jours, je constate aujourd’hui une envie de s’en saisir, après que les médias l’ont planté dans le décor, dans le débat public. Continuez à prendre mon intervention initiale comme une vraie intervention de fond.
S’agissant de la question posée, madame la ministre, il est probable que cette mesure aurait dû trouver sa place dans la loi relative aux violences faites aux femmes. Aucun d’entre nous ne l’ayant vraiment défendue, nous avons passé de cap.
Est-ce un cavalier ? Je ne suis pas convaincu que cela n’en sera pas encore plus un la prochaine fois. Quoi qu’il en soit, le sujet du traumatisme amnésique est absolument majeur.
Ce n’est pas seulement reconnaître, il faut un choc d’une extrême violence dont on ne sait pas à quel moment il a lieu pour sortir d’un traumatisme amnésique.
Profitons de ce texte pour adresser un signal dès à présent, même fragile. N’avez-vous pas dit, madame la ministre, que cette proposition de loi allait être très enrichie et qu’elle allait vivre un certain temps ? Il sera toujours temps de modifier la mesure mais, au moins, adressons d’ores et déjà ce signal démocratique concernant cette violence qui, elle, est absolument irréparable.
Vous ne retirez pas l’amendement, M. de Courson ? J’avais cru comprendre, dans votre intervention et dans celle de votre coauteur, que c’était le cas.
Madame la présidente, je voulais entendre Mme la ministre me dire « oui ». Si elle le fait, je le retire tout de suite.
Sourires.
Je répète que cet enjeu me semble absolument majeur – n’ayez aucun doute à ce sujet –, que nous sommes en train de l’expertiser car nous nous posions cette question avant même le débat d’aujourd’hui, que les échanges se poursuivent notamment avec le rapporteur du texte relatif à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, et que nous ferons des propositions en janvier. Mais pour ce qui est de vous dire la nature exacte des propositions, cela me paraît un peu prématuré.
En revanche, monsieur le député Borloo, ce texte-ci ne me paraît pas le cadre législatif adapté pour recevoir une mesure de ce type : les viols ne concernent pas qu’une catégorie de la population ; ils peuvent toucher tout le monde et pas seulement les femmes. Nous serions mieux inspirés de consacrer, dans le texte sur l’égalité entre les femmes et les hommes, un passage plus complet sur les viols et sur une meilleure prise en compte des traumatismes tardifs, mais aussi sur une meilleure prise en charge des victimes dès le premier instant. Ce texte à venir, dont l’un des chapitres est précisément consacré aux violences faites aux femmes, me semble plus adapté que celui-ci.
Au bénéfice de ces explications, j’espère que vous accepterez tous les deux de retirer votre amendement.
J’en suis cosignataire avec plusieurs personnes dont le président de la commission spéciale. Le président de la commission spéciale est-il lui-même favorable à ce retrait…
…sous réserve que Mme la ministre et M. le futur rapporteur poussent dans le bon sens, c’est-à-dire celui d’un allongement ? Ensuite, on peut discuter de la durée : faut-il la doubler, la fixer à quinze ou dix-huit ans ? J’ai trouvé le rapporteur un peu hésitant.
Je ne sais pas si j’ai bien compris son intervention mais il ne s’est pas trop mouillé, disant qu’il était favorable à l’allongement et qu’il s’agirait ensuite de discuter du quantum.
Sourires.
L’amendement no 40 est retiré.
La parole est à Mme Ségolène Neuville, pour soutenir l’amendement no 54 .
Cet amendement a pour objectif d’évaluer l’impact de cette proposition de loi dans les zones transfrontalières. J’ai alerté à plusieurs reprises, au cours des travaux de la commission, sur la réalité vécue par les départements transfrontaliers, en particulier par le mien, les Pyrénées-Orientales, du fait de sa proximité avec les bordels espagnols de La Jonquera.
Dans ce domaine, j’ai été largement aidée et relayée par le président de la commission spéciale, Guy Geoffroy, ce dont je le remercie. Il nous a dit, à plusieurs reprises, qu’il avait eu le triste privilège d’entrer dans ces fameux bordels de La Jonquera, contrairement à Danielle Bousquet – les femmes, paraît-il, n’ont pas le droit d’entrer dans ces maisons closes remplies de prostituées qui sont pourtant bien des femmes, elles aussi…
La pénalisation du client français qui va à l’étranger n’a pas été incluse dans cette proposition de loi puisqu’il semble que cela ne soit pas possible dans l’état actuel de notre droit. Le risque est donc que les clients qui vivent près d’une frontière avec un pays qui autorise les maisons closes soient encouragés à s’y rendre pour éviter une contravention en France.
Bien sûr, c’est sans compter sur le rôle pédagogique de la loi : nous savons qu’en Suède, la loi a eu pour effet de diminuer le recours à la prostitution et, plus généralement, de modifier l’opinion de la population sur ce sujet. Néanmoins j’en appelle à la vigilance et je demande la remise de ce rapport. Il nous sera utile pour continuer à discuter avec les pays européens voisins qui autorisent les maisons closes. Avec un rapport et un état des lieux, nous pourrons leur demander de faire aussi évoluer la législation.
La coopération internationale et européenne en matière de lutte contre les réseaux d’exploitation sexuelle est intimement liée au développement de la prostitution dans certaines régions transfrontalières. Il me semble nécessaire, en effet, de faire du rapport prévu à l’article 1 quater le support de l’évaluation de l’impact du présent texte sur l’activité prostitutionnelle dans les zones en question.
C’est pour cette raison que la commission spéciale a accepté cet amendement.
Madame la députée, je comprends absolument la préoccupation de tous les élus des territoires transfrontaliers, pris entre deux pays aux législations contradictoires et qui constatent à quel point le développement de la prostitution à la frontière peut poser problème.
Rappelons qu’il existe une coopération bilatérale à chacune de nos frontières avec des équipes d’enquêtes conjointes. Pour répondre à votre proposition, nous pourrions faire en sorte qu’un rapport soit établi, comprenant notamment les résultats de l’échange d’information entre les polices européennes, afin de vous informer davantage.
Pour autant, il ne faudrait pas croire que l’Union européenne serait totalement incompétente en matière de lutte contre la traite. De fait, elle est totalement compétente et elle a déjà adopté des législations concernant la saisie des avoirs à l’étranger, par exemple, ou la reconnaissance des décisions prises dans un État à l’égard des proxénètes ou des réseaux.
Tous ces sujets entrent dans le champ de l’article 82 du nouveau traité. Le Gouvernement français estime que ces affaires de proxénétisme et de traite pourraient parfaitement être du ressort du nouveau parquet européen qui est en train de voir le jour, et il oeuvre activement en ce sens.
C’est aussi un des sujets sur lequel nous sommes décidés à avancer. Comme l’un d’entre vous l’a dit, si nous nous préoccupons uniquement de ce qui se passe sur notre territoire, nous ne faisons que repousser la prostitution à nos frontières. Ainsi que je l’ai expliqué en introduction, nous avons notamment réuni les dix-huit États européens qui se sont engagés à prendre des mesures de coopération entre leurs polices. Nous allons continuer et vous rendre régulièrement des comptes, comme vous le suggérez dans votre amendement auquel je suis favorable.
En quelques mots, je voudrais relayer le propos de Ségolène Neuville et remercier notre rapporteure et la ministre de leur accord sur cet amendement. Le phénomène de la prostitution à nos frontières est un exemple particulièrement éclairant de ce que peut donner l’application de deux législations différentes sur des territoires distants de quelques mètres.
Ségolène Neuville rappelait des propos que j’ai tenus à plusieurs reprises, y compris en commission, à propos de La Jonquera. Effectivement, j’ai eu ce triste privilège de dialoguer pendant près d’une heure dans ce sinistre bordel nommé Le Paradisio, sinistre au-delà de ce que l’on peut imaginer.
À ceux qui n’auraient pas tout compris et qui croiraient encore que dans la prostitution il y a, d’un côté la traite des êtres humains dont tout le monde veut s’occuper, et, de l’autre, des aspects qui en seraient nettement détachés, je dirai ceci : dans ce bordel espagnol de La Jonquera, au Paradisio, toutes les prostituées sont étrangères et tous les clients sont Français.
Si, après cela, on n’a pas compris qu’il y avait un léger problème avec la prostitution dans notre pays et en Europe, c’est que l’on n’a pas fait l’effort de comprendre.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Ce que dit le président Geoffroy est parfaitement exact ; d’ailleurs, les Allemands sont en train de réfléchir à un changement de politique, parce qu’ils ont bien vu qu’ils ont transformé l’Allemagne en un lieu de tourisme sexuel et amplifié le phénomène au lieu de le réduire.
Cela étant, il a été dit précédemment qu’il était impossible de sanctionner un Français qui serait pris à l’étranger. En êtes-vous sûr ? Nous avons adopté des textes en matière de droit pénal sur des infractions commises à l’étranger et qui peuvent être sanctionnées en droit national. C’est le cas, par exemple, pour le tourisme sexuel.
Madame la ministre, pourriez-vous nous dire si, à la suite de l’adoption de cette loi, il sera possible de sanctionner un Français dont on prouverait qu’il a fréquenté des prostituées au Paradisio, dans un eros center à Munich ou ailleurs ?
Nous l’avons déjà fait dans d’autres domaines et je suis un peu étonné de ce qui a été dit tout à l’heure.
Le débat sur ce sujet aura lieu tout à l’heure, monsieur le député. Des amendements dont l’objet est de permettre d’agir plus largement, y compris pour des faits qui se déroulent à l’étranger, ont été déposés, qui seront examinés tout à l’heure.
L’amendement no 54 est adopté.
L’article 1er quater, amendé, est adopté.
La parole est à M. Sergio Coronado, pour soutenir l’amendement no 25 , portant article additionnel après l’article 1er quater.
Je vais essayer d’être plus clair que je ne l’ai été, semble-t-il, en commission, puisque cet amendement n’y avait pas reçu d’avis favorable. On n’en a pas, me semble-t-il, compris l’objet.
Au cours des auditions, il nous avait été dit, et un certain nombre de syndicats étudiants ont mené campagne sur cette question-là, que la prostitution étudiante se développait de manière importante, parfois en échange de logements, parfois pour pouvoir continuer des études.
Par cet amendement, nous proposons tout simplement de rendre responsables les directeurs de la publication, les responsables de journaux qui publient ces annonces, en assimilant cela à du proxénétisme. Certes, le champ de l’incrimination de proxénétisme est déjà très large, mais la situation dont nous parlons n’y entre pas. Je propose simplement que celles et ceux qui permettent la publication de petites annonces dont l’objet est l’échange d’un service sexuel contre un logement puissent être tenus pour responsables.
Nous en avions effectivement discuté, et j’avais proposé à M. Coronado de réécrire son amendement, ce qui n’a pas été fait. Sa formulation comporte une ambiguïté : elle ne vise pas expressément et uniquement le directeur de la publication, ce qui aurait d’ailleurs amené d’autres débats, notamment sur la liberté de la presse ; c’est pourtant l’objectif visé. Le directeur de la publication pourrait être inquiété, mais également une personne qui propose un bien immobilier en échange de relations de nature sexuelle. Or, s’il s’agit bien, dans le cas du directeur de la publication, d’un acte assimilé au proxénétisme qu’il convient évidemment de réprimer, dans la seconde hypothèse, c’est un acte de recours à la prostitution. Or je crois savoir que vous n’êtes pas favorable à la pénalisation du recours à la prostitution.
En maintenant une telle ambiguïté juridique, votre amendement expose au risque de voir les clients soient poursuivis et condamnés pour proxénétisme. Qu’ils soient poursuivis, pourquoi pas ? Mais les condamner pour proxénétisme est quand même plus grave, d’autant qu’ils ne devraient l’être que pour recours à la prostitution. Voilà qui posera un réel problème en termes de proportionnalité de la sanction.
C’est pourquoi la commission spéciale a rejeté cet amendement.
Nous demandons le retrait de l’amendement ; à défaut, nous émettrons un avis défavorable.
L’amendement no 25 est retiré.
La parole est à M. Guy Geoffroy, pour soutenir l’amendement no 44 , qui tend à insérer une nouvelle division et un nouvel intitulé avant l’article 2.
Cet amendement vise à tirer la conséquence de l’abrogation du délit de racolage en insérant une nouvelle division et un nouvel intitulé : « Section 1 - Dispositions relatives à l’accompagnement des victimes de la prostitution ».
Cela nous amènera-t-il à débattre maintenant sur les articles 13 et 14 qui se trouveraient réunis ? Je ne sais. Pour l’heure, il s’agit d’un amendement technique qui découle du traitement d’une question qui, elle, ne l’est pas.
C’est vrai, la directive constitue une invitation à l’abrogation du délit de racolage, mais on l’a déjà transposée dans notre droit. En effet, vous le savez, on a transposé la convention de Varsovie dont cette directive s’inspire très largement, en créant par exemple la mission interministérielle pour la protection des femmes et tout ce que j’ai présenté récemment ici.
Je ne suis pas opposé à la philosophie que vous défendez avec cet amendement. En même temps, je crois qu’il n’a pas de portée normative, qu’il n’apporte rien de particulier. Je m’en remets donc à la sagesse de l’Assemblée.
L’amendement no 44 est adopté.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 3.
La parole est à M. Philippe Goujon.
Créant une nouvelle règle de délivrance d’un titre de séjour et de travail aux personnes en situation irrégulière qui souhaitent sortir de la prostitution sans forcément s’engager à coopérer avec la police, l’article 3, s’il procède, bien sûr, d’une intention louable, apporte une mauvaise réponse. Je souscris évidemment complètement à l’idée que l’on accorde remises et transactions fiscales à titre gracieux aux personnes prostituées qui cessent leur activité. Cependant, il me semble que la facilitation de l’accès à un titre de séjour et de travail temporaire, ainsi qu’à l’allocation temporaire d’attente, revient à conférer à ces personnes, qui bénéficieront ainsi de la solidarité nationale, des droits sans aucun devoir.
Pourtant, il n’existe pas de vide juridique en la matière. L’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers prévoit déjà une procédure de délivrance d’un titre de séjour et de travail aux personnes prostituées qui coopèrent avec la police pour le démantèlement des réseaux. Cette procédure est particulièrement vertueuse, parce qu’elle les incite à contribuer à la lutte contre les exploiteurs.
Cette nouvelle procédure qui vise à accorder un nouveau titre de séjour sans aucune contrepartie apparaît donc superfétatoire ; il n’est pas souhaitable d’y ajouter, de surcroît, l’extension du bénéfice de l’ATA, dont aucune étude, d’ailleurs, n’a chiffré le coût pour la solidarité nationale. Le ministre de l’intérieur, je le cite moi aussi, il s’agit d’une de ses déclarations que vous avez omis de citer, nous a fait part de sa réticence, qui tenait précisément au manque de chiffrage.
Ces deux dispositions constituent donc une mauvaise réponse au vrai problème de la traite des êtres humains, car c’en est bien sûr un. Elles risquent au contraire de renforcer l’attractivité de notre territoire pour ces réseaux qui, comme on le dit depuis des heures, exploitent la misère humaine.
Je souhaite intervenir sur deux points précis.
L’article 3 consacre la création d’une instance chargée d’organiser et de coordonner l’action en faveur des victimes, de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains. J’aurais voulu entendre à la fois Mme la rapporteure et Mme la ministre sur les moyens qui seront alloués à cette instance, sur son périmètre et sur les conditions d’organisation de son travail.
Ensuite, je me félicite de l’intervention de Mme la ministre, qui tout à l’heure a rendu hommage aux associations de terrain, dont certaines ne partagent pas la philosophie de ce texte, mais là n’est pas la question. Je veux simplement lui dire qu’une préoccupation s’est fait jour – je pense qu’elle le sait, elle a dû en être avertie – à la suite des déclarations de Mme Bousquet annonçant que, une fois cette proposition de loi adoptée, l’aide apportée par l’État aux associations serait conditionnée au soutien qu’elles apporteront à la pénalisation du client. Un certain nombre d’associations se sont donc interrogées sur la manière dont elles continueraient à agir dans le domaine qui est le leur, celui de l’accompagnement des personnes prostituées, pour les aider dans l’accès au droit et, pour certaines, dans un parcours de sortie de la prostitution. Je souhaiterais entendre des propos qui clarifient la situation, car cela ne doit pas faire débat entre nous ; je crois, madame la ministre, que les associations attendent vraiment une clarification très nette après les propos de Mme Bousquet.
Si je tiens à intervenir à propos de cet article, c’est parce qu’il est essentiel. Contrairement à ce qui a pu être dit tout à l’heure à la tribune par un de nos collègues, le coeur de notre proposition de loi, ce n’est pas la disposition sur la pénalisation ou responsabilisation du client, sur laquelle se sont focalisés les médias ; c’est bel et bien la protection, c’est la sécurisation des victimes de la prostitution. La véritable clé de voûte de ce texte, c’est précisément cet article 3, qui met en place un véritable système de protection et d’accompagnement de ces victimes. L’enjeu essentiel de ce texte, je le répète, c’est l’enjeu humain, c’est même, plus précisément, l’avenir de ces personnes. La question, simple, qu’elles se posent est la suivante : que vont-elles devenir demain ? que vont-elles devenir au lendemain de la promulgation de cette loi ? Finalement, leur seul désir, si j’ose dire, est un désir d’avenir.
Eh bien, la loi leur dit qu’elles ne sont pas seules, que la République les protège. C’est effectivement un véritable parcours de sortie de la prostitution que met en place l’article 3. Il entend apporter une réponse durable, concrète, crédible, en termes de soins, de revenus, de sécurité, de logement, de formation et d’accompagnement vers l’emploi. Ce parcours de sortie, nous l’assumons, ouvrira des droits nouveaux aux personnes étrangères que la République a l’impérieux devoir de protéger. Et cette République, soulignons-le, c’est quand même la cinquième puissance mondiale.
Parce que nous sommes soucieux, surtout, d’être pragmatiques, soucieux d’aller à l’idéal en passant par le réel, aurait dit Jaurès, nous sommes heureux, madame la ministre, que le Gouvernement se soit engagé à abonder le fonds de prévention à hauteur de 20 millions d’euros pour soutenir ce parcours de sortie de l’enfer prostitutionnel.
Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, j’ai entendu, depuis le début de cet après-midi, qu’il n’y avait, dans ce texte, rien de concret, à part l’article 16, mais j’y reviendrai. Il y a effectivement cet article 3, et j’abonde dans le sens de mon collègue M. Denaja. Il donne à la personne prostituée, en relation avec l’État, le moyen de disposer d’une carte de séjour, de quoi travailler, de quoi pouvoir exister.
Monsieur Goujon, je vais vous emmener un jour, si vous en êtes d’accord, à venir faire un tour avec moi à Belleville. Je suis députée de Belleville, où l’on trouve ces communautés citées dans le rapport : les Chinois, les Roms. Or je suis amenée à m’occuper d’une gamine sourde et muette – rendez-vous compte ! –, prostituée depuis des années. Nous avons appris qu’elle avait été mise enceinte et que le gamin était retenu dans son pays. Vous ne voulez pas qu’on l’aide, d’abord, pour qu’elle puisse s’en sortir ? Vous voulez qu’elle commence par porter plainte ou qu’elle puisse dire des choses ?
Mais elle est sourde et muette ! Comment fera-t-elle ? Souvent, ces jeunes femmes ne parlent pas nos langues : comment feront-elles si nous ne les aidons pas, au début, dans un parcours de réinsertion sociale, avec les associations dont Mme la ministre vient de parler et dont elle a décidé, à juste titre, d’augmenter de 25 % le financement ? Ce qu’il faut faire, c’est d’abord les aider à s’en sortir ! Et cela ne créera pas pour autant un appel d’air, dans la mesure où les autres dispositions du texte permettront, à mon avis, de commencer à réduire ce phénomène.
Nous avons aujourd’hui des femmes qui souffrent ; et la priorité pour l’instant, monsieur Goujon, c’est de les aider à s’en sortir.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
L’article 3 vient compléter l’article L.121-9 du code de l’action sociale et des familles. Il y ajoute le bénéfice de la protection et de l’accompagnement pour les personnes victimes de la prostitution, la création d’un parcours de sortie de la prostitution dont le suivi est assuré par une instance départementale et enfin l’ouverture du droit à un titre de séjour temporaire, pour les personnes engagées dans le parcours de sortie. Ces dernières semaines, par voie de communiqués de presse, de pétitions et autres tribunes, nombreux ont été les débats sur question de la pénalisation du client, ce qui réduisait cette proposition de loi à de simples mesures pénales.
Ce texte va bien au-delà. Il est global. Il punit, il protège, il accompagne. Punir les clients, lutter contre les réseaux de traite et consentir à accorder aux personnes prostituées le statut de victime était devenu indispensable. Nous le ferons. Nous irons même au-delà, car comment pourrions-nous lutter contre les formes modernes d’esclavage sans protéger ces femmes des réseaux, qui les ont tant détruites et qui les hanteront à jamais ? Comment prétendre mettre fin à ces situations de misère sans accompagner véritablement celles dont les seuls repères étaient la violence, la brutalité et la soumission ?
Affirmant avec force notre volonté de ne pas abandonner les victimes à leur triste sort, l’article 3 de cette proposition de loi donne corps et crédibilité à la position abolitionniste de la France. En leur permettant de disposer d’un système de protection, nous leur montrons que nous avons conscience des menaces que les réseaux de proxénètes font peser sur elles, et que nous ne les acceptons pas. Nous les protégeons aussi contre l’éventualité que ceux-ci s’emparent à nouveau d’elles.
Elles ont vu dans la prostitution l’ultime solution, le dernier recours pour ne pas tomber dans la misère. La patrie de la démocratie, de l’égalité, de la justice et des droits de l’homme – valeurs que nous défendons tous – ne peut pas accepter que l’exploitation des corps fasse partie de l’univers des possibles. Avec le parcours de sortie, et le contrat que ce parcours suppose de signer, nous montrons à ces victimes qu’une autre voie est possible. En leur donnant la possibilité de bénéficier de l’allocation temporaire d’attente, et en faisant confiance aux associations conventionnées, nous les accompagnons sur le chemin qui leur permettra de retrouver leur intégrité physique et morale, qui leur avait été jusqu’ici confisquée.
Nous réaffirmons qu’elles aussi ont droit à la liberté et à la dignité. Nous leur permettons de nouer à nouveau avec autrui des relations sociales pacifiées, apaisées, où les violences physiques et morales ne sont plus la règle. Pour finir, nous leur signifions que l’État n’est pas l’ennemi des victimes, mais l’ennemi de leurs bourreaux. Telle est la promesse que contient cet article.
Surtout, nous rappelons l’État social à ses devoirs : soutenir, accompagner et venir en aide à celles et ceux qui ont souffert, souffrent ou risquent de souffrir de toute forme de barbarie, quelle qu’elle soit. Cet État social a encore le pouvoir de substituer le respect à la brutalité, la paix à la violence, et surtout l’humain à l’inhumain.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
L’article 3 de cette proposition de loi crée un parcours de sortie de la prostitution. Notre pays est abolitionniste : cela signifie qu’il souhaite voir disparaître la prostitution. Pour cela, il faut d’abord en finir avec les visions archaïques, littéraires et esthétiques. Cette vision archaïque consiste aujourd’hui à rêver d’escort-girls en profession libérale, ou à fantasmer sur l’étudiante jeune et jolie du film de François Ozon. C’est refuser de voir que la prostitution du XXIe siècle concerne très majoritairement des femmes venues d’Afrique et d’Europe de l’Est, battues et violées préventivement pour être asservies à leurs proxénètes. C’est refuser de voir celles et ceux à qui la société n’offre aucun autre choix que de se retrouver entre deux camions. C’est préférer se repaître de l’ambiguïté des prostituées, qui affirment leur pouvoir sur les désirs des hommes tout en se soumettant à leur puissance physique et économique. Mais cette ambiguïté si esthétique dissimule bel et bien le plus vieux sexisme du monde !
C’est le plus vieux sexisme du monde, car la quasi-totalité des prostituées sont des femmes, et la quasi-totalité des clients des hommes. La prostitution porte ainsi sur ce qui serait la seule compétence des femmes : louer leur sexe pour le plaisir de l’homme. Vous remarquerez qu’il n’est jamais question du désir ou de l’éventuelle misère sexuelle des femmes. Tout cela importe peu, car la prostitution relève plus du droit des propriétaires que des droits des êtres humains.
C’est au nom de la lutte contre le plus vieux sexisme du monde que le parcours de sortie de la prostitution se justifie. Je ne me résous pas à une société de marché dans laquelle règne un libéralisme sans limite, pur et parfait, comme la concurrence du même nom. Oui, la violence se nourrit des inégalités entre hommes et femmes. Oui, la sexualité est affaire de désir réciproque, d’échanges parfois complexes et de plaisir partagé, qui doivent échapper aux contraintes économiques et financières. Il s’agit ici d’ouvrir des alternatives : limiter les entrées en prostitution et en favoriser les sorties. C’est cette nouvelle façon de vivre en société que promeut cette proposition de loi.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Je veux réagir à une formule employée par un de nos collègues. Monsieur Goujon, vous avez dit que cet article confère à ces personnes des droits sans aucun devoir. Mais si cet article 3 prévoit que toute personne victime de la prostitution doit bénéficier d’un système de protection et d’assistance, c’est parce qu’il est extrêmement difficile de sortir du système prostitutionnel. Parler de devoirs n’est pas pertinent, car entamer ce parcours représente déjà un effort extraordinaire pour les personnes victimes de la prostitution. Il faut que l’État accompagne ces personnes, notamment les femmes étrangères qui sont sans papiers ou qui se les sont vus confisquer.
Toutes les mesures modifiant le code de l’entrée et du séjour des étrangers sont extrêmement importantes. J’aurais même préféré que l’autorisation provisoire de séjour accordée aux personnes engagées dans le parcours de sortie de la prostitution dure plus longtemps.
Il n’y aura pas d’appel d’air migratoire. Penser qu’une femme subirait la prostitution simplement pour obtenir des papiers, c’est ne pas comprendre la violence que constitue la prostitution. J’aurai l’occasion, madame la ministre, en janvier 2014, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, de présenter un amendement pour protéger encore mieux les femmes arrivées en France au titre du regroupement familial et qui, à cause d’une séparation ou d’un départ, n’ont plus aucune protection.
L’idée de l’article 3 est bonne : le parcours de sortie de la prostitution prend la forme un contrat signé par une prostituée, une association et l’État. Je trouve simplement que la rédaction aurait pu être améliorée : il faudrait notamment dire explicitement que ce contrat mentionne les droits et les devoirs de la personne signataire. Il faut bien montrer qu’il y a à la fois des droits et des devoirs. Le texte parle de « l’engagement de la personne dans le parcours de sortie de la prostitution », mais on pourrait être plus précis, et parler – par exemple – d’engagement à suivre une formation et à apprendre la langue française, pour pouvoir s’insérer dans la société.
Ajoutons que les dispositions de l’article 3 ne relèvent pas du domaine de la loi – en tout cas celles du premier paragraphe. Soit dit entre nous, la création de tels contrats relève de la compétence de l’autorité administrative. Il n’y a que le deuxième paragraphe de cet article qui soit législatif. Il serait donc intéressant que Mme la ministre précise un peu comment elle envisage ces contrats et, dans ces contrats, l’équilibre des droits et devoirs. Il y aura toujours des gens pour essayer de frauder : comment empêcherons-nous le détournement – ou le contournement – de ces contrats ? Telle est la question qui se pose.
Nous voterons donc cet article, mais entre nous, il faut bien dire qu’il n’a pas grand-chose de législatif.
Nous en venons aux amendements à l’article 3.
La parole est à Mme la ministre, pour soutenir l’amendement no 60 rectifié .
La présentation de cet amendement me donne l’occasion de répondre aux orateurs qui se sont exprimés sur l’article. M. Coronado disait tout à l’heure que jusqu’à présent, les pouvoirs publics sont très loin d’avoir été à la hauteur de leur mission d’accompagnement des personnes prostituées. C’est vrai : je partage totalement cette opinion. Nous avons failli, en nous contentant bien souvent de déléguer aux associations d’accompagnement des personnes prostituées cette mission essentielle. Pis encore, nous ne leur avons pas donné les moyens suffisants pour l’accomplir.
La véritable nouveauté, la véritable révolution opérée par cette proposition, ce n’est pas simplement rendre les clients responsables : c’est aussi, précisément, rendre l’État responsable du sort des personnes prostituées, grâce à ce parcours de sortie de la prostitution. Ce parcours s’appuiera sur des associations partenaires et des collectivités territoriales. Il sera doté, comme je le disais tout à l’heure, d’un fonds de 20 millions d’euros par an. L’organisation de tout cela relèvera de la responsabilité de l’État. Telle est la véritable nouveauté apportée par cette proposition de loi.
Les amendements nos 60 rectifié et 65 que je vous soumets visent à lever un certain nombre de malentendus pesant sur ce parcours de sortie de la prostitution. Le premier malentendu porte sur la question des associations sur lesquelles l’État s’appuiera dans le cadre de ce parcours. Que les choses soient claires : nous nous appuierons sur toutes les associations qui accompagnent les personnes prostituées, quelles que soient leur origine et leur doctrine. Dans notre esprit, il n’a jamais été question du contraire. Je pense, en disant cela, à des associations qui agissent déjà sur le terrain, comme l’Amicale du Nid, les Amis du Bus des femmes, le Mouvement du Nid, Ippo, à Bordeaux, Médecins du Monde, mais aussi à des associations généralistes qui ont mis en place des programmes d’accompagnement des personnes prostituées et qui adhèrent, par exemple, à la FNARS – la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale. Comme vous le voyez, ces associations sont nombreuses : nous aurons besoin de chacune d’elles.
Nous ne voulons pas faire de distinctions entre ces associations. Soyez certains que chacune trouvera sa place, de manière à ce que l’accompagnement des personnes engagées dans un parcours de sortie de la prostitution soit le plus efficace possible. C’est la seule priorité qui nous guidera.
Par ailleurs, ce parcours et ce fonds ont pour objet d’offrir une solution globale à la personne prostituée. Dans la logique de ce parcours, des mesures de protection sont offertes, ainsi que des soins, des actions d’insertion sociale et professionnelle. Au fond, ce parcours est une mesure clé pour offrir des alternatives à la prostitution.
En échangeant avec les associations, il nous est apparu nécessaire de clarifier un certain nombre des conditions d’organisation de ce parcours de sortie de la prostitution. Premièrement, nous vous proposons de clarifier la rédaction de cet article pour ce qui touche à l’agrément des associations. Nous vous soumettons une rédaction plus ouverte, qui permettra donc de soutenir toutes les actions d’insertion destinées aux prostituées. Deuxièmement, pour répondre à ce que disait M. de Courson, je ne crois pas que ce parcours de sortie de la prostitution doive prendre la forme d’un contrat. Les associations ont beaucoup insisté sur ce point et je crois qu’elles ont eu raison de le faire. Les prostituées et les autorités publiques ne sont pas placées sur un pied d’égalité : elles ne sont pas dans la situation des parties à un contrat. Il ne faut donc pas parler d’un contrat, mais d’une simple main tendue, d’un soutien, dont le suivi devra être assuré en lien avec les associations.
L’engagement d’une personne dans un parcours de sortie de la prostitution sera acté par l’autorité administrative et l’association qui l’accompagne personnellement. Le suivi sera assuré par la même instance administrative, qui veillera à ce que les droits et la sécurité de cette personne soient effectivement garantis.
Voilà ce que je peux vous dire. Pour le reste, nous faisons confiance aux individus. Comme Mme Clergeau le disait tout à l’heure, n’ayant jamais cru que la prostitution puisse être un projet de vie, je crois a contrario que dès que nous tendrons la main à ces personnes prostituées, elles choisiront autre chose que la prostitution.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Avis favorable. Je me réjouis de la force de l’engagement du Gouvernement en faveur de ce parcours de sortie de la prostitution. Nous devons donner aux personnes qui s’engagent dans ce parcours toutes les chances de réussir. Je me félicite de cet engagement du Gouvernement.
L’amendement no 60 rectifié est adopté.
Je l’ai présenté en même temps que l’amendement no 60 rectifié .
L’amendement no 65 , accepté par la commission, est adopté.
Il s’agit d’un amendement d’appel, de suppression et de cohérence avec les amendements que nous présenterons aux articles 6 et 7 de cette proposition de loi. Qu’un soutien financier transitoire soit prévu pour les prostituées étrangères qui témoignent ou portent plainte pour des infractions de traite ou de proxénétisme, cela relève du bon sens. Que le titre de séjour temporaire délivré aux victimes qui témoignent ou portent plainte pour ces mêmes infractions soit renouvelé jusqu’à la fin de la procédure, c’est normal.
En revanche, prévoir, comme le font les articles 6 et 7 de cette proposition de loi, qu’un permis de séjour et un permis de travail provisoire soient délivrés à toute prostituée étrangère qui s’engagerait dans un parcours de sortie de la prostitution, et qu’une allocation lui soit versée, sans condition de témoignage, pourrait s’avérer contre-productif. Cela pourrait même servir d’argument aux réseaux pour convaincre les femmes de se prostituer en France. Je crois que c’est là le plus grand risque.
Nous sommes bien sûr tous favorables à aider les personnes prostituées, notamment celles qui n’ont pas la nationalité française, à sortir de la prostitution. Je partage partiellement les opinions exprimées par Mme Hoffman-Rispal, que j’accompagnerai prochainement à Belleville avec plaisir.
Cette proposition de loi s’inspire largement du modèle suédois. Or la législation suédoise en la matière est identique à la législation française actuelle. C’est pourquoi je considère que l’état actuel du droit est satisfaisant. Coopérer avec la police n’est ni infamant, ni impossible pour ces personnes. Le modèle suédois est réputé pour sa générosité ; et pourtant, la procureure de Stockholm nous a dit, au cours de son audition, qu’avoir été victime d’un réseau de traite ne suffit pas pour être régularisé en Suède. Et d’ajouter qu’il est difficile à ces personnes d’obtenir un titre de séjour permanent, à moins qu’elles ne soient arrivées dans le pays très jeunes.
Notre législation en ce domaine est comparable à celle de la Suède, à cela près que nous l’appliquons déjà plus généreusement ! Or vous savez fort bien que les pays de l’Union européenne n’ont absolument pas unifié leurs législations en ce qui concerne l’asile et l’immigration. Nous ne pouvons pas prendre le risque de renforcer l’attractivité de la France pour les réseaux d’immigration clandestine. C’est pourquoi nous nous opposons à ces dispositions.
L’ouverture d’un certain nombre de droits qui procèdent de l’engagement dans un parcours de sortie de la prostitution permettra de mettre en pratique certaines dispositions de la directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011. Celle-ci précise au cinquième alinéa de son article 11 que les États membres doivent prévoir des mesures d’assistance et d’aide aux victimes de la traite des êtres humaines, qui « leur assurent au moins un niveau de vie leur permettant de subvenir à leurs besoins en leur fournissant notamment un hébergement adapté et sûr [et] une assistance matérielle. »
Réduire l’incitation à s’engager dans un parcours de sortie de la prostitution au seul bénéfice de remises fiscales gracieuses me semble complètement insuffisant au regard des besoins de la population dont on parle aujourd’hui.
Seule la mise en place d’un dispositif réellement incitatif est susceptible de faire sortir les personnes prostituées du système prostitutionnel, à plus forte raison lorsqu’elles sont sous la coupe de proxénètes et de réseaux.
La sécurisation de la situation des personnes de nationalité étrangère au regard du droit au séjour est également nécessaire, si nous souhaitons que ces personnes acceptent de rompre avec l’univers prostitutionnel.
La commission spéciale a donc logiquement repoussé ces amendements.
Je répondrai sur les deux amendements en même temps. Vos propositions soulignent la nécessité de préciser le parcours de sortie de la prostitution, et les actions qui l’accompagnent. J’ai moi-même proposé une modification, dont vous avez sans doute pris connaissance : cet article prévoira en effet la création d’une aide financière spécifique, en lieu et en place de l’attribution de l’ATA.
Des considérations juridiques nous ont amenés à proposer ce dispositif. À la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, nous nous sommes aperçus que l’octroi de l’ATA à des étrangers en situation irrégulière placés sous autorisation provisoire de séjour, dès lors qu’ils se sont engagés dans un parcours de sortie de la prostitution, alors que les nationaux et les étrangers en situation irrégulière et engagés dans le même parcours de sortie de la prostitution, eux, n’en bénéficieraient pas, pouvait constituer une rupture d’égalité.
Nous avons donc considéré que le risque constitutionnel était grand, voire certain, et proposé une autre solution, financée par le fonds prévu par la proposition de loi, ouverte à toutes celles et tous ceux qui se sont engagés dans un parcours de sortie de la prostitution. Ainsi, on ne distingue plus en fonction de la situation, régulière ou non, et de la nationalité, française ou non.
Tout à fait : j’en profite pour le défendre. Cela répond, me semble-t-il, à la question du traitement différencié entre les personnes qui dénoncent ou non leur proxénète.
Par ailleurs, l’autorisation provisoire de séjour, dont nous allons débattre à l’article 6, est une mesure incitative à la sortie de la prostitution, entourée de garanties : avant de l’attribuer, les préfets devront s’assurer qu’il n’y a pas de troubles à l’ordre public, et vérifier l’inscription de la personne dans un parcours de sortie de la prostitution à partir des éléments que lui aura transmis l’association qui la suit. Autant de garanties qui nous laissent à penser qu’il n’y aura pas d’abus, d’autant que venir prétendre ou simuler sortir de la prostitution est quand même très complexe, comme peut en attester le très faible taux de dérives constaté dans le dispositif de lutte contre les violences faites aux femmes : aucune dérive n’a été relevée depuis 2010.
C’est donc une mesure qui me paraît définie « au millimètre » afin d’en garantir l’efficacité et d’éviter qu’elle ne profite aux réseaux. Je considère donc que vos amendements sont sans objet et vous demande de bien vouloir les retirer. À défaut, j’y serai défavorable.
Je voudrais simplement préciser un point. Depuis des heures que nous parlons des personnes prostituées, tout le monde sur ces bancs s’accordera à dire que, dans l’immense majorité des cas, l’activité de prostitution entraîne un certain nombre de violences dont elles sont directement victimes. Nous sommes donc bien en train de parler de victimes de violence, et qui plus est de femmes victimes le plus souvent. Je suis donc extrêmement étonnée qu’on puisse, à ce stade de la discussion, parler de droits et de devoirs.
Parle-t-on de droits et de devoirs pour les femmes victimes de violences intraconjugales ? Non !
Comme l’a très bien rappelé Mme la ministre, l’État est là pour protéger. Il est donc de notre rôle de construire ce parcours de sortie et surtout de faciliter l’accès aux droits. Alors même que ces personnes devraient avoir des droits, elles n’y ont à l’évidence même pas accès la plupart du temps, parce qu’elles se sentent stigmatisées et qu’elles hésitent à contacter les services sociaux ou sanitaires. L’objectif de ce parcours, c’est d’abord de leur faire connaître leurs droits. Pour ma part, je ne souhaite pas, à ce stade de la discussion, parler de devoirs pour ces gens qui sont des victimes.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.
Mme la ministre et Mme Neuville ont déjà tout dit. Monsieur Goujon, je vous invite à retirer votre amendement no 16 . Dans votre exposé sommaire, vous indiquez que « cet amendement vise à éviter d’accroître l’attractivité de la France pour les réseaux de traite des êtres humains qui pourraient détourner ces dispositions pour conduire des personnes en situation de misère humaine à se prostituer. »
Qu’est-ce que cela signifie ? Que, dans les campagnes de « recrutement » des prostituées, dans les « parcours de dressage « des prostituées des pays de l’Est, au cours desquels on les viole, on les bat, on les prive de sommeil et de nourriture, on pourra leur dire que c’est dans leur intérêt, parce qu’elles pourront obtenir au bout de quelque temps une autorisation provisoire de séjour et bénéficier d’une ATA de 11,20 euros par jour ! Ce n’est pas sérieux !
On sait bien ce qu’est aujourd’hui la réalité de la prostitution étrangère, parmi laquelle la prostitution subsaharienne ou asiatique, avec des sommes faramineuses à payer à des passeurs, à rembourser via une dette de prostitution. Allez expliquer à ces malheureuses que tout cela n’est pas grave, car elles auront une autorisation provisoire de séjour au bout de quelque temps ! Ce n’est pas très sérieux, monsieur Goujon ! Je vous le dis honnêtement : la théorie de l’appel d’air ne devrait pas avoir sa place entre personne qui aborde la question de la prostitution comme une lutte contre une forme d’esclavage moderne.
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et SRC.
Je regrette que nous n’ayons pas eu connaissance de l’amendement évoqué par Mme la ministre, et qui sera effectivement débattu ultérieurement. Cela n’a pas été soumis à l’examen de la commission, mercredi dernier – à moins que je n’aie pas bien suivi les travaux.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Nous avions travaillé sur ce sujet ; je trouve donc un peu dommage de ne pas maintenir l’amendement.
Ce débat extrêmement important est une démonstration de plus pour convaincre celles et ceux qui ont résumé de manière un peu hâtive notre proposition de loi à son seul article 16 et à la question de la responsabilisation du client. On a même sauté la case responsabilisation pour passer directement à la case pénalisation…
Si certains de mes collègues demandent tant de précisions et de garanties, c’est pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans la volonté, qui doit nous réunir tous, de privilégier le parcours d’accompagnement et de sortie des personnes prostituées de la prostitution. C’est essentiel. C’est le message que nous adressons aux personnes prostituées, mais aussi à tous ceux qui nous écoutent, nous regardent, nous scrutent, et qui essaient de voir par quels petits trous de souris ils pourront s’introduire : je veux parler des proxénètes, qui sont en train de nous prendre le pouls par caméra interposée, pour voir où sont les failles éventuelles.
Celui qui a parfaitement résumé l’importance de ces interrogations et de ces réponses, c’est le ministre de l’intérieur, lorsqu’il est venu discuter avec nous de ces sujets. Il est nécessaire d’être parfaitement clairs sur la question ; il faut le dire, le redire, y insister, quitte peut-être à maintenir ces amendements pour être sûrs que le sujet n’a pas été évacué. Cela étant, je comprends également la logique du Gouvernement qui en demande le retrait au bénéfice de son amendement no 61 qui me paraît un bon amendement. Pour ma part, je n’ai pas d’opinion sur la question, mais je maintiens que nous sommes vraiment au noeud de la seule chose qui compte : affirmer que, parce qu’elles sont victimes, les personnes prostituées, qu’elles soient victimes d’un proxénète visible ou invisible, sont des personnes qui doivent à tout prix être accompagnées par la puissance publique pour pouvoir sortir de l’enfer qu’elles connaissent.
Je tenais à y insister, pour que tout le monde ait conscience que, au fond, il n’y a pas dans cet hémicycle de véritable schisme sur ce sujet fondamental entre les parlementaires, ni entre les parlementaires et le Gouvernement. On a voulu nous enfermer dans cette affaire de la pénalisation du client ; nous sommes en train de démontrer qu’il est vraiment important pour nous de tirer d’affaire les personnes prostituées, car elles vivent un drame et on n’a pas le droit de ne pas en tenir compte.
Applaudissements sur les bancs des groupes.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
suite de la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures dix.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron