Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 29 novembre 2013 à 15h00
Renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

En effet, on ne peut mener une politique efficace d’aide aux prostituées et aux victimes sans lutter contre les réseaux. Cet objectif est même prioritaire : nous sommes d’accord sur ce point.

L’article 1er réintroduit dans notre droit le filtrage administratif de l’internet. Il prévoit en effet que l’autorité administrative pourra exiger des fournisseurs d’accès à internet le blocage de l’accès à des sites qui contreviennent à la loi française contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Les FAI devront donc bloquer sans délai ces sites, une fois que l’administration le leur aura ordonné. Vous avez ainsi souhaité, madame la rapporteure, réintroduire dans notre législation une procédure de blocage sans intervention préalable du juge, alors même que, par le passé, le Parti socialiste s’est toujours opposé à ce type de dispositif.

Notre assemblée a pourtant abrogé ce type de filtrage administratif sous l’impulsion de notre collègue Laure de La Raudière, par un amendement au projet de loi sur la consommation. Cet amendement supprimait en effet l’article 18 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, qui permettait à l’autorité administrative de prendre, sans contrôle du juge, « des mesures restreignant, au cas par cas, le libre exercice » de presque toutes les activités possibles sur Internet, pour toute une série de raisons. Aujourd’hui, une seule exception demeure : le blocage administratif des sites pédopornographiques. Le décret d’application reste toutefois à publier.

Or, comme l’a rappelé un avis du Conseil national du numérique, le blocage administratif est contreproductif. D’une part, l’exemple australien montre que les risques de ce que l’on appelle le « surblocage » – c’est-à-dire le blocage de sites légaux qu’entraîne par ricochet le blocage de sites illégaux – sont réels. D’autre part, les dispositifs de blocage sont facilement contournables par les usagers.

Surtout, l’atteinte aux libertés fondamentales est réelle : selon le Conseil national du numérique, « l’absence d’autorisation judiciaire constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication ». Je m’étonne donc que ni la rapporteure, ni le président de la commission spéciale n’aient jugé nécessaire de saisir le Conseil national du numérique de cette question si délicate. Si je me souviens bien, le Gouvernement s’était pourtant engagé, lors du séminaire du 23 février 2013, à le saisir de toute modification des textes qui encadrent l’usage d’internet.

Même après l’avis du Conseil national du numérique, vous n’avez pas jugé utile, madame la rapporteure, de corriger cette erreur. Le Gouvernement a donc déposé, pour régler ce problème, un amendement qui rend quasiment caduc le seul article de votre proposition de loi qui ait pour objet de lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite des êtres humains.

La nécessité de lutter contre les réseaux aurait dû conduire la commission spéciale à réfléchir sérieusement à la situation paradoxale que nous connaissons, et contre laquelle nous devons lutter. D’un côté, les sources policières font état d’un développement croissant de la traite des êtres humains ; de l’autre, les sources judiciaires confirment que le nombre de condamnations sur ce fondement est faible. Lutter contre les réseaux, c’est lutter contre les paradis fiscaux, les montages financiers obscurs et les complicités au sein des organisations bancaires. Lutter contre les réseaux, c’est aussi faciliter la coopération judiciaire dans l’espace européen. Un seul article de votre proposition de loi – article désormais caduc – visait cet objectif, en s’attaquant uniquement à la liberté d’internet. C’est pour le moins insuffisant et dangereux. Le texte de la proposition de loi ne contient en réalité aucune disposition contre la traite des êtres humains et les réseaux de proxénétisme. Telle est, malheureusement, la réalité !

Le chapitre II vise à améliorer la protection et l’accompagnement global des victimes de la traite des êtres humains et du proxénétisme. Comme nous le savons – il s’agit, là encore, d’un constat partagé –, le volet social de l’abolitionnisme est un échec. Ce volet est le grand oublié des politiques publiques, comme l’ont constaté aussi bien les associations que l’Inspection générale des affaires sociales. Le rapport d’information réalisé par notre collègue Guy Geoffroy en 2011 en témoigne également. Les éléments d’explication de cet échec sont de plusieurs ordres.

Ils sont d’abord d’ordre financier : les politiques d’accompagnement manquent cruellement de moyens. Ce problème n’est pas spécifique aux personnes prostituées, comme en témoigne une campagne de l’association Paroles de femmes. Cette campagne a montré que, lorsqu’une femme victime de violences cherche à joindre le 115, elle peut passer vingt et un appels pour essuyer treize refus et enregistrer huit absences de réponses ! Telle est aujourd’hui la réalité.

Chaque année, les plans d’urgence se succèdent sans que les conditions d’accueil des femmes en détresse changent vraiment. Une vidéo de 8 minutes et 54 secondes réalisée par la même association montre le décalage entre les beaux discours et la réalité du terrain. J’aurais préféré que les travaux de notre commission spéciale tiennent compte de cette dure réalité. J’aurais aussi préféré que la commission des finances de notre assemblée soit associée à nos travaux et à nos réflexions, surtout en ce qui concerne l’épineuse question de l’article 40 de la Constitution : cela aurait permis une plus grande transparence.

Parmi les mesures envisagées, quelques-unes nous semblent positives, notamment parce que la commission spéciale a accepté de retenir certains amendements déposés par le groupe écologiste. Dans leur ensemble, elles nous semblent néanmoins insuffisantes. Certaines d’entre elles sont même problématiques.

Je veux revenir en particulier sur le cas des personnes prostituées sans papiers. Les contradictions d’hier n’ont toujours pas disparu : éloigner la prostitution des lumières de la rue, c’est la reléguer dans l’obscurité. Or, dans cette obscurité, les plus vulnérables sont celles et ceux qui n’ont pas de papiers et sont à la merci des réseaux, des souteneurs et des proxénètes. L’exposé des motifs de la proposition de loi évoque d’emblée la situation des prostituées sans papiers. Les auteurs de cette proposition écrivent, à ce sujet, les lignes suivantes : « Alors que seulement 20 % des personnes prostituées dans l’espace public étaient de nationalité étrangère en 1990, elles en représentent aujourd’hui, et depuis les années 2000, près de 90 %. Les pays d’origine sont bien connus : Roumanie, Bulgarie, Nigeria et Chine principalement – notre collègue Catherine Coutelle l’a rappelé. Cela démontre l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution. »

Admettons. Mais qu’offre-t-on à ces migrantes qu’on prétend libérer ? L’article 6 de la proposition de loi modifie le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, en prévoyant qu’« une autorisation provisoire de séjour d’une durée de six mois peut être délivrée » à celles qui voudraient sortir de la prostitution. Je ne crois pas que cela prête à rire, madame la ministre !

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