Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous dire ma satisfaction de débattre dans cet hémicycle d’une proposition de loi transpartisane, issue d’un travail mené depuis plusieurs années, auquel je suis heureuse d’avoir pu contribuer, tant sa concrétisation porte en elle un objectif d’émancipation humaine. Cette loi représentera une nouvelle étape dans le combat des femmes pour leur libération. Souvenons-nous de ce long chemin marqué par les luttes des femmes et par des lois actant leurs droits, du droit de vote à la maîtrise de leur corps en passant par le droit au travail, de la parité à la prise de responsabilité en passant par la loi contre les violences faites aux femmes.
La prostitution, en effet, n’est pas le plus vieux métier du monde, comme certains se plaisent à le dire. Non, ce n’est qu’une des plus violentes expressions du système patriarcal.
C’est une violence qui touche d’abord les femmes, qui représentent plus de 85 % des personnes prostituées. Cette réalité doit être dite car elle entre pour beaucoup dans la mise en place ancestrale du système prostitueur, fondé sur un rapport inégalitaire entre les femmes et les hommes. La domination masculine a justifié au long des siècles les violences à l’encontre des femmes, telles que le viol, les violences conjugales ou la prostitution.
Violence, car comment appeler autrement le choix d’un individu à disposer d’un corps et de l’intimité d’un être humain à travers un rapport imposé par l’argent ? Dans la prostitution, en effet, il y a non pas un contrat entre deux personnes libres, mais bien quelqu’un qui décide et quelqu’un qui subit ? Comment peut-on aujourd’hui défendre la prostitution au nom du « libre choix » de la personne prostituée de vivre de la vente de son corps, dans un acte sexuel non désiré ? Il n’est plus à démontrer, malheureusement, que la réalité est bien plus sordide que la littérature ou la peinture n’ont bien voulu nous le conter.
« On dit que l’esclavage a disparu de la civilisation européenne. C’est une erreur. Il existe toujours. Mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s’appelle prostitution », écrivait Victor Hugo. Cette traite des êtres humains est aujourd’hui un trafic mondial, lucratif pour les réseaux qui l’organisent, et aussi important que celui des armes. L’Organisation internationale du travail estimait, dans un rapport de 2008, que ce commerce des corps représentait un profit annuel de plus de 30 milliards d’euros, qu’une personne prostituée pouvait rapporter entre 100 000 à 150 000 euros par an, et que la prostitution en France générait un « chiffre d’affaires » annuel de 3 milliards. On assiste, qui plus, est au développement de la prostitution par internet, et j’écouterai avec intérêt votre explication sur l’amendement du Gouvernement à l’article 1er, madame la ministre.
Nous parlons donc ici, non pas de besoins humains, mais de trafic d’êtres humains et de marchandisation du corps, d’un trafic où, à la violence que constitue l’acte sexuel non désiré, s’ajoutent, pour nombre de personnes prostituées, des violences physiques ou psychologiques exercées par des chefs de réseaux et par des proxénètes s’arrogeant un droit de propriété et de corvéabilité sur ces personnes.
Il n’est pas inutile de rappeler ici quelques chiffres. On estime, en France métropolitaine, que 90 % des personnes prostituées sont d’origine étrangère. Le rapport nous indique qu’en France, les principaux réseaux fonctionnent à partir de la Bulgarie, de la Roumanie, du Nigeria, du Cameroun ou encore de la Chine, et la façon dont ces personnes sont contraintes de se prostituer, loin de relever de leur libre arbitre, participe surtout d’une maltraitance à grande échelle.
Des conventions bilatérales conclues avec certains pays européens d’où les réseaux sont issus ont permis d’avoir de premiers résultats, mais ce qui est vrai pour la métropole l’est aussi pour d’autres territoires de la République. Ainsi, Huguette Bello, députée de la Réunion, me signalait que des travaux récents dénonçaient le développement de véritables réseaux à partir de Madagascar en direction de la Réunion.
Face à cette situation dramatique, nous allons avec cette loi renforcer la position abolitionniste adoptée par la France en 1960. En répondant positivement aux cinquante-cinq associations regroupées dans le collectif « Abolition 2012 », nous décidons de faire franchir un pas humaniste à notre société.
Cette loi se propose d’agir contre un système d’exploitation pour en libérer celles et ceux qui le subissent. Nous voulons inverser la charge qui pesait sur les victimes, pour les aider à se libérer d’un système oppresseur, en intervenant en leur faveur et contre ceux qui les oppriment. Nous voulons dans le même temps mettre en oeuvre toute une série de dispositions leur permettant d’avancer dans leur parcours personnel.
Nous voulons, enfin, faire oeuvre de pédagogie à l’échelle de la société pour empêcher la pérennisation de ce système. C’est ainsi que cette loi propose d’aider les personnes prostituées à sortir du système prostitutionnel, avec des dispositions qui leur assurent un début de sécurité matérielle et sociale : réforme des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, octroi d’un soutien financier transitoire, soutien au logement. Nous voulons, avec elles, ouvrir la porte d’une société d’où elles ont été exclues.
La proposition de loi rompt avec la logique du délit de racolage, qui faisait porter la responsabilité de la violence prostitutionnelle sur ses victimes. Elle renforce la lutte contre la traite des êtres humains et les réseaux de proxénètes, et nous choisissons aussi de faire porter la responsabilité de la prostitution aux « clients », qui, à 99 %, sont des hommes. Sans clients, il n’y a pas de prostitution ; sans demande, pas de besoin d’organiser le commerce humain.
Pour abolir ce système inhumain, il faut donc responsabiliser ceux qui font le choix de l’utiliser. Comme l’indique l’association « Zéro macho », un tel système porte atteinte aussi à la dignité des hommes car, loin de participer à leur liberté sexuelle, il les enchaîne à une conception de la sexualité empreinte de frustration et de domination.
Cette pénalisation s’adresse d’abord à la société, pour dire à la collectivité humaine que nous formons que l’achat d’un acte sexuel n’est pas conforme à notre devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité. Il n’y a aucune liberté, en effet, pour la personne prostituée, obligée de subir dans son intimité un acte imposé par l’acheteur ; il n’y a pas non plus d’égalité dans des rapports où l’un domine et décide et où l’autre est obligé d’accepter et de subir.
Il s’agit donc non pas d’une question morale, mais bien d’une position politique au sens littéral, en ce qu’il s’agit de choix faits pour toute la société. Décider de pénaliser le client, c’est dire à la société tout entière que le client prostitueur est non pas un modèle mais, au contraire, un contrevenant à loi, un délinquant commettant un acte délictueux. C’est en soi un acte de pédagogie pour dévaloriser celui qui, jusqu’à présent, était loué par la prétendue tradition grivoise ou libertaire de notre pays.
Faire de la pédagogie est indispensable pour délégitimer cette violence, en commençant par l’éducation des plus jeunes. J’ai pu constater, en rendant visite à des jeunes lycéens et lycéennes dans les classes où je suis invitée, à quel point un tel travail est indispensable. Il n’est pas rare, en effet, d’entendre dans la bouche de jeunes garçons et de jeunes filles des propos qui banalisent, voire, parfois, justifient la prostitution en l’assimilant à un moyen de revenu comme un autre. Éduquer à l’égalité et à la sexualité est donc, non pas une action superflue, mais une nécessité pour construire un avenir d’émancipation pour nos générations futures. Cela passe par une prévention qui mette en garde contre le système prostitueur, ses causes et ses conséquences. La loi introduit ainsi la lutte contre la marchandisation des corps parmi les sujets devant faire l’objet d’une information durant la scolarité.
C’est donc au nom de la liberté de la personne humaine, au nom du droit à l’égalité des femmes et des hommes que je souhaite, avec les députés du Front de gauche, que notre assemblée adopte ce texte, pour faire avancer l’humanité.