La question mérite mieux que de plaire à un seul cénacle féministe. Rien ne serait plus dangereux que de nier ces positions, de vilipender ces opinions, car il faut garder l’ambition de convaincre que la position abolitionniste de la France en matière de prostitution doit rester l’ambition de tous.
Je le concède, à la question du pourquoi de la prostitution, il n’existe pas de réponse scientifique, absolue et incontestable. Les thèses des sociologues, des psychiatres, les témoignages des prostituées, des clients disent tout et leur contraire. Soit. Mais s’il est une idée que nous partageons tous, c’est que le devoir du législateur est d’agir en fonction de l’intérêt général ; c’est sur cette notion que reposent la légitimité et la finalité de l’action publique.
Or nous disposons bien de données fiables sur la réalité de la prostitution française aujourd’hui. Il faut sans doute le dire et le redire : la prostitution française d’aujourd’hui est bien loin de la courtisane du dix-neuvième siècle, des images véhiculées par le cinéma français, de Simone Signoret dans Casque d’or à Nathalie Baye dans La Balance en passant par Catherine Deneuve dans Belle de jour, bien loin aussi du séduisant conte raconté dans Pretty Woman.
Car les chiffres sont là. Le nombre de personnes prostituées en France est estimé à 20 000, dont 85 % sont des femmes, pour des clients qui sont, quant à eux, des hommes à plus de 90 %. Autre fait notable : l’emprise croissante des réseaux de traite sur la prostitution. Alors qu’en 1990, 20 % des femmes qui se prostituaient en France étaient de nationalité étrangère, elles sont aujourd’hui près de 90 % à venir de Roumanie, de Chine, de Bulgarie ou du Nigeria. Enfin, les prostituées subissent des violences physiques et psychiques particulièrement graves. Des enquêtes menées aux États-Unis, au Canada et en Allemagne montrent que, dans ces trois pays, plus de 50 % des personnes prostituées interrogées ont été violées, souvent plus de cinq fois au cours de leur activité. Elles auraient également entre soixante et cent vingt fois plus de risques de mourir assassinées. Voilà le constat édifiant de la prostitution en 2013, celui d’un marché des corps et des âmes désespérées.
Alors, oui, nous assumons de dire que c’est avant tout pour cette femme mineure, étrangère, sans papiers, battue, humiliée, qu’il convient d’agir. Voilà pourquoi, quand cette proposition de loi entend s’attaquer à l’ensemble de ce phénomène complexe qu’est le système prostitutionnel, l’UMP partage pleinement l’objectif et entend rappeler que, dans un monde idéal, il n’y aurait pas de prostitution. Mais il appartient aussi au législateur d’envisager la qualité et l’applicabilité de la loi au-delà de ses intentions, aussi louables soient-elles. À ce titre, mon groupe assume aussi de dire qu’il a des réserves quant au dispositif prévu par la proposition.
Cela concerne surtout, vous le savez, l’abrogation du délit de racolage passif, prévue à l’article 13. Le ministre de l’intérieur lui-même a fait part de ses réticences devant la disparition de cette mesure. Permettez-moi de citer ses propos lors de son audition par notre commission spéciale : « Les nombreux services enquêteurs que vous avez rencontrés durant vos travaux vous ont tous indiqué que le délit de racolage public leur était utile à deux titres. Tout d’abord, les mesures répressives qu’il autorise aident à la connaissance des réseaux, permettant paradoxalement de mieux protéger celles qui sont à la fois mises en cause et victimes. La prise d’empreintes lors de la garde à vue, les auditions, les infiltrations numériques sur la base de ce délit permettent d’accumuler toute une série de renseignements qui, sans déboucher forcément sur des enquêtes et des résultats immédiats et tangibles, se révèlent indispensables à la compréhension du fonctionnement des réseaux. Ensuite, le délit de racolage constitue un outil indispensable de gestion d’ordre public. Il permet de répondre à la demande de riverains excédés tant par le racolage lui-même que par les nuisances qui l’accompagnent. »
Le ministre de l’intérieur a ensuite indiqué que, si le délit de racolage disparaissait, ce qu’il ne contestait pas, alors il faudrait, je cite, « obtenir ces renseignements par d’autres moyens ». Ainsi, ce n’est pas tant la suppression du délit de racolage que nous contestons – les engagements que nous avons nous-mêmes pris au niveau européen le démontrent – mais l’absence, dans le texte, d’une mesure qui permettrait d’autres moyens d’investigation contre les proxénètes et les réseaux de traite.
D’ailleurs, alors qu’internet est devenu un moyen de communication à part entière, comment ne pas prendre en compte la cyber-prostitution ou la cyber-transaction de prostitution ? Le ministère de l’intérieur a d’ailleurs mis en place un groupe de travail sur ce sujet, qui doit rendre ses conclusions en décembre. Pourquoi n’avez-vous pas attendu ces conclusions avant de présenter cette proposition de loi ?
Quant à l’article 6, qui permettra l’octroi d’une carte de séjour temporaire et d’un permis de travail pour les personnes étrangères victimes de traite ou de proxénétisme, sans condition de témoignage, il pourrait constituer une véritable aubaine pour les proxénètes,…