Je soutiendrai ce texte au nom des droits de l’homme, et aussi parce que l’indignation ne vaut rien sans l’action. L’asservissement, dont nous pensions tous qu’il était révolu, est redevenu en quelques années, en raison de l’explosion des trafics en tous genres, l’une des terrifiantes caractéristiques de notre temps. Curieusement, en dépit du contexte global de progression de l’État de droit dans le monde, une forme de violence extrême a émergé et constitue probablement aujourd’hui l’une des violations des droits des femmes et des droits de l’homme les plus graves au monde.
Elle nous rappelle, s’il en était besoin, que le progrès n’est pas unilinéaire. Je voudrais d’ailleurs inscrire le sujet dont nous traitons aujourd’hui dans une forme plus large de criminalité et de violence qui affecte les femmes partout dans le monde. D’ailleurs, les nouvelles formes de criminalité qui sévissent dans le monde affectent directement les femmes : commandos du sida en République du Congo, éventuel retour de la lapidation pour adultère à Kaboul, exploitation et esclavage sexuel sous toutes ses formes. Aujourd’hui, l’esclavage sexuel est considéré comme un crime contre l’humanité parmi les chefs d’inculpation retenus par la Cour pénale internationale.
Les femmes demeurent les premières victimes des souffrances et de la prostitution forcée. Je rappelle que la traite d’êtres humains constitue un manquement aussi profond qu’insupportable au socle universel des droits de la femme, consacré par toutes les conventions internationales, dont la convention SILO. La traite des êtres humains est aujourd’hui un élément constant du droit international, ce dont il faut se féliciter. Je pense en particulier au protocole de Palerme, auquel les États ne peuvent se soustraire.
Pour tous ceux qui considèrent le principe même de la prostitution comme une violence et non une liberté, dont je fais partie, cette forme aboutie de l’exploitation humaine constitue une atteinte caractérisée aux droits de la personne. Elle justifie des mesures fortes, adaptées, exemplaires. Le texte dont nous discutons est un signal. Je partage l’avis de certains collègues sur les conditions en effet un peu hâtives de son élaboration. Cela le prive sans doute d’un soutien plus large mais n’ôte rien à son sens premier, qui est la lutte contre la prolifération de cette forme d’exploitation sur notre territoire. Je voudrais féliciter tous les participants à la commission spéciale et son président, Guy Geoffroy, pour le remarquable travail effectué.
Le système prostitutionnel est en effet largement lié à ce trafic, et je veux appeler votre attention sur la difficulté de l’exercice.
Nous le savons tous : la corruption, l’intelligence et les moyens financiers mis à la disposition de ces organisations criminelles leur permettent de déjouer sans cesse les traques les plus élaborées. Les chiffres sont terrifiants : on dénombre vingt à trente millions de victimes de cette prostitution forcée, de ce trafic d’êtres humains – encore une fois, j’associe ces phénomènes, qui, dans la réalité, sont liés –, sur fond de détresse et de misère économique ou sociale.
Madame la ministre, nous avons besoin d’une réponse internationale. En évoquant le sujet avec le ministre de l’intérieur, nous avons compris qu’il existait une volonté, mais il est vrai que celle-ci, je peux l’attester, a toujours existé, et que nous en voyons les limites. Aussi faut-il renforcer l’échelle des sanctions et la confiscation des biens, créer des unités spécialisées, vérifier nos frontières, faire en sorte que cette lutte soit considérablement intensifiée au niveau européen et conclure des conventions opérationnelles avec les pays d’origine. Nous savons qu’aujourd’hui, l’Europe est une plaque tournante. Nous savons que l’Afrique – vous évoquiez le réseau nigérian – est également pleinement concernée. Soyons aussi très attentifs à ce que notre aide au développement fasse en sorte que ces pays appliquent et respectent l’état de droit.
La pénalisation du client : cette proposition certes inédite dans notre droit nous range parmi les pays les plus modernes du monde, parmi ceux qui ont démontré avant les autres que l’égalité entre les hommes et les femmes n’était pas liée à l’évolution attendue des moeurs et des temps, mais à la volonté et aux progrès de la loi. C’est une mesure éducative, c’est un progrès de la responsabilité individuelle et collective, c’est une mesure qui doit conduire chaque individu à se poser une question simple : le corps est-il achetable, est-ce un objet de consommation sexuelle comme un autre, est-ce un produit ?
La prostitution ne peut être banalisée, car ce serait, me semble-t-il, un risque pour la société tout entière. Elle appelle des mesures d’application extrêmement fortes. Madame la ministre, vous avez une obligation très importante, si ce n’est de résultat, tout au moins de moyens. Vous devez multiplier les campagnes d’information et les mesures pédagogiques. Vous devez faire en sorte qu’au niveau de l’Union européenne, il y ait un sursaut sur ce sujet, et je vous engage à porter ce combat aussi à tous les niveaux internationaux, car la France, en adoptant cette mesure, donne un signal au monde dans la lutte contre les réseaux et affirme sa pleine légitimité.
Au-delà, l’égalité passe par un ensemble de mesures transversales, interactives, et l’on ne peut lutter contre la prostitution si l’on n’élève pas, dans notre pays, l’égalité sur tous les autres sujets. Je serai à vos côtés pour que nous enregistrions des progrès sensibles dans un certain nombre de domaines, qui permettent aux femmes de se sentir plus libres, plus responsables de leur vie, plus en situation d’en décider.