Notre débat sur la proposition de loi visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel n’est pas un exercice quelconque ni anodin. Il touche à ce qu’il y a de plus sensible, de plus intime dans notre personne, dans notre humanité, à savoir notre sexualité et notre rapport à l’autre. Je ne suis ni puritain ni animé par une considération philosophique ou religieuse. Mais, dans ce débat sur la conception et le sens des relations physiques et sentimentales entre les humains, les mots ont un sens et la sémantique utilisée n’est pas neutre. Dans le journal Le Monde, Mme Élisabeth Badinter laissait encore récemment entendre, hélas ! que les femmes, pour gagner plus et travailler plus librement, auraient plus intérêt à se prostituer qu’à être, je la cite, « caissières de supermarché ». Dans le même ordre d’idées, un responsable du syndicat du travail sexuel est même allé jusqu’à déclarer, je le cite également, que « certaines personnes ne pourraient pas travailler dans un abattoir ou s’occuper de personnes âgées. »
À partir d’un tel constat, primaire et simpliste, tout devient possible et acceptable : tout vaut mieux que de travailler en usine, sans patron, sans horaires et sans règles. Quelle imposture ! À qui veut-on faire croire de telles contrevérités ? Même les milieux les plus réglementaristes que j’ai rencontrés ont reconnu que le « libre choix » n’était finalement qu’un leurre, une désillusion et, en fin de compte, un désespoir – un désespoir personnel, affectif et parfois physique. Non seulement, dans ce domaine particulièrement sensible, les mots ont un sens – caissières, abattoir, usine –, mais les grands principes auxquels se réfèrent les tenants du réglementarisme – liberté, égalité, amour et respect – sont dévoyés. De quelle liberté parle-t-on ? De quelle égalité hommes-femmes parle-t-on ? Et surtout, où est l’affection, où sont l’amour et le respect censés régir nos relations personnelles et sociales ?
Plutôt que l’amour et le respect, c’est bien la violence et la contrainte qui caractérisent le milieu de la prostitution. Je voudrais citer à nouveau, après Mme la ministre, un extrait du rapport sur les enjeux sanitaires de la prostitution, publié par l’IGAS en 2012 : « Les violences font partie du paysage de la prostitution, quels qu’en soient la forme et le mode d’exercice. » Ce n’est ni un religieux ni un moraliste qui s’exprime ainsi, c’est bien une administration !
Chers collègues, il n’y a pas de plus vieux métier du monde, rien n’est écrit, rien n’est inéluctable. Nous ne sommes ni des juges, ni des censeurs de la vie sexuelle des uns et des autres, mais nous avons le droit, le devoir et même l’obligation, à moins de nous renier, de nous exprimer, d’exprimer notre désapprobation face à la marchandisation du vivant, face à l’exploitation du corps humain, que ce soit pour de la chair à canon, des ventres à reproduire ou du sexe à vendre.
Des intégristes de tous bords veulent dénier au Parlement le droit de légiférer sur des problèmes de société, que ce soit la bioéthique, la famille ou le couple homme-femme. Telle n’est pas ma conception du rôle du législateur, qui doit penser l’éducation de la société dans son ensemble.
Aujourd’hui, où en sommes-nous ? La France se définit comme abolitionniste. En 2003, le Parlement a renforcé l’interdiction de la traite des êtres humains, de la prostitution des mineurs et a introduit le délit de racolage passif. Ce dispositif n’a pas eu, il faut bien le reconnaître, les effets escomptés : la prostitution, notamment d’origine mafieuse, est plus que jamais active ; les femmes restent les principales cibles, les principales victimes que l’on montre du doigt, au lieu de leur tendre la main et de leur venir en aide. Je demande aujourd’hui la suppression de ce délit de racolage passif, qui stigmatise uniquement la prostituée, et je souhaite la mise en oeuvre de dispositifs plus dignes pour accueillir ces femmes et leur donner la possibilité et l’espoir d’une autre voie, d’une autre vie.
Nous sommes aujourd’hui à un tournant, et je m’en réjouis. Avec ce texte, nous allons au-delà de la réaffirmation de la position abolitionniste de la France, en proposant la responsabilisation du client, au sens pénal du terme, ce qui portera à l’évidence un coup très dur à la prostitution, à sa légitimité et à son essence mêmes.