Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je m’exprimerai sur les problèmes de forme et n’aborderai le fond que s’il me reste du temps. La forme n’est pas négligeable : elle est la soeur jumelle de la liberté, disait Jhering. Dans le cadre de cette proposition de loi, elle me paraît problématique, et ce à deux points de vue.
Tout d’abord, votre proposition, chers collègues, est marquée par une certaine précipitation. L’arrêt Sephora a été rendu par la cour d’appel de Paris le 23 septembre 2013. Votre proposition a été déposée le 23 octobre, juste un mois plus tard. Elle a été examinée par la commission des affaires sociales le 27 novembre, et nous sommes déjà dans l’hémicycle. Nous avons le sentiment extrêmement fort que l’on entend la représentation nationale comme un juge de cassation, ce qu’elle n’est pas. De même, la façon dont les auditions ont été conduites – on a entendu « les parties », au sens de parties au procès – est assez désagréable et conduit à penser que l’on est dans la confusion des genres.
Certes, d’un point de vue légal ou encore constitutionnel, il n’y a rien à dire. En revanche, la manière dont vous avez procédé pose un problème au regard des engagements que l’Assemblée nationale a pris vis-à-vis des partenaires sociaux. C’est votre majorité, monsieur Chatel, qui a fait adopter l’article L. 1er du code du travail et, alors que M. Accoyer était président de l’Assemblée, établi un protocole relatif à la consultation des partenaires sociaux sur les propositions de loi, entériné par la Conférence des présidents le 16 février 2010.
Ce protocole prévoit qu’en cas de proposition de loi, le président de groupe ou de commission, et s’agissant d’une niche UMP, le président du groupe UMP, doit saisir le président – la présidente en l’occurrence – de la commission des affaires sociales, charge à elle de mettre en oeuvre la procédure de consultation des partenaires sociaux établie par ce protocole.
Dans le cas présent, la présidente de la commission des affaires sociales aurait saisi les organisations patronales et salariales, qui auraient eu quinze jours pour se prononcer sur le point de savoir si elles souhaitaient négocier sur la question posée, qui est une question importante en droit du travail. Si elles entendaient négocier, d’autres délais s’ouvraient.
Ce protocole est un protocole intéressant et important. J’ai téléphoné à la présidence de la commission des affaires sociales. À ma connaissance, le président de votre groupe n’a pas saisi la présidente de la commission des affaires sociales d’une demande en ce sens. La procédure expressément prévue par le protocole n’a donc pas été mise en oeuvre. Voilà, sur une matière importante, une première raison, relative à la manière dont l’Assemblée doit se comporter vis-à-vis des partenaires sociaux, suffisante pour rejeter votre proposition.
J’ajoute que d’autres problèmes sont posés par les amendements et même les sous-amendements qui viendront en discussion. Vous avez ainsi déposé, monsieur le rapporteur, un amendement no 6 qui instaure des garanties minimales, notamment en termes salariaux, pour les salariés qui travailleraient de nuit dans le cadre de votre proposition de loi, et qui instaure également le volontariat, ce qui serait une grande nouveauté s’agissant du travail de nuit.
Cet amendement est intéressant et vous savez que nous avons déposé un sous-amendement afin d’aller jusqu’au bout de sa logique. En effet, si un Sephora peut ouvrir, dans un cadre dérogatoire, sur l’avenue des Champs-Élysées, étant donné que le travail de nuit ne doit pas différer en fonction des raisons qui le permettent, ce dernier devrait être rendu possible à l’ensemble des salariés. Mais vous vous rendez bien compte, monsieur le rapporteur, des conséquences qu’aurait l’adoption de votre amendement ainsi sous-amendé sur l’ensemble des relations sociales dans les entreprises qui ont recours au travail de nuit, qu’on ne peut pas toujours éviter.
Voilà l’exemple typique d’un problème que pose votre proposition de loi. Il est impossible d’aller au bout de votre logique, si l’on veut respecter les partenaires sociaux. Or on ne peut traiter différemment des salariés en fonction des causes pour lesquelles ils travaillent de nuit. À partir de là, nous sommes dans l’impossibilité d’aller plus loin, en raison du non-respect du protocole dit Accoyer. Pour cette raison et pour celles développées par mes collègues, auxquelles je m’associe pleinement, les socialistes rejetteront votre proposition.