L’alinéa 6 de l’article 2 de ce projet de loi prévoit la possibilité pour l’État de consentir des délégations de compétences – nous avons largement évoqué le sujet. Cette procédure et son champ d’intervention soulèvent de nombreuses questions. La première d’entre elles fait craindre à tout le secteur de la culture une décentralisation sans la présence de l’État. Or, l’histoire a montré que toutes les décentralisations réussies, en particulier dans la culture, l’ont été grâce à l’accompagnement sur chaque parcelle du territoire de notre pays d’une politique nationale agissant comme un garant et un stimulant bénéfiques à tous.
La culture est un domaine ou les politiques ne peuvent s’exercer dans la liberté et le foisonnement que si la compétence est partagée entre toutes les collectivités, y compris l’État. C’est également un domaine qui s’est construit, en particulier depuis le milieu du XXe siècle, petit à petit, sur des financements croisés, gages de libertés, d’audaces et d’inventions. Cette richesse, construite tant par les pouvoirs publics que par les acteurs culturels et les publics, permet une harmonisation territoriale de ces politiques qu’il ne faut en aucun cas perdre.
Si l’État délègue l’une de ses compétences à une collectivité, comment ne pas craindre que là où les services déconcentrés exerçaient une fonction de régulation, la collectivité délégataire ne tente d’imposer ses orientations à d’autres collectivités ?
Au-delà de ces raisons tenant aux principes fondateurs de l’organisation des pouvoirs publics, cette disposition pourrait soulever des difficultés pratiques évidentes, notamment au regard de la mobilisation des moyens humains nécessaires à l’exercice des compétences déléguées.
Je ne reviendrai pas sur les règles statutaires qui, notamment, régissent la fonction publique sur cette question. Mais, en tout état de cause, cette disposition pourrait mettre gravement en difficulté le réseau cohérent des directions régionales des affaires culturelles, qui permet de mener une politique nationale de soutien à la culture et de contribuer à la mise en oeuvre des projets et financements croisés avec les collectivités.
Enfin, l’actuelle rédaction de ces alinéas va inéluctablement soulever des difficultés d’interprétation, notamment lorsqu’il s’agira d’examiner les décrets d’application venant définir les compétences pouvant être déléguées.
Aussi, d’un point de vue méthodologique, l’on ne peut que s’étonner de voir cette disposition s’insérer dans le chapitre du code général des collectivités territoriales relatif à la libre administration de ces dernières ; l’on perçoit mal, en effet, en quoi ce texte participe, par cet alinéa, à la mise en oeuvre de ce principe.
Mais surtout, dans le domaine de l’art et de la culture, cet alinéa contrevient au principe de l’exercice d’une compétence partagée par l’ensemble des collectivités territoriales, dans le respect de la clause générale de compétence enfin rétablie par le présent projet de loi.
Pour toutes ces raisons, il semble absolument nécessaire d’exclure l’organisation et le soutien aux politiques culturelles de ce dispositif. L’art et la culture, c’est le vivre ensemble, c’est la liberté de conscience, et c’est l’essence même de la démocratie.