Intervention de Catherine Quéré

Séance en hémicycle du 16 janvier 2014 à 15h00
Délais de prescription des infractions de presse — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCatherine Quéré :

Madame la présidente, madame la ministre, l’Assemblée est appelée à se prononcer en deuxième lecture sur la proposition de loi visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881, commises en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap. Cette proposition de loi, que j’avais déposée avec M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de nos collègues au cours de la précédente législature, avait été adoptée par notre assemblée en première lecture à la quasi-unanimité le 22 novembre 2011.

C’est à l’unanimité des présents que cette proposition de loi a également été adoptée le 7 février 2013 par le Sénat, en y intégrant deux modifications formelles et un amendement de fond tendant à la rendre applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie. La commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a adopté la proposition de loi ainsi modifiée à l’unanimité. Ce texte doit pouvoir nous rassembler aujourd’hui puisqu’il propose de mettre fin à une anomalie de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881.

En l’état actuel du droit, en cas d’injure, diffamation ou provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, les sanctions sont les mêmes quel que soit le motif de la discrimination : origine, ethnie, nation, race, religion, sexe, orientation ou identité sexuelle, handicap. Cependant, les délais de prescription de l’action publique varient avec le motif de la discrimination.

En effet, lorsque le délai de prescription des propos discriminatoires à caractère racial, ethnique ou religieux a été porté à un an par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le délai de prescription des propos discriminatoires fondés sur le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle, ou le handicap a été maintenu à trois mois.

Ce délai, le plus court d’Europe, est le délai de droit commun applicable aux délits de presse. Il s’ensuit que des victimes placées dans la même situation sont, de fait, traitées de façon inégale. Afin de mettre un terme à ce qui s’apparente à une discrimination dans la discrimination, la présente proposition de loi propose d’appliquer la prescription d’un an instituée par la loi du 9 mars 2004 à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif.

Permettre que des actes identiques punis des mêmes peines puissent faire l’objet des mêmes poursuites est une mesure de bon sens qui ne porte aucunement atteinte à la liberté de la presse, à laquelle nous sommes tous attachés. En effet, si les modifications apportées par la proposition de loi relèvent de la loi sur la presse, les infractions visées ne concernent en réalité que très marginalement cette dernière. Il s’agit, dans l’immense majorité des cas, de propos et d’écrits tenus par des particuliers, notamment sur internet.

La modification introduite par la loi Perben II visait d’ailleurs non pas la presse mais la multiplication de propos antisémites sur internet. Comme l’indiquait M. Perben lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée, « les règles de prescription rendent difficile la poursuite des infractions liées à internet, la jurisprudence de la Cour de cassation précisant que le délai de prescription est calculé à partir de la date de mise en ligne. Le temps qu’il y ait une réaction, le délai de trois mois est dépassé sans qu’une décision interruptive de la prescription ait pu intervenir… Nous devons nous donner les moyens de combattre un phénomène qui, malheureusement, ressurgit – et nous en sommes tous inquiets – dans notre pays, et tenir compte de quelque chose qui, bien sûr, n’existait pas lorsque la loi de 1881 a été votée, il y a plus d’un siècle, je veux parler d’internet, ce réseau électronique qu’il est très difficile, pour la magistrature et pour les services d’enquête, de contrôler et de surveiller en vue de réprimer les infractions qui s’y commettent. »

Ce constat est pertinent, que les propos visés soient racistes, sexistes ou homophobes. Il circule d’ailleurs sur internet autant de messages sexistes ou homophobes que de messages antisémites, racistes ou xénophobes.

Internet a rendu le délai de prescription de trois mois des délits de presse obsolète. Rappelons que ce délai particulièrement court visait à préserver la liberté de la presse dans un contexte où les propos litigieux disparaissaient de la sphère médiatique après leur publication. Or, avec internet, les écrits ne disparaissent jamais : ils sont consultables à tout moment, par n’importe qui et n’importe où. L’injure et la diffamation se répètent à l’infini. Soulignons également qu’internet donne évidemment une dimension tout à fait nouvelle aux phénomènes de diffamation, d’injure et de provocation à la discrimination, à la haine et à la violence. L’actualité ne cesse de nous le rappeler.

Les contenus diffusés sur internet ne sont pas majoritairement le fait de journalistes et de professionnels de l’information sous le contrôle d’un directeur de la rédaction et soumis à un certain nombre de règles de déontologie. Chacun est désormais en mesure de diffuser ses opinions, fussent-elles injurieuses, racistes, sexistes, homophobes ou diffamatoires, et ce avec d’autant plus de facilité que les opinions peuvent être diffusées sous couvert de l’anonymat.

Depuis huit ans, les injures, diffamations et provocations à la haine racistes et xénophobes se prescrivent dans un délai d’un an. Ce délai n’a jusqu’à présent nullement muselé la presse ni porté atteinte à la liberté d’expression. En revanche, un délai de prescription de trois mois aboutit trop souvent à des dénis de justice pour les victimes des infractions concernées.

Les statistiques du ministère de la justice le confirment de manière frappante : entre 2003 et 2011, aucune condamnation n’a été prononcée sur le motif de diffamation ou de provocation à la haine ou à la violence à raison du sexe, de l’orientation sexuelle, du handicap, par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique. Ce chiffre montre que les recours n’aboutissent pas, les plaintes étant classées sans suite du fait de l’expiration du délai de prescription.

Instaurer, quelle que soit la nature ou l’origine de la discrimination, un délai de prescription unique d’un an est une exigence de cohérence du droit. Cette mesure témoigne également d’un attachement déterminé à l’égalité des droits qui est au coeur du pacte républicain, sans remettre aucunement en cause la liberté de la presse. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous propose d’adopter le texte issu de la première lecture au Sénat sans modification.

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