Intervention de Patrick Bloche

Séance en hémicycle du 16 janvier 2014 à 15h00
Délais de prescription des infractions de presse — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a désormais une longue histoire. Nous l’avions examinée ici même en première lecture sous la précédente législature, le 17 novembre 2011. Nous essayions alors, dans l’opposition, avec grande difficulté pour ne pas dire impossibilité, de faire progresser notre pays sur le long et toujours trop lent chemin de l’égalité des droits.

J’avais alors rappelé la perspective historique dans laquelle nous devions placer l’excellente proposition de loi dont Catherine Quéré a pris l’initiative et qui vise à franchir une nouvelle étape en faisant tomber des discriminations.

Je me souviens avoir ce jour-là terminé mon intervention en évoquant la bataille menée sans succès par le groupe SRC pour ouvrir le mariage aux couples de même sexe : « En cette fin de législature, me souvenant de la proposition de loi visant à ouvrir le mariage aux couples de même sexe que j’ai rapportée ici même, au printemps dernier, je constate que les étapes sont parfois difficiles à franchir. Je regrette que nous n’ayons pas franchi celle-ci, qui était décisive. Sans doute devrons-nous attendre la décision des Françaises et des Français au printemps prochain pour ne pas rester, en ce domaine, au bord du chemin. Chers collègues, il reste encore beaucoup de travail ! ».

Aujourd’hui, nous y sommes. Les Françaises et les Français ont choisi le chemin du progrès et nous avons collectivement fait un pas de géant en adoptant le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. C’était un engagement fort du Président de la République, que nous avons su mettre en oeuvre avec conviction et détermination.

Car en la matière, rien n’est jamais simple, rien n’est jamais acquis d’avance. Souvenons-nous que l’homosexualité a été dépénalisée en France il y a seulement trente ans et qu’il a fallu attendre le milieu des années 80 pour que soit enfin reconnue dans le code pénal la discrimination en fonction de l’orientation sexuelle – des moeurs, comme on disait à l’époque. Puis il y a eu le débat fondateur pour créer le pacte civil de solidarité, le PACS, qui a permis, enfin, de faire entrer le couple homosexuel dans le code civil et qui a été déterminant, car il a radicalement changé le regard que la société française portait jusque-là sur les femmes et les hommes homosexuels. Depuis 2004, enfin, nous pouvons nous féliciter que les propos et écrits à caractère discriminatoire en fonction du sexe, de l’orientation sexuelle et du handicap soient sanctionnés quand il s’agit de provocation, de diffamation ou d’injures publiques.

Il s’agit aujourd’hui de clore un nouveau chapitre en modifiant à nouveau la loi sur la liberté de la presse de 1881, grande loi républicaine, ô combien vertueuse puisqu’elle garantit d’un côté la liberté d’expression et que, d’un autre côté, elle en sanctionne les abus, notamment, comme le Conseil d’État l’a rappelé récemment, ceux qui peuvent attenter à la dignité humaine. Nous savons que le législateur doit tout particulièrement toucher à cette loi d’une main tremblante mais, en l’occurrence, la proposition de loi dont nous abordons la lecture définitive à l’Assemblée nationale crée une plus grande lisibilité en proposant d’appliquer la prescription d’un an instituée par la loi du 9 mars 2004 à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif.

Actuellement, le délai de prescription d’un an vise seulement les discriminations en fonction de l’origine, de l’ethnie, de la nation, de la race et de la religion. Nous proposons de l’appliquer également aux discriminations en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. C’est un rééquilibrage essentiel, qui n’est pas seulement symbolique. Il va permettre d’atteindre en ce domaine l’objectif d’une parfaite égalité des droits.

Ce texte tend à permettre aux individus, et aux associations qui les soutiennent, lorsqu’ils sont attaqués en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap, d’avoir le temps et les moyens d’engager les poursuites nécessaires pour que les écrits et propos à caractère discriminatoire soient pénalement sanctionnés. Aussi, chers collègues, je pense que notre Assemblée s’honorerait en votant à l’unanimité cette proposition de loi si républicaine.

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