Intervention de Stéphane Saint-André

Séance en hémicycle du 16 janvier 2014 à 15h00
Délais de prescription des infractions de presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Saint-André :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous arrivons aujourd’hui à la fin du processus législatif concernant cette proposition de loi. Aucun amendement n’ayant été déposé, le texte va être adopté conforme dans la version sénatoriale, et les nouveaux délais de prescription des délits de presse commis en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle ou du handicap pourront immédiatement entrer en vigueur.

Je citerai ici mon excellent collègue sénateur, Yvon Collin, qui était intervenu le 7 février dernier en séance publique : « La loi du 29 juillet 1881 fait partie de ces grandes lois de progrès social et de liberté votées par le Parlement de la IIIe République qui ont fondé le pacte républicain dont nous sommes aujourd’hui à la fois les bénéficiaires et les dépositaires ».

Les radicaux, toujours profondément attachés à la liberté d’expression, ont, de toute éternité, fait entendre haut les valeurs de liberté et de tolérance. Nous continuons, bien évidemment, même si la société contemporaine est quelquefois plus éprise d’ordre que de liberté.

Nous savons tous que la liberté, c’est le choix de ses contraintes ; et comme ceux qui violent impunément la liberté des autres ne se fixent par définition aucune contrainte, il faut que la société fixe les limites de l’exercice des différentes libertés individuelles. C’est pour cela que le code pénal n’interdit rien, il punit. Quand il s’agit d’interdire pour préserver l’ordre public, la police administrative est là, comme le cas de M. M’Bala M’Bala l’a récemment illustré.

Les délits de presse tels qu’ils sont définis dans notre législation forment une limite raisonnable à la liberté d’expression, dans la société qui est la nôtre. Ces délits, comme toutes les infractions, au nom du principe de sécurité juridique, doivent pouvoir être prescrits : l’écoulement d’un délai, dix ans pour les crimes, trois ans pour les délits, un an pour les contraventions, entraîne l’extinction de l’action publique et rend ainsi toute poursuite impossible. Il existe un délai spécial pour les délits de presse, plus court : trois mois. Ce délai vise évidemment à préserver la liberté de la presse, sachant qu’il peut être interrompu par des actes de poursuite ou d’instruction.

La loi Perben II du 9 mars 2004 a allongé ce délai de prescription à un an pour les propos ou écrits poussant à la discrimination, à la haine ou à la violence, diffamatoires ou injurieux, à caractère ethnique, national, racial ou religieux, ou contestant l’existence d’un crime contre l’humanité, à partir du constat que le délai de trois mois, à l’heure d’internet, était trop court. La proposition de loi qui nous est soumise tend à appliquer le même délai aux insultes liées à l’orientation sexuelle ou au handicap.

L’allongement du délai de prescription à un an, fruit de la loi Perben II, avait fait l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité, la décision ayant été rendue par le Conseil constitutionnel le 12 avril 2013. Cette QPC avait été transmise par la Cour de cassation et déposée au nom du principe d’égalité devant la loi. Le Conseil a estimé que la différence de traitement résultant de l’allongement du délai pour les délits concernés ne revêtait pas un caractère disproportionné au regard de l’objectif poursuivi, à partir du moment où le législateur avait précisément défini les infractions auxquelles l’allongement du délai de prescription est applicable.

Ainsi, la définition de nouvelles infractions, de nature sexuelle cette fois, par le législateur, infractions pour lesquelles le délai de prescription des délits de presse serait d’un an au lieu de trois mois est conforme à la Constitution. L’extension à un an du délai de prescription pour l’ensemble des délits de presse, qui aurait le mérite de la simplicité, se heurterait à la décision du Conseil et serait immanquablement considérée comme inconstitutionnelle.

Si les élus du groupe RRDP souscrivent à la déclaration de la ministre déléguée aux droits des femmes, indiquant lors de l’examen de la proposition de loi au Sénat le 7 février 2013 qu’il n’y a pas lieu de discriminer entre les discriminations, ils ne peuvent que constater que la jurisprudence du Conseil constitutionnel oblige le législateur à modifier au coup par coup la législation en matière de délais de prescription des délits de presse en fonction du caractère jugé insupportable desdites discriminations par le corps social.

C’est le paradoxe de la situation. Pour combattre toutes les discriminations, il faut en dresser la liste et donc les critères, ce qui en exclut, par définition, certaines, qui resteront soumises au droit commun. Nous atteignons vraisemblablement les limites de l’exercice.

Je souscris aux observations d’Yvon Collin qui estimait qu’il fallait prendre garde à ne pas trop étendre le champ des régimes dérogatoires. Cela ne nous empêche pas de soutenir sans réserve ce texte, que nous voterons.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion