Intervention de Virginie Duby-Muller

Séance en hémicycle du 16 janvier 2014 à 15h00
Délais de prescription des infractions de presse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVirginie Duby-Muller :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour remédier à une incohérence de notre droit en matière de délais de prescription des délits de presse.

Actuellement, ceux-ci varient selon le caractère de l’infraction. Ainsi, les délits de diffamation, d’injure ou de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence commis à l’encontre des personnes en raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle, ou de leur handicap, sont soumis à un délai de prescription de trois mois, conformément au droit commun. Mais ces mêmes infractions commises en raison de la race, de l’ethnie ou de la religion ont vu leur délai de prescription porté de trois mois à un an par la loi du 9 mars 2004, dite loi Perben II. L’évolution de la loi a donc introduit une distorsion entre les délais de prescription au sein d’infractions de même nature, ce qui n’est satisfaisant ni pour le législateur, ni pour ceux qui font appliquer la loi, encore moins pour ceux auxquels elle s’applique : nos concitoyens.

Pour mémoire, il faut aussi rappeler que, dans un autre domaine, c’est également un délai de prescription d’un an que le législateur a inscrit dans la loi du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, pour les actes provoquant « directement aux actes de terrorisme » ou à leur apologie.

De fait, le délai de trois mois semble aujourd’hui obsolète. Notre groupe est naturellement attaché à la liberté de la presse. La loi fondatrice de 1881 relative à la liberté de la presse ne pouvait pas, il y a plus de cent trente ans, anticiper la révolution numérique qui devait marquer la fin du XXe siècle. Elle ne pouvait pas prévoir l’extension de l’espace public que représente internet, ni ses grandeurs et décadences, entre totale liberté d’expression et dérives difficilement contrôlables. C’est donc au législateur de garantir la pertinence et l’actualité des grandes lois qui ont marqué notre droit.

C’est pourquoi nous saluons cette proposition de loi, issue d’une initiative de Catherine Quéré, que nous avions soutenue après suppression de son article 1er lors de la précédente législature, et qui devrait être adoptée définitivement aujourd’hui.

C’est bien le dévoiement de la loi opéré sur internet qui est visé aujourd’hui. La volonté des auteurs de cette proposition, telle que nous la comprenons, et que nous saluons, est de lutter contre l’impunité qui peut régner dans le cyberespace. Nous sommes soucieux, comme vous, de la liberté de la presse, et nous comprenons qu’il ne s’agit en aucun cas d’une tentative détournée de porter atteinte à la liberté d’expression, d’autant que la loi Perben Il a bien montré que la prescription d’un an n’avait pas contribué à museler les médias traditionnels.

Cette proposition de loi, désormais réduite à son article 2, est équilibrée. En alignant la prescription d’un an de l’action publique à tous les délits de presse à caractère discriminatoire, quel qu’en soit le motif, elle permet à des actes identiques, punis par des peines identiques, de faire l’objet des mêmes possibilités de poursuite – il faut savoir que, malgré ces délais de prescription jusqu’à présent distincts, ces infractions restent soumises au même régime de peine : six mois à un an de prison et une amende pouvant aller de 22 500 à 44 500 euros.

Ce texte répond donc à deux objectifs que nous comprenons. Premièrement, il concourt à l’intelligibilité de la loi. Le droit doit être lisible et compréhensible par tous. Or la multiplicité des délais de prescription favorise la confusion et accroît le risque pour le justiciable de se tromper dans les délais, et celui de voir ainsi un certain nombre de plaintes classées.

L’harmonisation des délais de prescription permet aussi de garantir l’égalité devant la loi. Il paraît difficile de cautionner une hiérarchie implicite entre les discriminations en acceptant que les délais de prescription varient en fonction de la gravité supposée du motif. Une discrimination reste une discrimination, qu’elle se fonde sur l’ethnie ou l’orientation sexuelle, sur la religion ou le handicap.

Ce texte répond ensuite à un objectif simple d’efficacité. De fait, le délai de prescription de trois mois est trop court pour être efficace. C’était bien le constat du garde des sceaux Dominique Perben en 2004. Les démarches d’identification et de poursuite des responsables qui agissent anonymement sur la toile sont trop longues et trop complexes pour être réglées dans un délai de trois mois : il faut laisser plus de temps aux magistrats et aux services d’enquête. Comme le rappelle la rapporteure dans son rapport, aucune condamnation n’a été prononcée entre 2003 et 2011 pour motif de discrimination en raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap. On pourrait s’en réjouir si cette absence était liée à une absence de plainte, ce qui n’est malheureusement pas le cas.

Par voie de conséquence, ce texte laisse une chance aux victimes. Le délai de prescription d’un an, on l’a dit, est adapté à l’essor des nouvelles technologies et devrait faciliter les poursuites. Ce nouveau délai permet d’identifier l’infraction et d’apprécier la situation pour décider de l’opportunité ou non de poursuivre une éventuelle infraction.

Ce faisant, il permet aussi de lutter contre la banalisation de ces infractions sur la toile. Alors que dans les médias classiques, une publication chasse l’autre, il n’existe pas de droit à l’oubli sur internet. Comme dans tous les domaines et dans tous les espaces, le vivre-ensemble ne peut faire l’économie d’un équilibre entre droits et devoirs. Internet, ce formidable espace de liberté que chacun peut investir sur n’importe quel sujet, implique en contrepartie de donner à toutes les éventuelles victimes les moyens de faire valoir leurs droits.

Pour conclure, ce texte, qui s’apparente à la réparation d’une incohérence, est un texte important. Le législateur n’est pas là aujourd’hui pour museler la presse, mais bien pour lutter contre la multiplication des dénis de justice. C’est pourquoi le groupe UMP votera pour ce texte, comme il l’avait fait en première lecture sous la précédente législature.

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