Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, nous allons ce soir évoquer ici ce que l’on peut penser, dire et publier sans porter atteinte aux droits de tout un chacun et aux fondements de notre République. Cette thématique est justement au coeur de l’actualité récente et il n’est pas neutre de constater que l’on ne s’était jusqu’alors jamais autant passionné pour une décision du Conseil d’État, preuve s’il en est du caractère sensible de ce sujet.
Nous allons parler des droits et devoirs de la presse, des limites à la liberté d’expression, qui, si elle est autant une liberté fondamentale qu’une composante essentielle d’une société démocratique, n’est pas absolue et doit être conciliée avec d’autres impératifs, mais aussi de la façon dont tout cela se traduit dans notre législation. Il est dès lors important de trouver, par le biais de nos instruments législatifs, un équilibre entre, d’une part, ce qui est permis, encadré et protégé, et, d’autre part, ce qui relève de l’insulte, de la discrimination et du délit constitué.
Dans le cadre de cette proposition de loi défendue par notre collègue Catherine Quéré, visant à harmoniser les délais de prescription des infractions prévues par la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 – pierre angulaire de la protection du secret des sources des journalistes –, infractions commises en raison du sexe, de l’orientation ou de l’identité sexuelle, ou du handicap, nous mettons fin à une anomalie de notre droit, comme cela a été souligné.
En l’état actuel du droit, en cas de propos publics discriminatoires, tels que l’injure, la diffamation ou bien encore la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, qu’ils portent sur l’origine, l’ethnie, la nation, la race, la religion, le sexe, l’orientation sexuelle ou le handicap, les sanctions sont logiquement les mêmes : six mois de prison et 22 500 euros d’amende pour les premiers, un an de prison et 45 000 euros d’amende pour les suivants.
Cependant, alors que le délai de prescription des infractions à caractère racial, ethnique ou religieux a été porté à un an par la loi Perben II, le délai de prescription des discriminations fondées sur le sexe, l’orientation ou l’identité sexuelle, ou le handicap, a été quant à lui maintenu à trois mois, délai de droit commun applicable aux délits de presse. En d’autres termes, il existe une distorsion entre tous ces délais de prescription,et donc une différence de traitement vis-à-vis des victimes de ces discriminations, placées dans la même situation mais traitées de façon inégale, bref, une hiérarchisation de fait des discriminations constatées.
Cette proposition de loi est également l’occasion de rappeler à quel point il est essentiel de lutter contre toute forme de discrimination, où qu’elle se trouve, à l’égard de toutes ses victimes et quel qu’en soit l’auteur, et à quel point il est important que notre législation nous permette matériellement de le faire. Car les discriminations sont bien en France un fait établi. Si nous pouvons être fiers que notre nation fasse partie de celles où la prise de conscience est la plus avancée, il reste encore beaucoup de travail.
Il est nécessaire de faire avancer ces questions dans tous les domaines. Déjà, sous l’ancienne législature, Dominique Baudis, Défenseur des droits, estimait « difficilement justifiable d’accorder une protection moindre aux victimes d’homophobie, de sexisme et d’handiphobie du fait d’un délai abrégé s’élevant à trois mois », alors que ce délai est d’un an pour les victimes d’injures racistes, par exemple. Somme toute, il s’agit de défendre plus efficacement les victimes du sexisme, de l’homophobie et de l’handiphobie, et c’est bien le reflet de la société inclusive que nous voulons construire ensemble.
À cet égard, sur un autre sujet pas si éloigné du nôtre ce soir, je voudrais saluer l’initiative du Gouvernement, qui, à la suite de la conférence « Sois pauvre et tais-toi » conduite par la ministre des affaires sociales et de la santé, poursuit la réflexion sur l’inscription de la discrimination pour précarité sociale dans notre droit. Demain, nous pourrons imaginer que les personnes se voyant refuser l’accès au droit, les personnes en situation de pauvreté et discriminées publiquement puissent elles aussi être armées juridiquement. Je pense notamment à la malheureuse aventure survenue à cette famille en visite dans un musée parisien. J’espère que nous parviendrons, dans les mois et les années à venir, à faire avancer la réflexion en ce sens, sur les discriminations de caractère social qui se développent dangereusement dans des esprits de plus en plus nombreux en perte de valeurs. Mais c’est un autre chantier.
Pour l’heure, en votant cette proposition de loi, nous mettrons fin à la hiérarchisation des discriminations, plus ou moins graves, plus ou moins reconnues juridiquement et plus ou moins punies pénalement.
Enfin, je voudrais aborder ici la question plus spécifique – bien que liée à ce problème de distorsion – de la presse en ligne. Nous vivons dans un monde qui va vite, dans un monde où l’information de l’instant est reine, puis obsolète quelques heures après : l’information est morte, vive l’information ! Il est alors difficile de se rendre compte, tant les infos se succèdent, de l’existence de propos discriminants ou injurieux, et le cas échéant, d’ester en justice avant que le délai soit dépassé et la requête devenue irrecevable.
Qui plus est, contrairement à la presse, les contenus diffusés sur internet ne sont pas majoritairement le fait de journalistes et de professionnels de l’information sous le contrôle d’un directeur de la rédaction et soumis à un certain nombre de règles de déontologie. N’importe qui est aujourd’hui en mesure de diffuser ses opinions, fussent-elles homophobes ou diffamatoires, et ce avec d’autant plus de facilité qu’elles peuvent l’être sous couvert de l’anonymat.
S’il existe bien souvent un onglet « signaler » afin d’alerter sur l’existence d’un contenu ou d’un comportement illicite, celui-ci n’est pas toujours retiré et l’infraction subsiste. En outre, il est difficile d’identifier non seulement les responsables des sites mais aussi les internautes coupables de ces agissements. Cette question importante de la responsabilité du blogueur et de son hébergeur concernant le contenu de l’information s’était posée à nous dans le cadre du projet de loi renforçant la protection du secret des sources du journalisme, qui, je l’espère, sera discutée prochainement dans notre assemblée. C’est une réflexion que nous aurons à mener, sur notre manière de nous exprimer et la liberté de cette expression. La presse est libre, mais pas libre de dire tout et n’importe quoi. Les blogues non contrôlés, les sources non vérifiées sont régis avec efficacité par notre législation pénale.
D’un autre côté, s’il est légitime de contrôler et d’encadrer pénalement les délits de presse, il convient également de protéger ses acteurs : je pense aux journalistes professionnels et d’investigation pour qui la loi est aussi utile pour protéger et favoriser l’exercice de leur profession.
Bref, vous le voyez, en nous prononçant ce soir sur cette loi, nous ne faisons que nous conformer à la vision de la société dans laquelle nous avons choisi de vivre, une société inclusive et non discriminante, une société pour tous et avec tous, y compris dans la façon qu’elle a d’informer et avec les outils qu’elle se donne pour ce faire ; une volonté qui, je n’en doute pas, s’exprimera dans les jours qui viennent dans le projet de loi visant à lutter contre les inégalités femmes-hommes, mais aussi dans celle que j’ai déjà évoquée, peut-être un peu plus technique, concernant la protection du secret des sources des journalistes, qui devrait arriver dans notre assemblée dans quelques mois.
Plus que jamais, nous avons ce soir l’opportunité de rappeler que nous ne céderons pas d’un pouce sur ce type de comportements ou d’expressions excluantes. Nous devons les combattre, nous sommes décidés à le faire, nous nous dotons donc tout naturellement des outils qui nous permettent de le faire avec efficacité. Il serait tout à l’honneur de notre assemblée que nous montrions aujourd’hui l’unité et l’intransigeance de la nation quant à sa volonté d’éradiquer toute forme de discrimination en adoptant unanimement ce texte extrêmement important et précieux.