Intervention de François de Rugy

Séance en hémicycle du 23 janvier 2014 à 15h00
Prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois de Rugy :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, chers collègues, le produit intérieur brut constitue depuis plus de soixante ans l’agrégat principal de la comptabilité nationale française. La dette, le déficit et la balance commerciale sont calculés en pourcentage de produit intérieur brut ou PIB. Nos budgets annuels sont construits sur une hypothèse de croissance du PIB et nos engagements vis-à-vis de l’Union européenne sont aussi évalués en fonction de cet indicateur.

La proposition de loi dont nous débattons n’a pas vocation à remettre en cause son utilité mais cherche simplement à en relativiser la portée et à contester sa position quasi-exclusive, en tout cas hégémonique, dans l’évaluation des politiques publiques. Le PIB est un indicateur global qui calcule les richesses créées sur un territoire donné au cours d’un exercice annuel. À ce titre, il comporte des informations relatives à l’activité, aux revenus, aux impôts et aux bénéfices. En revanche, il ne nous dit pas grand-chose de l’impact de nos activités sur notre capital humain et environnemental.

Ainsi, la mesure du produit intérieur brut est par exemple indifférente à la répartition des richesses comptabilisées. La croissance du PIB a récemment été concomitante d’une croissance des inégalités. Par ailleurs, le PIB fait totalement abstraction des activités non monétaires qui sont pourtant partie prenante de notre vie en société et de notre économie et peuvent même avoir un impact majeur sur notre niveau de vie, comme les services publics gratuits, le bénévolat associatif ou le travail domestique.

En outre, notre produit intérieur brut n’intègre aucune donnée environnementale comme la dégradation du capital naturel ou l’évolution de nos ressources. Enfin, le PIB est un indicateur de valeur ajoutée qui comptabilise les activités dites « réparatrices » ou « défensives » et peut à ce titre contenir des données faussées. On en trouve de nombreux exemples. Ainsi, les accidents de la route peuvent paradoxalement contribuer à la croissance du PIB, tout comme la consommation de tabac – au détriment pourtant de la santé de nos concitoyens.

L’enjeu de la présente proposition de loi est donc de faire évoluer nos grilles de lecture et d’analyse pour que l’élaboration des politiques publiques, de la prospective à l’évaluation et au contrôle, prenne davantage en compte les critères sociaux et environnementaux. Depuis le début des années 1980, plusieurs économistes ont proposé des indicateurs alternatifs, dont l’indice de développement humain que publie le Programme des Nations unies pour le développement et l’indice de santé sociale qui intègre les chiffres du chômage, des inégalités, de l’insécurité ou de la santé et est d’ores et déjà appliqué au Canada et dans l’État américain du Connecticut avec des résultats encourageants.

En France, après la publication du rapport Stiglitz-Fitoussi de 2009, l’INSEE a produit plusieurs documents sur les inégalités de ressources et le commissariat général au développement durable a multiplié les études intégrant l’empreinte carbone et l’empreinte eau. Toutefois, la prise en compte des aspects sociaux et environnementaux de nos politiques à portée financière demeure marginale, car les indicateurs échappent à nos grilles d’évaluation et de performance.

Convaincu que la démocratisation de tels outils de mesure relève d’un choix politique, le groupe écologiste souhaite mettre en place, par le biais d’une proposition de loi rédigée par Eva Sas, un dispositif fondé sur deux préalables : la mise à disposition d’indicateurs synthétiques comme l’indice de santé sociale ou l’empreinte écologique, d’une part, et, d’autre part, un effort de communication au sujet de ces indicateurs à la hauteur de celle qui est déployée pour le PIB, c’est-à-dire intégrée dans les lois de finances, document normatif qui fixe le cadre budgétaire de nos politiques publiques.

Au cours de la phase de discussion préalable à l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de loi, le Gouvernement s’est montré favorable au principe d’une intégration de nouveaux indicateurs de richesse dans nos modèles d’évaluation des politiques publiques. En revanche, monsieur le ministre du budget, vous avez soulevé la question de l’opportunité de modifier la loi organique relative aux lois de finance ou LOLF, qui constitue en effet le vecteur législatif que nous avons choisi. Bien entendu, nous prenons en compte cette interrogation, ainsi que la proposition de travailler sur la base d’une loi ordinaire que vous venez de formuler, dans le même état d’esprit et avec les mêmes objectifs.

Ce qui importe au groupe écologiste, c’est que l’on fasse évoluer notre lecture macroéconomique des politiques publiques. C’est pourquoi nous souhaitons que le travail que vous proposez se poursuive à l’issue de cette séance qui aura permis de lancer le débat.

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