Intervention de Laure de La Raudière

Séance en hémicycle du 23 janvier 2014 à 15h00
Prise en compte des nouveaux indicateurs de richesse — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaure de La Raudière :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteure, mes chers collègues, le groupe écologiste nous propose un débat sur un sujet vraiment intéressant, celui de la meilleure prise en compte des réalités sociale, environnementale et écologique dans le calcul de nos hypothèses de croissance et nos performances économiques. L’idée d’entamer une réflexion sur nos indicateurs économiques, en rappelant que l’évaluation synthétique des politiques publiques se base quasi-exclusivement sur une hypothèse de croissance du PIB et en distinguant d’une part le bien-être présent et d’autre part sa soutenabilité, est en effet très intéressante. Mais le texte qui nous est proposé semble tourner un peu court et imposer une issue sans doute simplifiée à un débat complexe.

La proposition de loi part du principe qu’un certain nombre de reproches peuvent être adressés au PIB qui, en tant qu’indicateur principal, ne peut appréhender la répartition des nouvelles richesses créées et donc les inégalités. Ces limites sont bien connues. Indicateur global, il est incapable d’expliquer l’accroissement concomitant des inégalités et de la richesse. Indicateur de valeur ajoutée, il ignore les aspects négatifs d’une catastrophe naturelle en effet susceptible de créer de la richesse. Indicateur quantitatif, il ne tient pas compte de la qualité de la richesse produite. Indicateur de court terme, il ne tient pas compte de l’environnement, du bien-être des populations et de l’évolution des ressources.

Par ailleurs, le PIB ne tient pas compte de l’économie informelle, qu’il s’agisse du bénévolat ou des services domestiques, par exemple. Ces idées se fondent sur les théories d’économie du bien-être et visent à promouvoir de nouveaux indicateurs de richesse alternatifs, mis en lumière par plusieurs économistes ces dernières années, et très prisés dans le milieu associatif. Chacun est aujourd’hui conscient des limites et des contradictions du PIB en tant qu’indicateur de mesure principal de la richesse, tant dans ses hypothèses que dans la manière dont il est construit. Cet indicateur central qui irrigue l’ensemble de nos réflexions impose une vision beaucoup trop quantitative de l’activité économique.

Pour autant, malgré la pertinence des critiques émises tant par les économistes que par les sociologues, le PIB reste un indicateur partagé au niveau mondial. Nombre d’engagements internationaux – notamment européens – de notre pays, tels ceux issus du traité de Maastricht, sont fondés sur la reconnaissance de cette variable. Aussi la France ne peut-elle se permettre, à mon avis, d’être le seul pays d’Europe à modifier la manière de calculer sa richesse. Si l’objectif est louable, il n’en reste pas moins que des réalités économiques s’imposent. La mise en place de critères parfois subjectifs dans la constitution des hypothèses macroéconomiques dans les lois de finances ne risque-t-elle pas de nuire au respect objectif des engagements de la France vis-à-vis de ses partenaires européens, et bien sûr vis-à-vis des Français ?

Modifier ainsi la loi de programmation nous placerait sans aucun doute en difficulté face aux exigences de la Commission européenne et de la zone euro. De tels indicateurs ne peuvent avoir de sens que s’ils sont pris à l’échelle européenne, a minima. La réflexion sur une meilleure appréciation de nos indicateurs économiques, sur une meilleure prise en compte des critères qualitatifs, doit être menée en concertation avec nos partenaires, et pas dans une nouvelle chevauchée fantastique en solitaire où nous définirions nos propres critères dans la loi de programmation, sans tenir compte de nos obligations européennes ni de la gravité de la situation économique – étant précisé que toutes nos obligations font référence au PIB.

Il est un peu facile, finalement, d’inventer de nouveaux thermomètres pour tenter de convaincre d’une meilleure santé de la France. Ce n’est pas parce que le Gouvernement prend du retard sur le redressement de nos comptes publics qu’il faut tenter de changer les règles ou d’en rajouter d’autres pour mieux parvenir, ou parvenir différemment, à nos fins. De plus, certains indicateurs que vous proposez reposent sur des éléments sinon subjectifs, du moins qualitatifs, ce qui semble difficilement compatible avec la précision nécessaire en matière de calcul économique et de prévision, en particulier dans le cadre d’une loi organique qui touche à l’organisation de notre budget. Si l’une des limites du PIB vient justement du fait qu’il impose une vision beaucoup trop quantitative de l’activité économique, il semble que la mise en oeuvre des indicateurs alternatifs que vous mentionnez risque de revenir à les transformer également en indicateurs quantitatifs pour pouvoir être utilisables en données économiques. Dès lors, ne perdraient-ils pas une partie du sens que vous souhaiteriez justement leur donner ?

La définition de ces indicateurs qui, selon les théories, les concepts et les pays, peut varier, n’apparaît pas suffisamment précise. En dépit de ses défauts, la définition du PIB est claire et communément admise à l’échelle européenne et internationale. Ce n’est pas le cas, pour l’instant de ces indicateurs. Mes chers collègues, nous nous précipiterions quelque peu à introduire ces nouveaux concepts dans la loi organique, alors que leur définition n’est ni finalisée, ni communément partagée. Il est bon qu’un indicateur puisse également servir à établir des comparaisons avec les autres pays.

Le débat lancé par cette proposition de loi est très intéressant et mérite d’être poursuivi. Aussi, notre assemblée gagnerait à encourager le Gouvernement à engager, au nom de la France, un débat au niveau européen sur ce sujet. Cependant, pour toutes les raisons évoquées, le groupe UMP préfère que nous nous concentrions aujourd’hui sur la meilleure façon pour la France d’atteindre enfin les objectifs économiques qu’elle s’est fixés, et s’opposera donc à l’adoption de cette proposition de loi.

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