Intervention de Marc Le Fur

Séance en hémicycle du 22 janvier 2014 à 21h30
Ratification de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarc Le Fur :

La transmission d’une culture par la famille, l’école, la commune, l’entreprise, la région, est tout à fait essentielle. Ne pas permettre la transmission, l’empêcher, c’est en quelque sorte voler quelque chose aux générations à venir. Chacun est libre d’accepter cet héritage, de le transformer, voire de le rejeter, mais chacun a le droit de connaître cet héritage. C’est ce que nous disons aujourd’hui.

Chacun d’entre nous a son histoire. Mes parents, et c’était le lot de toute leur génération, ont appris le français à l’école et mes deux grands-mères portaient la coiffe. Je suis fier de cet héritage. La République m’a appris d’autres choses. Il n’empêche que cette préoccupation, dont je suis comptable, est toujours au fond de moi. Je suis convaincu qu’au milieu de toutes nos vies, il y a quelque chose de cette nature.

Le propre des régimes totalitaires, c’est justement d’effacer le fruit de l’expérience des générations antérieures, cet héritage, pour mieux imposer leur vision idéologique. L’esprit critique ne peut alors plus s’exercer, puisqu’il n’y a pas de référence au passé. Soyons conscients que les langues régionales et, au-delà, les cultures régionales concourent à notre enrichissement.

L’enjeu de cette charte est donc beaucoup plus vaste que la simple question du plurilinguisme. L’enjeu est d’admettre l’altérité, la différence concrète et non pas théorique, la diversité comme des bases indispensables à l’exercice de la liberté et aussi de l’égalité, qui ne se confond pas avec l’uniformité. Ôtons-nous de la tête cette idée très jacobine que l’égalité se confondrait avec l’uniformité. L’égalité implique une différence assumée et respectée.

Bien plus qu’un édit de tolérance, les militants des langues régionales veulent une charte des libertés. Faisons confiance aux Français en général et aux locuteurs des langues régionales en particulier.

Je voudrais clore mon propos en évoquant un monument de la littérature française : Frédéric Mistral, le fondateur du Félibrige, l’auteur de Mireille qu’il dédicaça à Lamartine et dont Gounod fit un merveilleux opéra. Mistral, Nobel de littérature, donc reconnu au niveau universel. L’homme qui consacra son prix à la création du Museon Arlaten à Arles. J’aurais voulu que Henri Guaino entende cela, lui qui est de souche arlésienne.

Dans quelques semaines, le 25 mars 2014, nous célébrerons le centième anniversaire de la disparition de Mistral, madame la ministre. Vous n’oublierez pas Jaurès cette année, madame Filippetti, et je ne vous en fais pas grief, mais je vous en prie, n’oubliez pas non plus Mistral ! Je lui associerai son contemporain, Jean-Pierre Calloc’h, dit Bleimor, un poète breton tombé lui aussi au champ d’honneur, comme 250 000 Bretons, en 1917 ; son nom figure au Panthéon.

Voici ce qu’il écrivait dans les tranchées en 1914 : « Je suis le grand Veilleur debout sur la tranchée. Je sais ce que je suis et je sais ce que je fais : L’âme de l’Occident, sa terre, ses filles et ses fleurs, C’est toute la beauté du Monde que je garde cette nuit. » Beau texte. Mistral et Calloc’h savaient tous deux qu’ils étaient singuliers dans leur poésie mais qu’à leur façon ils atteignaient l’universel. Ils n’y voyaient aucune contradiction, plutôt un enrichissement perpétuel. Avec eux, notre pays prend des couleurs et respire la lavande et la bruyère. Pour Mistral, pour Calloc’h, faites de cette année 2014 une année de fête pour tous les locuteurs des langues de France. Ouvrez-leur vos bras, laissez la musique de ces langues chanter à vos oreilles une mélodie polyphonique. Dites-leur que vous avez confiance en eux.

Vous avez bien compris, monsieur le rapporteur, que votre texte n’est pas à la hauteur des ambitions que je viens d’évoquer. Vous avez bien compris qu’il ne correspond pas aux attentes de ceux qui, depuis de nombreuses années, et je les salue aujourd’hui, militent pour nos langues régionales. Il faut donc le renvoyer en commission.

Cela peut aller très vite. Il s’agit simplement de passer non pas par une proposition de loi, qui, chacun l’a compris, aboutirait à une impasse, mais par un projet de loi. Il s’agit également d’en faire un texte simple – non pas treize lignes, dont douze négatives, mais une seule : La République peut ratifier le texte sur les langues régionales. Mes chers collègues, il faut que nous en soyons chacun convaincus, et je suis pour ma part convaincu que notre rapporteur acceptera cet effort modeste que je lui demande.

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