Quinze ans après la signature par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, nous avons aujourd’hui dans cet hémicycle un rendez-vous important, qui intervient après un long processus, de la signature de la Charte en 1999 à la révision constitutionnelle de 2008, jalonné de nombreuses étapes et souvent freiné par des obstacles juridiques.
Avec cette proposition de loi, nous franchissons un pas de plus. Nous sommes l’un des derniers pays signataires à ne pas avoir ratifié cette charte, et l’engagement qu’a pris la France en 1999 demeurera lettre morte tant que nous n’aurons pas procédé à cette ratification. Cette étape est donc essentielle si nous voulons faire vivre et appliquer la charte adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992.
Convaincu de la nécessité de protéger les langues régionales et minoritaires et de favoriser le droit pour chacun de les pratiquer, j’ai déposé, avec mes collègues du groupe UDI, une proposition de loi en ce sens. Je note avec satisfaction qu’il s’agit d’un sujet transpartisan : bon nombre de mes collègues, de tous les groupes, ont déposé des textes quasiment identiques. Il est bon que, sur des sujets comme celui-ci, nous puissions dépasser les clivages politiques et nous rassembler, de part et d’autre de l’hémicycle.
Si les députés du groupe UDI, comme avant eux ceux de l’UDF, défendent avec conviction la ratification de cette charte, c’est avant tout parce qu’il sont des Européens convaincus. Nous ne concevons pas l’Europe autrement que comme une Europe des peuples, une Europe qui favorise le dialogue, les échanges, la communication entre les citoyens qui la composent ; une Europe vivante et qui s’enrichit de sa diversité.
En effet, il s’agit là de préserver, de faire fructifier ces trésors que sont les langues dites régionales, issues du patrimoine culturel oral immatériel de notre pays. Et qui dit dialogue, qui dit échanges et communication, dit nécessairement reconnaissance et promotion des diverses langues régionales et minoritaires parlées par nos concitoyens en tout point du territoire, en métropole et bien sûr outre-mer.
Les langues régionales et minoritaires sont étroitement liées à une histoire, à des traditions, à un passé : celui de la France, de ses provinces, de ses régions et de ses habitants. Elles sont en cela une richesse pour la France et un trésor pour l’Europe, que nous devons faire prospérer. Aux côtés du socle de nos valeurs républicaines, il y a l’histoire, que nous devons à tout prix préserver. Aussi, laisser à l’abandon des langues, menacées de disparaître, ce serait délaisser notre propre histoire.
J’entends bien les interrogations, légitimes, de ceux qui craignent que cette ratification ne préfigure le délitement de la République et ne nuise à son unité. J’entends ceux qui fondent leurs réticences sur les incertitudes juridiques, nous en avons parlé, qui entourent ce processus de ratification.
Il est clair que la tradition jacobine de notre République et les valeurs d’unité qui l’animent peuvent rencontrer des réticences et des résistances. Mais je crois que les propos du président et rapporteur de la commission des lois ainsi que de Mme la ministre sont de nature à nous rassurer.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a considéré que les « droits spécifiques » que confère la Charte « à des groupes de locuteurs de langues régionales et minoritaires, à l’intérieur de territoires dans lesquels ces langues sont pratiquées, sont des dispositions qui se heurtent aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. Par voie de conséquence, une loi simple qui définirait un statut des langues régionales pourrait encourir le même reproche d’inconstitutionnalité si elle était déférée au Conseil constitutionnel. Nous devons donc réviser la Constitution.
Évidemment, les partisans de la ratification de la Charte n’ont aucune intention de remettre en cause l’usage de la langue française, que l’article 2 de la Constitution décrit comme la langue de la République. Il s’agit d’enrichir, de faire vivre et de préserver les langues régionales, que la Constitution décrit depuis 2008 comme partie intégrante de notre patrimoine.
Rappelons par ailleurs que la France ne s’est engagée qu’à appliquer trente-neuf des quatre-vingt-dix-huit engagements que prévoit la Charte et que ces trente-neuf engagements ont été déclarés conformes à la Constitution par la décision du Conseil constitutionnel de 1999. Aucun risque, donc, de se voir imposer, par exemple, une langue régionale dans un procès.
Quant à la rédaction de l’article unique, elle fait débat entre nous. Pour ma part, je considère que la mention explicite des deux premiers points de la déclaration interprétative déposée lors de la signature de la Charte, qui font clairement référence au principe d’égalité des citoyens et à l’article 2 de la Constitution, est un garde-fou supplémentaire. En outre, cette rédaction prend en compte les recommandations du Conseil d’État. En la retenant, je ne doute pas que vous ayez choisi la voie la plus simple et la plus respectueuse de notre Constitution.
Les mouvements sociaux qui se sont produits en Bretagne ces dernières semaines ont fait ressurgir un certain sentiment de défiance à l’égard du pouvoir central. Néanmoins, observons que si ces régions attendent davantage de reconnaissance et la mise en oeuvre d’une véritable politique de décentralisation, elles demeurent quoi qu’il en soit profondément attachées au pouvoir central, loyales et légitimistes envers l’État républicain. C’est la preuve que la reconnaissance des régions et, à travers elles, la reconnaissance des langues qui font leur spécificité et qui les rendent uniques n’est en rien incompatible avec la République.
Je souhaiterais néanmoins faire une remarque personnelle. Ainsi que nous l’avons évoqué en commission, l’adoption d’une proposition de loi constitutionnelle pose problème, puisqu’elle implique le recours au référendum. Or, je n’imagine pas que le Président convoque un référendum sur cette question.