Le Conseil constitutionnel en a décidé autrement. A-t-il dit le droit ou fait de la politique ? C’est une question que l’on peut se poser, mais à laquelle nous n’avons pas à répondre ici. Nous prenons donc acte de cette décision en termes de procédure. Nous en tirons les conséquences.
Par ailleurs, l’histoire du droit français et du rapport entre l’État et les langues, y compris sous la Révolution française, comme cela a été précisé tout à l’heure, va à l’encontre des idées reçues. L’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 ne reconnaît pas une langue française unique pour les actes officiels, mais prévoit simplement que l’on devra utiliser pour ces actes le bon langage français, c’est-à-dire celui qui était pratiqué et entendu au lieu de l’acte, par différence avec le latin. En effet, personne, à l’époque ne considérait que le français était une langue. C’était une série de langages. Ce serait un véritable anachronisme que d’affirmer cela. On entendait la langue comme étant le latin. Le français était un parler, une corruption de la vraie langue.
Refusons, par conséquent, cet anachronisme : si l’on voulait, à l’époque, que chacun entende le texte de l’acte officiel, il ne fallait pas l’exprimer dans un français ultra-minoritaire, qui n’était entendu que par 5 à 10 % de la population, et encore ! La Révolution française, dans le même souci de pragmatisme et d’efficacité, et cela a été également souligné, a décidé que chaque citoyen devait entendre bien les lois de la République et que, pour ce faire, elles devaient être traduites dans les langues de France.
Cela s’est fait pendant plusieurs années et cela a parfois continué à se faire, en dépit de l’abbé Grégoire, dans différentes provinces. En Corse par exemple, le bilinguisme des actes officiels a persisté jusqu’au Second Empire. En effet, lorsqu’un préfet envoyait en Corse une circulaire rédigée en français, il n’y avait pas la moitié des maires qui parvenait à la comprendre ! Par conséquent, il fallait l’écrire en français et en italien. Il a fallu le traité de Maastricht pour que la Constitution donne effectivement le privilège de l’officialité à la langue française. À l’époque d’ailleurs, on a dit qu’il n’y avait pas d’objection. On en a trouvé ensuite de toutes sortes pour les langues régionales…
Par ailleurs, la Constitution a donné aux autres langues de France une reconnaissance et une valeur patrimoniale comme si celles-ci, désormais privées de toute fonction officielle, ne pouvaient subsister, pour ne pas dire être protégées, qu’à titre de monuments historiques, de vestiges d’un passé qui doit être conservé sans qu’il soit permis de le faire revivre. M. Guaino a évoqué l’Europe féodale, expliquant que, hors du bénéfice des lois françaises, on vivait dans la féodalité. C’est un point de vue. Ainsi, le château médiéval fortifié est aujourd’hui conservé par les bons soins de vos services, madame la ministre, mais il est interdit de l’utiliser dans sa fonction primitive, militaire. Il en est de même pour les langues régionales : vous devez les conserver, car c’est un élément du patrimoine, mais gardez-vous bien de les utiliser, notamment dans la vie publique !
Nous ne pouvons pas accepter un tel déni. La Charte européenne des langues minoritaires fait simplement obligation à ceux qui la ratifient d’admettre une liberté et une diversité linguistique que le monde libre et démocratique considère partout comme un droit fondamental.
J’ai d’ailleurs souvent rappelé ce paradoxe selon lequel notre diplomatie, pourtant républicaine, je crois, défend avec vigueur et parfois avec arrogance ce droit fondamental, rappelant sans cesse par exemple à la République populaire de Chine, du moins quand nous n’avons pas trop de choses à lui vendre, qu’elle se doit de respecter la liberté linguistique des Tibétains au Tibet. La diplomatie chinoise, parfois exaspérée, a d’ailleurs fini par demander si elle devait aller en Corse – ils auraient pu parler de la Bretagne, mais ils ont choisi la Corse, ce qui est particulièrement malgrâcieux (Sourires) – pour dire qu’il faut rendre officielle la langue corse !