Sur le plan linguistique, je décline toute compétence scientifique et me bornerai à faire référence aux bons auteurs, de Georges Dumézil à Claude Hagège, sur la diversité linguistique dans laquelle notre monde vit encore – de moins en moins d’ailleurs car il y a un effondrement de la pratique de toutes ces langues. Je voudrais combattre par la simple référence littéraire cette idée absurde selon laquelle l’être humain ne serait capable de s’exprimer que dans une seule langue et seulement dans celle qu’il aurait apprise dès sa naissance et dont il serait locuteur de compétence native, comme disent les linguistes qui, étant linguistes, veulent utiliser un vocabulaire incompréhensible.
Je pourrais vous citer comme une litanie tous les académiciens français du présent ou du passé qui ne sont pas francophones de naissance. Il arrive même que certains parlent le français, ce qui est relativement rare dans nos académies ! Je pourrais vous parler des oeuvres de Joseph Conrad, qui sont d’excellents exemples de littérature anglaise alors que l’auteur n’a appris l’anglais que sur le tard, n’a commencé à le maîtriser que vers vingt ans et est mort avec un accent toujours épouvantable. Je pourrais vous dire que Michel de Montaigne n’a commencé à apprendre le français, ainsi d’ailleurs que le périgourdin, qu’à l’âge de sept ans, ce qui ne l’a pas, je crois, empêché d’être dans notre langue un immense écrivain, tandis que les passages du Journal du voyage en Italie, écrit en italien, témoignent de sa maîtrise, relative mais tout de même réelle, d’une langue apprise plus tardivement encore. Je suggère aussi à ceux qui s’intéressent au français littéraire de relire Villon, dont les poèmes sont écrits suivant les cas dans le français de son temps, dans le vieux langage français ou dans l’argot inintelligible de la bande de voyous à laquelle il appartenait, les Coquillards.
La diversité linguistique est inséparable de la littérature française. La curiosité pour les parlers différents a toujours été l’un des ressorts d’expression de nos plus grands écrivains, de Victor Hugo à George Sand, de Rabelais à Proust, et il nous faut donc bien admettre que la France est littérairement riche de la diversité des racines linguistiques du français, latine, germanique et celtique, et de l’ensemble des langues de France et des parlers de France, qui vont bien au-delà des langues régionales, et qu’il n’existe aucun inconvénient, en tout cas d’ordre littéraire et linguistique, à cette diversité.
Reste la dernière catégorie d’arguments, qui consiste à faire planer au-dessus de ce débat, presque de cet hémicycle, je ne sais quel fantôme de l’éclatement de la République ou de la généralisation d’un communautarisme par le simple fait d’autoriser les Français à parler concurremment plusieurs langues, comme le font chaque jour la plupart des Européens, la quasi-totalité des Indiens ou bien des citoyens des États-Unis d’Amérique…