…lequel disait qu’« il existe deux manières de se perdre » : « par ségrégation murée dans le particulier et par dilution dans l’universel ».
Notre République s’est trop longtemps égarée dans un combat contre les particularismes, quitte à nier les héritages, les enracinements, la diversité et les appartenances qui nourrissent pourtant nos individualités.
Or il n’en a pas toujours été ainsi. Aux débuts de la Révolution française, une autre vision de la République, plus ouverte, avait été imaginée. Le 14 janvier 1790, une loi était votée par la Constituante, elle-même issue des États généraux, sur proposition du député François-Joseph Bouchette, visant « à faire publier les décrets de l’Assemblée dans tous les idiomes qu’on parle dans les différentes parties de la France ». En novembre 1792, la Convention créait une commission afin d’accélérer les traductions dans ces langues que nul n’aurait appelées à l’époque « régionales ».
Quelque temps plus tard, pourtant, la conception jacobine de l’unité de la nation l’emportait définitivement. Comme le dit Mona Ozouf dans Composition française, la République n’a pas su se défaire du « surmoi jacobin ». De fait, un certain intégrisme républicain qui n’a plus l’Église comme adversaire principal brandit désormais l’épouvantail du communautarisme chaque fois qu’un individu fait référence à son identité.
Finissons-en avec l’opposition binaire entre universalistes et communautaristes et acceptons de vivre tant bien que mal entre une universalité idéale et des particularités réelles.
À cet instant, je pense à ces milliers de locuteurs, basques et gascons – dont mes grands-parents, pour ne pas les citer –, pour lesquels nos institutions n’ont affiché que mépris et humiliation. Aujourd’hui encore, quelques élites ne voient dans la revendication de ces langues que petitesse et enfermement, quand elles sont en réalité ouverture sur le monde et enrichissement dans la pluralité.
Avec la ratification de cette charte, il s’agit, au-delà de l’acte symbolique, de permettre concrètement la survie de ces langues régionales. Si, depuis les années soixante, on assiste à une véritable renaissance, avec le développement des premières écoles bilingues, des médias – radios et télévisions publiques – et d’une vie culturelle dense, l’incertitude demeure et de nombreux obstacles se dressent pour les élus et les citoyens qui souhaitent faire la promotion de ces langues régionales. Aujourd’hui encore, dans mon département des Pyrénées-Atlantiques, en Béarn, à Artix, une calendreta va devoir fermer à la rentrée prochaine. Cessons donc cette véritable hypocrisie républicaine, cette politique de l’autruche qui consiste à brandir de manière très circonstanciée la loi Falloux, alors même que les écoles qui pratiquent l’immersion sont totalement laïques.
Les langues de France n’ont été sauvées et ne se sont développées que grâce aux combats de pionniers, infatigables avocats des langues et cultures de France, souvent dans la discrétion, parfois dans la clandestinité – vous le disiez tout à l’heure, madame la ministre –, dans l’illégalité, comme c’est le cas sur mon territoire. Permettez-moi d’évoquer le nom du regretté Jean Haristchelar, président de l’Académie basque pendant plus de vingt ans. C’est de lui que je sais que le Pays basque est littéralement « le pays de la langue basque », Euskal Herria, euskaldunen hizkuntza, littéralement « la langue des Basques ». Si ce n’est pas leur seule langue – il y a bien longtemps que les Basques connaissent la nécessité et les bienfaits du plurilinguisme –, c’est certainement celle qui leur est spécifique depuis plus de trois mille ans.
Il en va de même, d’ailleurs, pour les Gascons. Bernard Manciet, l’un des plus importants poètes gascons du XXe siècle, écrivait : « le français est pour moi une langue apprise et non pas une langue d’instinct. » Le gascon « est ma langue animale au sens noble, celle de la peau, celle de la respiration » – la langue de la pèth, de l’aledada.