Mesdames et messieurs les députés, je reviendrai tout d’abord sur ce qui nous a poussés à nous saisir de ce sujet.
Au mois de décembre 2012, vous vous en souvenez sans doute, l’actualité avait été marquée par des messages de haine raciste, antisémite et homophobe diffusés sur Twitter à partir d’un même hashtag, auxquels une grande publicité avait été faite.
A l’époque, j’en avais été suffisamment scandalisée pour m’adresser directement à l’entreprise Twitter, puisque c’est d’elle qu’il s’agissait, tant je constatais qu’elle faisait assez peu de cas de notre législation, notamment des peines d’amende encourues en application des dispositions de la loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, la LCEN – que vous avez citée –, loi qui l’oblige déjà à un certain nombre de choses.
Lorsque nous nous sommes réunis quelques mois plus tard, cette entreprise s’est néanmoins montrée sensible au préjudice d’image qu’une amende du Gouvernement français pourrait lui causer pour ne pas s’être conformée à l’obligation de créer un dispositif de signalement prévue par l’article 6 de la LCEN.
C’est grâce à cette menace sur son image et à la perspective de notre projet de loi – que nous avons évoqué à ce moment-là – que nous avons obtenu de l’entreprise Twitter trois évolutions que je souhaite détailler.
Tout d’abord, Twitter a accepté de mettre en place un dispositif de signalement accessible à tous et visible, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent malgré la loi de 2004.
Ensuite, elle a accepté l’ouverture d’un accès privilégié de signalement aux associations partenaires, qui jouent le rôle de lanceurs d’alerte, ainsi que la création d’une nouvelle fonctionnalité permettant – c’est très important – de diffuser un message pédagogique chaque fois qu’un twitt est en cause. Nous l’avons obtenu.
Enfin, Twitter a accepté la désindexation des hashtags pour éviter que les mécanismes des réseaux sociaux ne favorisent l’emballement des propos haineux car, jusqu’à présent, un message de protestation contre un message de haine faisait le jeu de la haine, le hashtag étant chaque fois mentionné pour le dénoncer, ce qui entraînait un meilleur référencement !
Cela peut vous paraître relever du détail mais, en fait, c’est très important car l’impact a été sensible dans la suite des événements.
Grâce à ce travail avec Twitter, le premier mariage d’un couple de même sexe – les messages de haine étant, notamment, homophobes –, qui s’est déroulé au mois de mai 2013, s’est passé dans des conditions à peu près bonnes, sans déferlement de haine sur Twitter, parce que l’entreprise s’est mobilisée avec les associations lanceuses d’alerte et qu’un travail de régulation a été fait – comme nous souhaiterions le voir régulièrement fait désormais – non seulement à propos des messages de haine raciste, antisémite, d’apologie de crimes de guerre tels que prévus par la LCEN, mais aussi à propos des messages de haine liés au sexe, à l’orientation sexuelle ou au handicap.
Tout le monde comprendra pourquoi nous nous battons afin qu’internet ne soit pas une zone de non-droit en matière de racisme et d’antisémitisme, ni de sexisme, d’homophobie ou d’handiphobie.
Les messages de haine sexiste existent bel et bien, notamment sous la forme de l’appel au viol, ce que j’ai appelé l’autre jour dans mon introduction la « culture du viol décomplexé sur internet », qui est insupportable et intolérable. Nous devons faire quelque chose !
Rokhaya Diallo, militante féministe et antiraciste, a ainsi été attaquée avec une violence inouïe. Pardonnez-moi de citer les mots pour lesquels un jeune individu vient d’être condamné par la justice, la décision étant tombée voilà une heure ou deux à peine : « Il faut violer cette conne de Rokhaya, comme ça, fini le racisme ! » Voilà le genre de messages qui circulent sur internet et qui ont droit à la plus grande publicité à force d’être retwittés !
Nous devons faire face à cette réalité-là et c’est pourquoi le Gouvernement vous propose d’adopter cet article 17 permettant d’imposer aux FAI et aux hébergeurs un dispositif de signalement à disposition des internautes afin que ces derniers puissent dire, à chaque fois que cela se présente, qu’ils ont vu passer des messages de haine répétifs, qu’ils soient sexistes ou autres et que, ensuite, le FAI ou l’hébergeur prenne des dispositions pour y mettre fin.
Je tiens absolument, et je le répète, à ce que cet article soit adopté, mais j’entends aussi ce que vous dites, madame Lemaire, madame Massonneau, sur le fait que les problèmes liés à internet ne devraient pas être chaque fois abordés de façon segmentée dans le cadre de projets de lois différents. Cela me paraît absolument légitime.
Sachez, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement est en train de faire avancer le chantier des libertés numériques et des moyens consacrés à la lutte contre la cybercriminalité. Le ministre de l’intérieur en a d’ailleurs présenté les grandes lignes cette semaine lors du forum international de la cybersécurité.
Un groupe de travail interministériel se réunit régulièrement avec des représentants des ministères de l’économie et des finances, de la justice, de l’intérieur, du redressement productif et de l’économie numérique, dont les conclusions seront remises dans les prochains jours.
Nous attendons en particulier des propositions pour améliorer l’organisation et les moyens des services que vous avez évoqués, mais aussi pour offrir aux citoyens un dispositif plus lisible et plus proche de leurs préoccupations.
Nous sommes donc à l’écoute des remarques que vous venez de formuler mais il n’empêche que, dans le cadre de ce projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes, je vous demande, mesdames et messieurs les députés, de bien vouloir étendre la protection existante contre les messages de haine raciste, antisémite ou d’apologie de crimes de guerre aux messages de haine sexiste, homophobe ou handiphobe.
Avis défavorable à ces amendements de suppression.