Cet article 20 ter, introduit par votre commission des lois, prévoit d’instituer un régime de nullité pour les nominations qui ne respecteraient pas les prescriptions de la loi du 12 mars 2012, à savoir la féminisation des emplois de cadres dirigeants dans les trois versants de la fonction publique. C’est une disposition à laquelle tient particulièrement M. Tourret. J’ai eu l’occasion de m’en entretenir avec lui et de lui dire combien j’étais sensible à son travail et à sa force de conviction sur ce sujet. Je partage son idée que la parité ne peut se faire sans mesures contraignantes.
Nous avons depuis quelques mois une politique très active de féminisation de la haute fonction publique. Avec ma collègue Marylise Lebranchu, nous avons mis en place un suivi permanent, débouchant sur une communication en conseil des ministres à la fin de chaque année. La dernière communication, en date du 23 décembre dernier, a d’ailleurs permis de constater qu’en dix-huit mois nous avons obtenu des résultats très encourageants puisque nous avons dépassé l’obligation qui nous était fixée par la loi en 2013, à savoir 20 % au moins de femmes nommées aux postes supérieurs de l’État.
Tout cela nous prouve que la volonté ne suffit pas et que la contrainte est parfois nécessaire. Le Gouvernement partage donc les objectifs que vous poursuivez avec cette disposition, mais je ne vous cache que nous nous interrogeons sur la sanction proposée, à savoir l’annulation des nominations. Cette solution est-elle compatible avec l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui veut qu’il ne soit tenu compte, pour l’admission aux emplois publics, que de la capacité, des vertus et des talents ?
La jurisprudence sur ce point, qui a été transversal dans nos débats, n’est guère abondante, et nous sommes donc dans une zone d’incertitude. Il s’agit de concilier les pouvoirs que vous donne l’article 1er de la Constitution concernant l’égalité entre les femmes et les hommes avec l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme.
Le Conseil constitutionnel a estimé que l’article 1er permettait d’imposer la nomination de personnes d’un sexe déterminé pour certaines des nominations prononcées dans des organes collégiaux de manière à assurer une composition paritaire. Il a ainsi rendu une telle décision à propos du Haut Conseil des finances publiques, dans le sens d’ailleurs de nombreux articles de ce projet de loi.
En vertu de la Constitution, il relève donc de votre compétence de législateur de prévoir les conditions dans lesquelles la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales, mais cela peut-il aboutir à ce qu’une décision individuelle de nomination ne puisse être prise qu’au bénéfice d’une personne d’un sexe prédéterminé ? C’est toute la question et une réponse positive conduirait, dans certaines situations, à faire prévaloir de manière absolue le critère du sexe sur celui de la capacité, des vertus ou des talents quand la proportion minimale de personne de chaque sexe ne serait pas atteinte, privant ainsi certains citoyens des droits qu’ils tiennent pourtant en application de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
La contradiction avec la Constitution pourrait être encore accrue par la remise en cause de certaines situations acquises si l’amendement no 114 était adopté. En effet, le respect des obligations énoncées au I de l’article 6 quater de la loi du 13 juillet 1983 s’appréciant sur une année civile, l’amendement semble imposer de remettre en cause, à la fin de la période, certaines nominations prononcées au cours de l’année. Il soulève, de plus, une difficulté redoutable dans l’identification des nominations à remettre en cause : faudrait-il remettre en cause les dernières par ordre chronologique, ou procéder à un tirage au sort parmi l’ensemble des personnes du sexe surreprésenté nommées au cours de l’année ?
Telles sont nos interrogations sur cet article. Je tiens cependant à remercier M. Tourret d’avoir été à l’initiative de cette disposition qui, dans quelques instants, aura sans doute force, sinon de loi, du moins de « petite loi ». En vu de la deuxième lecture, j’ai demandé au Secrétariat général du Gouvernement de bien vouloir produire une note d’analyse juridique détaillée, de sorte que nous puissions, au cours de la navette, prendre une position argumentée sur le point de savoir si cet article assure ou non une conciliation équilibrée entre l’article 1er de la Constitution et l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Je ferai évidemment part de cette note au président de votre commission des lois ainsi qu’à votre rapporteur dès que j’en disposerai.