Intervention de Michel Sapin

Séance en hémicycle du 5 février 2014 à 15h00
Formation professionnelle — Présentation

Michel Sapin, ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, madame la rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie d’être présents aujourd’hui pour débuter la discussion de ce projet de réforme relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, que j’ai l’honneur de vous présenter ici au nom du Gouvernement.

Je souhaite tout d’abord vous dire que ce texte est un nouveau succès du dialogue social à la française. L’accord national interprofessionnel sur la formation professionnelle du 14 décembre, qui inspire ce projet de loi, est le quatrième conclu depuis dix-huit mois.

Les autres dispositions du texte, qui apportent des avancées profondes dans le champ de l’apprentissage ou de la démocratie sociale, sont également issues d’une large concertation et d’un dialogue social nourri.

Ce texte en est une nouvelle démonstration : la réforme est possible, en France, par le dialogue ; pas « contre » mais « avec » ; sans bulldozer, ni coup de balai, ni Kärcher ; sans rupture purement sémantique, ni grand soir qui ne vient jamais ; pas avec un gagnant et des perdants ; pas avec l’un qui recevrait des cadeaux et l’autre qui paierait pour tous. Non ! Avec des gagnants des deux côtés, avec des conflits, qui existent – il ne faut jamais le nier –, des antagonismes que l’on n’efface pas, mais que l’on dépasse par la négociation et par le compromis.

La démocratie sociale est une force, d’abord parce qu’elle fait confiance à la responsabilité des acteurs sociaux. Elle est fondée sur la certitude que si on leur fait confiance, les acteurs économiques et sociaux savent s’en saisir. Chacun peut alors agir dans le sens de l’intérêt général sans pour autant trahir les intérêts des siens, de ses mandants, de ses collègues, de ses camarades. Oui, mesdames et messieurs les députés, il y a, chez les partenaires sociaux, lorsqu’ils trouvent ensemble des accords, un vrai sens de l’intérêt général. La confiance de la représentation nationale, issue évidemment de la légitimité électorale, les incite, à chaque étape, à chaque grand accord, à poursuivre sur cette voie.

Et que l’on ne vienne pas nous dire que cette méthode serait un frein, une perte de temps, un luxe inutile en temps de crise : c’est tout le contraire ! C’est un temps gagné dans la mise en oeuvre effective, le moment venu ; et c’est un temps court, en vérité, en amont, dans la négociation elle-même. Ce projet en est une preuve : à peine plus de six mois se sont écoulés depuis la Grande Conférence sociale de juin dernier qui lança le processus de réforme de la formation professionnelle, après tant d’années de petites réformes ou d’immobilisme. Une preuve que l’on peut faire vite et bien ! Voilà la méthode qui nous inspire, avec succès, vous le voyez.

J’en viens au projet de loi, qui traite trois domaines extrêmement complémentaires : d’abord, la formation professionnelle, l’apprentissage et l’emploi ; ensuite, la démocratie sociale ; enfin, le renforcement de l’efficacité des services de l’administration du travail. Leur assemblage dans le même texte ne doit rien à un artifice de calendrier, qui serait le calendrier parlementaire. Il y a une profonde logique à traiter ces sujets ensemble.

Pas plus pour la formation professionnelle aujourd’hui, qu’hier pour la sécurisation de l’emploi, je ne crois aux réformes « à la découpe », petits morceaux par petits morceaux, ajoutant ici une rustine, là une nouvelle couche de droits. C’est particulièrement vrai s’agissant d’un système aussi dense et complexe que la formation professionnelle.

Pour réussir, il fallait d’emblée être extrêmement ambitieux, et nous le fûmes ; je vais y revenir dans un instant. Mais d’abord, un mot de la cohérence d’ensemble de ce projet, qui fonctionne, pour faire image, comme une partition accordant ensemble trois grands répertoires de la vie économique et sociale de notre pays. Je m’explique : si l’on veut transformer la formation professionnelle, donner envie aux salariés de se former, la regarder dans les entreprises comme un facteur de compétitivité, il faut qu’elle devienne un élément central du dialogue social dans les branches professionnelles, dans les entreprises, et aussi un élément central du dialogue entre chaque salarié et son encadrement.

De nouveaux leviers sont créés à cette fin : au niveau collectif, avec les instances représentatives du personnel dans le cadre de l’information consultation sur le plan de formation, comme avec les organisations syndicales dans le cadre de la négociation relative à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ou au niveau individuel, par le biais de l’entretien professionnel.

Mais alors, si l’on veut que ce dialogue social soit légitime et crédible, il faut qu’il soit porté par des acteurs représentatifs, disposant de moyens transparents. Trop longtemps, la démocratie sociale a été suspectée d’être une « boîte noire ». C’est pourquoi le financement du paritarisme et celui de la formation professionnelle seront désormais scrupuleusement séparés. En outre, si l’on veut garantir la transparence de la formation professionnelle, dissiper les fantasmes sur la gabegie, il faut un ministère du travail fort, équipé de pouvoirs étendus de contrôle tant sur les structures que sur les financements ou la qualité de l’offre de formation. Ce sont des missions régaliennes, qui appartiennent à l’État. Dans le projet de loi, ces pouvoirs de contrôle sont accrus.

De la formation professionnelle à la démocratie sociale, en passant par l’action du ministère du travail, la réforme est donc un tout, une nouvelle pratique, une conviction tout autant que des règles de droit.

Il ne s’agit pas de changer la tuyauterie des financements mais de rendre une âme, un sens, à des mécaniques qui en sont aujourd’hui dépourvues. La formation professionnelle ne transformera l’économie que si elle est un élan, porté par des moyens nouveaux, mais aussi par la conviction qu’elle est au coeur de la performance des économies modernes, donc de l’économie de notre pays. La démocratie sociale changera l’entreprise, non pas si elle se décompose en un chapelet d’instances et de procédures, mais si elle s’incarne dans des acteurs légitimes, ouverts au dialogue et qui jouent le jeu.

Voilà pourquoi, mesdames et messieurs les députés, formation professionnelle, démocratie sociale et reconstruction d’un ministère fort se tiennent, se pensent ensemble et font bloc pour écrire cette nouvelle page de notre histoire sociale.

Mesdames et messieurs les députés, ce projet de loi, né du dialogue social, cohérent, porte des changements d’ampleur que je veux maintenant détailler.

Je voudrais d’abord parler de la formation professionnelle et, pour cela, emprunter avec vous le couloir du temps pour nous ramener en juin 1969. Jacques Chaban-Delmas, nouveau Premier ministre, vient de recevoir une « note sur la politique sociale » écrite par son conseiller social, Jacques Delors. Je la cite : « La société française accomplit une mutation difficile, caractérisée par la modernisation de ses structures économiques, l’ouverture à la compétition internationale, la poussée d’une jeunesse nombreuse, avide de connaissances et d’activités ayant un sens. Nous sommes au milieu du gué entre le rivage de la société préindustrielle que certains considèrent encore avec nostalgie et le rivage de la société postindustrielle que certains nous pressent d’atteindre au plus vite. » Dans cette même note, Jacques Delors faisait une recommandation : « la mise en place progressive d’un système d’éducation permanente pour les adultes, en liaison avec le développement de la formation professionnelle ».

Deux ans plus tard, le projet prend forme légale avec la grande loi du 16 juillet 1971, qui marque l’entrée dans l’ère moderne de la formation professionnelle. Moderne, car elle porte une révolution copernicienne dans l’organisation et la représentation de l’entreprise. Ce qui va devenir l’article L. 900-1 du code du travail résume tout : « La formation professionnelle permanente constitue une obligation nationale. Elle comporte une formation initiale et des formations ultérieures destinées aux adultes et aux jeunes. [...] La formation professionnelle continue fait partie de l’éducation permanente. Elle a pour objet de permettre l’adaptation des travailleurs au changement des techniques et des conditions de travail, de favoriser leur promotion sociale par l’accès aux différents niveaux de la culture et de la qualification professionnelle et leur contribution au développement culturel, économique et social. » Tout est dit.

La loi de juillet 1971 donne un véritable élan à la formation continue et la révolution scolaire des années 1980 élève le niveau de toute la société.

Mais, depuis une décennie, l’effort de formation initiale et continue plafonne. L’investissement des entreprises dans la formation ne progresse plus. En somme, la loi de 1971 a produit tous ses effets. Un nouvel élan est nécessaire. D’autant que le monde a changé.

En 1971, dans une France sans chômage, où le nombre de bacheliers représente 7 % de la population, la formation professionnelle a été pensée pour les salariés. Aujourd’hui, les demandeurs d’emploi en ont un besoin vital. Mais le changement va bien au-delà : la discontinuité des trajectoires professionnelles et l’accélération des mutations économiques ont changé la donne et forgé une conviction : la formation professionnelle est encore plus nécessaire, comme levier d’accès, de maintien et de retour à l’emploi.

Aujourd’hui, notre devoir est de nous préoccuper des chômeurs, pour qui la formation est un sésame vers l’emploi ; des salariés menacés dans une économie qui change plus vite ; des salariés des petites entreprises, dans lesquelles un travailleur qui part en formation est un problème majeur et expose au risque d’un arrêt de l’activité ; de tous ceux qui n’ont pas bénéficié comme ils le pouvaient de la formation initiale, et aspirent donc à une deuxième ou troisième chance.

Alors, nous proposons de refonder le système de formation dans sa globalité. Quatre constats guident cette refondation.

Premier constat, la formation continue est faiblement qualifiante aujourd’hui. Si le taux d’accès des salariés à la formation a considérablement augmenté, passant de 17 % en 1975 à 40 % en 2010, les formations qualifiantes restent peu nombreuses : elles ne représentent que 11 % des formations suivies.

Deuxième constat, de trop fortes disparités existent encore. Des disparités en fonction de la taille de l’entreprise : plus l’entreprise est grande, plus les salariés accèdent à la formation continue. Des disparités selon les catégories socioprofessionnelles : les cadres ont un taux d’accès à la formation de 57 %, quand celui des ouvriers est de 32 %. Des disparités en fonction du sexe : les formations qualifiantes concernent 22 % des hommes mais 15 % des femmes. Des disparités en fonction du statut des actifs : le taux d’accès des chômeurs à la formation reste faible ; en 2011, seulement 20 % des chômeurs seulement ont entamé une formation.

Troisième constat, qui est une évidence pour ceux qui se plongent dans ces dispositifs, le système est trop complexe, avec trois contributions obligatoires distinctes – la professionnalisation, le congé individuel de formation et le plan de formation –, des taux variables selon les tailles d’entreprise, des collecteurs multiples – OPCA, OCTA, FONGECIF.

Quatrième constat, en forme de point d’interrogation, les entreprises consacrent à la formation des montants qui vont bien au-delà de leurs obligations légales – plus de 13 milliards d’euros par an – et pourtant, le système peine à répondre à ses enjeux prioritaires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion