Intervention de Jean-Christophe Lagarde

Séance en hémicycle du 11 février 2014 à 15h00
Géolocalisation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Christophe Lagarde :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le présent projet de loi pose les termes d’un débat d’actualité, qui revêt un caractère d’urgence, même s’il est récurrent et inévitable lorsque nous sommes confrontés au développement de nouvelles technologies, et plus généralement aux évolutions de notre société : celui de la protection de la vie privée à l’heure de la surveillance numérique, alors que les recours à la géolocalisation sont de plus en plus fréquents.

Comment assurer un juste équilibre entre, d’une part, cette valeur fondamentale, garantie par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, qu’est le respect de la vie privée, et, d’autre part, les nécessités de l’enquête et la sécurité que chacun de nos concitoyens est en droit d’attendre ?

Le 22 octobre dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation, à la lumière des interprétations de la Cour européenne des droits de l’homme, a partiellement répondu à cette question en invalidant les opérations de géolocalisation en temps réel réalisées sous le contrôle du procureur de la République.

Selon ces deux arrêts, une mesure de géolocalisation en temps réel d’un téléphone mobile peut être mise en place sur autorisation et sous le contrôle du juge d’instruction. En revanche, dans le cadre d’une enquête préliminaire diligentée sous le contrôle du procureur de la République, elle constituerait une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge.

La Cour de cassation a ainsi révélé une faille de notre système judiciaire : notre législation n’encadre pas ou, du moins, pas suffisamment le recours à cette technique. Au vu de la jurisprudence de la Cour de cassation et de la Cour européenne des droits de l’homme, elle n’offre pas toutes les garanties nécessaires au respect de la vie privée des personnes soupçonnées d’avoir commis une infraction.

D’une part, les dispositions générales du code de procédure pénale, sur lesquelles se fondait jusqu’à présent le recours à ce procédé, ne prévoient ni les circonstances ni les conditions dans lesquelles une mesure de surveillance judiciaire peut être mise en place. D’autre part, la mesure est placée sous le seul contrôle du procureur de la République, lequel, en raison de son manque d’indépendance, n’est pas une « autorité judiciaire » au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

Ainsi, ce n’est pas tant le recours à cette technique, dont, comme l’a dit le rapporteur, chacun reconnaît l’utilité dans les enquêtes, qui est remis en cause, mais bien l’ingérence dans la vie privée qu’elle peut constituer aux différents stades de la procédure pénale, lorsqu’elle n’est pas décidée par un juge. En provoquant une interruption de ces opérations, ces arrêts nous ont aussi mis devant le fait accompli d’un vide juridique qui dure depuis maintenant quatre mois et laisse sans recours les services de police et de gendarmerie.

Du fait de ces deux décisions, les mesures de géolocalisation doivent être interrompues ou exclues dans les enquêtes diligentées sous la direction du procureur de la République pour requérir, si nécessaire, l’ouverture d’une information judiciaire afin de permettre la poursuite de la mesure sous le contrôle du juge d’instruction, ce qui, en réalité, reviendrait à noyer les juges d’instruction sous des milliers de procédures qu’ils ne sont pas en mesure de suivre. De même, les procédures en cours s’appuyant sur une géolocalisation ordonnée par le procureur doivent être annulées, ce qui peut notamment entraîner la remise en liberté des personnes interpellées.

S’agissant des procédures à venir, si nous ne légiférons pas, aucune mesure de géolocalisation ne pourra être prise lors d’une enquête diligentée sous la direction du procureur de la République. Ces décisions portent gravement atteinte à l’efficacité de la lutte contre la délinquance et la criminalité, notamment les cambriolages, dont nous savons que le nombre, croissant, constitue un sujet d’inquiétude grandissant pour nos concitoyens.

Le recours à la géolocalisation, qui a connu une forte croissance au cours des dernières années, est désormais une technique d’enquête à part entière, un outil indispensable au bon déroulement des missions d’investigation des services de police et de gendarmerie.

Dans ces circonstances, notre devoir est de légiférer rapidement pour permettre la reprise des opérations et ainsi redonner une efficacité à l’action policière, en l’entourant d’un cadre juridique suffisamment précis, sécurisé et limité. C’est d’ailleurs conscient de l’urgence de la situation que j’ai déposé, avec des collègues du groupe UDI et certains sénateurs du groupe UDI-UC, une proposition de loi sur le sujet au mois de décembre dernier.

Sur le fond, la commission des lois a choisi, sur plusieurs points, de revenir au projet de loi initial du Gouvernement, et nous nous en félicitons. Pour ne pas entraver l’action de la police et de la gendarmerie, nous devons veiller à ne pas définir de façon trop restrictive le champ d’application de la géolocalisation.

À ce titre, la solution retenue par notre commission des lois, qui fut d’ailleurs celle du Gouvernement avant l’examen du Sénat, semble préférable. En fixant à trois ans au moins, toutes infractions confondues, la durée minimale d’emprisonnement justifiant le recours aux opérations de géolocalisation, le texte actuel trouve un équilibre et permet de recourir à ces procédés pour des délits punis de trois ans d’emprisonnement qui ne constituent pas une atteinte aux personnes mais pour lesquels une telle opération peut s’avérer indispensable.

Le rapporteur a notamment cité l’exemple de l’évasion d’un détenu ou les faits de vol simple. Il me semble que nous pourrions également l’étendre au délit de non-représentation d’enfant pour lequel le recours à la géolocalisation peut s’avérer utile, rapide et efficace, notamment dans des cas d’enlèvements d’enfants conduisant au franchissement de la frontière. Tel sera l’objet d’un amendement que je proposerai.

De même, la décision de notre commission de fixer à quinze jours, au lieu de huit jours comme le prévoyait le Sénat, la durée initiale pendant laquelle une opération de géolocalisation peut être autorisée par le procureur de la République avant d’être soumise à une décision du juge des libertés et de la détention va dans le bon sens, car je ne pense pas que la machine judiciaire soit capable de répondre en huit jours. Si nous ne voulons pas nous exposer au risque de nullité, quinze jours sont nécessaires pour permettre aux échanges d’avoir lieu. Je ne sais pas quel équilibre sera trouvé dans cette assemblée, mais, en tout cas, le travail de la commission nous satisfait sur ce point.

Je proposerai néanmoins, en cas d’urgence, de porter à vingt-quatre heures – et non à vingt heures comme l’a évoqué M. le rapporteur –…

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