Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 11 février 2014 à 15h00
Géolocalisation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Madame la garde des sceaux, « il n’y a pas de liberté sans lois » : c’est en citant Rousseau que vous avez commencé votre intervention au Sénat à l’ouverture de la discussion du projet de loi relatif à la géolocalisation. Il est vrai que le texte soumis à notre discussion aujourd’hui, en procédure accélérée, concerne à la fois nos libertés et notre sécurité. Ce débat se déroule dans un contexte lourd d’inquiétudes que nous avons, pour notre part, eu l’occasion d’évoquer à de multiples reprises.

D’une part, les révélations d’Edward Snowden sur le programme d’espionnage américain PRISM ont mis en lumière une situation problématique et inquiétante de surveillance généralisée et sans contrôle à l’échelle planétaire. La somme d’informations récoltées, d’autre part, augmente sans cesse et, dans ce volume d’informations, la part des données personnelles croît également grâce aux progrès des nouvelles technologies.

Cette somme d’informations ne fera qu’augmenter encore dans les années qui viennent. Qui plus est, nous savons désormais que le contenant est tout aussi important que le contenu, que le contenant donne même, parfois, des informations sur le contenu. Nous assistons ainsi à la mise en données de l’ensemble des aspects de notre vie et à leur collecte : qui appelons-nous, à quelle heure, pendant combien de temps, de quel endroit, quels sites visitons-nous, quels mots-clés tapons-nous dans les moteurs de recherche ?

Le croisement d’informations multiples permet d’identifier les corrélations entre différents événements. Par exemple, Google peut aujourd’hui identifier en temps réel les foyers de grippe existants, grâce à la récurrence des recherches de certains mots-clefs. Face à ce contexte qui exige des pouvoirs publics une position claire et des principes intangibles, il y a, de la part du Gouvernement, et je tenais à vous le dire ici, madame la garde des sceaux, une sorte de flou sur les questions relatives aux données personnelles et aux dispositifs de surveillance et de contrôle.

On a parfois le sentiment que le Gouvernement arrête ses positions au fil des débats. Il lui arrive même de se contredire. Nous l’avons constaté lors du débat sur le texte relatif à la lutte contre la prostitution et à la réintroduction du filtrage administratif, puis, à nouveau, lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire. Ce sentiment ne s’est pas dissipé lorsque nous nous avons eu avec Mme Pellerin, pendant la semaine de contrôle, un débat sur les libertés numériques.

Vous avez, madame la garde des sceaux, un rôle crucial à jouer dans tous ces débats qui mettent en jeu la défense de nos libertés fondamentales. Vous avez un rôle crucial à jouer pour qu’aucune mesure de surveillance et de contrôle ne puisse jamais s’affranchir de l’intervention du juge. Nous comptons sur vous.

Sur le sujet qui nous occupe cet après-midi – la géolocalisation – nous partageons l’avis rendu par la CNIL ce matin, selon lequel l’utilisation de dispositifs de géolocalisation est particulièrement problématique au regard des libertés individuelles, dès lors qu’ils permettent de suivre de manière permanente et en temps réel des personnes aussi bien dans l’espace public que dans des lieux privés.

Il est donc nécessaire qu’un encadrement strict soit respecté dans le cadre des enquêtes prévues par le code de procédure pénale. En effet, ces dispositifs ne sont pas uniquement des aides techniques à la réalisation de filatures sur la voie publique telles que réalisées par les enquêteurs, mais peuvent également, vous l’avez rappelé ici, révéler des éléments relatifs à la vie privée qui n’auraient pas pu être portés à la connaissance des enquêteurs dans le cadre d’une filature traditionnelle.

Vous l’avez indiqué devant nos collègues sénateurs et venez de nouveau de le préciser, la géolocalisation est, dans le domaine judiciaire, une technique utilisée par la police, la gendarmerie et les douanes dans le cadre d’enquêtes pénales. Elle peut également servir à la recherche d’un mineur ou d’un majeur protégé lorsque sa disparition a été récemment signalée, ou encore d’un majeur dont la disparition paraît inquiétante.

Cette technique permet un suivi dynamique en temps réel, via un téléphone portable ou une balise posée sur un objet – valise, colis – ou sur un véhicule. De fait, les balises sont de plus en plus souvent placées à l’intérieur des véhicules, car il est ainsi plus facile de les dissimuler. Le recours à la géolocalisation a connu une croissance exponentielle : près de 25 % en un an. Ces chiffres ont été rappelés par notre rapporteur. Le recours à cette technique est en augmentation permanente sans qu’il y ait toutefois de véritable cadre juridique. De ce point de vue, nous considérons que la discussion que nous ouvrons est un progrès. Aucune loi n’encadre aujourd’hui le recours à la géolocalisation.

Le procureur de la République peut recourir à cette technique sur la base de l’article 41 du code de procédure pénale, aux termes duquel il « procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions à la loi pénale ». Le juge d’instruction ne dispose pas d’un texte plus précis : l’article 81 du même code lui confère seulement des pouvoirs équivalents à ceux du procureur de la République. Par ailleurs, la pose de balises, qui est considérée comme une aide à l’enquête, n’est pas intégrée à la procédure.

C’est donc une bonne chose que l’État prenne ses responsabilités et ne se défausse pas sur le dos des magistrats, des officiers de police ou des douaniers. Depuis l’arrêt du 22 octobre 2013 de la Cour de cassation, il y a effectivement urgence. Alors que des mesures de géolocalisation avaient été placées sous le seul contrôle du procureur de la République, la Cour de cassation a considéré, en vertu de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, a considéré que « la technique dite de « géolocalisation » constitue une ingérence dans la vie privée dont la gravité nécessite qu’elle soit exécutée sous le contrôle d’un juge ».

Comme il a été rappelé lors de nos débats en commission, la Cour européenne des droits de l’homme avait déjà considéré, dans son arrêt « Uzun contre Allemagne » de septembre 2010, que le recours à la géolocalisation en temps réel constituait une atteinte grave à la vie privée au sens dudit article 8 de la Convention européenne et que le recours à cette technique devait donc être encadré par des dispositions législatives suffisamment précises pour éviter les abus. Compte tenu du caractère urgent de certaines investigations, de l’inadaptation de la procédure d’information à certaines situations et du vide juridique existant, il est effectivement urgent de légiférer.

Nul ici ne souhaite entraver le travail d’enquête des forces de police et nuire à la protection des victimes. Nous souhaitons néanmoins que, dans le cadre de notre débat, certains points soient éclaircis. Le texte ne précise pas, par exemple, les typologies de terminaux pouvant être géolocalisés, et ce afin de prendre en compte les évolutions technologiques, nous dit-on, alors que nous savons que, dans les années qui viennent, tout objet aura vocation a être connecté. Il convient donc, soit par décret en Conseil d’État, soit par arrêté, de dresser la liste des objets qui peuvent faire l’objet d’une géolocalisation. Nous l’avons dit en commission, mais n’avons pas été entendus.

Nous souhaitons, comme le Gouvernement, je le crois, limiter aux délits sanctionnés par cinq ans de prison la possibilité de recourir à la géolocalisation, en ménageant toutefois plusieurs exceptions. Je regrette d’ailleurs que les amendements du Gouvernement aient été repoussés lors de la réunion de la commission des lois au titre de l’article 88 du règlement. Nous les voterons, et j’espère que nous ne serons pas les seuls, car ils respectent, je le crois, un équilibre nécessaire entre libertés et sécurité.

Nous aurions également voulu que le rapport annuel de politique pénale au Parlement, prévu à l’article 30 du code de procédure pénale, contienne des informations relatives à la géolocalisation. Nous proposerons par ailleurs, mais ce ne sera une surprise pour personne, une réécriture de l’article 20 de la loi de programmation militaire pour mieux définir les informations concernées par cet article. Nous pensons enfin, s’agissant du « dossier occulte », que la saisine a priori du Conseil constitutionnel est une sage décision.

Madame la garde des sceaux, chers collègues, notre sécurité sera d’autant mieux assurée que nos libertés fondamentales seront respectées. Dans cet état d’esprit, je considère que l’équilibre trouvé au Sénat est meilleur que celui proposé par notre commission des lois aujourd’hui.

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