Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 11 février 2014 à 15h00
Géolocalisation — Article 1er

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Le seuil retenu par le Sénat d’une peine de cinq ans d’emprisonnement pour les infractions justifiant le recours à la géolocalisation manifeste un grand souci de protection des libertés individuelles. Rappelons que la géolocalisation consiste tout de même à localiser des personnes, à suivre tous leurs déplacements, y compris, dans certaines circonstances, dans des lieux clos, intimes. Néanmoins, le quantum unique qu’il fixe – le texte du Gouvernement ayant fixé, quant à lui, deux quantums davantage liés aux lieux qu’aux infractions elles-mêmes – me pose problème. Nous avons déjà eu un débat sur ces questions : il m’est déjà arrivé moi-même de souligner que les modifications du code de procédure pénale intervenues ces dernières années avaient introduit de l’incohérence dans l’échelle des peines, certaines atteintes aux biens étant plus sévèrement punies que certaines atteintes aux personnes. C’est pour cette raison que j’ai souhaité que nous procédions à un affinement.

Au nom du respect des libertés individuelles, nous avons souhaité retenir un seuil de cinq ans, mais avec une modulation. Certaines infractions d’atteintes aux personnes peuvent en effet avoir des conséquences majeures si on ne les interrompt pas. Je pense, par exemple, aux menaces de mort : la peine encourue est de trois ans d’emprisonnement car on ne connaît pas à l’avance leur issue mais, même si la plupart ne sont pas suivies d’effets, les risques de passage à l’acte peuvent dans certains cas justifier une géolocalisation. Il en va de même pour l’évasion : l’auteur peut ne purger qu’une courte peine pour une infraction peu grave mais il peut aussi purger une longue peine pour des faits beaucoup plus graves comme un crime et on ne peut être certains à l’avance qu’il ne commettra pas d’autres délits graves. Ne peut-on en ce cas se donner les moyens de géolocaliser un prisonnier qui s’évade ? J’ajouterai le harcèlement sexuel aggravé – mais seulement aggravé contrairement à ce que proposait M. Lagarde – et la non-présentation d’enfant, aggravée elle aussi, pour éviter toute action précipitée au bout de seulement huit heures.

Nous proposons par cet amendement de rétablir la rédaction du Sénat en revenant à un double seuil : seuil de cinq ans d’emprisonnement et seuil ajouté à l’initiative du Gouvernement de trois ans d’emprisonnement pour les délits contre les personnes. Mais nous voulons aussi lui apporter une amélioration, en prévoyant un élargissement du recours à la géolocalisation aux délits d’évasion, que nous n’avions pas réussi à introduire à la Haute assemblée, et de recel de criminel. La géolocalisation, rappelons-le, n’est jamais décidée de manière désinvolte. Elle suppose un acte de procédure, elle coûte de l’argent et peut faire l’objet d’une contestation dans le cadre d’une procédure contradictoire. Nous pouvons considérer que les circonstances dans lesquelles elle sera utilisée sauront être appréciées correctement.

J’espère convaincre car il nous semble délicat de maintenir un seuil de trois ans d’emprisonnement, qui couvre toute une série d’infractions. Il y a même eu tout à l’heure la proposition de recourir à la géolocalisation pour une infraction punie d’un an de prison. Nous pouvons toujours continuer à abaisser le seuil. Mais il nous paraît préférable de mettre en avant notre souci pour la préservation des libertés sinon la gradation des peines et la gradation des fonctions n’auraient plus de sens.

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