Plus de trente ans après sa création, la politique de la ville n’a pas réussi à mettre un terme aux inégalités insupportables dont sont victimes les habitants des quartiers populaires et à combler les écarts de richesse avec le reste du territoire. Au contraire, les dernières études menées par l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, l’ONZUS, démontrent clairement que les inégalités se sont creusées, que ce soit dans le domaine de l’emploi, de la réussite scolaire ou de l’accès à la santé.
Les défis auxquels nous sommes confrontés sont énormes : sortir du chômage de masse qui sévit dans les quartiers, redonner un cadre de vie satisfaisant aux habitants, stimuler la vie sociale et culturelle, mettre fin aux discriminations de tous ordres qui touchent les habitants.
Plusieurs dispositifs utiles ont certes été mis en place ces dernières années : je pense au programme de rénovation urbaine, qui a contribué à changer de manière positive l’environnement urbain, et aux contrats d’avenir, qui ont permis de faciliter des embauches et d’offrir une première expérience professionnelle à des jeunes éloignés de l’emploi.
Pour autant, vous le savez comme moi, la politique de la ville ne suffira pas à résoudre la crise qui touche un certain nombre de nos quartiers populaires. Cette crise, qui nous a explosé à la figure lors des émeutes de 2005, est la conséquence des politiques libérales mises en oeuvre depuis plusieurs décennies, ainsi que du désengagement de l’État et de son incapacité à accompagner la mutation des territoires et à lutter contre la ghettoïsation.
Avant d’entrer dans le détail de ce projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, je tenais, monsieur le ministre, à saluer vos efforts de concertation et de pédagogie. Dans l’ensemble, nos débats se sont déroulés dans un bon état d’esprit. De leur côté, les parlementaires du Front de Gauche ont adopté une attitude constructive, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, afin de faire évoluer positivement ce texte.
Ce projet de loi ne constitue pas, vous en conviendrez, monsieur le ministre, une révolution copernicienne. On reste dans le cadre d’un budget à moyens constants dans un contexte de politique d’austérité qui pèse sur la croissance et le pouvoir d’achat des ménages. Au terme du processus législatif, notre sentiment est donc mitigé. Si cette nouvelle loi introduit des évolutions appréciables, il n’en reste pas moins que nous attendions plus.
Plusieurs points de ce projet de loi constituent des avancées indéniables. D’abord, la clarification des dispositifs en vigueur, avec le choix de remplacer les ZUS, CUCS et autres ZRU par l’appellation de « quartier prioritaire », nous paraît aller dans le bon sens. Il est en effet évident que l’empilement des dispositifs nuit à l’efficacité et à la lisibilité de cette politique. Nous souscrivons également au choix du critère unique du revenu, même si celui-ci doit être précisé. Ce sera un indicateur objectif, permettant d’intégrer les quartiers qui en ont réellement le plus besoin. Il est néanmoins fort regrettable que le choix de ce critère s’accompagne d’une baisse du nombre de quartiers prioritaires, qui passe de 2 500 à 1 300 seulement. C’est vraiment là pour nous l’un des points les plus problématiques de ce projet de loi.
Autre aspect très positif de ce texte : le prolongement du premier programme national de rénovation urbaine et le lancement d’un deuxième. C’était une nécessité. Je salue au passage le vote d’un amendement de nos collègues sénateurs du Front de gauche, qui vise à ce que le PNRU 2 respecte le principe du « un ou pour un », selon lequel pour tout logement démoli, un autre doit être reconstruit. Ce principe est fondamental car le bilan de l’ANRU fait apparaître plus de destructions que de constructions, ce qui est inacceptable compte tenu de la crise du logement que nous traversons actuellement.
Nous souscrivons par ailleurs à l’objectif de mieux impliquer les habitants des quartiers dans le contrat de ville. Le choix du terme de co-construction paraît pertinent, car il traduit l’idée d’un échange permanent entre habitants, élus, représentants de l’État et administrations signataires du contrat de ville. C’est important, car les habitants des quartiers ne doivent pas être des sujets passifs de la politique de la ville mais en devenir les principaux acteurs. Nous approuvons donc la création des conseils citoyens, car nous sommes persuadés que la promotion d’une démarche participative est une garantie supplémentaire de la réussite des projets de ville.
Un autre aspect du projet de loi initial a fait l’objet d’une amélioration notoire lors de la discussion au Sénat, grâce au vote d’un amendement des sénateurs Front de gauche. Elle concerne le rôle du maire dans la politique de la ville. Nous avons en effet obtenu la reconnaissance de la place déterminante et structurelle du maire dans la mise en oeuvre des contrats de ville, sans pour autant remettre en cause la pertinence de l’échelle intercommunale pour un certain nombre de questions. Le vote de cet amendement était selon nous capital, à l’heure où le Gouvernement ne cesse de remettre en cause la place du maire dans nos institutions, que ce soit à travers la loi sur les métropoles ou l’obligation introduite par la loi ALUR d’élaborer des PLU intercommunaux.
Autre avancée obtenue au cours du débat : la reconnaissance des discriminations territoriales dans la loi, qui permettra de protéger les citoyens victimes de discriminations en raison de leur lieu de résidence. Une proposition de loi avait été déposée en ce sens par François Asensi dès 2010 et nous nous félicitons qu’après plusieurs années de mobilisation, ce phénomène soit reconnu et combattu. Il était temps, car les statistiques montrent bien l’ampleur de ces discriminations : un jeune qualifié résidant dans une commune réputée défavorisée a une chance de décrocher un emploi de six points inférieure aux autres diplômés !
Enfin, le vote de l’un de nos amendements permettant aux collectivités territoriales de participer au financement d’activités économiques ou d’aider à l’installation de professions libérales est un progrès, tant le manque de commerces, de médecins ou d’infirmières est criant dans les quartiers de la politique de la ville.
Malgré ces bons points, et vous avez constaté qu’ils sont assez nombreux, ce projet de loi ne déploie pas, selon nous, l’ambition qui devrait être celle du Gouvernement à l’égard des quartiers défavorisés. Vous sentez arriver l’antithèse, n’est-ce pas, monsieur le ministre !