Intervention de Dominique Orliac

Séance en hémicycle du 13 février 2014 à 9h30
Ville et cohésion urbaine — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Orliac :

Après la réussite de la commission mixte paritaire, nous sommes réunis ce matin dans l’hémicycle pour la dernière étape parlementaire du projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.

Depuis plus de trente ans, beaucoup d’efforts ont été entrepris, beaucoup d’argent public a été mobilisé et beaucoup d’énergie dépensée pour lutter contre le phénomène de relégation sociale de nos quartiers périphériques. Sans cela, il est plus que probable que la situation serait aujourd’hui désastreuse. Pourtant, force est de constater qu’elle est loin, très loin d’être satisfaisante.

La politique de la ville souffre depuis ses origines d’une incapacité à donner des résultats véritablement probants. Il est d’ailleurs frappant de constater qu’elle était imaginée au départ comme une politique temporaire et que sa pérennisation témoigne de son incapacité à rétablir durablement et définitivement les inégalités. Les quartiers défavorisés restent trop souvent à la marge de la République.

Pourtant, dans ces lieux défavorisés, il existe une énergie débordante de la part de ceux qui veulent transformer leurs quartiers et se lèvent, le matin, avec l’envie de changer le quotidien de leurs voisins. Il existe des compétences qui ne demandent qu’à s’exprimer. Mais nous ne pouvons que constater les nombreux échecs et les déceptions devant l’impuissance à faire réellement sortir de la pauvreté et de la détresse certains quartiers populaires.

Nous devons avoir la lucidité de reconnaître que, globalement, la politique de la ville menée depuis trente ans par tous les gouvernements n’a pas réussi à tenir ses promesses. Un devoir de vérité s’impose : sans un diagnostic précis et lucide, les chances de réussite du traitement sont faibles. Devant ce constat, nous ne devons pas perdre espoir. Un territoire de la République ne doit pas être condamné au naufrage face à l’adversité des détresses cumulées.

D’abord, les efforts de la politique de la ville n’ont de sens que s’ils s’inscrivent dans le cadre d’une stratégie globale. Les progrès de la politique de rénovation urbaine ne produiront des effets positifs qu’à la condition d’être accompagnés par la mobilisation de tous les acteurs. C’est l’objectif affiché de la démarche que vous avez mise en oeuvre, monsieur le ministre, avec la concertation entre toutes les parties prenantes. La réussite de la politique de la ville passe par l’emploi, l’éducation, l’encouragement de l’activité économique, la sécurité, les infrastructures de transport et le sport. La politique de la ville, c’est la leçon que nous devons retenir de ces trente dernières années, n’est pas seulement une question de moyens financiers.

Le pilotage des crédits est, certes, une question cruciale sur laquelle nous avons une belle marge de progression. Comme pour toutes les politiques publiques, une réelle évaluation des actions engagées avec des critères pertinents doit nous permettre d’optimiser les efforts de la solidarité nationale. Ensuite, nous le savons tous, la politique de la ville se condamne à l’impuissance à chaque fois qu’elle se perd dans le travers du saupoudrage et de la dispersion des crédits. Votre projet de loi, monsieur le ministre, répond à ces insuffisances.

Vous vous êtes aussi engagé à trouver des moyens pour que la phase de transition vers la nouvelle géographie prioritaire soit lissée sur plusieurs années. Mais vous avez raison de rappeler que les municipalités ont aussi leur rôle à jouer. La politique de la ville ne doit pas remplacer les politiques de droit commun. Elle doit être la compensation de déséquilibres localisés. Sans relancer l’ensemble des politiques de droit commun en soutien des crédits spécifiques à la politique de la ville, les chances de réussite se réduisent comme peau de chagrin.

Parmi les politiques de droit commun prioritaires, nous devons concentrer nos efforts sur l’éducation, l’emploi et la sécurité. La gauche ne doit pas être naïve. Dans les quartiers, la sécurité est la condition première du développement. Nous ne sommes pas de ceux qui croient que la violence soit liée à une appartenance ethnique. Nous ne sommes pas de ceux qui pensent que les émeutes trouvent leur origine dans une revendication identitaire ou religieuse. Les radicaux de gauche condamneront toujours toute forme de stigmatisation, toute tentative d’assignation à résidence identitaire. Les causes premières et fondamentales des tensions et de l’agressivité qui se manifestent dans nos quartiers sont d’ordre social.

C’est bien un processus de stigmatisation, puis de dévalorisation et enfin de marginalisation qui provoque le désespoir, la révolte, puis la haine. Pour trouver les réponses adaptées et efficaces, nous devons regarder sans idéologie ces phénomènes en renvoyant dos à dos l’angélisme et le cynisme. Cette violence existe. Elle plonge dans la crainte les habitants des quartiers pavillonnaires, une crainte qui se manifeste dans les urnes par des votes extrémistes. Pour assurer la réparation des injustices, pour développer l’activité économique et attirer les entreprises, la première des conditions est donc d’assurer la sécurité, la confiance et le respect du droit.

L’immense majorité des habitants de nos quartiers partage les valeurs fondamentales du respect, de la probité, du mérite et de la volonté de réussir. Il est de notre devoir de leur apporter la sécurité indispensable à leur épanouissement. Cet épanouissement passe aussi par la revalorisation de l’école de la République, fondement qui soutient les aspirations de nos concitoyens et, dans les quartiers, la promotion sociale par la réussite scolaire.

Dans nos quartiers, les statistiques scolaires rassemblées dans le rapport de l’ONZUS, notamment, sont implacables. Cette réalité vécue diffuse le sentiment que l’inégalité des chances est prégnante et le sentiment que le destin s’écrit sans que chacun ait toutes les cartes en main. Monsieur le ministre, nous vous encourageons à poursuivre ce travail engagé avec le ministre de l’éducation nationale pour que la carte de l’éducation prioritaire se superpose au mieux avec la carte de la géographie prioritaire. Les élèves en difficulté ne doivent pas se sentir abandonnés et ceux qui réussissent ne doivent pas être découragés par un sentiment de fatalité. La volonté, le travail, la discipline doivent être récompensés.

Monsieur le ministre, votre projet de loi est à la hauteur de tous ces défis. Vous avez su répondre avec beaucoup de courage aux critiques telles que l’extension et l’enchevêtrement des zonages, l’organisation dispersée de la gouvernance, l’évaluation peu fiable et l’éparpillement des moyens. À la suite de la concertation nationale appelée « Quartiers, engageons le changement », votre projet de loi va concentrer les crédits de la politique de la ville sur un nombre resserré de territoires et lutter contre les discriminations.

Le projet de loi va d’abord simplifier les structures de soutien aux banlieues défavorisées. C’était attendu depuis longtemps. Le système actuel de soutien aux quartiers prioritaires empile plusieurs dispositifs : ZUS, CUCS, ZRU, ZFU… Cette complexité nuit à sa lisibilité et à son efficacité. La définition des nouveaux quartiers prioritaires de la politique de la ville se fera sur la base d’un critère unique : le revenu des habitants. Les zones où la moitié de la population perçoit moins de 60 % du revenu fiscal médian, c’est-à-dire moins de 11 000 euros, seront éligibles. Les autres indicateurs sociaux ne seront donc plus pris en compte.

C’est un choix fort, peut-être parfois un peu « aveugle » au regard d’autres critères, mais qui présente l’avantage de concentrer les efforts sur les poches de grande pauvreté afin d’éviter le saupoudrage des crédits. Le projet de loi concentrera les moyens sur un nombre de quartiers en diminution : 1 300 quartiers prioritaires devraient être créés, au lieu des 2 500 CUCS, 751 ZUS et 100 ZFU.

Ensuite, le projet de loi prévoit l’instauration d’un contrat unique pour la ville et la cohésion sociale, piloté à l’échelle intercommunale. Cela permettra la mobilisation des politiques de droit commun avant l’engagement de crédits spécifiques de la ville. Cette nouveauté essentielle comble un manque important.

Au final, il ne s’agit pas de croire que ce projet de loi va bouleverser du jour au lendemain les conditions de vie de nos concitoyens habitant dans les quartiers défavorisés. C’est un effort de long terme, qui exige modestie et sincérité ; modestie parce que la réussite est lente et précaire, sincérité parce que la situation de nos finances publiques pèse sur nos marges de manoeuvre.

Mais ce projet de loi nous donne des raisons d’espérer. Il nous donne des raisons de croire que l’ambition et le courage politique sont nécessaires là où ils sont attendus. Dans ces conditions, les députés du groupe RRDP le voteront.

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