Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’UMP aborde ce texte avec un a priori favorable puisque, nous nous sommes souvent exprimés à ce sujet, les abus nous choquent autant que vous et qu’il convient de réguler ce système qui, si l’on est pour la construction européenne, pose malheureusement de nombreux problèmes, notamment pour le respect des travailleurs détachés.
Le travail en commission a été excellent, monsieur Savary, puisque nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre d’amendements, notamment sur l’article 5 et l’article 8. Le groupe UMP a pu défendre ses arguments. Si le texte a évolué favorablement, ils y ont pris leur part, et nous vous remercions de votre esprit consensuel.
Cela dit, le Gouvernement a déposé cinq amendements, et le texte sera donc très différent de celui qui a été présenté en commission. La directive européenne d’application sur le détachement des travailleurs, arrachée après négociation le 9 décembre, n’est pas encore définitivement adoptée que le Parlement français travaille déjà à la transposer. Cela va très vite, c’est bien, et il est donc normal que le texte soit imparfait, nous allons en discuter ce soir.
Cette proposition de loi masque cependant des failles de notre économie française. Le nombre de chômeurs ne cesse de progresser pour atteindre en décembre plus de 3,3 millions de personnes. Parallèlement, selon les dernières estimations du ministère du travail, le nombre de salariés détachés en France atteint près de 210 000 personnes en 2013, ce qui est un chiffre important. Le BTP est le premier secteur professionnel concerné, avec un tiers des travailleurs détachés présents en France. Il y a donc un vrai problème de formation et d’adaptation de l’emploi, qui nuit gravement à notre économie.
Je vous avais dit en commission que le groupe UMP veillerait à ce que ce texte soit équilibré et ne durcisse pas excessivement la réglementation, car il risquerait de ne pas être eurocompatible, ce qui serait dommage.
Je voudrais revenir sur des changements substantiels qui ont été intégrés en commission.
À l’article 2, le dispositif de responsabilité solidaire est étendu à l’ensemble du noyau d’obligations de l’employeur qui détache des travailleurs. La commission a ainsi élargi considérablement la portée de cet article, qui prévoyait initialement une responsabilité du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordres pour le seul paiement des salaires. Un tel élargissement consacre une immixtion totale du donneur d’ordres dans la gestion interne des sous-traitants, confinant à une véritable mise sous tutelle, tout en étant difficilement applicable dans les faits, devenant de fait source de contentieux. On complique donc les choses alors que cela devait être simple et opérationnel, et cela risque d’être moins efficace.
L’article 3 peut poser problème. Il oblige le donneur d’ordre à faire cesser une situation de travail dissimulé en cas d’irrégularité d’un sous-traitant, et il est étendu aux situations d’irrégularité de l’entreprise cocontractante, mais de quels moyens dispose le donneur d’ordre pour y arriver ? Je préférerais qu’il soit dans l’obligation de signaler à l’inspection du travail et aux entreprises le fait qu’elles manquent à leurs obligations pour que le texte soit plus facilement applicable.
Le Gouvernement a décidé de supprimer l’article 5. Une entreprise commettant des erreurs s’exposait à des sanctions pénales, ce qui paraît tout de même assez normal. Le mieux était donc de supprimer cet article qui n’apportait rien de particulier.
L’article 6, ensuite : la liste noire. Nous avons eu d’intéressants débats en commission, car cette liste noire, c’est Big Brother qui revient ! Je n’ose imaginer la réaction des députés de gauche si une telle mesure avait été présentée par le gouvernement de François Fillon : on aurait dit que nous mettions tout le monde sous surveillance.
Cette liste noire est tout de même pour le moins étrange. Ce n’est pas tant la mise en place d’une liste d’entreprises indélicates qui pose problème, mais plutôt la publication sur internet pendant un an du nom, des coordonnées postales et du numéro d’identification d’une personne morale ou physique condamnée à payer une amende – à partir de 15 000 euros – pour travail illégal. En outre, cette liste, j’y reviendrai, n’est qu’indicative, donc sans portée réelle. On peut se poser des questions. Sur le plan juridique, cela risque de créer une abondante jurisprudence.
L’une des propositions de mon rapport sur la fraude sociale en France, au nom de la MECSS, était la mise en place d’un fichier national des interdits de gérer. Cela fait des années que je demande cette mesure, mais cela n’existe toujours pas. Chaque fois que je questionne la Chancellerie, on me répond, de manière évasive, que c’est compliqué, ou attentatoire aux libertés. Un interdit de gérer est une sanction pénale ; ceux qui en sont frappés mais continuent de créer des entreprises dans d’autres tribunaux de commerce peuvent a priori frauder de nouveau. Un tel fichier n’existe pas, mais vous, monsieur Savary, vous êtes en train de créer la liste noire des entreprises européennes sans portée réelle. C’est pourquoi je m’interroge.
En matière de publicité des condamnations, il existe déjà le casier judiciaire. Faut-il ajouter un mode de publicité supplémentaire qui n’existe ni pour des délits plus graves ni pour les crimes ? La question de la tenue de cette liste internet et de la garantie de l’effacement de l’inscription sur cette liste au bout d’un an est posée. Je ne suis pas sûr que la CNIL ait bien répondu à la question. En outre, quelle garantie est apportée que le nom sera également effacé en cas de réhabilitation judiciaire ?
Une telle mesure paraît nettement ajouter à la peine prononcée une publicité néfaste, c’est donc une double peine – ce qui, d’habitude, ne vous plaît pas – qui peut nuire économiquement à l’entreprise ou à la personne concernée. Cela outrepasse les principes nationaux de la procédure pénale.
La liste noire que vous présentez dans ce texte, en dehors de son caractère stigmatisant, n’a aucun effet réellement coercitif puisqu’elle ne limite en rien la marge de manoeuvre des entreprises concernées, qui pourront continuer à exercer leurs activités et même à participer aux marchés publics. Mais qui choisira de contracter avec une entreprise ayant reçu une amende, qui passera pour l’entreprise la moins fiable ? C’est tout de même une publicité extrêmement négative pour des entreprises qui seront par ailleurs susceptibles d’avoir changé de gérants ou de gestionnaires, et qui, exclues des marchés publics ou des marchés normaux, seraient ainsi condamnées à mort. Je pense qu’il faut approfondir la réflexion sur cette liste noire.
L’article 7 ouvre la possibilité pour les syndicats de se constituer partie civile même en cas d’absence d’accord du salarié. Cette procédure est contraire au principe de la liberté individuelle d’agir ou de ne pas agir en justice. J’ai du respect pour les syndicats français, mais ils sont très peu représentatifs,…