La séance est ouverte.
La séance est ouverte à vingt et une heures trente.
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, de la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale (nos 1686, 1785).
Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure de la commission des affaires européennes, la proposition de loi qui nous est soumise rappelle, dans l’exposé de ses motifs, que c’est le Traité de Rome de 1957 créant la Communauté économique européenne qui avait posé, parmi ses principes fondamentaux, la libre circulation des capitaux, des marchandises et des personnes, et donc, pour ces dernières, la possibilité d’exercer une activité salariée dans n’importe quel pays de la Communauté.
Ce droit ne posait pas de problèmes particuliers dès lors que les États membres disposaient d’un niveau de rémunération et de législation sociale à peu près comparable. La question a surgi à partir du moment où la Communauté s’est élargie à des pays où le coût du travail était peu élevé. Il s’agissait, en 1986, de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce. Certains, parmi les employeurs dont la philanthropie n’est pas la principale qualité, ont vite compris qu’ils pourraient disposer d’une main-d’oeuvre bon marché, taillable et corvéable à merci. La directive européenne du 16 décembre 1996 avait pour ambition de contenir les dérives de dumping social qui menaçaient.
Elle a fait émerger le principe d’application du droit du pays d’accueil. Aux termes de ce principe, les entreprises prestataires de services doivent rémunérer les salariés qu’elles détachent aux conditions du pays dans lequel se déroule le contrat, sauf à ce que le droit du pays d’envoi soit plus favorable. Le principe est clair et pourtant abondamment foulé aux pieds. Le nombre de salariés « low cost » détachés en France au mépris du droit communautaire est évalué à 300 000, avec, en pointe, le secteur du bâtiment et travaux publics, l’industrie, l’agriculture, le transport et les entreprises de travail temporaire.
Depuis 2006, le nombre de travailleurs détachés en France faisant l’objet d’une déclaration en bonne et due forme a été multiplié par quatre, passant de 37 924 salariés à 144 411 en 2011, ce qui veut dire qu’il en existe autant qui sont employés en toute illégalité. La France est le deuxième pays d’accueil derrière l’Allemagne et devant la Belgique. Plusieurs raisons sont à l’origine de cette situation et de son amplification. L’absence de dispositions concrètes en matière de contrôle au sein de la directive de 1996 constitue une des raisons de cette explosion de la fraude au détachement.
Mais il existe d’autres ressorts puissants qui concourent à cette fuite en avant. Il y a, bien sûr, l’élargissement de l’Union européenne à de nombreux pays dans lesquels les niveaux de rémunérations sont extrêmement bas et qui fournissent les bataillons de travailleurs détachés. Je ne prendrai que quelques exemples forcément très sous-estimés puisqu’ils ne se fondent que sur des détachements déclarés. En 2011, nous accueillions 27 728 travailleurs polonais, en progression constante depuis 2007 ; 13 159 Roumains – plus 406 % par rapport 2007 ; 5 744 Bulgares – plus 1 304 % ; 16 453 Portugais – plus 256 % ; 3 699 Hongrois – plus 233 % ; 1 455 Lituaniens – plus 4 917 %. Et d’autres nationalités prennent peu à peu leur place dans ce mouvement : Chypriotes, Tchèques, Slovaques, Slovènes, Lettons, Estoniens, etc.
Une autre raison puissante nourrit cette dérive : le processus d’inscription de l’Europe dans la mondialisation capitaliste et la transformation de cet espace censé être voué à la coopération entre nations souveraines en un vaste espace de concurrence. Le thème idéologique du coût du travail en est au coeur. C’est la logique du moins-disant social visant à faire reculer les législations sociales les plus avancées et à imposer partout l’austérité. L’Acte unique européen, en 1986, en a, sans aucun doute, constitué le point de départ avec la création du grand marché unique.
Les traités qui suivront, de Maastricht à Lisbonne, ne cesseront d’aller plus avant dans cette « concurrence libre et non faussée », apothéose du modèle libéral. Les hommes, et les salariés en particulier, sont au coeur de cette tempête ravageuse. De ce point de vue, chacun a conservé en mémoire la directive Bolkestein. Elle s’inscrivait dans le sillage de la directive du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
Elle tendait, dans sa première rédaction, à faire prévaloir le « principe du pays d’origine ». Cela signifiait que le contrôle de l’application du droit du travail devait être conféré au pays d’origine du travailleur et non plus au pays dans lequel s’effectuait le travail. La Confédération européenne des syndicats s’est immédiatement dressée contre ce projet. Rappelons-le : le non des Français au référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel européen a eu notamment pour origine cette directive, expression même de la déréglementation et de l’ultralibéralisme de l’Union européenne.
Il en résultera un recul de toutes celles et tous ceux qui rêvaient de cette Europe du dumping et du moins-disant social. Il n’en reste pas moins que, faute d’une directive susceptible de contenir l’anarchie libérale, nous connaissons aujourd’hui un cadre fixé par la directive du 16 décembre 1996, mais dont le respect s’avère impossible en dépit d’une jurisprudence abondante de la Cour de justice européenne, à laquelle de nombreux contentieux ont été soumis. La Commission a présenté, le 21 mars 2012, une proposition de directive d’application de la directive.
Il a donc été renoncé à la rédaction d’une directive pourtant annoncée par le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, en 2009 devant le Parlement européen et censée tarir ce qui s’apparente à une forme d’esclavage moderne. Il nous est ainsi proposé des mesures cosmétiques destinées à prévenir les abus, à renforcer la coopération administrative entre les États membres et à informer les salariés et les employeurs. C’est une vaste plaisanterie, mais qui ne peut nous surprendre dès lors qu’il ne saurait s’agir, à aucun moment, de remettre en cause l’Europe libérale, celle des multinationales et de la finance.
Mes chers collègues du groupe socialiste, votre proposition de loi est sympathique. Vous la définissez comme eurocompatible.
Dès lors, tout est dit. Elle n’est pas inutile. J’aurais mauvaise grâce à le prétendre. Mais elle ne tend qu’à limiter ces pratiques de dumping social et du moins-disant social inscrites dans le marbre des traités européens libéraux.
Ce qu’il nous faut, ce n’est ni une directive d’application d’une directive pavée de bonnes intentions, mais inopérante, ni un bricolage législatif national qui ne changera pas grand-chose, mais une réorientation de cette Europe et, en l’espèce, une directive contraignante de mieux-disant social, de rupture avec l’austérité généralisée. Quand cette Europe veut contraindre les États, elle sait s’en donner les moyens. Nous l’affirmons ici très régulièrement. Vous êtes les premiers à reconnaître que, lorsqu’il est question de faire respecter les critères relatifs aux déficits publics et à la dette, Bruxelles dispose d’un arsenal de sanctions. Lorsqu’il s’agit de mettre les peuples à la diète, on dispose aussi des outils nécessaires. Mais il n’en est pas ainsi lorsqu’il s’agit du droit des salariés. Voilà qui est ô combien révélateur de la nature de cette Europe-là !
J’ai bien compris que les élections européennes approchant, il fallait donner le change, afficher une volonté nationale de « ripoliner » une Europe libérale à la dérive. C’est d’une tout autre ambition que nous avons besoin, une ambition fondée sur la souveraineté des nations et sur un espace de coopération véritable, débarrassé d’un libéralisme destructeur.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mieux vaut prévenir que guérir. Telle est la philosophie de ce texte, très bien présenté par son rapporteur, notre excellent collègue du groupe SRC, Gilles Savary, et qui s’attache à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre concernant les travailleurs européens dits « détachés ». Mieux vaut prévenir, car, à ce jour, la part des travailleurs détachés parmi les salariés du privé reste faible : 1,6 % selon le rapport.
Mais, avec l’élargissement de l’Union européenne et l’incapacité de cette Europe à créer les conditions d’une véritable harmonisation sociale et fiscale, la situation des travailleurs détachés commence à créer des situations de distorsions de concurrence – certains parlent de dumping social –, ce qui nuit à l’emploi dans notre pays et aux conditions d’emploi et de rémunération. Cette situation commence à prendre quelques proportions dans certains secteurs, dont celui du bâtiment et des travaux publics.
À une époque où le Gouvernement a engagé une véritable bataille pour l’emploi, cette proposition de loi vient renforcer l’arsenal législatif français. Il convient de saluer l’accord obtenu en décembre 2013 par le ministre du travail et de l’emploi, Michel Sapin, ce qui, en sécurisant notamment les articles 9 et 12 du projet de directive, a nourri et amplifié l’opportunité d’un tel texte d’initiative parlementaire, ce dont il convient également de se féliciter. Je tiens à rappeler que la libre circulation des travailleurs est inscrite dans les traités. Elle implique l’abolition de toutes les discriminations entre les travailleurs des États membres en ce qui concerne la rémunération, l’emploi et les autres conditions de travail.
Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de nier le détachement des travailleurs, car, si nous avons accueilli 220 000 travailleurs détachés en 2012, comme l’a tout à l’heure précisé Mme la ministre Vallaud-Belkacem, la France en a détaché 170 000 en Europe. Il a été aussi précédemment rappelé que nous étions le troisième pays en Europe. Il est, par conséquent, essentiel de rappeler qu’il n’y a pas d’hostilité envers les travailleurs détachés dans cette proposition de loi. Alors que le contexte économique de l’Europe se caractérise par la crise, beaucoup de pays, notamment au sud de l’Europe, sont touchés par un chômage de masse. La France n’est pas non plus épargnée, car de nombreuses entreprises ont recours à des travailleurs détachés qui leur permettent de poursuivre leurs activités économiques, et ce à moindre coût.
Ainsi, en favorisant la prestation de services internationale sans avoir vu naître une réelle procédure de contrôle, la directive européenne sur le détachement des travailleurs a permis, j’allais dire « à l’insu de son plein gré », le développement d’une fraude, à savoir que de plus en plus de prestataires de services ont permis l’emploi de salariés « low cost ». Il est effarant de constater le nombre de ces salariés qui seraient ainsi présents sur le territoire, en particulier dans le BTP, lequel concentrerait, en effet, 40 % de travailleurs détachés. Ces chiffres sont des estimations puisque force est de constater que les prestataires de services ne font pas forcément de déclaration préalable de détachement.
Le très bon rapport de Mme Guittet et de MM. Savary et Piron relève que ce travailleur « low-cost », ignorant le plus souvent ses droits, peut même être amené à – et je cite le rapport parce que je crois que ce passage justifie parfaitement les raisons de notre présence ici ce soir – « dormir dans des hangars ou sur des simples paillasses, être nourri de boîtes de conserve pendant des semaines. [… ] Ces situations sont loin d’être marginales… » et se rapprochent parfois de dérives mafieuses. Les conditions actuelles de crise économique renforcent donc cette fraude en permettant à des prestataires économiques et à des entreprises de sous-payer leurs salariés pour un travail effectué en dehors de leurs frontières nationales.
De plus, comme il n’existe pas de salaire minimum pour certains pays, le dumping social est encore plus flagrant. Ainsi, des travailleurs détachés, engagés au maximum pour six mois, peuvent toucher le salaire minimum français sans, pour autant, bénéficier des avantages sociaux qui devraient l’accompagner, puisqu’ils dépendent toujours de la législation de leur pays d’origine. C’est bien là que se situe le problème qui génère la distorsion de concurrence. C’est d’autant plus problématique que les charges sociales restent payées dans le pays d’origine, ce qui peut créer des différences de coûts importantes pour l’employeur.
Alors que les populismes sont en constante augmentation et que l’esprit anti-européen gagne de plus en plus de monde, il est du devoir des pays membres de l’Union européenne d’agir pour ne pas construire uniquement une Europe de l’économie, mais pour soutenir une Europe sociale qui protège tous ses citoyens et une France qui protège tous ses travailleurs. Il y a beaucoup de discours. Ce soir, grâce à cette proposition de loi, nous avons un acte.
Le contexte de crise permet à certains acteurs politiques de tenir ce discours défavorable aux étrangers en montant les nationaux contre les travailleurs étrangers qui viendraient « piquer le travail des nationaux », alors même que l’on parle de travailleurs détachés qui retourneraient travailler dans leur pays une fois leur mandat terminé.
Le premier chapitre comprend six articles, qui visent à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre afin de lutter contre la concurrence déloyale en intégrant une solidarité financière en cas de défaut de paiement des salaires ou de paiement de salaires inférieurs au SMIC. La mise en place d’une liste noire des entreprises et prestataires de main-d’oeuvre ayant été condamnée pour travail illégal est aussi contenue dans ce premier chapitre, et c’est une bonne chose.
Loin de moi l’envie de commenter une décision souveraine du corps électoral suisse ayant approuvé récemment par votation une initiative visant à limiter l’immigration dite massive en Suisse, mais, étant originaire de la région Rhône-Alpes, je sais combien le travail pour les frontaliers de part et d’autre de la frontière suisse est important et est un moteur de dynamisme économique pour chacun.
Si le choix du peuple suisse peut être regrettable à maints égards, ce vote doit attirer notre attention sur un réel malaise qui traverse les différentes sociétés européennes. Certains cantons frontaliers tels que le Tessin ont approuvé massivement le texte, une partie de la gauche y apportant même son soutien, invoquant de sérieux cas de dumping salarial. Cela doit nous faire réfléchir car, même si nous ne sommes pas une démocratie des sondages, si presque 70 % de nos concitoyens estiment que l’immigration fondée sur la libre circulation des travailleurs est néfaste, nous devons prendre acte que, en dépit de peurs totalement irrationnelles, ce malaise sur la libre circulation des travailleurs en Europe est bien présent, et, en tant que législateurs, il est de notre devoir de renforcer par conséquent notre législation afin de faire cesser ces craintes et d’éradiquer le dumping social qui gangrène la libre circulation des travailleurs.
Dès lors, l’extension du devoir d’injonction du maître de l’ouvrage privé au cas d’une irrégularité de l’entreprise avec laquelle il a contracté, la nécessité d’avoir des listes plus complètes de documents relatifs aux prestataires de services établis à l’étranger intervenant en France pour y réaliser une prestation à l’aide de travailleurs détachés, ou encore le fait d’engager la responsabilité pénale du maître de l’ouvrage public ou privé ou du donneur d’ordre professionnel lorsqu’ils poursuivent en connaissance de cause pendant plus d’un mois l’exécution d’un contrat passé avec une entreprise en situation irrégulière au regard de ses obligations sociales sont des points importants, que le groupe des radicaux de gauche et apparentés soutient.
Nous proposerons également un amendement concernant l’article 6 et la liste noire des entreprises et des prestataires de services condamnés pour des infractions constitutives de travail illégal, liste noire concernant les cas où l’amende prononcée sera d’au moins 15 000 euros. Pour notre groupe, l’objectif d’une telle liste noire, c’est l’exemplarité, quel que soit le montant de l’amende, nous aurons l’occasion d’en parler au cours de cette soirée. De plus, seules un faible nombre de ces entreprises intervenant dans ces conditions font l’objet d’opérations de contrôle. Aussi, conditionner le fait de figurer sur la liste noire au respect d’un quantum du niveau de l’amende à laquelle elles seraient condamnées risque de réduire de manière notable la portée de cette mesure. Nous en reparlerons.
Quoi qu’il en soit, le groupe des radicaux de gauche et apparentés, qui a participé activement aux débats concernant cette proposition de loi, l’approuve très clairement.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi à l’ordre du jour est au coeur de la réalité économique de nos entreprises et de l’enjeu de la préservation de l’emploi.
Des centaines de milliers de travailleurs détachés officiels en France en 2012, et sûrement plus encore : ce phénomène est devenu une composante à part entière de notre économie. Ils se concentrent sur un petit nombre de secteurs, 43 % d’entre eux dans le seul BTP. La proportion est donc loin d’être marginale, et les dégâts sont réels. Le détachement, et là est le drame, est devenu l’objet de filières qui s’organisent, parfois même sur un mode presque mafieux, au service de sordides trafics de main-d’oeuvre.
Face à cet état de délinquance et d’urgence, la quasi-totalité des acteurs économiques et sociaux nous soutiennent dans notre démarche.
Réguler, durcir, dissuader, renforcer, punir, l’unanimité s’exprime pour réclamer des mesures raides et rapides. Syndicats patronaux et syndicats de salariés, organisations professionnelles et inspecteurs du travail, élus et entreprises, tous sont favorables à un durcissement substantiel des règles et des contrôles qui encadrent le détachement.
Les artisans, les chefs d’entreprise de PME et de TPE subissent, souvent impuissants, les effets de la fameuse libre concurrence que vient fausser l’exploitation des travailleurs les plus humbles d’Europe. Les salariés et leurs syndicats se battent pour leurs emplois et leurs droits, mais ils se battent aussi pour les droits des travailleurs détachés abusivement, victimes de tricheries qui nuisent à tous. Enfin, chaque jour, ce sont des millions d’euros qui sont soustraits au financement de notre système solidaire, ce qui le fragilise un peu plus.
Au fond, cette proposition de loi inspirée par M. Savary et Mme Guittet est un pacte de responsabilité à elle seule. Aux entrepreneurs qui travaillent à la régulière, l’immense majorité, nous disons que respecter l’esprit et la lettre du droit protège davantage. Ce texte est un texte de lutte contre la délinquance économique et sociale, qui confortera les entrepreneurs honnêtes. Aux voyous, ceux qui ont abusivement recours au détachement, nous disons que le détachement n’est pas un moyen d’exploitation ni un outil d’optimisation de la compétitivité. Ici, les claires contreparties sont l’accès égal au marché, dans une compétition loyale, et la protection pour tous des règles sociales. C’est pourquoi les dispositions que nous voterons obéissent à un triptyque simple : dissuasion en amont, contrôles et vigilance lors de la prestation, sanctions en aval.
La vérité, en effet, c’est que, en sus du recours massif, qui peut rester parfois à la frontière du légal, la plupart des détachements sont tout simplement frauduleux : frauduleux parce que les règles ne sont pas respectées ; frauduleux parce que la directive est dévoyée par le recours à des montages scabreux, semblables aux montages fiscaux les plus tortueux ; frauduleux parce que les droits ne sont pas respectés : dépassement de la durée légale du travail, non-paiement des salaires et des heures supplémentaires, conditions d’hébergement indécentes ; frauduleux, enfin, lorsqu’il s’agit d’extorsions pures et simples, quand l’employeur détachant demande à ses salariés, lorsqu’ils reviennent dans l’État d’origine, de rendre tout ou partie de leur salaire, du coût du trajet ou du coût de l’hébergement, quand ce n’est pas les trois à la fois, et toujours sous la menace.
Bref, si la réglementation était effectivement respectée, le coût différentiel des cotisations sociales ne constituerait plus un avantage concurrentiel. Pour le dire simplement, les détacheurs ne rentreraient pas dans leurs frais et leur trafic ne vaudrait plus le coup.
Nuisible, le fléau du détachement abusif l’est aussi pour l’Europe elle-même. Le Gouvernement et le ministre Michel Sapin l’ont parfaitement compris, et c’est à ce titre que nous avons obtenu gain de cause lors du Conseil du 9 décembre, parce que le dumping social, incessante course au moins-disant social, est, avec l’obsession du moins-disant fiscal, une arme de destruction de nos solidarités collectives.
En laissant jouer aux enchères le coût du travail des uns et des autres, la directive en cause est le ferment de divisions des peuples d’Europe, le ciment de haines naissantes. L’Europe, analysée, à tort ou à raison, comme le fossoyeur de droits sociaux, pourrait subir, et très prochainement, un terrible désaveu dont nos peuples souffriraient plus encore si nous ne faisions rien. C’est donc notre responsabilité partagée que de répondre, par la justice la plus évidente, à la montée de l’euro-détestation, de redonner un désir d’Europe, une envie de Communauté européenne.
Mes chers collègues, il est trop rare que le Gouvernement et notre assemblée puissent susciter la satisfaction simultanée des salariés et des employeurs. Or là est précisément la prouesse de ce texte, qui anticipe la transposition de la directive d’exécution et va plus loin dans notre législation nationale pour endiguer les abus et les effets pervers du détachement.
Seuls les exploiteurs-tricheurs ont quelque chose à perdre à l’adoption de ce texte. J’espère donc que, comme en commission, il recueillera le plus large accord, sur tous les bancs. Le refuser reviendrait à ne pas entendre les entrepreneurs, à ne pas voir la détresse des exploités et des chômeurs. Cela reviendrait de surcroît à affaiblir l’Europe.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et écologiste.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’UMP aborde ce texte avec un a priori favorable puisque, nous nous sommes souvent exprimés à ce sujet, les abus nous choquent autant que vous et qu’il convient de réguler ce système qui, si l’on est pour la construction européenne, pose malheureusement de nombreux problèmes, notamment pour le respect des travailleurs détachés.
Le travail en commission a été excellent, monsieur Savary, puisque nous nous sommes mis d’accord sur un certain nombre d’amendements, notamment sur l’article 5 et l’article 8. Le groupe UMP a pu défendre ses arguments. Si le texte a évolué favorablement, ils y ont pris leur part, et nous vous remercions de votre esprit consensuel.
Cela dit, le Gouvernement a déposé cinq amendements, et le texte sera donc très différent de celui qui a été présenté en commission. La directive européenne d’application sur le détachement des travailleurs, arrachée après négociation le 9 décembre, n’est pas encore définitivement adoptée que le Parlement français travaille déjà à la transposer. Cela va très vite, c’est bien, et il est donc normal que le texte soit imparfait, nous allons en discuter ce soir.
Cette proposition de loi masque cependant des failles de notre économie française. Le nombre de chômeurs ne cesse de progresser pour atteindre en décembre plus de 3,3 millions de personnes. Parallèlement, selon les dernières estimations du ministère du travail, le nombre de salariés détachés en France atteint près de 210 000 personnes en 2013, ce qui est un chiffre important. Le BTP est le premier secteur professionnel concerné, avec un tiers des travailleurs détachés présents en France. Il y a donc un vrai problème de formation et d’adaptation de l’emploi, qui nuit gravement à notre économie.
Je vous avais dit en commission que le groupe UMP veillerait à ce que ce texte soit équilibré et ne durcisse pas excessivement la réglementation, car il risquerait de ne pas être eurocompatible, ce qui serait dommage.
Je voudrais revenir sur des changements substantiels qui ont été intégrés en commission.
À l’article 2, le dispositif de responsabilité solidaire est étendu à l’ensemble du noyau d’obligations de l’employeur qui détache des travailleurs. La commission a ainsi élargi considérablement la portée de cet article, qui prévoyait initialement une responsabilité du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordres pour le seul paiement des salaires. Un tel élargissement consacre une immixtion totale du donneur d’ordres dans la gestion interne des sous-traitants, confinant à une véritable mise sous tutelle, tout en étant difficilement applicable dans les faits, devenant de fait source de contentieux. On complique donc les choses alors que cela devait être simple et opérationnel, et cela risque d’être moins efficace.
L’article 3 peut poser problème. Il oblige le donneur d’ordre à faire cesser une situation de travail dissimulé en cas d’irrégularité d’un sous-traitant, et il est étendu aux situations d’irrégularité de l’entreprise cocontractante, mais de quels moyens dispose le donneur d’ordre pour y arriver ? Je préférerais qu’il soit dans l’obligation de signaler à l’inspection du travail et aux entreprises le fait qu’elles manquent à leurs obligations pour que le texte soit plus facilement applicable.
Le Gouvernement a décidé de supprimer l’article 5. Une entreprise commettant des erreurs s’exposait à des sanctions pénales, ce qui paraît tout de même assez normal. Le mieux était donc de supprimer cet article qui n’apportait rien de particulier.
L’article 6, ensuite : la liste noire. Nous avons eu d’intéressants débats en commission, car cette liste noire, c’est Big Brother qui revient ! Je n’ose imaginer la réaction des députés de gauche si une telle mesure avait été présentée par le gouvernement de François Fillon : on aurait dit que nous mettions tout le monde sous surveillance.
Cette liste noire est tout de même pour le moins étrange. Ce n’est pas tant la mise en place d’une liste d’entreprises indélicates qui pose problème, mais plutôt la publication sur internet pendant un an du nom, des coordonnées postales et du numéro d’identification d’une personne morale ou physique condamnée à payer une amende – à partir de 15 000 euros – pour travail illégal. En outre, cette liste, j’y reviendrai, n’est qu’indicative, donc sans portée réelle. On peut se poser des questions. Sur le plan juridique, cela risque de créer une abondante jurisprudence.
L’une des propositions de mon rapport sur la fraude sociale en France, au nom de la MECSS, était la mise en place d’un fichier national des interdits de gérer. Cela fait des années que je demande cette mesure, mais cela n’existe toujours pas. Chaque fois que je questionne la Chancellerie, on me répond, de manière évasive, que c’est compliqué, ou attentatoire aux libertés. Un interdit de gérer est une sanction pénale ; ceux qui en sont frappés mais continuent de créer des entreprises dans d’autres tribunaux de commerce peuvent a priori frauder de nouveau. Un tel fichier n’existe pas, mais vous, monsieur Savary, vous êtes en train de créer la liste noire des entreprises européennes sans portée réelle. C’est pourquoi je m’interroge.
En matière de publicité des condamnations, il existe déjà le casier judiciaire. Faut-il ajouter un mode de publicité supplémentaire qui n’existe ni pour des délits plus graves ni pour les crimes ? La question de la tenue de cette liste internet et de la garantie de l’effacement de l’inscription sur cette liste au bout d’un an est posée. Je ne suis pas sûr que la CNIL ait bien répondu à la question. En outre, quelle garantie est apportée que le nom sera également effacé en cas de réhabilitation judiciaire ?
Une telle mesure paraît nettement ajouter à la peine prononcée une publicité néfaste, c’est donc une double peine – ce qui, d’habitude, ne vous plaît pas – qui peut nuire économiquement à l’entreprise ou à la personne concernée. Cela outrepasse les principes nationaux de la procédure pénale.
La liste noire que vous présentez dans ce texte, en dehors de son caractère stigmatisant, n’a aucun effet réellement coercitif puisqu’elle ne limite en rien la marge de manoeuvre des entreprises concernées, qui pourront continuer à exercer leurs activités et même à participer aux marchés publics. Mais qui choisira de contracter avec une entreprise ayant reçu une amende, qui passera pour l’entreprise la moins fiable ? C’est tout de même une publicité extrêmement négative pour des entreprises qui seront par ailleurs susceptibles d’avoir changé de gérants ou de gestionnaires, et qui, exclues des marchés publics ou des marchés normaux, seraient ainsi condamnées à mort. Je pense qu’il faut approfondir la réflexion sur cette liste noire.
L’article 7 ouvre la possibilité pour les syndicats de se constituer partie civile même en cas d’absence d’accord du salarié. Cette procédure est contraire au principe de la liberté individuelle d’agir ou de ne pas agir en justice. J’ai du respect pour les syndicats français, mais ils sont très peu représentatifs,…
…ontrairement à ceux d’autres pays, et ils sont souvent assez antieuropéens et défendent des intérêts plutôt catégoriels.
Certains sont même franchement antieuropéens. Si l’on ne veut pas multiplier les contentieux, n’ouvrons pas cette porte. C’est aux salariés de se défendre ; il ne convient pas que les syndicats se substituent à eux pour bloquer en justice des dispositifs qu’ils dénoncent à longueur de journée.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Votre article 7 bis manque à la fois de souplesse et de cohérence. Les entreprises condamnées pour travail dissimulé seront exclues de toute aide publique, émanant de l’État ou des collectivités, pendant une durée de cinq ans. Nous en avons beaucoup discuté en commission. Que se passera-t-il si l’entreprise est reprise dans l’intervalle des cinq ans ? Le nouveau dirigeant ne peut pas être tenu pour responsable de ce qui s’est passé avant. Où est la cohérence avec une inscription sur la liste noire pour une durée d’un an seulement ? Au fond, le mieux étant l’ennemi du bien, ne sont-ce pas les salariés de l’entreprise qui feront les frais de cette mesure ?
Nous vous remercions d’avoir supprimé les articles 5 et 8, à la demande du groupe UMP. C’est une action de bon sens, et je salue l’esprit consensuel du rapporteur.
L’article 9, et j’en terminerai par là, est en quelque sorte un cavalier. Il n’a pas vraiment sa place dans le texte, même si vous pensez, monsieur le rapporteur, que le sujet fait partie du dumping social. Évidemment, chacun connaît les abus, salaires de misère et pratiques sociales inacceptables, commis par certaines entreprises de transport installées dans des pays européens, et nous partageons votre point de vue. Mais votre texte, en créant une situation spécifiquement française, pourra-t-il s’appliquer ?
Par voie d’amendement, vous avez décidé d’encadrer les pratiques sociales des entreprises de transport. Vous prévoyez l’encadrement du cabotage routier pour les véhicules légers et l’interdiction pour un conducteur routier de prendre son repos hebdomadaire normal dans la cabine. Cette dernière disposition a-t-elle son utilité dans le présent texte ?
Au sein des prestations de service, le cas du transport, et notamment du transport routier, doit être traité de manière spécifique. En effet, il n’est pas envisageable, ni réalisable, de demander à toute entreprise établie hors de France et assurant du transport international avec une partie du trajet seulement sur le territoire national d’appliquer les règles du détachement et de faire une déclaration préalable de détachement pour des salariés qui ne resteraient sur le territoire français que pour une très courte période.
De même, la durée maximale de cabotage routier, telle que prévue à l’article L. 3421-4 du code des transports, n’est que de sept jours. Il s’agit d’une durée maximale. Le cabotage peut n’être que d’une journée. Il n’est pas envisageable d’appliquer le détachement, avec ses obligations déclaratives, pour une durée aussi courte. J’ai déposé des amendements pour sécuriser ces aspects.
Vous créez l’interdiction pour le conducteur routier de prendre son repos hebdomadaire normal à bord de la cabine du véhicule. Je vous lis l’article 8 du règlement européen no 5612006 : « Si un conducteur en fait le choix, les temps de repos journaliers et temps de repos hebdomadaires réduits loin du point d’attache peuvent être pris à bord du véhicule, à condition que celui-ci soit équipé d’un matériel de couchage convenable pour chaque conducteur et qu’il soit à l’arrêt. » Il paraît difficile d’envisager brutalement une telle interdiction, assortie de lourdes sanctions, sans être sûr que les infrastructures d’accueil existantes soient suffisantes.
J’ai interrogé les syndicats de transporteurs, qui m’ont dit que le souci des conducteurs était de ne pas être pillés sur les aires d’autoroute. Ils préfèrent être dans leur camion plutôt que d’avoir la trouille, dans un hôtel de zone industrielle, loin du camion. Ce n’est de toute façon pas applicable. L’ensemble des conducteurs préfèrent rester dans la cabine. C’est un mode de vie ; ils ont aménagé leur cabine comme une sorte de seconde maison. Les transporteurs pensent, majoritairement, que ce n’est pas une bonne disposition. Je vous demande donc, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, d’y réfléchir.
En conclusion, le groupe UMP s’abstiendra. Même si ce texte propose quelques avancées, le vrai problème, celui du coût du travail dans notre pays, n’est pas abordé. Les entreprises françaises sont écrasées par les charges et votre pacte de responsabilité relève pour l’instant d’une vue de l’esprit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, au groupe UDI, vous le savez, nous défendons une Europe fédérale plus forte, une Europe politique, une Europe économique, certes, mais aussi et tout autant une Europe sociale, qui protège, où la solidarité constitue le ciment commun des peuples.
Alors que semblent se répandre chez nos concitoyens l’euroscepticisme et la défiance envers nos institutions européennes, le besoin d’une nouvelle Europe se fait plus que jamais sentir. Et cette nouvelle Europe que beaucoup de nos concitoyens appellent de leurs voeux ne pourra se constituer sans une politique sociale ambitieuse et pérenne. C’est à cette seule condition que nous obtiendrons l’adhésion renouvelée des peuples à notre destin commun.
Notre Union dispose d’une force de travail de quelque 250 millions de personnes, d’une population de plus de 500 millions d’habitants, d’une vitalité encore remarquable, mais, avec un taux de chômage de 11 %, l’augmentation de la pauvreté et un creusement notable des inégalités, l’Europe se voit trop souvent accuser de tous les maux.
Et s’il est un sujet qui suscite, depuis un certain nombre d’années, l’inquiétude de l’ensemble des peuples européens, c’est bien celui de l’emploi.
Le travail détaché n’échappe pas à cette règle. Pour reprendre une expression de notre collègue Gilles Savary, dont je tiens à souligner la compétence, assise sur une immense expérience, notamment européenne, ainsi que la courtoisie, et le travail de qualité, après le plombier polonais, le travail détaché est devenu le « nouvel épouvantail de l’europhobie »,…
…celui qui concentre toutes les peurs et illustre la tentation du repli national. Tentation qui pourrait même remettre en question la libre circulation des personnes, des marchandises, des services et des capitaux, quatre libertés pourtant garanties par le traité de Rome de 1957.
Alors, mes chers collègues, au moment d’aborder ce débat, prenons garde à ne pas instrumentaliser les problématiques relatives au détachement. Si, aujourd’hui, nous débattons, par le biais de cette proposition de loi, de l’opportunité de renforcer notre législation nationale contre le travail illégal et la concurrence déloyale, nous ne cherchons en aucun cas à mettre en cause le principe de la mobilité.
L’emploi des travailleurs étrangers au sein des économies nationales est un phénomène très ancien, et universel, qui a contribué au développement de notre pays, et aujourd’hui nous aurions tort de contester la mobilité dans son ensemble. Donner la possibilité à nos jeunes – ils sont aujourd’hui 230 000 chaque année – d’étudier à l’étranger grâce au célèbre programme d’échange Erasmus, permettre à des entreprises de détacher leurs cadres et leurs spécialistes en Europe, cela constitue un véritable atout pour notre économie. La France elle-même, d’ailleurs, avec quelque 300 000 salariés français détachés à l’étranger, est fortement utilisatrice de la procédure : elle est le troisième pays détachant des travailleurs, derrière la Pologne et l’Allemagne.
Ce sont donc bien les modalités et non le principe même de la mobilité qu’il s’agit de revoir. Loin des discours alarmistes qui tendent à remettre en cause le principe de libre circulation, tous nos efforts doivent porter sur la lutte contre les fraudes et les stratégies systématisées d’optimisation sociale.
Mes chers collègues, soyons clairs, et évitons de céder aux sirènes du « C’est la faute à Bruxelles ». La directive « Détachement » n’est en aucun cas responsable du développement du travail illégal sur le territoire de l’Union européenne. La recherche effrénée, sans limite, d’optimisation sociale n’a d’ailleurs pas attendu cette directive pour prospérer. Et sans le corpus de règles que la directive contient, l’application aveugle du principe de libre circulation aurait sans doute causé des phénomènes de travail temporaire frauduleux encore plus désastreux que ceux auxquels nous avons assisté ces dernières années.
Il est vrai, en revanche, que, du fait de l’entrée de treize nouveaux États au niveau de vie très inférieur à celui de l’Europe occidentale, du fait également de la lenteur des politiques de développement et des politiques sociales européennes, la directive n’est plus adaptée au contexte actuel. Elle n’est visiblement plus à la hauteur des moyens que nous devons mettre en oeuvre pour faire face aux multiples fraudes et détournements d’usage qui se traduisent par l’organisation de véritables trafics de main-d’oeuvre communautaire ou extracommunautaire, mettant en danger le financement des systèmes de protection sociale des États et désorganisant des filières économiques entières.
De nombreuses entreprises profitent aujourd’hui des vides juridiques de la législation européenne. Des entreprises notamment du sud et de l’est de l’Europe, mais pas seulement, procèdent à une concurrence déloyale, cette même concurrence que les traités européens visaient à réguler. Des agences d’intérim se spécialisent depuis quelques années dans l’introduction de main-d’oeuvre étrangère à des prix défiant toute concurrence, selon des conditions qui contournent les règles européennes. Nombre d’acteurs sont touchés : artisans, entreprises du bâtiment, du transport, producteurs de fruits et légumes, sociétés spécialisées dans les travaux publics… Les exemples sont nombreux.
Indéniablement, l’Union européenne doit se doter de dispositions et de moyens d’une tout autre ampleur pour prétendre lutter efficacement contre ce phénomène croissant. Plus que jamais nous avons le devoir de faire avancer l’Europe dans cette direction et nous devons dès aujourd’hui engager, en première ligne s’il le faut, ce combat structurant pour l’essor économique et social de l’Europe.
La présente proposition de loi, qui fait d’ailleurs suite à une résolution et à un rapport que nous avons commis avec Chantal Guittet et Gilles Savary, propose d’anticiper la transposition de la directive d’application et d’améliorer l’efficacité des contrôles ainsi que le caractère dissuasif des sanctions.
Sur la question des travailleurs détachés, la France a aujourd’hui la capacité de montrer une voie à ses voisins européens et de prouver à quel point elle demeure attachée à la liberté de circulation, mais toujours dans un cadre protecteur pour ses citoyens. La proposition de loi reprend, bien entendu, les items du projet de directive, mais en en renforçant le caractère protecteur pour les salariés. Elle prévoit ainsi une responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d’ordre avec les sous-traitants qui frauderaient dans tous les secteurs. Elle y ajoute une nouvelle obligation, sous peine d’amende, pour les donneurs d’ordre et maîtres d’ouvrage : celle de déclarer, eux aussi, à l’inspection du travail tout recours à une entreprise sous-traitante détachant des travailleurs en France au-delà d’un certain montant de contrat.
J’évoquerai également le volet spécifique au transport routier qui a été intégré au texte et qui, lui non plus, n’est pas anecdotique. Il est même très lourd. Il renforce en effet, là aussi, la responsabilité des donneurs d’ordre, tout en permettant de lutter contre des conditions de travail qui, malheureusement, sont parfois particulièrement scandaleuses. Notons également tout l’intérêt que peut avoir l’instauration d’une liste noire des entreprises condamnées à au moins 45 000 euros d’amende pour travail illégal. Elle s’inspire de celle existant déjà pour les compagnies aériennes dangereuses, et chacun se rappellera ici le cas de la compagnie Ryanair à l’aéroport de Marignane. La liste autorisera une plus grande information, tant pour les entreprises que pour les salariés – information qui sera un gage de sécurité et de respect pour les travailleurs nationaux comme européens. Mais ce texte va plus loin encore, puisque s’ajoutent à ces dispositifs l’extension de la circonstance aggravante de bande organisée en cas de travail dissimulé ou de prêt illicite de main-d’oeuvre ainsi que la possibilité pour la justice, en cas de condamnation sur ces motifs, d’interdire de percevoir des aides publiques pour une durée qui peut aller jusqu’à cinq ans.
Enfin, une telle proposition de loi ne pouvait se prévaloir de prendre en compte tous les aspects de la question des travailleurs détachés, sans donner voie au chapitre aux organisations patronales comme aux syndicats de salariés. Ces dernières bénéficieront désormais du droit clairement établi d’ester en justice en tant que partie civile en cas de travail illégal. Certaines entreprises se manifestent déjà dans certaines régions de France. Ainsi, mes chers collègues, ce texte, s’il permet de renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre, est aussi l’occasion de démontrer que l’Europe peut être source de progrès et de liberté, mais aussi de protection.
Le groupe UDI votera en faveur de cette proposition de loi, en rappelant toutefois qu’au-delà des mesures techniques et de bon sens, les dérives du principe de libre circulation ne pourront être jugulées que par un mouvement convergent en faveur d’une Europe sociale plus protectrice, plus homogène et, par voie de conséquence, plus prospère.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et SRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte national et européen particulièrement actif sur ce sujet ces derniers mois. Les parlementaires écologistes français et européen sont déterminés à lutter, avec le Gouvernement, contre le dumping social et le travail low cost, pour protéger les droits fondamentaux et les acquis sociaux, pour freiner les concurrences inéquitables entre salariés européens et pour bâtir une Europe sociale, comme Michel Piron vient de le dire. Notre engagement n’est pas de favoriser un protectionnisme national, ni de limiter les mobilités et la libre circulation des personnes, notre engagement vise un nivellement par le haut du droit des travailleurs européens, en matière de revenus et de protection sociale.
Parce que notre pays a su, dans son histoire, faire progresser plus que d’autres et plus vite que d’autres les droits sociaux fondamentaux, il doit aujourd’hui être un moteur pour que l’Europe se construise avec la volonté d’apporter de nouveaux droits à l’ensemble des citoyens européens et en protégeant ceux acquis de haute lutte. Nous anticipons, nous agissons et je veux saluer ici l’engagement du Gouvernement par l’intermédiaire du ministre du travail, Michel Sapin, mais surtout les parlementaires à l’initiative de cette loi qui précède une directive européenne tant attendue.
Nous avons voté une résolution en juillet dernier, qui faisait suite à deux rapports, celui fait au nom de la commission des affaires européennes en mai 2013 et celui fait au nom de la commission des affaires sociales en juin. Cette résolution européenne au sujet de « l’exécution de la directive sur le détachement de travailleurs » – notre résolution – est claire, explicite et déterminée. J’invite tous ceux qui nous regardaient depuis l’extérieur de cet hémicycle à en prendre connaissance pour bien comprendre le cap que nous nous sommes fixé ensemble et pour bien saisir le sens des lois qui en découleront. La résolution de notre assemblée est, de fait, la marque de notre volonté politique contre toute fatalité et contre le sentiment d’impuissance sur lequel se forgent malheureusement les populismes. Nous voulons que la puissance publique, nos institutions, la politique, la démocratie et les citoyens se mettent face à l’Europe ultralibérale et la contraignent désormais dans ses avancées.
Nous avons donc voté en faveur de l’instauration d’une agence européenne de contrôle du travail mobile en Europe ; de la création d’une carte du travailleur européen ; de la mise en place d’une liste noire d’entreprises et de prestataires de services indélicats ; de l’introduction d’un salaire minimum de référence. Cette résolution a conduit à l’ouverture d’un débat parlementaire dans cette assemblée en octobre puis à la présentation en conseil des ministres du plan de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif. Elle a également été, le 2 décembre dernier, le point d’appui de discussions au cours desquelles les écologistes avaient rappelé la nécessité d’une harmonisation sociale et fiscale en Europe.
Le 2 décembre, nous appelions ensemble notre ministre du travail, Michel Sapin, à faire preuve de fermeté lors du Conseil des ministres européens du travail du 9 décembre. L’enjeu était – et il demeure – de parvenir à une directive européenne d’application visant à mieux encadrer le statut de travailleur détaché. Les discussions autour de cette directive ont en effet du mal à aboutir. Déposée le 21 mars 2012, elle devrait être examinée en première lecture au Parlement européen le 15 avril prochain. Deux ans et cinq débats au Conseil européen plus tard, les désaccords portaient encore, en octobre dernier, sur les fameux articles 9 et 12. Chacun – ministres européens, syndicats ou entreprises – s’accorde sur la nécessité de parvenir à un accord global dans les meilleurs délais afin de lutter contre un grand nombre de cas de fraude et d’abus dans plusieurs États membres et d’assurer une meilleure protection des droits des travailleurs détachés ainsi qu’une plus grande transparence des règles nationales pour les prestataires de services.
Le 9 décembre, le Conseil est parvenu à dégager une orientation générale, permettant ainsi d’entamer les négociations avec le Parlement européen en vue d’arriver à un accord en première lecture. Les eurodéputés écologistes ont salué l’implication de la France, en la personne de notre ministre du travail, pour parvenir à un compromis sur les deux points qui faisaient encore débat : les mesures nationales de contrôle – l’article 9 – et la responsabilité solidaire dans les chaînes de sous-traitance – l’article 12. La suite dans les prochains jours !
En attendant, et parallèlement à la progression des négociations européennes, nous adaptons notre code du travail de façon pragmatique et pointilleuse. Tel est l’objet de cette loi qui vise aujourd’hui à instaurer plusieurs mesures préventives et répressives pour lutter plus efficacement contre le dumping social, la concurrence déloyale et les abus de sous-traitance. Avec cette loi, nous anticipons la directive d’application et nous appliquons à nous-mêmes notre résolution européenne de juillet dernier. Cette loi a valeur d’exemple. D’abord, nous établissons le principe de responsabilité conjointe et solidaire d’une même chaîne de sous-traitance, dans tous les secteurs d’activité. Nous voulons ainsi accroître la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre qui ont recours à des entreprises prestataires de services. Ensuite, nous voulons de meilleurs contrôles du respect des droits des salariés par les inspections du travail. Nous donnons aux inspections du travail un rôle central dans l’application de cette loi, sur lequel je vais revenir. Nous confortons également le rôle des syndicats de salariés en leur donnant de nouveaux moyens juridiques d’agir. Enfin, nous créons cette fameuse liste noire d’entreprises peu scrupuleuses, qui est un outil pour agir directement sur les entreprises et les prestataires indélicats. Dans le débat qui va suivre, et jusqu’au vote du texte la semaine prochaine, chacun appréciera et débattra le contenu des neuf articles de cette loi, que je ne détaille pas.
Au centre de cette loi, se trouvent les inspecteurs du travail. Sur ce même sujet, le 14 janvier dernier, le Parlement européen a en effet adopté une résolution appelant à des inspections du travail efficaces pour l’amélioration des conditions de travail en Europe et afin de lutter contre le dumping social. Les eurodéputés écologistes y avaient rappelé la nécessité de renforcer la coopération administrative des États européens en matière d’inspection du travail, par la création d’un corps européen d’inspecteurs du travail. Ces mêmes eurodéputés avaient par la suite fait écho en février aux inquiétudes des inspecteurs du travail français, tout comme les députés et sénateurs écologistes, dans le cadre du projet de loi sur la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale. Nous avons relayé ensemble les craintes exprimées face à une réorganisation qui remettrait en cause l’indépendance des inspecteurs du travail, condition nécessaire au bon exercice de leurs missions.
Nous devons les entendre aujourd’hui sur l’ambition française et européenne de créer un corps européen des inspecteurs du travail. Quelles sont leurs propositions et quelles sont nos propositions pour une meilleure coopération entre les inspecteurs du travail européens, absolument indispensable pour lutter contre le dumping social et le travail low cost ? Quels sont leurs besoins en formation, alors que les parlementaires européens les enjoignent d’améliorer leurs qualifications en la matière ? Beaucoup de rapports – cinq en France depuis six mois – à l’initiative de parlementaires français ou européens ont vu le jour pour insister sur le besoin d’harmonisation des normes sociales et fiscales en Europe, sur le temps de travail, sur la protection sociale et sur le revenu minimum. En l’absence de cette harmonisation, les salariés européens continueront d’être mis en concurrence, le nivellement continuera de se faire par le bas et les proxénètes de travailleurs low cost de prospérer sur le dos des salariés. Concrètement, nous devons avancer. Cela a déjà été dit, mais je le redis avec beaucoup de conviction : cette loi est un progrès dont nous nous félicitons. Mais nous devons également mettre en place les conditions d’un dialogue entre les acteurs chargés de sa mise en oeuvre.
Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je vous remercie pour ce travail et pour ce texte qui est un acte important et permettra à l’Europe de se construire de mieux en mieux.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord féliciter les députés Gilles Savary et Chantal Guittet qui ont su se saisir du problème du détachement des travailleurs. Dans le contexte actuel de l’emploi en France, il n’est plus acceptable de constater de tels abus. L’ampleur du phénomène met également en difficulté le système de protection sociale français. Le chômage s’accroît, les travailleurs détachés ne bénéficient bien évidemment d’aucune protection ni sociale, ni du droit du travail. Ces travailleurs détachés en France ne contribuent pas au financement de nos caisses d’assurances sociales. Je remercie aussi M. le ministre, Michel Sapin, pour sa détermination à porter le problème auprès de nos partenaires européens. Grâce à une position ferme défendue par la France, les ministres du travail de l’Union européenne ont trouvé début décembre 2013 à Bruxelles un accord ambitieux pour renforcer les contrôles et le respect des règles de détachement, afin de lutter plus efficacement contre le dumping.
Il sera désormais possible d’établir une chaîne de responsabilités pour lutter plus efficacement contre les montages frauduleux. Un travailleur détaché est un travailleur affecté provisoirement par son employeur pour une mission dans un autre État membre. Cependant, le droit européen n’oblige pas les États membres à fixer un salaire minimum, il n’impose pas aux entreprises d’exercer une activité substantielle au sein de leur pays d’origine ni ne fixe de limite de temps aux situations de détachement : d’où le phénomène des entreprises « boîtes aux lettres » dans les pays où le droit social est a minima. La directive de 1996 prévoit que le droit du travail applicable au travailleur détaché est celui du pays d’accueil, mais l’affiliation au système de sécurité sociale reste celui du pays d’origine.
Dans notre pays, l’exploitation abusive de la réglementation a produit deux fléaux socio-économiques, la désindustrialisation et l’accentuation du chômage. L’emploi des travailleurs détachés est devenu un mode de recrutement dans le secteur agricole et agroalimentaire, que je connais très bien en tant qu’élue de Guingamp. Il s’agit de métiers difficiles. Le recrutement s’est organisé autour de sociétés d’intérim spécialisées qui sont implantées dans les pays de l’est de l’Europe et fournissent des travailleurs à des tarifs défiant toute concurrence, de la main-d’oeuvre low cost et corvéable à merci.
Une telle offre proposée par des sociétés d’intérim est la bienvenue pour les entreprises confrontées sur les marchés internationaux à des problèmes de compétitivité et constitue un bon moyen, si l’on peut dire, de s’y maintenir en réduisant leurs coûts de production, tout en se plaignant de ne pas avoir le choix compte tenu de la concurrence. Le phénomène est important dans les secteurs de la volaille et des légumes et s’étend désormais largement à celui du bâtiment, sur la plupart des gros chantiers en particulier.
La proposition de loi Savary s’attaque à de tels abus. Elle vise à responsabiliser l’ensemble de la chaîne des employeurs de travailleurs détachés en proposant des mesures simples mais majeures. L’article 1er impose au donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage de vérifier le dépôt de la déclaration de détachement auprès des services de l’inspection du travail. L’article 2 intègre la solidarité financière du donneur d’ordre pour le paiement des salaires. Un amendement adopté en commission des affaires sociales impose au donneur d’ordre ou au maître d’ouvrage une responsabilité solidaire en matière d’application de l’article L. 1262-4 de notre code du travail qui en constitue les règles élémentaires.
L’article 4 autorise les agents de contrôle à vérifier sans délai les déclarations préalables de détachement. L’article 6 prévoit un signalement sur internet des entreprises condamnées à plus de 15 000 euros d’amende pour travail dissimulé. Ce montant correspond à l’amende maximale pour emploi irrégulier d’étrangers, il est donc cohérent avec le droit existant, et dissuasif. Il s’agit de mettre en place une liste noire d’entreprises et de prestataires de main-d’oeuvre condamnés pour travail illégal. Une telle publication pourra être ordonnée par le juge.
L’article 7 ouvre aux associations et syndicats professionnels ainsi qu’aux syndicats de salariés de la branche la possibilité d’ester en justice. Il s’agit d’une disposition essentielle, contrairement à ce qu’affirmait tout à l’heure M. Tian. En effet, la situation particulière des travailleurs détachés explique aisément qu’ils ne fassent pas valoir leurs droits devant les tribunaux français. L’article 8 oblige tout candidat à l’attribution d’un marché public à présenter une attestation d’assurance décennale, disposition particulièrement importante pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. La commission des affaires sociales a proposé d’exclure, pendant cinq ans, les entreprises condamnées pour travail illégal du bénéfice des aides publiques. La proposition de loi est un nouveau texte de progrès social très attendu par les salariés, les demandeurs d’emploi, mais aussi par les employeurs.
Ceux-ci prennent parfois des risques pour préserver leur propre entreprise face à la concurrence déloyale. Il s’agit d’un texte qui rétablit la confiance en une Europe qui préserve la libre circulation des biens et des personnes et la libre concurrence mais qui sait aussi renforcer la protection des travailleurs.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, chers collègues, je saluais à cette même tribune, le 2 décembre dernier, le plan national de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif. J’appelais le Gouvernement à tenir une position ferme lors des négociations européennes sur la révision de la directive européenne sur le détachement des travailleurs. C’est aujourd’hui chose faite. Je rends hommage à la détermination du Gouvernement, en particulier à Michel Sapin, ministre du travail, et à Thierry Repentin, ministre des affaires européennes, qui ont tenu bon malgré l’opposition féroce de certains pays et arraché un très bon compromis en nouant des alliances stratégiques avec plusieurs pays comme la Pologne ou la Roumanie, qui ont privilégié l’intérêt collectif et le progrès social.
La libre circulation des personnes constitue l’un des principes fondamentaux de l’Union européenne. La directive européenne de 1996 devait en assurer la jouissance aux travailleurs détachés en limitant le dumping social et en garantissant la protection de leurs droits, mais elle a été largement dévoyée et contournée. Les travailleurs ont souffert de son détournement, leurs droits minimums n’étant plus respectés. Les entreprises en ont souffert, car la concurrence déloyale a fait s’effondrer des pans entiers de nos économies nationales. Les États en ont souffert car les rentrées fiscales ont été diminuées. Il fallait agir, la France l’a fait. Notre pays est aujourd’hui à la pointe de la défense des travailleurs et de son économie, grâce à la présente proposition de loi du groupe socialiste, que j’ai cosignée. Je salue l’excellent travail du rapporteur Gilles Savary et de ses co-rapporteurs de la commission des affaires européennes, Chantal Guittet et Michel Piron.
La proposition de loi s’inscrit dans le droit fil de l’accord européen et permet de le rendre tangible en France. Elle vise à transposer les avancées obtenues au niveau européen et à renforcer la protection des travailleurs. Il ne s’agit pas ici de limiter la mobilité des travailleurs mais bien de les protéger lorsqu’ils sont détachés. La proposition de loi traduit concrètement les différents points sur lesquels la France a insisté lors des négociations européennes, en les renforçant. Tout d’abord, les États membres doivent être libres de leurs choix en matière de démarches administratives à imposer pour contrôler les entreprises qui détachent des travailleurs. Nous proposons donc d’ajouter les documents relatifs aux prestataires de services établis à l’étranger et intervenant en France à la liste de ceux que les agents de contrôle habilités à lutter contre le travail illégal peuvent se faire présenter.
La proposition de loi met en place une liste noire d’entreprises et de prestataires de main-d’oeuvre condamnées pour travail illégal. Une autre mesure pour laquelle la France a oeuvré, c’est la responsabilité conjointe et solidaire des donneurs d’ordre, qui sera désormais appliquée à l’ensemble des secteurs concernés par le détachement des travailleurs. En effet, afin d’éviter que les entreprises ne se déchargent de leurs responsabilités vis-à-vis de leurs employés, nous voulons renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre en instaurant une solidarité financière en cas de défaut de paiement des salaires ou de paiement de salaires inférieurs au salaire minimum légal. Les entreprises qui sous-traitent ou font appel à des agences de placement et d’intérim sont aussi responsables des conditions d’embauche des travailleurs qui accomplissent des tâches pour elles.
En outre, la proposition de loi reprend une proposition que j’ai souvent défendue consistant à renforcer les règles d’attribution des marchés publics. En effet, les rendre plus strictes permettra aux pouvoirs adjudicateurs de limiter la dilution des responsabilités des entreprises, qui pénalise, in fine, les travailleurs. La proposition de loi est pour le moins bienvenue après dix ans d’immobilisme des gouvernements conservateurs en Europe, qui ont érigé en principe le laisser-faire, comme l’a rappelé tout à l’heure M. Tian, qui semblait très nostalgique de cette époque. C’est à une telle inaction qu’est imputable la désaffection des citoyens à l’égard de l’Europe. Nous faisons aujourd’hui un pas supplémentaire vers la réorientation de l’Europe amorcée par le Président de la République. C’est une victoire pour l’Europe sociale ! La course à la dérégulation, chers collègues, n’est pas une fatalité !
Avec de la volonté politique, il est possible de faire avancer l’Europe qui protège et la coopération entre États, les avancées sur la directive relative au détachement des travailleurs et la proposition de loi que nous discutons en sont les preuves. En cette année européenne, chers collègues, c’est sur nos actes et nos projets que les citoyens nous jugeront. Oui, l’Europe a progressé depuis vingt mois ! Oui, la réorientation de l’Union est en marche ! Oui, les travailleurs sont aujourd’hui mieux protégés ! Je suis fier de me battre pour une Europe qui protège ses citoyens et ses travailleurs tout en oeuvrant pour faciliter leur mobilité !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement.
Je dirai quelques mots en réponse aux orateurs. Je salue la qualité des interventions, comme celle du travail accompli par les rapporteurs.
Au cours de son intervention, M. Carvalho a évoqué un texte « sympathique », selon ses propres termes, dont le seul objectif est de limiter les pratiques de dumping social. Dans sa bouche, c’est le meilleur compliment que nous pouvions espérer ! J’approuve le constat qu’il dresse. Dès lors qu’il fait remarquer que le texte a pour objectif de limiter les pratiques de dumping social, c’est qu’il en fait une lecture qui devrait l’amener à le soutenir.
Je remercie M. Braillard, qui a su rappeler ce à quoi s’attaque le texte, en particulier les conditions de travail proches de dérives mafieuses.
Chacun d’entre vous a remarqué la qualité de l’intervention de M. Ferrand. Vous avez su à la fois, monsieur le député, évoquer un texte dans lequel vous vous êtes beaucoup impliqué et surtout l’inscrire dans une certaine vision de l’Europe. En effet, on ne peut pas considérer le texte comme un texte seulement répressif. C’est aussi un texte positif, inspiré par la croyance en la construction d’une Europe sociale. J’ai apprécié votre évocation d’une sorte de pacte de responsabilité au niveau européen.
Vous avez indiqué, monsieur Tian, être favorable au texte et avez émis un certain nombre d’observations. J’en commenterai une. Vous vous dites choqué par le principe même des fichiers. Si vous aviez pris une telle initiative, dites-vous, nous y aurions été très opposés. Il y aurait là, d’une certaine façon, un péché originel, une marque de fabrique de ce gouvernement. L’idée même d’un fichier pourrait être, selon vous, sources de préjudices. Il me semble que ces propos relèvent d’une grande confusion. Nous ne sommes pas favorables aux fichiers. En abordant cette question, vous devriez avoir à l’esprit ce que nous avons fait. Une entreprise qui échoue ne doit pas figurer sur un fichier. Et c’est ce gouvernement, soutenu par cette majorité, qui a pris, le 2 septembre 2013, un décret très attendu en vertu duquel les chefs d’entreprise qui ont fait faillite ne sont plus fichés à la Banque de France. C’est bien nous qui avons supprimé ce fichier !
Les choses sont claires, nous sommes opposés à tout fichier pour celui qui échoue et doit bénéficier d’une seconde chance. Mais pour celui qui triche, c’est autre chose ! Il y a là deux approches dont je tenais à vous dire combien elles diffèrent.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Vous avez su faire montre, monsieur Piron, au cours de votre intervention, de votre investissement, en tenant des propos que le Gouvernement et moi-même ne pouvons qu’approuver. Vous avez réaffirmé votre engagement pour une Europe qui ne soit pas simplement un grand marché mais aussi une source de progrès. Beaucoup d’autres orateurs l’ont dit, mais il me semble nécessaire, par les temps qui courent, que ces mots soient régulièrement prononcés à ce sujet.
Vous avez évoqué, monsieur Cavard, le débat mené au Parlement européen et rappelé à raison la position des eurodéputés écologistes.
Vous avez aussi émis une crainte sur la réorganisation de l’inspection du travail. Le débat relève d’un autre texte et nous ne sommes pas forcément, voire pas du tout d’accord sur la question. Face à des organisations mafieuses sophistiquées, celles-là mêmes que tous ici dénoncent, il n’est pas interdit à l’administration et au bras répressif de l’État de se moderniser, pour agir de manière aussi sophistiquée, afin d’être en mesure de dénoncer les crimes et délits commis par ces réseaux.
C’est un débat qu’il faut mener, car le temps presse. Nous devons être en mesure, au moyen d’une autre organisation, de les démanteler. Je vous précise au surplus, car vous avez posé la question, qu’il existe déjà des systèmes de coopération au niveau européen.
Mme Le Houerou a rappelé la position ferme de la France dans la négociation et dit très précisément ce à quoi on s’attaque et dont les parlementaires, sur tous les bancs, peuvent témoigner. Vos propos sur l’agroalimentaire, madame la députée, désignent évidemment une réalité.
C’est la responsabilité du politique que d’agir pour modifier une réalité que nos concitoyens trouvent incompréhensible, sur le plan social comme sur le plan européen – même si l’on ne parle que de 1,6 % des salariés –, a fortiori en période de crise. Cette réalité appelait à réagir, et c’est tout à l’honneur du groupe socialiste et du Gouvernement que de l’avoir fait, notamment au cours de la négociation.
Comme l’a rappelé Philip Cordery, la bataille qui a été menée par le Gouvernement, en particulier par le ministre Michel Sapin, était loin d’être gagnée d’avance – ceux qui se contentent de faire des commentaires ne doivent pas l’oublier. La possibilité pour la France de constituer une majorité autour de sa position n’avait rien d’évident, et il a fallu faire preuve d’une grande détermination, notamment entre les deux réunions. Pour atteindre notre objectif, il nous a fallu trouver des partenaires, jusqu’au dernier moment – je pense en particulier à la Pologne et à la Roumanie. À cet égard, c’est probablement l’un des grands intérêts de cet accord que d’associer des pays dont sont originaires les salariés détachés, exploités dans les réseaux mafieux ou victimes d’abus dans notre pays : ces pays ont partagé avec la France l’idée qu’en faisant progresser le droit européen, ils allaient aussi défendre leurs salariés.
Quel meilleur message de ce que peut être l’Europe de demain qu’un accord associant à la fois les pays dont sont originaires les travailleurs détachés et ceux qui subissent les conséquences des pratiques dont noud parlons ici ? À M. Carvalho, qui nous dit être d’accord avec notre constat mais pas avec la solution que nous proposons, je veux dire qu’il n’y a que deux réponses possibles : celle consistant à déconstruire l’Europe – réponse qu’il n’a pas prônée, mais qui est préconisée par ceux qui ne sont pas venus ce soir –, et celle du Gouvernement, partagée sur de nombreux bancs de cette assemblée, consistant à construire une Europe sociale.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
La parole est à M. Guillaume Chevrollier, premier orateur inscrit sur l’article 1er.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte a pour but de lutter contre la concurrence déloyale et le dumping social, ces fléaux qui mettent à mal nos entreprises. Il veut donc devancer l’application du compromis intervenu entre les États membres de l’Union européenne le 9 décembre dernier et en étendre le champ. En effet, l’accord européen concerne le BTP, alors que le texte vise également d’autres secteurs, tels que le transport, l’agroalimentaire et l’industrie en général, des secteurs fortement utilisateurs de main-d’oeuvre détachée.
Cet article 1er, en instituant la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre, cherche à pallier les détournements qui sont faits de la directive de 1996. Cette directive sur le détachement des travailleurs prévoit en effet que le noyau dur des règles du pays d’accueil – notamment le salaire et les conditions de travail – s’applique, même si les cotisations sociales restent dues dans le pays d’origine. Malheureusement, elle fait l’objet de nombreuses fraudes et dérives, par exemple la pratique des intermédiaires en cascade ou l’émergence d’entreprises dont la seule activité est de détacher des travailleurs, sans parler des travailleurs non déclarés – aussi nombreux, semble-t-il, que les déclarés.
Il fallait donc agir, d’autant que le nombre de travailleurs détachés a augmenté de façon exponentielle ces dernières années. Le principe de responsabilité solidaire, qui permettra de poursuivre un donneur d’ordre pour les fraudes relevant de l’un des sous-traitants, est l’une des réponses à apporter. Il est cependant dommage que l’examen en commission ait abouti à l’adoption de contraintes inutiles et de mesures de répression disproportionnées. L’autre réponse que notre pays pourrait proposer consisterait en une baisse des charges de nos entreprises, afin de renforcer leur compétitivité. Le Gouvernement promet des avancées en ce sens depuis quelques semaines, après avoir oeuvré dans le sens inverse durant vingt mois. Après les paroles et les promesses, à quand les actes ?
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte est bienvenu parce qu’il vient clore une longue période durant laquelle les professionnels, les syndicats et les élus locaux ont sonné l’alarme. Au nom de la libre circulation, l’Europe a laissé se créer un monstre qui en était venu à tuer l’idée même d’Europe au sein des peuples. Le désastre économique de l’abattoir Gad, qui a frappé l’opinion publique, a été l’un des catalyseurs ayant fait comprendre à de nombreuses personnes qu’il fallait se décider à bouger.
Ce qui était en cause, c’était aussi la concurrence entre salariés européens. Le différentiel de cotisations entre deux États membres, c’est le delta qui incite à l’évasion sociale, mais c’est aussi l’un des facteurs ayant une incidence sur le coût de la côte de porc ! Avec mes collègues Chantal Guittet et Richard Ferrand, combien de fois avons-nous entendu, à la sortie des usines, les salariés français hurler contre des salariés roumains ou allemands ! C’était l’idée même de l’Europe qui était ainsi en train de se détruire, sous la forme d’un retour du choc des nationalités. Il n’était plus possible d’assister à ce phénomène sans réagir, il fallait une réponse politique forte !
Quelques premières réponses ont été émises, de la part de Martin Schulz, président du Parlement européen, mais aussi des députés Michel Piron, Gilles Savary, Chantal Guittet et Richard Ferrand, sous la forme de rapports nous invitant à prendre conscience de la gravité de la situation. Le Gouvernement a, lui aussi, pris position et entrepris un combat nécessaire, qui allait se solder par la victoire du 9 décembre dernier.
Le texte dont nous débattons ce soir vient anticiper les décisions de l’Union européenne, laquelle est soumise à des temps beaucoup plus longs que ceux régissant notre démocratie et nos concitoyens. Comment anticipe-t-il ? En mettant en place une liste noire, en permettant aux syndicats de se constituer partie civile, et en instaurant la solidarité financière avec les maîtres d’ouvrage, ainsi que le principe de la double déclaration, qui interdit que certains professionnels puissent continuer à frauder le fisc en continuant à prétendre qu’ils ne savaient pas.
Il était temps de prendre des décisions pour faire cesser ce qui n’était plus acceptable. Pour cela, nous félicitons les rapporteurs de cette proposition qui, si elle vient un peu tard pour les salariés qui ont vu leur usine fermer du fait de la non-application de la directive, a le mérite d’exister enfin. Le texte qui nous est soumis va au moins pouvoir stopper les abus futurs, ce qui constitue une avancée importante pour la France et ses salariés, mais aussi pour l’Union européenne.
Mes chers collègues, je me réjouis que mon groupe politique, à l’image du Gouvernement, qui a été à la pointe du combat pour mieux encadrer le détachement des travailleurs dans l’Union européenne, ait déposé sans attendre cette proposition de loi que j’ai cosignée aux côtés de notre rapporteur Gilles Savary et de Chantal Guittet, que je félicite pour leur travail. Cette proposition de loi symbolise l’investissement de notre majorité pour défendre l’emploi, en traduisant dès maintenant en droit français l’accord européen conclu le 9 décembre dernier.
L’article 1er de cette proposition va introduire un nouvel article dans le code du travail en créant une nouvelle déclaration à la charge du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage. Ceux-ci devront désormais déclarer, auprès de l’inspection du travail du lieu où s’effectue la prestation, le recours à une entreprise sous-traitante utilisant le détachement de travailleurs. Cette déclaration permettra de localiser les entreprises qui emploient des travailleurs détachés. Les inspecteurs du travail pourront ainsi croiser plus facilement les données pour mieux cibler leurs contrôles. Les modalités de la déclaration seront simples, avec un formulaire type pour ne pas alourdir les démarches, et son défaut sera sanctionné, comme le défaut de déclaration de détachement préalable. Enfin, le devoir de vigilance concerne aussi l’exécution du contrat, afin d’éviter le détournement de ces dispositions par un recours massif au détachement, non plus à la signature, mais pendant l’exécution du contrat.
Nous avons choisi d’exclure les contrats dont le montant est inférieur à 500 000 euros. Je m’interroge sur ce seuil, que je juge personnellement très élevé. Il s’agit d’une simple déclaration qui n’exige pas un contrôle sur pièces et sur place des services, et n’induit donc pas de charges supplémentaires pour l’inspection du travail. Le système de double déclaration, proposé par notre groupe en commission, bâtit un encadrement souple mais solide. Recourir à des travailleurs détachés restera possible, mais le cocontractant français devra davantage prendre ses responsabilités. Je suis fière que nous soyons parvenus à un point d’équilibre satisfaisant sur ce dossier urgent. C’est pourquoi je vous invite à soutenir cet article.
L’amendement no 44 , présenté par le Gouvernement, est destiné à renforcer l’effectivité de la mesure et à permettre davantage de souplesse dans sa mise en oeuvre. Il est proposé, d’une part, de remplacer l’obligation de déclaration à l’inspection du travail par une obligation d’information, et, d’autre part, de renvoyer à un décret le soin de fixer le montant minimal du contrat impliquant l’information, sans qu’il puisse être inférieur à 500 000 euros – ce montant est précisé dans l’amendement, même s’il est vrai qu’une telle précision relève du domaine réglementaire. Ce même décret fixera également les peines contraventionnelles qui sanctionneront le non-respect par les maîtres d’ouvrage ou les donneurs d’ordre de cette obligation.
Ainsi, cette nouvelle obligation d’information pourra être ciblée sur les contrats les plus importants, pour lesquels l’inspection du travail sera clairement et utilement alertée, tout en limitant la charge administrative pesant sur les maîtres d’ouvrage et les donneurs d’ordre. Enfin, la modification du sixième alinéa de l’article 1er vise naturellement à exclure les particuliers de cette nouvelle obligation d’information – comme c’était le cas dans le texte initial.
La parole est à M. Gilles Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales, pour donner l’avis de la commission sur cet amendement.
La commission est favorable à cet amendement. L’article 1er instaure, comme vous le savez, une forme de double déclaration. S’il a été fixé un seuil, c’est pour éviter l’engorgement des services de l’inspection du travail, qui reçoit déjà, en principe, une déclaration du sous-traitant du maître d’oeuvre. La double déclaration a plutôt valeur de signalement obligatoire de la part du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage. Le seuil initialement fixé à 500 000 euros sera fixé par voie réglementaire. J’espère qu’il pourra un jour être revu, par la même voie réglementaire.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 32 rectifié .
L’amendement no 32 rectifié vise à mettre en place une anticipation de la transposition de la directive d’application encore en cours de discussion – dans ses détails ultimes – à Bruxelles. Il s’agit de rendre obligatoire le fait pour les entreprises détachant des salariés en France de désigner un représentant identifié sur le territoire national, qui aura pour obligation de fournir toutes les pièces justificatives, au donneur d’ordre quand il le demandera, mais aussi au corps de contrôle.
Favorable.
L’amendement no 32 rectifié est adopté.
Nous avons évoqué tout à l’heure la question des transports routiers, qui a été rajoutée au texte initial par M. Savary. Dans les prestations de services, le cas du transport, et notamment du transport routier, doit être traité de manière spécifique, puisqu’il ne s’agit pas véritablement d’un détachement, même s’il y a dumping social. Il n’est pas envisageable ni réalisable de demander à toute entreprise établie hors de France et réalisant du transport international avec une partie du trajet sur le territoire français d’appliquer les règles du détachement et de faire une déclaration préalable de détachement pour des salariés qui ne resteraient sur le territoire français que sur une très courte période. Tel est l’objet de mon amendement no 14 .
J’ai entendu tout à l’heure M. Tian affirmer que les dispositions du texte relatives au transport routier constituaient des cavaliers législatifs. Je lui rappelle que notre proposition de loi a vocation à traiter, au-delà du détachement, de toutes les infractions ayant trait au dumping social et à la concurrence déloyale. Or, c’est bien de cela qu’il s’agit, et si vous en doutez, je tiens à votre disposition un contrat de travail de transport d’une entreprise belge qui a recours à un travailleur roumain domicilié en Slovaquie pour intervenir sur le marché français. Dans le cadre de leurs congrès, toutes les organisations de transports se plaignent depuis plusieurs années de telles pratiques. Nous sommes donc au pied du mur, et avons l’obligation d’agir.
Les choses sont assez claires, monsieur Tian. Le cabotage national – c’est-à-dire le transport de marchandises effectué strictement à l’intérieur du pays – n’est pas encore libéralisé. Par contre, le transport international de marchandises est libéralisé, et dans ce domaine la loi est très claire : il est permis de faire trois cabotages de retour en une semaine – rien dans tout cela ne se rapporte au détachement, je suis d’accord avec vous sur ce point. Mais dès le huitième jour, l’entreprise souhaitant faire intervenir, pour une durée d’un mois, des travailleurs détachés de l’un de ses établissements situés en dehors du pays, doit faire une déclaration de détachement, comme toute autre entreprise – comme le ferait, par exemple, une entreprise du BTP. Je suis donc évidemment défavorable à cet amendement.
Même avis. Défavorable.
L’amendement no 14 n’est pas adopté.
J’imagine que l’amendement no 15 est un amendement de repli, monsieur Tian ?
Même avis.
L’amendement no 15 n’est pas adopté.
L’article 1er, amendé, est adopté.
La parole est à M. Richard Ferrand, pour soutenir l’amendement no 39 rectifié .
Cet amendement vise à ce que le registre unique du personnel puisse comprendre les déclarations de détachement visées aux articles R. 1263-3 et R. 1263-4 du code du travail. Les informations figurant dans ce registre étant conservées pendant cinq ans, ses annexes permettraient d’apprécier le caractère éventuellement abusif du recours au détachement. Il nous semble que ce document, utilement mis à la disposition des inspecteurs du travail, permettrait une plus grande transparence des pratiques des entreprises et faciliterait une éventuelle intervention des représentants du personnel.
Cet amendement propose d’annexer la déclaration de détachement au registre unique du personnel. Les travailleurs détachés, bien que ne faisant pas partie du personnel, sont toutefois présents dans l’entreprise. Cela pourrait évidemment faciliter la tâche des services de l’inspection du travail en matière de lutte contre les fraudes au détachement.
Néanmoins, la mesure aura, en pratique, un intérêt limité, car les services de l’inspection ont déjà accès aux déclarations de détachement, et alourdira la charge des entreprises utilisatrices, qui devront s’assurer de la mise à jour permanente du registre unique du personnel.
Le Gouvernement s’en remet donc à la sagesse de l’Assemblée. En effet, si l’on ne peut qu’être d’accord sur le principe, les informations dont disposera l’inspection du travail lui fourniront déjà, me semble-t-il, tous les éléments nécessaires au contrôle.
Cet amendement est à mon avis très contestable. En effet, comme son nom l’indique, le registre unique du personnel recense les personnes faisant partie du personnel d’une entreprise. Or, par définition, les salariés détachés n’en font pas partie.
De surcroît, l’exposé sommaire comporte des mots malheureux : il indique en effet que cette mesure permettra de juger du caractère abusif ou non du détachement des personnes. Or ce n’est pas le problème. Une entreprise est libre de reprendre des personnes détachées : c’est un acte de gestion de l’entreprise. Il n’y a donc pas à juger du caractère abusif du détachement : l’entreprise le fait ou ne le fait pas.
La loi doit en revanche permettre de vérifier que les conditions d’emploi du personnel sont normales, en particulier qu’il existe bien un contrat de travail. Les obligations légales et sociales doivent être remplies, mais il n’y a pas, je le répète, à juger du caractère abusif ou non du détachement, car il s’agit d’un acte de gestion normale de l’entreprise.
À titre personnel, je trouve que l’explication donnée par le ministre est très satisfaisante. Je comprends parfaitement le sens de l’amendement de notre collègue, mais on a souvent affaire à des PME, qui doivent déjà procéder à l’état déclaratif. Imposer cette annexe au registre unique du personnel constitue un ajout inutile, qui sera de surcroît lourd à gérer et alimentera les accusations récurrentes contre la paperasserie, dont les PME ont parfois du mal à se sortir.
Le contrôle de la déclaration faite auprès de l’inspection du travail est nettement suffisant.
La parole est à Mme Chantal Guittet, rapporteure de la commission des affaires européennes.
Il me semble que c’est un excellent amendement, dans la mesure où vous avez défini un seuil très élevé pour la double déclaration, ce qui exclut toutes les PME, ainsi que leurs prestations. Or, ce sont souvent les PME qui se plaignent du développement de la fraude au détachement : s’il était adopté, cet amendement permettrait justement à l’inspection du travail de la détecter.
Vous dites que l’inspection du travail a déjà les moyens nécessaires au contrôle, mais on sait bien qu’une entreprise sur trois ne déclare pas. Si ne voulez pas de la double déclaration en dessous de 500 000 euros – seuil, à mes yeux, beaucoup trop élevé –, il faut, comme le dit notre collègue Richard Ferrand, que ces informations figurent dans le registre du personnel, afin que l’on puisse exercer un contrôle et que les syndicats puissent faire leur travail et défendre les travailleurs susceptibles de faire l’objet d’un abus de faiblesse.
Je ne sais pas si tout le monde a été attentif à ce qui s’est dit pendant la discussion générale, mais nous étudions un texte qui a véritablement pour but de pourchasser une forme de délinquance nuisible à l’économie et à l’emploi.
Il ne s’agit donc pas d’être laxiste. Je trouve d’ailleurs curieux que les collègues situés sur certains bancs, d’habitude si prompts à demander toujours plus de répression, toujours plus de dureté pour traiter la délinquance, soient soudain enclins au laxisme en présence de ce type de délinquance.
Ce que nous voulons, ce n’est pas plus de bureaucratie, mon cher collègue. J’ai eu la responsabilité du registre unique du personnel durant de longues années lorsque je dirigeais une PME : il n’est pas si compliqué d’y adjoindre – avec une agrafeuse, tout simplement – une annexe indiquant quels sont les personnels détachés.
Ne voyons donc pas de la bureaucratie là où il y a de la transparence, ni, dans la satisfaction à une obligation de vigilance, de la répression – chère, en général, à ceux qui, aujourd’hui, sont étrangement laxistes.
L’amendement no 39 rectifié est adopté.
C’est un amendement que, lors des travaux de la commission, nous avions baptisé par commodité « intragroupe ». Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie qu’en plusieurs lieux de notre pays, non loin des anciens postes frontières, sont disposées des vitrines, avec des représentants d’une entreprise d’un pays étranger qui, lorsqu’elle a conquis un marché sur lequel elle n’est pas véritablement implantée, fait rapidement traverser la frontière à un certain nombre de travailleurs pour pouvoir exécuter ce marché. Cela signifie, autrement dit, qu’il y a tricherie sur la réalité de l’établissement de l’entreprise, qui a pignon sur rue uniquement pour conquérir des marchés de circonstance.
C’est pourquoi nous avons déposé cet amendement, qui vise à ce qu’une entreprise établie hors de France ne puisse « se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 1262-1 du code du travail, pour un salarié affecté de façon temporaire dans un établissement de cette même entreprise situé sur le territoire national, si le poste de ce dernier a été occupé au cours des vingt-quatre derniers mois par lui-même ou un autre travailleur détaché de l’entreprise établie hors de France ou de l’une de ses filiales. »
L’objectif est d’éviter que l’on fasse des sauts de puce, ou que l’on joue à saute-mouton, pour ainsi singer la présence sur le territoire national d’une entreprise qui n’y est pas et, de la sorte, organiser le détournement caractérisé de la directive.
C’est un problème bien réel. Tout à l’heure, Mme Le Houerou a expliqué qu’on était en train d’évoluer vers un système qui recourait à l’emploi systématique des travailleurs détachés. Vous voyez bien que l’objet de cet amendement est de faire en sorte que l’on n’ait pas, en France, de coquilles vides, qui recourent au dumping social, soient moins chères que les autres et se remplissent à chaque marché obtenu, en recourant systématiquement aux travailleurs détachés, puis se vident une fois les salariés rentrés chez eux, l’entreprise continuant toutefois à exister et à répondre aux appels d’offres. C’est un vrai sujet, en particulier dans les régions frontalières avec des pays connaissant des difficultés. Je pourrai citer des exemples, mais je ne le ferai pas, car il ne faut pas, ici, stigmatiser qui que ce soit.
En tout état de cause, c’est un sujet qui mérite d’être traité et qui ne saurait être laissé pour compte. Je suis donc plutôt favorable, au nom de la commission, à cet amendement.
D’une part, chacun connaît les situations dont il est question ici. D’autre part, la difficulté tient au fait que la discussion ne porte plus sur le texte relatif à la lutte contre les conditions de détachement mais sur des dispositions de nature assez différente. Je pense – cela a été dit, y compris par l’auteur de l’amendement – que personne n’envisage de mettre fin au détachement intragroupe. Par ce procédé, qui désigne simplement une réalité quotidienne, une entreprise française détache des salariés de son groupe dans une filiale ou une autre unité située dans un pays étranger. C’est, je le répète, une réalité économique, largement partagée, qui mérite d’être préservée ; l’auteur de l’amendement ne propose d’ailleurs pas sa suppression.
Le problème, aujourd’hui, tient au fait que cette législation sur les salariés intragroupe est utilisée par certains, comme cela a été dit et décrit, pour commettre des abus. Prenons le cas que vous citez dans l’exposé sommaire de l’amendement : les différents éléments d’appréciation recueillis par les services permettent de mettre au jour l’existence d’une entreprise créée à l’étranger dans l’unique but de détacher des salariés au profit d’une entreprise établie en France.
Aujourd’hui, ces situations sont constitutives d’une fraude aux règles de détachement. Ce détournement étant déjà constitué, il ne sert à rien d’inventer une nouvelle qualification pénale ou de définir de nouvelles conditions pour que le délit soit constitué. Les sanctions sont d’ailleurs lourdes : je rappelle que cela peut aller jusqu’à la fermeture temporaire de l’établissement, ou se traduire par des sanctions pénales : trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.
Mais allons plus loin. Que s’est-il passé sur cette question du détachement ? Cela a peut-être été trop long, mais aujourd’hui on y arrive : une certaine situation a été dénoncée, l’Europe négocie et la France arrive à imposer l’élaboration d’une directive qui modifiera la directive de 1996. C’est la bonne façon de construire l’Europe sociale.
Le Gouvernement ne nie pas que ce problème du détachement intragroupe, que vous évoquez, peut poser des difficultés. Certes, comme je l’ai indiqué, lorsque les éléments constitutifs de l’infraction sont établis, il n’est pas besoin d’un nouveau texte. Toutefois, face aux pratiques mafieuses et à des organisations qui essaient de passer entre les gouttes de la législation, sur une question qui ne relève pas exactement de la directive « détachement » mais concerne les détachements intragroupe, nous préférons – je le dis clairement – qu’il y ait une réponse européenne, et c’est ce qui se passe aujourd’hui.
La France est aujourd’hui engagée dans un processus similaire à celui qui nous a enfin menés à la construction d’une Europe sociale, à partir une réponse européenne. En effet, vous le savez, un projet de directive sur le détachement intragroupe en provenance des pays tiers à l’Union européenne est en cours d’adoption, par le Conseil, la Commission et le Parlement : il comporte des exigences spécifiques, notamment en matière de rémunérations et de conditions de travail.
Si le Gouvernement est très attentif à cette question, il nous semble qu’en adoptant cet amendement, nous élargirions le champ du texte d’une manière pas forcément efficace, puisqu’il existe déjà des réponses, et pas forcément compatible avec la manière dont se construit le droit social européen.
Aussi, vous l’avez compris, le Gouvernement souhaite que cet amendement soit retiré ; à défaut, il émettrait un avis défavorable.
Monsieur le ministre, nous avons bien compris qu’il nous fallait bâtir beaucoup d’espérances quant à l’aboutissement du trilogue sur cette question de l’intragroupe. Nous avons bien compris que vous estimiez que l’amendement que nous proposons ne renforçait pas l’arsenal existant, tout en constatant avec nous, du reste, que si cet arsenal existe, il est manifestement inefficace, puisque les pratiques persistent. Aussi nous suggérez-vous de nous en remettre à un trilogue qui, lui, serait plus efficace, du moins dans ses conclusions.
Nous voulons en accepter l’augure ; nous retirons donc notre amendement. Mais je ne vous cache pas que le travail de conviction reste à faire dans sa totalité pour démontrer, non pas l’efficacité du dispositif actuel – on ne croit pas à celui-là, hélas –, mais celle du dispositif futur, issu du trilogue que vous nous promettez. Nous en prenons bonne note, et vous savez que nous serons vigilants.
L’amendement no 36 est retiré.
L’obligation de vigilance du maître d’ouvrage ou du donneur d’ordre vis-à-vis de son sous-traitant ne doit pas se limiter à la seule transmission de la déclaration de détachement : l’amendement no 34 vise à s’étendre au respect par le cocontractrant de l’ensemble des éléments du noyau dur de la législation du travail. Le défaut de vigilance serait puni par une sanction prévue par décret en Conseil d’État.
L’extension du devoir de vigilance à l’ensemble du « noyau dur » de la législation du travail est une demande extrêmement forte de notre groupe. La solidarité dans la responsabilité, nous l’avons dit en commission, ne doit pas se limiter aux seuls éléments salariaux : nous voulons que tous les éléments de ce qu’on appelle le noyau dur des obligations inscrites dans le code du travail soient facteurs de responsabilité. Dans la mesure où l’on ne peut évidemment pas condamner solidairement le donneur d’ordre et son sous-traitant à des sanctions pénales, il faut lier le devoir de vigilance pour faire en sorte que la défaillance des uns n’entraîne l’irresponsabilité des autres. Si l’un est défaillant, l’autre ne pourra pas se prévaloir de son ignorance pour échapper à la sanction. D’où la nécessité de créer une sanction au nom de la solidarité.
Sur l’amendement, l’avis de la commission est favorable. J’insiste sur le fait qu’il s’agit bien d’une obligation de vigilance : le donneur d’ordre n’est pas coresponsable pour chacune des vérifications qu’il a à effectuer concernant la conformité au droit du travail de son maître d’oeuvre, mais il doit s’en enquérir et veiller, à l’appui des corps d’inspection, à ce que des régularisations aient lieu si des infractions étaient repérées.
Le sous-amendement no 52 n’a pas pu être examiné par la commission ; j’émets à titre personnel un avis favorable.
J’appelle votre attention sur le fait qu’on est passé d’une obligation de vigilance sur le seul paiement des salaires, ce qui paraît tout à fait normal, à un principe beaucoup plus général qui amène le donner d’ordre à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise avec laquelle il a contracté. L’obligation de signalement me paraîtrait plus facile à mettre en oeuvre : de quels moyens dispose le donneur d’ordre pour s’assurer de l’application de la législation dans des matières telles que des libertés individuelles et collectives dans la relation de travail, les discriminations et égalité professionnelle entre les femmes et les homme, la protection de la maternité, les congés de maternité et de paternité et d’accueil de l’enfant, et les congés pour événements familiaux ? Comment faire pour savoir si l’entreprise avec laquelle vous avez contracté, et qui se situe en Pologne ou en Hongrie, respecte cet ensemble d’obligations ?
Avec cet amendement, vous allez rendre les choses beaucoup plus compliquées et de créer du contentieux. On est passé d’une obligation simple et claire – le paiement des salaires, ce qui est la moindre des choses – à une obligation extrêmement large qui suppose de s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, alors même que les moyens pour vérifier le respect de ces obligations sont inexistants. Cela me paraît totalement inopérant, dangereux sur le plan juridique et pas très européen.
La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires européennes.
Monsieur Tian, je crains que vous n’ayez pas très bien compris le sens de cet amendement.
Cela peut arriver à tout le monde de mal interpréter un amendement.
Nous demandons seulement que les entreprises sous-traitantes situées en France respectent les obligations du droit français. Nous n’exigeons pas du donneur d’ordre qu’il aille vérifier si, en Pologne, le congé de maternité et de paternité ou les normes de sécurité sont bien respectées ; nous lui demandons simplement de vérifier,…
…lorsque des salariés étrangers travaillent pour lui, si ces derniers sont hébergés dignement.
Au demeurant, il est beaucoup plus facile de vérifier si des salariés sont hébergés de façon digne que de s’assurer si leurs salaires sont effectivement versés, dans la mesure où le versement s’effectue sur un compte localisé dans le pays d’origine du travailleur. Le noyau dur est donc beaucoup plus facile à contrôler que le versement des salaires.
Ma collègue Chantal Guittet manifeste une vision optimiste des choses en supposant que M. Tian n’avait pas compris le sens de l’amendement… En réalité, celui-ci avait très bien compris et nous suggérait de mettre en place un code du travail low cost pour les travailleurs low cost : on ne contrôlerait que ce qui relève des salaires et des charges sociales, et pour tout le reste, c’est-à-dire ce qui constitue le corpus social de notre droit national, on exonérerait les entreprises de leurs obligations. Le raisonnement de M. Tian revient donc à ériger comme principe général de fonctionnement le non-respect du code du travail français, ce qui est tout de même un peu singulier.
Monsieur Tian, il doit y avoir un quiproquo : nous n’imposons pas au donneur d’ordre de vérifier si son maître d’oeuvre respecte l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l’exercice du droit de grève ou la législation sur la durée du travail ; nous lui demandons seulement, dès lors qu’un corps de contrôle signale qu’un de ces droits n’est pas respecté, d’enjoindre à son maître d’oeuvre de se mettre en conformité avec la législation. Et si celui-ci ne le fait pas, il doit en informer le corps de contrôle.
Contrairement à ce que vous avez dit, il ne s’agit pas de contrôler le respect de la législation par le maître d’oeuvre. Ainsi que je l’ai indiqué tout à l’heure, cette proposition de loi est proportionnée : le but n’est pas d’alourdir les procédures ni d’instituer une suspicion légitime à l’égard des donneurs d’ordre. Nous ne cherchons qu’à resserrer le filet en matière d’information et de régularisation autour de ceux qui se rendent coupables d’infraction.
La logique de notre raisonnement, je le redis, est des plus simples : comment peut-on ne pas accepter une proposition qui consiste à obliger le donneur d’ordre à demander à son maître d’oeuvre de régulariser une situation dont il aurait été informé, telle que le non-respect de l’égalité entre les hommes et les femmes ou le dérapage du temps de travail sur son chantier ?
C’est bien cela dont il s’agit, et il n’est pas question de demander au donneur d’ordre de contrôler. La question que vous avez posée est de ce point de vue utile, parce que nos débats sont suivis avec attention : il faut que les maîtres d’oeuvre et les donneurs d’ordre sachent qu’il ne s’agit pas pour eux d’effectuer un contrôle à la place des contrôleurs.
Le sous-amendement no 52 est adopté.
L’amendement no 34 , sous-amendé, est adopté.
La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement no 53 .
Compte tenu des situations dont vous avez parlé et des mécanismes de fraude – car c’est bien le terme qu’il faut utiliser – que vous avez décrits, chacun est bien conscient que la question des conditions d’hébergement des salariés détachés en France est souvent, pour de multiples raisons, une source d’abus. Les travailleurs se retrouvent dans une situation inadmissible sur les plans humain et sanitaire, car les conditions minimales ne sont même pas réunies. Ces situations sont parfois aussi une source de détournement, du fait du montant de loyer perçu ou des retenues qui peuvent être effectuées a posteriori ce loyer, mais cela renvoie à une autre question, car ce type d’infraction relève du champ pénal.
Le Gouvernement souhaite que la question des conditions d’hébergement de ces salariés soit traitée avec autant de sévérité et d’exigence que les autres modalités d’exécution du contrat de travail.
C’est pourquoi l’amendement no 53 précise que le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre, informé par écrit par un agent de contrôle du fait que des salariés de son co-contractant ou d’une entreprise sous-traitante sont soumis à des conditions d’hébergement collectif incompatibles avec la dignité humaine, mentionnées à l’article 225-14 du code pénal, lui enjoint par écrit de faire cesser cette situation. Mais surtout, si cette régularisation n’intervient pas, nous instaurons une responsabilité collective : le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre peut être tenu de prendre à sa charge l’hébergement collectif des salariés dans des conditions respectant les normes prises en application de l’article L. 4111-6 du code du travail.
Nous disposerons ainsi d’une arme qui peut se révéler extrêmement efficace et dissuasive. En outre, au vu de la nature des mécanismes de fraude contre lesquels nous voulons lutter et qui ont été décrits, cet amendement permet d’apporter sur la question de l’hébergement une réponse qui peut être ciblée et tout à fait efficace pour lutter contre les organisations mafieuses.
La commission n’a pas pu examiner cet amendement, mais le rapporteur y donne un avis très favorable. Le Gouvernement revient à adjoindre une deuxième responsabilité solidaire, à côté de celle prévue dans le texte initial, qui ne se limitait qu’aux salaires. Nous ne sommes pas dans le domaine de l’injonction gratuite, mais bel et bien dans celui de la responsabilité. Si un agent de contrôle informe le maître d’ouvrage du non-versement des salaires et que la situation n’est pas régularisée, le maître d’ouvrage se retrouve solidairement responsable du paiement des salaires ; l’amendement du Gouvernement introduit le même mécanisme s’agissant de l’hébergement. Il sera sans doute plus efficace encore, car ces difficultés ont souvent un caractère plus urgent, tant les conditions d’hébergement peuvent être désastreuses et indignes. Cet amendement est donc à mes yeux tout à fait bienvenu. J’espère que l’Assemblée suivra cet avis.
C’est effectivement un excellent amendement que nous propose le Gouvernement. Il ne s’agit pas simplement d’enjoindre : à défaut de régularisation, c’est-à-dire si la carence perdure, l’hébergement sera bel et bien pris en charge par l’une ou l’autre des parties prenantes du fait de la solidarité objective qui les lie.
Au cours des auditions, les inspecteurs du travail notamment ont eu l’occasion de témoigner sur les situations d’hébergement auxquelles ils étaient confrontés : les travailleurs sont parfois logés sur le lieu même du chantier dans des conditions épouvantables, et le donneur d’ordre soutenait qu’il ne savait pas. Désormais, si la situation n’est pas régularisée, il saura, à ses dépens, qu’il aurait dû savoir.
À l’instar de mon collègue M. Ferrand, je voudrais saluer la grande avancée que permet l’amendement présenté par le Gouvernement. Il apporte une réelle protection pour les salariés exploités. Il permettra de régulariser des situations auxquelles nous sommes tous confrontés, dans les différentes circonscriptions de France et de Navarre : je veux parler de ces travailleurs logés dans des campings, des caravanes ou des habitats insalubres, dans des conditions proprement scandaleuses.
C’est également un signe fort envoyé à certains employeurs indélicats en France qui, lorsqu’il y a des campagnes agricoles – je pense en particulier aux plantations d’échalotes –, n’hésitent pas à faire appel à des populations venues des pays de l’Est, qu’ils hébergent dans des conditions déplorables.
Enfin, c’est un signe important dans le débat européen à l’adresse des syndicats allemands. En effet, dans les abattoirs allemands, il y a le problème du salaire, mais aussi celui du logement insalubre et indigne. Dans la bataille que nous devons mener ensemble pour de nouveaux droits qui rendraient la concurrence entre les peuples plus loyale, le signal envoyé par la France et par le Gouvernement, notamment grâce à cet amendement, sera un point d’appui qui permettra aux syndicats allemands de faire avancer le droit social chez eux.
L’amendement no 53 est adopté.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 2.
La parole est à M. Jacques Cresta.
Dans mon département des Pyrénées-Orientales, dans le secteur du bâtiment, de nombreux chantiers sont attribués à des entreprises espagnoles. Naturellement, celles-ci ne sont pas plus performantes que les entreprises françaises, mais elles prennent parfois quelques libertés avec notre législation. En 2011, l’URSSAF et la MSA ont effectué des redressements pour cause de fraude aux cotisations sociales à hauteur de plus de 59 millions d’euros. Dans le secteur du bâtiment, le taux d’infraction lié au travail dissimulé avoisine les 14 %.
Dans ce contexte, la solidarité du donneur d’ordre ou du maître d’ouvrage pour le paiement des salaires est désormais impérative et nous devons nous féliciter de son élargissement. À cet égard, l’article 2 constitue une disposition essentielle qui permettra, à l’avenir, de lutter toujours plus efficacement contre l’exploitation des travailleurs ; elle permet de rappeler que, sur ce sujet, nous agissons dans deux directions : pour nos entreprises, certes, qui peinent à survivre en période de crise et se heurtent à une concurrence déloyale, mais également pour les travailleurs étrangers présents sur notre sol et qui sont parfois exploités sans que ceux qui profitent indirectement de cette force de travail subissent pleinement les conséquences de ce manquement à la loi. Il était donc impératif d’accroître la responsabilité de tous. Pour ces raisons, je me félicite de cet article 2.
Avec l’article 2, nous complétons le dispositif protecteur et responsabilisant qui a été mis en place, notamment à travers l’article 1er bis.
L’article 2 est au coeur du dispositif de responsabilité solidaire. Il constitue aussi un point d’appui pour tous ceux qui, en Europe, luttent contre la concurrence déloyale et pour une idée sociale de l’Europe, c’est-à-dire pour l’idéal européen lui-même.
La procédure proposée est équilibrée, pragmatique, précise et même méticuleuse ; elle conjugue compétitivité des entreprises et droit renforcé pour les salariés. J’en retiens trois éléments principaux.
Premièrement, la responsabilisation du maître d’ouvrage et du donneur d’ordre est accrue : sitôt que l’un ou l’autre est informé par l’inspecteur du travail ou, plus généralement, l’agent de contrôle, du non-paiement partiel ou total du salaire minimum conventionnel dû au salarié par un sous-traitant, direct ou indirect, on devra exiger par écrit que la situation soit régularisée. Si le sous-traitant ne répond pas, le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre doit en informer l’agent de contrôle.
Deuxièmement, c’est aussi une protection pour le maître d’ouvrage et pour le donneur d’ordre : ce n’est que s’ils ne respectent pas la procédure qu’ils seront tenus solidairement avec l’employeur du salarié au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues. Autrement dit, grâce à cette procédure qui a été introduite en commission par nos collègues, il sera demandé au maître d’ouvrage ou au donneur d’ordre – M. le rapporteur y faisait allusion tout à l’heure – d’être les plus vigilants possible, sans pour autant assumer des responsabilités pour des infractions qu’ils ne peuvent ni vérifier ni, a fortiori, régulariser.
Troisièmement, les conditions de travail des salariés concernés seront améliorées pour deux raisons. D’abord, parce que la sanction – ou la menace de sanction – constitue une pression supplémentaire pour une juste rémunération ; ensuite, parce qu’il nous est proposé de nous montrer offensifs au niveau du droit européen, en élargissant ce dispositif à l’ensemble des secteurs d’activité.
Bref, cet article apparaît comme un bon résumé de notre proposition de loi : responsabiliser et protéger, prévenir et bien agir. Pour les entreprises comme pour les salariés, c’est une garantie ; pour le législateur comme pour le monde du travail, c’est la possibilité de recourir au droit établi face au fait accompli.
Avec cet amendement, nous revenons sur le sujet dont nous débattons depuis tout à l’heure. J’ai bien senti que le Gouvernement et la commission négociaient, ce qui est d’ailleurs normal ; nous essayons d’aboutir à un texte simple et aussi facilement applicable que possible. Je suis d’ailleurs rassuré par la déclaration qu’a faite tout à l’heure M. Savary : si le noyau dur doit être respecté, il n’est pas question d’aller en Pologne pour vérifier les déclarations ou encore pour s’assurer que l’égalité entre hommes et femmes est respectée au siège de l’entreprise sous-traitante.
En revanche, on demande à l’entreprise française d’enjoindre à l’auteur de l’infraction de la faire cesser et de s’assurer que l’inspection du travail a été saisie. De fait, c’est bien ainsi que les choses doivent fonctionner.
Cela dit, j’ai tendance à penser – mais vous allez certainement me rassurer – que le texte initial, qui prévoyait une coresponsabilité s’agissant du seul versement des salaires, était tout à fait compatible avec le droit européen. Ce qui m’inquiète un peu, désormais, c’est le risque de nous voir entendre dire par l’Europe que l’ensemble des obligations que nous créons – par exemple pour l’exercice du droit de grève – sont liées au fait que nous sommes dans ces domaines particulièrement en avance sur les autres pays. Ne risque-t-on pas, finalement, à force de vouloir en faire trop, d’aller à l’encontre de l’objectif poursuivi ?
Si vous me rassurez, je retirerai cet amendement. Pour le moment, il me semble que la responsabilité solidaire du maître d’ouvrage réside surtout dans le devoir d’information s’agissant du paiement des salaires. Je serais néanmoins très heureux Si vous pouviez me rassurer, j’en serais très heureux.
Cet amendement est en effet de nature à rassurer notre collègue M. Tian : il vise à rappeler que la solidarité de droit créée par l’obligation de vigilance se limite au non-paiement partiel ou total du salaire minimum, légal ou conventionnel, dû à un salarié. Nous avons décidé d’exclure du texte le noyau dur, c’est-à-dire les dispositions visées à l’article L. 1262-4. Dans ce cas, il s’agit d’une injonction, tout en sachant que l’on crée une sanction pour celui qui négligerait d’enjoindre et de prévenir. Autrement dit, nous proposons un nouvel ordonnancement des choses : d’un côté, une solidarité objective sur les salaires et sur l’hébergement ; de l’autre, le devoir d’injonction ou de stimulation – on peut l’appeler comme on veut – sur les autres aspects de notre code du travail.
Favorable ; et comme ils sont identiques, je déconseille à M. Tian de retirer le sien.
Sourires.
Je voudrais par ailleurs le rassurer : quelles que soient les différences existant entre les États membres s’agissant du droit de grève, de la durée de travail ou encore du salaire minimum, la directive prévoit bien que les conditions de travail qui s’appliquent au travailleur détaché sont celles du pays d’accueil. Nous avons donc le droit de les faire appliquer. En revanche, en ce qui concerne la sécurité sociale, ce sont les dispositions en vigueur dans le pays d’origine qui s’appliquent.
M. Ferrand a parfaitement expliqué la situation ; les termes du débat sont désormais tout à fait clairs. Le Gouvernement est favorable à ces amendements.
L’article 2, amendé, est adopté.
Cet amendement vise à rendre obligatoire la carte d’identification professionnelle, délivrée par les caisses de congés payés du BTP pour les salariés d’entreprises établies en France et hors de France, sur la base de la déclaration de détachement. Mise en place depuis près d’une dizaine d’années, cette carte est déjà utilisée par les entreprises vertueuses. La rendre obligatoire permettrait aux autorités de contrôle de disposer d’un outil efficace et sécurisé, afin de procéder à la vérification de la situation des salariés.
Permettez-moi, monsieur Tian, de relever une contradiction dans vos propos : quand il s’agit d’inscrire les entreprises sur une liste noire, il faudrait que la CNIL se prononce, mais dès qu’il s’agit des salariés, vous proposez de les tracer…
Cet amendement nous a en fait été proposé par les caisses de congés payés du BTP. Cela dit, il faut que vous sachiez que, si le secteur du bâtiment y est très favorable, celui des travaux publics y est tout à fait opposé. Les choses ne sont pas très claires en la matière entre ces deux professions. En outre, il est clair que, même si le droit à congés existe sur le papier, il est très difficile de le rendre effectif pour des travailleurs détachés qui viennent en mission pour quelques jours seulement.
En tout état de cause, nous ne nous sentons pas prêts à adopter un amendement qui ne nous paraît pas assez solide juridiquement. Après avoir bien pesé le pour et le contre – car, au début, nous étions plutôt ouverts à cette proposition –, nous avons donc émis un avis défavorable.
Même avis.
Je me permets d’insister : puisque M. Savary était à l’origine plutôt favorable à cette proposition, cela vaut peut-être le coup de retenter ma chance…
Je vous rappelle tout d’abord, monsieur le rapporteur, qu’il s’agit là d’une revendication déjà ancienne de la caisse du bâtiment. De plus, cela fait plus de dix ans que cette disposition a été mise en oeuvre par de très nombreuses entreprises. En outre, vous avez eu une phrase malheureuse : selon vous, l’une des professions serait pour, tandis que l’autre serait contre. Devinez laquelle triche le plus et vous aurez compris pourquoi certains sont pour et d’autres contre. Les vertueux appliquent cette mesure depuis longtemps, quand les autres s’y refusent.
S’il y a un sujet qui peut, aujourd’hui, faire l’objet d’un consensus dans cet hémicycle, c’est bien celui-là. Ce serait une véritable avancée. Chacun sait que, malheureusement, certaines pratiques – d’ailleurs dénoncées régulièrement dans les émissions de télévision et dans les journaux – perdurent dans le bâtiment. Vous avez là un moyen facile de renforcer ce secteur, et cela à la demande des professionnels eux-mêmes.
La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires européennes.
Il est vrai que la caisse des congés payés du bâtiment a été créée il y a longtemps et qu’elle est adaptée aux salariés français qui passent de chantier en chantier. C’est là une simplification – je suis d’accord avec vous – qui existe d’ailleurs également pour les gens du spectacle.
Mais il faut savoir que ceux-ci bénéficient de leurs congés payés seulement au bout d’un an. En ce qui me concerne, j’ai des doutes quant au fait que la caisse des congés payés du bâtiment envoie vraiment un chèque dans son pays d’origine – par exemple la Pologne ou la Roumanie – à quelqu’un qui est venu en France pour une semaine ou deux, puis est reparti chez lui. Il vaudrait mieux que les congés payés lui soient payés directement avec son salaire au moment où il part, plutôt que de le faire attendre un an. Sinon, j’ai tout lieu de croire que les sommes qui lui sont dues vont rester dans la caisse des congés payés.
Vous avez raison, madame Guittet, mais une carte d’identification professionnelle permet tout simplement de vérifier qui travaille sur un chantier. Vous savez très bien que, quand les agents de l’URSSAF visitent un chantier, ils ont énormément de mal à connaître l’identité de telle ou telle personne. Si chacun porte un badge, cela devient extrêmement simple. Au-delà du versement des congés payés, la carte d’identité professionnelle est un moyen d’identification.
Monsieur Tian, je vous laisse la responsabilité de désigner comme tricheurs les travaux publics plutôt que le bâtiment. Pour ma part, je n’entrerai pas dans ce jeu. Je note seulement que les travaux publics ne se reconnaissent pas dans la caisse des congés payés du BTP. Celle-ci nous a d’ailleurs fait savoir qu’elle était surtout intéressée par la possibilité de tracer les travailleurs détachés,…
…ce que nous essayons de faire en les inscrivant au registre unique de l’entreprise.
Quoi qu’il en soit, les caisses ne peuvent pas verser les congés payés à ces salariés dispersés dans l’ensemble de l’Europe. Cela pose d’ailleurs des problèmes juridiques considérables, avec des risques de recours. Je vous assure que, sur le plan juridique, les choses ne sont pas suffisamment claires pour que nous puissions accepter cet amendement. Il vaut mieux mener le combat sur la carte de travailleur européen, ce que nous avons d’ailleurs proposé.
L’amendement no 4 n’est pas adopté.
Les articles 3 et 4 sont successivement adoptés.
Je suis saisi d’un amendement de suppression, no 45, présenté par le Gouvernement.
La parole est à M. le ministre délégué.
L’article 5 précise les sanctions encourues par le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre, privé ou public, poursuivant l’exécution d’un contrat avec une entreprise dont la situation irrégulière au regard de ses obligations sociales lui a été signalée.
Le recours intentionnel par un donneur d’ordre à du travail illégal est déjà prévu par le code du travail. Cet article n’ajoute rien au dispositif existant, puisque la situation visée par l’article 5 est déjà répréhensible sur le plan pénal. Cet amendement permet d’éviter une redondance.
Nous avons eu ce débat en commission à la demande du groupe UMP. Nous avions raison de penser que cet article était inutile. Je vous remercie, monsieur le ministre, d’en tenir compte et de rétablir le bon sens.
Je suis saisi d’un amendement no 8 , tendant à supprimer l’article 6.
La parole est à M. Dominique Tian pour le soutenir.
L’article 6 prévoit la possibilité pour la juridiction d’ordonner à titre de peine complémentaire, la publication sur internet pendant un an du nom d’une entreprise ou d’une personne physique condamnée à une amende d’au moins 45 000 euros pour travail illégal. Il semblerait d’ailleurs qu’un amendement ultérieur prévoie d’abaisser ce montant.
Sans remettre en cause l’objectif de lutte contre le travail illégal, cet article pose la question de la compatibilité de cette sanction complémentaire avec le droit de continuer à exercer son activité lorsqu’une interdiction de ce type n’a pas été prononcée par le juge.
L’inscription sur une « liste noire » équivaut à une interdiction d’exercer puisque les entreprises sanctionnées seront, de fait, exclues des marchés. Cela constituera un signal très fort aux entreprises tentées de contracter avec celles qui seront désignées officiellement comme des voleurs potentiels.
Avis défavorable. L’inscription sur la liste noire est une peine complémentaire, qui sera mise en oeuvre à la diligence du juge. Elle n’empêche pas les entreprises de travailler : elle signale seulement que l’on a affaire à un maître d’oeuvre est à risques. Cette peine est conçue pour exacerber la vigilance du maître d’ouvrage.
Cela dit, vous manquez d’ambition, monsieur Tian. Certaines entreprises, parfois très grosses et de premier plan se livrent à des abus. Elles pourraient être amenées à régulariser leur situation par peur de figurer sur la liste noire. En tout état de cause, si elles y figuraient, elles obtiendraient quand même des marchés car elles sont très importantes et difficilement substituables.
Avis défavorable.
Nous sommes totalement opposés à cet amendement. L’honorabilité est un élément très important dans la présentation qu’une entreprise fait d’elle-même. Le fait de rendre publique une condamnation définitive pendant une durée donnée est une manière d’inviter à un surcroît de vigilance l’entreprise qui serait tentée de lui confier un nouveau marché.
Une fois encore, votre laxisme surprend, monsieur Tian. Ainsi, il serait normal de gommer de la mémoire publique, de la mémoire des affaires et de la mémoire des marchés l’attitude délinquante d’entreprises qui se seraient mises en violation de toutes les règles dans le seul but d’optimiser leurs profits et organiser la concurrence déloyale !
N’oubliez jamais que lorsque cette directive est violée, c’est à la fois les travailleurs que l’on exploite et les entrepreneurs honnêtes que l’on trompe. Soyez donc solidaire des entrepreneurs honnêtes et ne craignez pas que soient stigmatisés durablement ceux qui trichent.
Si vous lisez l’exposé sommaire de mon amendement, vous constaterez que je demande simplement au juge d’en décider. Une amende d’un montant de 45 000 euros, c’est à la fois beaucoup et peu et une telle somme est vite atteinte en droit du travail. Il appartient au juge d’estimer si une mise en garde est nécessaire ou de tenir compte, le cas échéant, du fait que le gérant va changer, que l’entreprise est en vente ou en voie de réorganisation. Cela est préférable à cette barrière très forte que constitue le seuil de 45 000 euros.
La conséquence d’une telle disposition, c’est que le juge prononcera une amende de 44 000 euros pour éviter l’inscription sur la liste noire ou, au contraire, ne prononcera plus des peines qui auraient été autrement bien inférieures. Un tel seuil sera, par définition, détourné. Il est préférable et bien plus objectif de laisser le juge décider de cette double peine, puisqu’il s’agit en l’occurrence de payer une amende supérieure à 45 000 euros et d’être inscrit ensuite sur une liste noire.
L’amendement no 8 n’est pas adopté.
Il s’agit de préciser dans le code du travail, et pour chacune des infractions constitutives du travail illégal, la nouvelle peine complémentaire dite d’inscription sur la liste noirre créée par l’article 6.
Cet amendement prévoit également que les mesures d’application, dont la mise en place du site internet dédié, sont renvoyées à un décret en Conseil d’État, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, ainsi que nombre d’entre vous l’ont souhaité.
Enfin, il porte la durée d’inscription sur la liste noire à deux ans.
Toujours dans la même logique, il s’agit de donner aux entreprises le moyen de s’en sortir. Elles sont souvent positionnées sur des marchés très concurrentiels et ne sont pas en bonne santé. Je ne pense pas que les géants du bâtiment se livrent à de telles pratiques – du moins je l’espère.
Un seuil fixé à 15 000 euros serait vraiment très bas. Quant à inscrire une entreprise sur la liste noire pendant deux ans, c’est signer son arrêt de mort.
Monsieur le ministre, vous vous êtes opposés à la mise en place d’un fichier national des « interdits de gérer », qui concernerait non pas ceux qui sont responsables de faillites, mais ceux qui ont failli de façon intentionnelle afin de pouvoir abuser les autres. Un tel fichier éviterait que quelqu’un aille jusqu’à créer 300 ou 400 entreprises à seule fin d’escroquerie – certaines affaires, vous le savez parfaitement, peuvent impliquer 12 000 personnes par le biais de plusieurs centaines de sociétés. La pratique est courante en France et tend même à se développer, tout simplement parce que vous refusez le fichier national des « interdits de gérer ».
S’agissant des entreprises de détachement, et il faut être cohérent avec l’ensemble des directives européennes, je crains que l’on soit trop sévère avec certaines d’entre elles. Ou bien elles sont dirigées par des margoulins, qui en créeront de nouvelles et échapperont à leurs obligations ou bien il s’agit d’un accident malheureux, de difficultés telles qu’elles peuvent exister sur les marchés concurrentiels, et alors, il ne s’agit pas de tuer l’entreprise !
Considérons que des travailleurs sont en jeu, et qu’ils seront malheureusement licenciés dès lors que l’entreprise, inscrite sur la liste noire, ne sera plus susceptible d’obtenir aucun marché public ou de contracter avec une autre entreprise.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement du Gouvernement et les sous-amendements de M. Tian ?
Les sous-amendements n’ont pas été examinés par la commission. À titre personnel, j’émets un avis défavorable. Je suis en revanche favorable à l’amendement du Gouvernement. Je souligne, monsieur Tian, que vous avez été entendu par le Gouvernement, qui a introduit le contrôle de la CNIL sur cette liste noire.
Défavorable. Les 45 000 euros d’amende correspondent à la peine maximale prévue par le texte pour les personnes physiques. Comme il est fort rare que les tribunaux prononcent des peines maximales, autant dire que cela ne s’appliquera à personne. Ou alors, vous pourriez avoir un effet inverse : les tribunaux, conscients des conséquences, sanctionneraient encore plus sévèrement les entreprises, et le résultat ne serait pas celui que vous attendiez ! Aussi, pour vous éviter ces errements, je propose de rejeter ces sous-amendements.
La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires européennes.
Il est vrai qu’aucune personne morale ou physique n’a jamais été condamnée à une amende de 45 000 euros et il est vraisemblable que peu d’amendes de 15 000 euros seront prononcées. Pour ma part, j’avais proposé _ mais mon amendement va vraisemblablement tomber – de supprimer tout seuil et de laisser l’inscription sur la liste noire à la seule appréciation du juge.
La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement no 40 rectifié .
Il s’agit d’ouvrir la possibilité pour les organisations syndicales d’ester en justice et de faire ainsi valoir le droit des travailleurs détachés.
Je voudrais préciser à M. Tian qu’il existe deux types de recours possibles : devant les prud’hommes, il s’agit de défendre le salarié, et seulement s’il y consent ; au pénal, les syndicats défendent l’ordre social et les organisations professionnelles l’intérêt de la branche. Ainsi, ce sont les intérêts généraux qui autorisent à engager une instance pénale.
Avis favorable.
L’amendement no 40 rectifié est adopté.
Cet amendement renforce l’efficacité de l’action des préfets en matière de fermeture administrative immédiate d’un établissement convaincu de fraude massive, impliquant une proportion significative de travailleurs détachés ou de travailleurs illégaux. Cette fermeture temporaire serait limitée à trois mois : elle pourra s’accompagner d’une amende dont le non-paiement entraînera une sanction supplémentaire. Plus généralement, ce texte vise à alourdir les amendes administratives de façon à gagner en dissuasion et en rapidité.
L’amendement no 33 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’article 7 tend à concilier les intérêts des salariés, en particulier les plus vulnérables, exposés à la concurrence déloyale et à ses dégâts, avec ceux des chefs d’entreprise respectueux des règles qui nous pressent d’agir et de réagir dans nos territoires. Comment ? En accordant à un tiers, à la profession dans son ensemble, la possibilité d’ester en justice, même si l’action publique n’a pas été mise en mouvement par le ministère public ou la partie lésée.
L’article 7 instaure donc une double protection. Il protège tout d’abord les salariés, notamment les travailleurs détachés. Qu’ils soient témoins ou victimes des infractions énumérées dans notre texte, ceux-ci se retrouvent souvent dans une telle situation de vulnérabilité, de fragilité, de précarité ou d’isolement qu’ils ne peuvent engager de procédure judiciaire. Si la récente condamnation en première instance d’une compagnie aérienne fameuse pour travail dissimulé a été permise grâce à la prise de risques par certains salariés, ce type de cas est très rare en pratique. La vulnérabilité et l’isolement des salariés, le manque d’information qu’ils ont de leurs droits, représentent autant de freins à leur action en justice. L’extériorité, l’indépendance d’un tiers, comme un syndicat de salariés, mais pas seulement, peuvent y remédier.
L’article 7 protège également les chefs d’entreprise qui respectent les règles car la violation des dispositions du code du travail constitue, comme cela a été fort bien dit ce soir, une distorsion de la concurrence qui peut fragiliser de nombreux pans de notre économie, de larges secteurs d’activité. Par le fait qu’ils travaillent au plus près des réalités d’un marché local – ainsi le marché du bâtiment dans une ville ou un département –, les professionnels des secteurs concernés sont les premières vigies du respect des règles communes.
Autre point important, cette disposition présente une dernière qualité de nature préventive. La perspective accrue d’une saisie du juge incitera les professionnels à observer un comportement vertueux.
Contrairement à ce qu’affirment certaines formations politiques, ce n’est pas dans le renfermement national que nous protégerons nos salariés et nos entreprises : c’est la protection du monde du travail européen qui protégera les salariés et les entreprises de l’ensemble des États membres qui composent l’Union européenne. Ce point est également très important.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement de suppression no 9.
L’article 7 vise à introduire dans le code de procédure pénale la possibilité pour les syndicats professionnels d’agir en justice. Or, l’article L. 2132-3 du code du travail prévoit d’ores et déjà que les syndicats professionnels peuvent agir en justice devant toutes les juridictions y compris pénales. Il n’y a pas lieu d’inscrire dans deux codes différents une mesure identique.
De surcroît, cet article introduit une action de groupe basée sur l’opt-out. procédure est contraire au principe de la liberté individuelle d’agir ou de ne pas agir en justice. En effet, par cet article, le syndicat professionnel peut agir sans l’avis du salarié lésé. Or, dans le droit commun, en matière de discriminations, l’organisation syndicale n’a certes pas à justifier d’un mandat du salarié pour agir en justice mais doit l’avertir pour qu’il puisse s’y opposer.
Pour toutes ces raisons, il convient de supprimer l’article 7.
C’est un vrai débat, monsieur Tian, qui nous rajeunit de surcroît : cela fait déjà quelques décennies que nous soutenons ici des positions très différentes sur ce tout ce qui touche au droit des organisations syndicales… Je considère pour ma part que les dispositions relatives au rôle des organisations syndicales prévues dans ce texte sont extrêmement importantes. L’idée selon laquelle les victimes devraient absolument donner leur accord à une action en justice et que les organisations syndicales ne puissent pas agir, y compris au pénal, en cas d’inertie du parquet, revient à ne pas comprendre la réalité de la situation ni le rôle des organisations syndicales.
On ne peut à la fois avoir une pratique de la démocratie sociale, comme ce Gouvernement s’y attache, et ignorer les rôles respectifs de chacun des acteurs de cette démocratie sociale, du côté patronal comme du côté syndical. En l’espèce, il me semble que nous allons jusqu’au bout de la logique en reconnaissant un rôle majeur aux organisations syndicales face à une situation que chacun, même vous, reconnaît comme inadmissible pour des raisons humaines et même économiques – puisque nous sommes dans une économie de marché. Les organisations syndicales doivent pouvoir prendre elles-mêmes la défense, pas seulement des intérêts d’individus, mais de l’intérêt général. Voilà le fondement de la disposition de l’article 7.
Nous ne pouvons naturellement que rejeter cet amendement car son adoption reviendrait à refuser que l’on brise l’omerta qui entoure un certain nombre de pratiques mafieuses liées au trafic de main-d’oeuvre. Ce serait faire preuve d’une extraordinaire hypocrisie que de désarmer tous ceux qui pourraient mener des actions contre des pratiques scandaleuses : autant à dire que l’on veut bien lutter contre, à condition évidemment de ne s’en donner aucun moyen.
Oui, il faut permettre aux syndicats de conduire leurs missions pour briser l’omerta et donner une réalité à ces moyens de défense. La suppression de l’article 7 amputerait le texte d’une grande partie de sa portée. Cet amendement est bien évidemment impensable et inacceptable.
Monsieur Tian, donner des moyens supplémentaires d’action collective aux syndicats ne peut qu’être une bonne chose. Cela permet de renforcer la démocratie sociale, comme l’a très bien dit le ministre, à un moment où l’on s’efforce de conclure un pacte de responsabilité entre les entreprises et les forces syndicales. Améliorer le rapport de force entre ces deux parties en donnant plus de poids à ceux qui luttent pour défendre et protéger les intérêts matériels et moraux des plus faibles, des ouvriers, ne me semble pas complètement injuste.
Prenons un exemple concret, celui de GAD et du licenciement des ouvriers de l’agroalimentaire. Si ce droit avait existé en 2008, FO agroalimentaire aurait pu porter plainte et, avant la crise, attirer l’attention, créer peut-être les conditions de la survie de l’entreprise.
Mais votre amendement va encore plus loin puisque vous voudriez interdire aux syndicats professionnels de déposer plainte et d’aller en justice pour défendre leurs intérêts, comme ils en auront dorénavant le droit. Reprenons encore l’exemple de GAD. Le syndicat national des viandes, en 2008, sous le ministère de Bruno Le Maire, alors en charge de l’agriculture, ne pouvait faire autre chose qu’envoyer un courrier à la Commission européenne ou au ministre pour dénoncer le caractère intolérable des événements. Et c’est ainsi que, en l’absence de moyens de droit qui auraient permis d’aller plus loin, 850 salariés ont été licenciés.
Nous poursuivons le même but mais j’avance en l’espèce des arguments juridiques. Je veux bien croire que les juristes de l’UMP soient incompétents…
Sourires.
…mais peut-être ne le sont-ils pas totalement. Le problème, qui mériterait expertise, tient au fait que le code du travail permet déjà d’agir en justice, et qu’il est a priori pas possible d’inscrire la même mesure dans deux codes différents. Nous pensons qu’il faut sécuriser le texte dans l’intérêt de tous et non l’affaiblir en le rendant juridiquement attaquable. Je ne dis pas autre chose.
Monsieur Tian, sans relire le code du travail que je n’ai pas apporté, je peux tout de même vous préciser que les dispositions qu’il contient permettent aux syndicats d’exercer les droits des salariés, dans des conditions déterminées en vertu desquelles, notamment, le salarié peut s’y opposer ou intervenir volontairement. Or, en l’espèce, cet article prévoit que le syndicat puisse agir proprio motu, pour exercer non le droit des salariés mais leurs droits, autonomes, pour en faire une sorte de ministère public bis. Il s’agit de leur permettre d’agir au nom de l’intérêt général et non en substitution d’un salarié. La règle est différente et l’institution n’est pas la même.
Nos juristes sont meilleurs que ceux de l’UMP, mais nous le savions depuis longtemps ! (Sourires)
Je me doutais bien qu’il se trouvait dans cet hémicycle des talents juridiques, et cette explication que nous venons d’entendre était exactement celle que je m’apprêtais à donner : pour résumer, les dispositions en vigueur ne permettaient pas à une organisation syndicale d’être partie prenante dans une procédure lorsque le Parquet n’a pas engagé de poursuite. Grâce au texte que nous vous présentons aujourd’hui, le syndicat pourra engager des poursuites pénales et y participer, ce qui est très important. Il pourra de surcroît, au nom de l’intérêt général et de l’organisation, participer à l’action dès lors qu’il lui est reconnu cette mission de défense des intérêts collectifs. Ainsi que l’a expliqué très pertinemment M. Robiliard, nous sommes au-delà du dispositif actuel du code du travail.
L’amendement no 9 n’est pas adopté.
L’amendement no 27 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’amendement no 13 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’article 7, amendé, est adopté.
Article 7
Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 6 rectifié et 30 .
La parole est à M. Dominique Tian, pour soutenir l’amendement no 6 rectifié .
L’article 7 bis instaure une peine complémentaire pouvant être prononcée par le juge à l’encontre des entreprises condamnées pour travail dissimulé, emploi d’étrangers sans titre de travail ou prêt illicite de main-d’oeuvre et de marchandage, qui consiste en l’interdiction de percevoir toute aide publique pendant une durée maximale de cinq ans.
Si l’on peut comprendre la logique visant à empêcher que l’argent public puisse soutenir des entreprises qui ne respectent ni leurs salariés ni leurs concurrents, cette durée apparaît particulièrement longue et risque d’être contre-productive. À défaut d’être dissuasive, cette mesure risque surtout de pousser les entreprises concernées à mettre la clé sous la porte. Elle sera donc avant tout préjudiciable aux salariés de l’entreprise et, en cas de reprise, au repreneur, ce qui est particulièrement regrettable.
C’est pourquoi mon amendement no 6 rectifié propose de réduire à un an cette peine complémentaire par cohérence avec la peine complémentaire d’inscription à la liste noire instaurée par l’article 6..
La parole est à M. Thierry Braillard, pour soutenir l’amendement no 30 .
Je ne voudrais pas que l’UMP se retrouve seule à défendre les intérêts des salariés des entreprises ainsi mises en difficulté, qui se retrouveraient eux-mêmes sanctionnés.
Je l’ai dit lors de la discussion générale, la philosophie de ce texte est de prévenir plutôt que de guérir. Alors qu’il s’agit d’un texte de prévention, cet article prévoit des sanctions, de surcroît particulièrement lourdes. Or, on sait aujourd’hui que dans le milieu qui fait appel aux personnels détachés, il est assez aisé de modifier son organisation et de repartir sous la forme d’une nouvelle structure après avoir abandonné l’ancienne si une sanction conduit au dépôt de bilan et à la liquidation judiciaire. Malheusement, les salariés ne peuvent user de ces souplesses et risquent fort de se retrouver dans une situation précaire de chômage du fait des infractions commises par leur employeur et dont ils ne sont en rien coupables. C’est la raison pour laquelle nous considérons nous aussi que cette sanction de cinq ans est très longue. La réduire à un an permettrait encore de sanctionner ces sociétés tout en préservant les perspectives d’emplois de leurss salariés.
Avis défavorable. Tout d’abord, cette peine complémentaire est à la diligence du juge. Ensuite, la durée de cinq ans est un plafond qui n’empêche nullement la peine d’être prononcée pour une durée moindre. Enfin, par souci d’harmonisation, ce plafond a été aligné sur l’article 131-39 du code pénal qui porte sur les peines complémentaires, dont certaines comme l’interdiction d’exercer ou le placement sous surveillance judiciaire fixent le même délai de cinq ans.
Le rapporteur a tout dit : avis défavorable.
Les amendements identiques nos 6 rectifié et 30 ne sont pas adoptés.
L’article 7 bis est adopté.
Article 7
L’amendement no 28 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’amendement no 31 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
L’article 7 ter, amendé, est adopté.
La parole est à M. le ministre délégué, pour soutenir l’amendement no 49 , tendant à supprimer l’article 8.
Le Gouvernement est très réservé sur cet article qui prévoit d’imposer la production d’une attestation d’assurance à tout candidat dont l’offre a été retenue. Le code des marchés publics est de niveau réglementaire, et la France doit bientôt modifier sa réglementation en ce domaine, suite à l’adoption définitive de la directive sur la passation des marchés publics. Un projet de loi vient d’être adopté le 13 février dernier par l’Assemblée, qui modifie le code des assurances. Il prévoira qu’un arrêté du ministre de l’économie fixera les mentions minimales devant figurer dans les attestations. C’est pourquoi le Gouvernement vous propose de supprimer l’article 8.
Pour ce qui me concerne, je ne suis pas favorable à la suppression de cet article : nous devons envoyer un signal clair au secteur du bâtiment et des travaux publics. Nous demandons le rattachement de cette disposition non pas au code des marchés publics, qui relève du domaine réglementaire, mais au code des assurances. Nous avons au cours des débats supprimé l’affiliation à la caisse de congés payés.
Nous aurons sans doute une discussion sur la question des offres anormalement basses sur les marchés publics qui, nous dit-on, fera l’objet d’un futur projet de loi. Je ne voudrais pas que le secteur du bâtiment et des travaux publics se retrouve complètement désarmé alors qu’il est aujourd’hui le plus exposé aux abus massifs en matière de travail détaché. À titre personnel, je souhaite le maintien de cet article.
Pour ce qui nous concerne, cet article 8 nous convient parfaitement. Nous ne pouvons donc guère imaginer que le Gouvernement nous suggère de le supprimer. Ses arguments, s’ils avaient été recevables, auraient pu nous faire changer d’avis, mais il ne semble pas que cela soit le cas.
L’article 8, tel qu’il est prévu dans le texte et tel qu’il a été amendé en commission, répond à une demande très forte des secteurs victimes du détachement dont nous débattons, mais aussi de notre groupe.
J’ajoute que si le Gouvernement avait été choqué de l’intention que nous avons exprimée par cet article 8, il n’aurait sans doute pas attendu aujourd’hui, à quinze heures, pour déposer un amendement de suppression, de manière tardive et inopinée.
Sourires.
C’est pourquoi je ne saurais croire qu’il y voie une urgence.
Nous pensons donc qu’il faut repousser l’amendement de suppression qui nous est présenté. Sur le fond, en effet, tous les travaux de construction d’ouvrages, au sens où les entend l’article 1792 du code civil, sont soumis à l’assurance obligatoire de responsabilité décennale. L’article 8 de la présente proposition vise à conditionner la signature des marchés à la production de l’attestation décennale obligatoire. Or le droit en vigueur prévoit la justification de la souscription dans les quinze jours suivant la notification du marché. En clair, cela signifie que des entreprises qui travaillent de manière loyale, habituelle et constante souscrivent une assurance « garantie décennale » ; en cas d’obtention d’un marché, elles n’ont donc nul besoin de se précipiter chez leur assureur pour demander une attestation. Au contraire, les tricheurs, eux, attendent d’obtenir un marché pour aller s’assurer aussitôt et sauvegarder ainsi les apparences.
De surcroît, aucun argument juridique solide ne semble justifier la suppression de cet article. Le groupe SRC propose donc de repousser cet amendement.
Le groupe UMP est quant à lui d’accord avec le Gouvernement – conformément à la position qu’il a déjà défendue. Sur le plan juridique, en effet, la position de la commission ne tient pas. Nous l’avions déjà signalé et voici que le Gouvernement nous rejoint en proposant la suppression de l’article : tout va bien. La situation est simple : le code des marchés publics est de nature réglementaire, comme l’a indiqué M. le ministre et comme nous l’avions précisé en commission. L’intervention du législateur dans un tel champ présente un risque juridique important au regard de la répartition entre les champs relevant de la loi et ceux qui relèvent du règlement, fixée par la Constitution. C’est pourquoi nous avons estimé que cet article n’était pas juridiquement recevable, et je constate que le Gouvernement nous suit. Votre souhait de conserver l’article est certes plein de bonnes intentions, mais nous sommes ici pour écrire la loi : autant qu’elle soit conforme à la Constitution ! Pour une fois, nous vous suggérons donc de suivre le Gouvernement…
La parole est à Mme la rapporteure de la commission des affaires européennes.
« Pour une fois » est de trop, monsieur Tian : nous suivons souvent le Gouvernement ! Quant à moi, pour une fois…
Sourires.
Nous modifions le code des assurances et non le code des marchés publics. En outre, de nombreuses collectivités territoriales et de nombreux élus souhaiteraient que la preuve d’une garantie décennale puisse être faite. En effet, les marchés publics concernent souvent les collectivités territoriales, lesquelles se trouvent en grande difficulté lorsqu’elles s’aperçoivent après coup que les prestataires ne peuvent pas produire une telle garantie. Je prône la protection des biens publics, et notamment ceux des collectivités territoriales ; j’approuve donc les points de vue de MM. Savary et Ferrand.
Le groupe écologiste suit avec beaucoup d’intérêt le débat entre les arguments d’ordre juridique exposés par le Gouvernement et les intentions présentées d’autre part, qui distinguent entre le code des marchés publics, dont le Gouvernement ferait apparemment une mauvaise lecture, et le code des assurances qui ne relève pas du domaine réglementaire, ce qui ôte tout objet aux arguments de M. Tian.
M. le ministre l’a dit à plusieurs reprises : ce texte touche également au problème de la concurrence déloyale. Les uns et les autres ont évoqué la manière qu’ont certaines entreprises d’utiliser la fameuse durée de quinze jours en profitant de la situation pour ne pas la respecter quand d’autres s’y contraignent loyalement. Dès lors qu’il est clair, monsieur le ministre, que c’est bien le code des assurances et non le code des marchés publics qui est visé, le problème juridique posé par l’immixtion du législateur dans le domaine réglementaire ne se pose pas. Il faut donc maintenir cet article 8 pour faire passer un message clair au profit des entreprises saines confrontées à une concurrence déloyale.
L’amendement no 49 n’est pas adopté.
Afin de parfaire la rédaction de l’article dont la suppression vient d’être rejetée, cet amendement vise à préciser que tout candidat à l’obtention d’un marché public doit être en mesure de justifier qu’il a souscrit un contrat d’assurance le couvrant pour cette responsabilité. Pour ce faire, il vise à compléter le deuxième alinéa de l’article L. 241-1 du code des assurances, plaçant ainsi l’expression de notre volonté dans un ordre juridique supérieur à ce qui était le cas jusqu’ici.
La commission n’a pas examiné cet amendement auquel je suis favorable à titre personnel.
Sagesse.
L’amendement no 54 est adopté et l’article 8 est ainsi rédigé.
L’article 9 est adopté.
L’article 10 est adopté.
Cet amendement vise à anticiper la transposition de l’article 69, relatif aux offres anormalement basses, de la proposition de directive européenne sur la passation des marchés publics, dans la version adoptée en première lecture le 15 janvier 2014 par le Parlement européen.
Afin d’intégrer ces nouvelles mesures à la législation française, il est proposé de modifier le code général des collectivités territoriales – puisqu’il a été rappelé à juste titre que le code des marchés publics relevait du domaine réglementaire – de sorte que les pouvoirs adjudicateurs desdites collectivités puissent rejeter les offres dont ils auront établi qu’elles sont anormalement basses en conséquence, naturellement, d’une violation de la législation de l’Union ou du droit national compatible avec celle-ci dans le domaine du droit social, du droit du travail ou du droit de l’environnement.
La commission a émis un avis favorable, mais cet amendement est susceptible de poser des difficultés d’ordre juridique. Il faut notamment déterminer s’il relève du domaine législatif ou du domaine réglementaire. Le cabinet du ministre de l’économie et des finances m’a fait part de son intérêt pour cette mesure tout en souhaitant qu’il soit intégré à la future modification du code des marchés publics. Je souhaite donc que le Gouvernement nous apporte de fermes garanties sur ce point.
En effet, la notion d’offre anormalement basse ne coule pas de source : elle sera inscrite dans le droit européen dans les mois qui viennent. Je regretterais que nous soyons en dedans de la main alors même que nous disposons d’un utile moyen de recours permettant au juge de déterminer pour quelle raison une offre est anormalement basse : si le choix de cette offre ne tient qu’au fait que les salaires sont anormalement bas, alors le marché peut être contesté. Nous avons là une mesure fondamentale pour le secteur du bâtiment et des travaux publics. Sur le fond, je suis donc favorable à cet amendement, mais je pourrais réserver ma position si le Gouvernement y voyait une objection technique.
Le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement. Vous l’avez dit vous-mêmes : il arrive que certaines situations entraînent des conséquences particulières. Cela étant, les règles qui prévalent à l’élaboration de la loi imposent de savoir s’arrêter à un certain point. Nous ne saurions épuiser ce soir toutes les questions liées au sujet dont nous débattons ; ce serait d’ailleurs faire mauvaise législation, comme l’a dit M. le rapporteur à demi-mot, y compris au regard de nos intentions. Notre proposition concerne en effet les offres anormalement basses dans la catégorie spécifique des marchés publics des collectivités locales uniquement. Si cette question n’était traitée nulle part et si ni le Gouvernement, ni la majorité ne l’avaient à l’esprit, l’amendement se comprendrait. S’il n’est qu’une simple piqûre de rappel, il ne saurait nuire. En revanche, il ne saurait apporter un soin définitif.
A ce stade, je vous suggère de prendre acte du fait que le Gouvernement partage vos préoccupations – le rapporteur l’a dit lui-même. Nous souhaitons traiter cette question par la loi de transposition de la directive adoptée le 11 février sur la passation des marchés publics, qui comporte un article relatif aux offres anormalement basses. Nous avons tout intérêt à procéder à une transposition unique et globale et non morceau par morceau. Cela va plutôt dans le sens de ce que vous souhaitez ; Le droit européen doit être cohérent, y compris dans sa phase de transcription dans notre droit positif. La cohérence, ici, consiste à transposer entièrement la directive, qui comportera l’article que vous appelez de vos voeux. Franchement, il n’y guère d’intérêt à aller, à ce stade, piocher par anticipation une partie de la directive, y compris vis-à-vis de nos partenaires européens. Au fond, la cohérence est dans ce que nous avons fait ensemble et dans ce que vous faites aujourd’hui avec cette proposition de loi, qui s’appuie elle-même sur ce que le Gouvernement a fait. Je vous propose d’utiliser la même méthode pour l’avenir et pour le texte qui vous préoccupe, et donc de retirer votre amendement.
Monsieur le ministre, nous prenons acte de l’engagement du Gouvernement de traiter la question soulevée par l’amendement. La proposition de loi que nous examinons ce soir ne peut certes pas traiter de toutes les questions, mais il y aura d’autres textes pour ce faire.
En même temps, il aurait été difficile de ne pas évoquer cette affaire : nombre d’élus siégeant dans des commissions d’appels d’offres et nombre d’entrepreneurs sont choqués, devant des offres de toutes évidence anormalement basses, de constater à quel point on peut se sentir dépourvu d’outils juridiques pour les juger comme telles en droit. Il s’agit donc d’une question urgente au même titre que tous les points que nous avons abordés ce soir. Vous nous annoncez une loi de transposition qui arrivera le moment venu ; souhaitons qu’elle ne vienne pas trop lentement, et donc trop tard. Quoi qu’il en soit, monsieur le ministre, nous partageons votre analyse des difficultés que posent les offres anormalement basses et nous retenons votre engagement de prendre en compte le plus tôt possible cette notion dans les textes à venir.
Par conséquent, je retire l’amendement no 37 .
L’amendement no 37 est retiré.
Nous avons achevé la discussion des articles de la proposition de loi.
Je rappelle que la Conférence des présidents a décidé que les explications de vote et le vote par scrutin public sur l’ensemble de la proposition de loi auront lieu le mardi 25 février, après les questions au Gouvernement.
Prochaine séance, demain, à quinze heures :
Questions au Gouvernement ;
Vote solennel sur le projet de loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové ;
Proposition de loi relative aux comptes bancaires inactifs et aux contrats d’assurance-vie en déshérence ;
Proposition de loi tendant au développement et à l’encadrement des stages .
La séance est levée.
La séance est levée, le mercredi 19 février 2014, à zéro heure trente.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron